Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : deux femmes et un jardin

  • Une disparition inquiétante

    Une disparition inquiétante.jpg

    "Ce n'est pas ça. Ce qui est dur, c'est de ne pas savoir si on s’occupe d'un délit ou pas. Parce que nous avons appris à enquêter sur des actes criminels, à manipuler les truands ou faire pression sur eux. Alors que dans un dossier de disparition tu ne sais pas, la plupart du temps, s'il y a eu crime ou non. Tu te retrouves à soupçonner tout le monde, les voisins, les amis, les proches, le disparu lui-même, tous ces gens s’inquiètent comme toi pour leur proche - pardon, ils s'inquiètent plus que toi, - mais tu es obligé de les soupçonner, tu n'as pas le choix, tu dois agir comme si tous te cachaient quelque chose. Et dans la majorité des cas, tu finis par découvrir qu'aucun crime n'a été commis et que personne ne t'a rien caché."

    J'ai fait la connaissance du Commandant Avraham Avraham avec sa quatrième enquête (ici). Cette fois-ci je prends la série au début et c'est amusant de le voir faire seulement la connaissance de Marianka, alors qu'il était jeune marié dans ma précédente lecture.

    Nous sommes dans la banlieue de Tel-Aviv et en fin de journée, Avraham reçoit une femme qui vient signaler la disparition de son fils adolescent, Ofer. Fatigué, peu enclin à creuser davantage, Avraham lui demande d'attendre le lendemain matin, s'appuyant sur le fait que souvent il s'agit d'une fugue passagère.

    Mais le lendemain Ofer n'est toujours pas rentré et Avraham lance les opérations de recherche. C'est un premier loupé et il y en aura d'autres au cours de l'enquête.

    Avraham n'est pas spécialement sympathique, il n'a pas un caractère facile, n'a pas confiance en lui, il fait grand cas des avis de sa supérieure hiérarchique, mais n'apprécie pas qu'elle lui adjoigne un jeune collège dont les dents rayent le parquet. La rivalité entre les deux hommes n'arrangera pas la progression de l'enquête.

    Avraham, aveuglé par ses certitudes passe complètement à côté des bizarreries d'un voisin qui cherche à s'immiscer dans l'enquête, on se demande dans quel but.

    Parallèlement, Avraham est obligé d'aller faire un stage en Belgique, histoire de comparer les méthodes des uns et des autres. Cette incursion chez nos voisins a quelque chose d'un peu folklorique. Il pleut tout le temps, on mange des moules et des frites ... et il pense sans arrêt à son enquête en cours en Israël.

    La bonne nouvelle, c'est qu'il va rencontrer Marianka et que leur relation va prendre de la consistance durant son séjour.

    J'ai trouvé le début un peu laborieux, puis au fil de ma lecture j'étais de plus en plus accrochée par les multiples rebondissements de l'enquête. Les personnages sont complexes et les implications psychologiques bien décrites. Malgré ses erreurs et ses imperfections, Avraham devient attachant. Son obstination va lui valoir une mise à l'écart et pourtant il ira au bout.

    Rien d'exceptionnel dans ce polar, mais une lecture finalement plaisante et qui réserve une dernière surprise à la fin.

    L'avis de Alex Brize Kathel

    Dror Mishani - Une disparition inquiétante - 384 pages
    Traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz
    Points - 2015

  • Résistante

    9782253101505-001-T.jpeg

    "Notre vie dépend du bon vouloir des occupants. Ces nazis que nous surnommons "les doryphores" du nom de ces insectes qui engloutissent les pommes de terre, veulent dévorer la France ! Il m'arrive de me retrouver coincée à la gare de Versailles-Chantiers alors que le couvre-feu vient d'être décrété. Sur le chemin menant à la maison, j'ai repéré des portes cochères que je peux ouvrir facilement afin de me cacher dès que j'entends les soldats frapper le pavé de leurs gros godillots ... En route, je prends parfois un malin plaisir à glisser "mon" journal dans les boîtes aux lettres de collaborateurs, pour défier ces Français particulièrement couards et dangereux".

    Lors d'une émission récente de "la Grande Librairie", j'ai été impressionnée par le parcours et la dignité de Jacqueline Fleury-Marié. J'ai eu envie de poursuivre ce moment avec le livre qu'elle a co-écrit avec Jérôme Cordelier. J'y ai retrouvé une grande part des propos qu'elle a tenus dans l'émission, plus développés bien sûr.

    Jacqueline Fleury-Marié est entrée dans la résistance à 17 ans. Il faut dire que le climat familial l'y prédisposait. Sa mère avait vécu la première guerre mondiale dans la Somme, elle savait de quoi l'occupant était capable et c'était pour elle vital de le combattre à nouveau.

    Toute la famille participait à des degrés de responsabilité divers, les parents, Jacqueline et son frère Pierre. D'abord des petites tâches, puis des missions de plus en plus dangereuses. Jacqueline finira par être arrêtée, sur dénonciation, ainsi que sa mère.

    Elle connaîtra la prison, la torture, jusqu'au jour du départ en wagon à bestiaux, sans savoir si sa mère a subi le même sort qu'elle, ni la destination du voyage. Comme toutes les femmes de son convoi, elle est loin de se douter de ce qui l'attend.

    Ce sera l'arrivée à Ravensbrück en août 1944, sinistre camp de femmes, où elle aura à la fois le bonheur et la tristesse de retrouver sa mère. Elle espérait qu'elle avait pu échapper à cette épreuve. Le récit de Jacqueline rejoint d'autres témoignages sur ce camp, notamment celui de Germaine Tillion. C'est toujours le même choc de les lire.

    Jacqueline Fleury-Marié évoque ses tourments et ses souffrances avec pudeur ; elle rend surtout hommage à ses compagnes, elle insiste sur la solidarité qui existait entre elles et qui lui a permis de survivre. C'était des prisonnières politiques, elles continuaient le combat à leur manière, avec beaucoup de courage, notamment lorsqu'elles ont été contraintes de travailler pour l'armement allemand.

    Elle connaîtra les marches de la mort, jusqu'au moment où, à quelques unes, elles s'écartent de la longue file et se réfugient dans une cabane, sachant les Russes plus très loin. Elles seront repérées par des prisonniers de guerre français, qui les aideront, les protégeant à la fois des nazis et des Russes jusqu'à leur libération.

    Jacqueline espère être rapatriée rapidement en France, mais il faudra attendre encore et le retour ne sera pas facile. Sa mère et elle ne sont pas accueillies à bras ouverts, personne n'imagine ce qu'elles ont vécu, ni n'a envie de le savoir.

    Témoignage précieux d'une dame de 95 ans, qui a continué à oeuvrer pour les survivants des camps après la guerre, en participant à des associations et en se rendant régulièrement dans des classes.

    "Enfin nous allons pouvoir boire. Les visages épuisés et tendus s'ouvrent quelque peu. Boire. Depuis des heures, nous n'aspirons qu'à cela. Six cents femmes guettent le tuyau d'arrosage en espérant l'eau salvatrice. Espérance vaine. Cruauté supplémentaire, cruauté ordinaire. Il faudra bien s'y habituer : aucune d'entre nous ne recevra ne serait-ce qu'une cuillère à café d'eau. Pas la moindre goutte. Même pour la plus malade d'entre nous.

    Jacqueline Fleury-Marié - Jérôme Cordelier - Résistante - 128 pages
    Livre de Poche - 2021

  • On était des loups

    M02709670666-large.jpg

    "C'est étrange que je n'aie jamais eu peur de rien, la nuit l'avenir les bagarres ou les bêtes sauvages, alors qu'un gosse ça ne passe pas. Je ne sais pas comment lui parler, comment le nourrir, ou mettre les mains pour le porter. Maintenant je regarde ces années d'Ava j'aurais pu en profiter pour apprendre, mais non. Puisqu'elle le faisait moi je n'avais pas besoin. Il y a plein de choses, c'est quand tu n'as plus le choix que tu t'y mets et pourtant ça ne veut pas dire que tu ne vas pas les aimer. Tout ça je n'arrive pas à l'expliquer à Aru, j'ai l'impression de chercher des excuses et des excuses je n'en ai pas".

    J'ai abandonné la lecture de Sandrine Collette après "les larmes noires sur la terre". Trop de malheurs accumulés, trop de noirceur, pas la moindre lueur d'espoir nulle part, bref trop c'est trop.

    Je n'avais pas été tentée de reprendre depuis, jusqu'à son dernier passage à la Grande Librairie où j'ai entendu qu'elle s'était adoucie, que son nouveau roman était moins noir que les précédents etc .. Elle a été suffisamment éloquente pour que je me lance.

    Le verdict ? C'est vrai que la noirceur est moins assumée jusqu'au bout, mais ce n'est pas une bluette non plus. Le personnage principal, Liam, vit dans un pays non précisé, dans une région montagneuse loin des hommes. Il vit de chasse, de ce que la nature lui offre et est heureux quand il rentre de trouver sa femme Ava à la maison.

    Ava partage sa manière de vivre ; elle veut cependant un enfant. Liam n'est pas trop d'accord mais elle l'a à l'usure. Il accueille la naissance d'Aru sans déplaisir, sans être tellement concerné non plus. C'est l'enfant d'Ava.

    Et puis c'est l'accident imprévu. Ava meurt et Liam doit envisager de changer radicalement de vie pour s'occuper d'Aru, qui a cinq ans. C'est la panique, il n'en veut pas. Il entreprend un voyage de quelques jours pour le confier à son oncle et à sa tante. Il se heurte à un refus, l'oncle lui signifiant clairement qu'Aru a un père et que c'est à lui de le prendre en charge.

    A partir de là, Liam entreprend une errance du côté d'un lac où il avait promis d'emmener Ava, ce qu'il n'a jamais fait. Ça tourne en rond dans sa tête et ce n'est pas joli-joli. Le pauvre petit Aru s'adapte comme il peut à ce père sombre et imprévisible.

    Je ne vais pas vous en dire plus ; c'est un roman qui se lit facilement, qui est prenant, malgré le côté antipathique du narrateur, une brute épaisse tout de même. Le récit est nerveux, des phrases courtes, la tension permanente, il y a du savoir-faire.

    Je ne regrette pas de l'avoir lu, sans que ce soit non plus un coup de coeur.

    L'avis de Alex Krol Pativore Sandrion

    Sandrine Collette - On était des loups - 208 pages
    Editions Lattès - 2022

  • La guinguette à deux sous

    polar

    "Il se passait chez James un phénomène curieux, qui intéressa Maigret. A mesure qu'il buvait, son regard, au lieu de devenir plus trouble, comme c'est le cas de la plupart des gens, s'aiguisait, au contraire, arrivait à être tout pointu, d'une pénétration, d'une finesse inattendues."

    J'ai profité du mois belge d'Anne et Mina pour renouer avec le commissaire Maigret. Je les lisais en série dans ma jeunesse et j'avais envie de voir ce que j'en penserais aujourd'hui.

    Il fait chaud à Paris, Maigret doit rejoindre sa femme en vacances en Alsace. Il doit d'abord voir Lenoir, un condamné à mort qui va être exécuté. Celui-ci a accepté son sort, il a joué, il a perdu. Il confie au commissaire, que d'autres le mériteraient autant que lui et que pourtant ils s'en sortent bien. Il évoque un homme qu'il a vu jeter un cadavre à la Seine il y a 6 ans. Son ami Victor et lui ont fait chanter l'assassin pendant quelques années, puis il a disparu.

    Et voilà qu'il a revu l'homme il y a peu, à la guinguette à deux sous, sans préciser davantage où elle se trouve.

    Maigret cherche à la localiser, sans succès. C'est le hasard qui le mettra sur la route d'une joyeuse bande qui s'y retrouve régulièrement. Il se laisse embarquer dans une (fausse) noce le temps d'un week-end, au cours duquel un homme sera tué.

    Je n'ai pas trouvé l'intrigue très palpitante, plutôt embrouillée et lente ; le charme est ailleurs, dans la lourdeur, pour ne pas dire la torpeur où baigne Maigret. Le meurtre de l'homme l'oblige à révéler son identité de policier, qu'il avait volontairement laissée dans le flou.

    Il est question ici de couples adultères, de chantage, d'usurier, de règlements de compte et d'un curieux personnage de la bande, James, qui entraîne Maigret dans une taverne le soir. Il boit souvent plus que de raison, il sait qu'il a tort d'écouter cet individu soir après soir, mais il a du mal à réagir. James lui parle longuement de la guinguette à deux sous et des week-end où toute la bande se retrouvait.

    J'ai aimé la description d'un Paris disparu, à l'ambiance moins survoltée qu'aujourd'hui, sans téléphones portables, où tout prenait du temps (le livre a été écrit en 1931) Je ne me lancerai pas dans une relecture complète de Simenon, mais un Maigret de temps en temps ne serait pas pour me déplaire.

    Lecture commune avec Anne Ingannmic

    mois-belge-logo-khnopff.jpg

    Georges Simenon - La guinguette à deux sous - 192 pages
    Le Livre de Poche - 2005

  • La rivière

    9782330151270_1_75.jpg

    "Ils firent un feu près du canoë, sur les galets de la plage. Une fois de plus, ils emmitouflèrent la femme dans les sacs de couchage et utilisèrent des pierres pour la réchauffer. Ils lui surélevèrent les jambes et quand elle remua, ils lui firent avaler de l'eau chaude sucrée. Elle était entre la vie et la mort ; voilà ce que Wynn pensait. Si elle survivait aux prochains jours ce serait ... quoi ? Un miracle ? Non, mais le pronostic n'était pas bon. Les prochains jours allaient être critiques. Elle avait besoin de liquide et de calories, et surtout, elle avait besoin de se reposer. C'était ça, le dilemne."

    J'ai enfin découvert l'auteur tant encensé par quelques blogueuses de ma connaissance. J'ai choisi "la rivière" un peu au hasard. Au début j'ai crains un peu une redite du "lac de nulle part" de Pete Fromm (les portages !) mais c'est très différent.

    La première partie du livre est assez lente, nous prenons le temps de faire connaissance avec les personnages principaux, deux jeunes hommes à l'amitié indéfectible, du moins le croient-ils au départ.

    Wynn et Jack sont partis bien préparés, bien équipés pour une descente en canoë sur le fleuve Maskwa jusqu'à la baie d'Hudson. Ils ont l'habitude de ce genre de virée ensemble et sont bien rôdés, prêts à toute éventualité. Vraiment ? La suite va nous le dire.

    Le rythme est lent, assez contemplatif face à une nature à la fois grandiose et inquiétante.

    Dès le début, ils repèrent un feu au loin, sans s'inquiéter davantage, ils se sentent assez forts pour le distancer et gérer la situation. L'auteur est doué pour décrire la nature, les éléments, la vivacité de l'eau, les obstacles à contourner, le plaisir d'être loin de tout et de profiter de chaque instant qui passe.

    Néanmoins, j'ai commencé à trouver le temps long et à me demander si j'allais continuer devant l'absence d'action. Et puis, au milieu du livre, tout s'emballe. L'incendie s'avère plus rapide et dangereux que prévu, et un évènement totalement inattendu va bouleverser le rythme et la donne.

    Je n'en dirai pas plus, si ce n'est que le périple devient très anxiogène, la vie des garçons est désormais en danger et leur amitié n'était peut-être pas aussi solide qu'ils le pensaient. L'un des deux croit en la bonté des hommes, l'autre beaucoup moins et devant les décisions à prendre leurs différences vont éclater au grand jour.

    Si la première partie du livre traîne un peu en longueur, la suite est haletante et ne se lâche plus. Les rebondissements s'enchaînent et il y a des descriptions dantesques du passage d'un incendie où on se demande qui pourra s'en sortir et dans quel état.

    C'est bien écrit, les personnages sont attachants, la nature a une place importante. Globalement, sans être aussi enthousiaste que certaines, j'ai apprécié ma lecture.

    "Ils ne voyaient pas le brasier, aucun panache ne couvrait les étoiles, aucune lueur comme dans les villes ne couronnait les arbres, mais ça empestait la forêt brûlée et le sol calciné, et toute la nuit ils entendirent les battements d'ailes et les pépiements des oiseaux qui passaient au-dessus d'eux."

    L'avis de Sandrine Kathel Luocine

    Peter Heller - La rivière - 304 pages
    Traduit de l'anglais par Céline Leroy
    Actes Sud - 2021

  • Darwyne

    Darwyne.jpg

    "Darwyne, il s'y connait en beaux-pères. Il lui semble, même, que sa vie d'enfant a été rythmée par ça, par le passage des hommes de la mère dans leur petit carbet. Il ne se souvient pas des noms, ou plutôt il n'a pas envie de s'en souvenir, alors dans sa tête, il leur a donné des numéros : beau-père un, beau-père deux, beau-père trois... "

    Je voulais découvrir Colin Niel depuis longtemps. Voilà qui est fait, avec le dernier roman paru, Darwyne, grâce au billet enthousiaste de Une Comète.

    Darwyne est un petit garçon de 10 ans, affligé d'une malformation des pieds et de bien d'autres défauts d'après sa mère, Yolanda. Nous sommes sans doute en Guyane, en lisière d'Amazonie, parmi les plus pauvres et les plus démunis.

    Yolanda se démène pour que son fils soit bien élevé et apprenne bien à l'école. Elle l'élève seule, avec l'apparition régulière d'hommes qui ne font que passer. Darwyne n'aime pas ces beaux-pères qu'il désigne par des numéros. Il préfère avoir sa mère pour lui tout seul.

    Quand l'histoire commence, nous en sommes au numéro huit et l'enfant pressent que ça se passera comme d'habitude, à savoir mal. Ils habitent une sorte de bidonville, un petit carbet rafistolé de bric et de broc, à la merci du moindre coup de vent.

    Darwyne est un enfant un peu étrange, fasciné par la forêt qu'il semble comprendre parfaitement. Il ne peut s'empêcher d'y faire des incursions tout seul, la nuit, malgré l'interdiction de Yolanda.

    La famille a été signalée anonymement aux services sociaux comme posant problème, raison pour laquelle Mathurine, assistante sociale, leur rend visite pour une évaluation. Mathurine est une femme encore jeune, mais tourmentée par le manque d'enfant, elle a décidé d'en faire un seule. Elle se rend régulièrement en Europe pour des tentatives de PMA.

    Pour elle, la situation est claire, Yolanda s'occupe au mieux de son enfant, la dénonciation est calomnieuse. Mais Mathurine partage avec Darwyne la passion de la forêt, de sa faune et de sa flore. Intriguée par l'aisance de l'enfant dans cet univers, elle pousse l'investigation plus loin.

    Sur cette trame se développe une histoire de plus en plus intrigante et addictive. Des questionnements sont soulevés de tous côtés. Yolande n'est peut-être pas la mère dévouée qu'elle semble être. Darwyne cache peut-être de profonds secrets inavouables. Et le dernier beau-père en date, que pense-t'il de tout cela ?

    J'oublie un autre personnage omniprésent, la forêt, où se joue le principal du roman. Organisme vivant, avec ses propres réactions, subissant le changement climatique assez visible dans ces contrées et abîmée par les hommes.

    L'auteur distille lentement de nouveaux éléments qui nous mettent la puce à l'oreille et nous font redouter le pire pour Darwyne, pauvre petit pian dégueulasse (dixit la mère).

    Il faut accepter une part de fantastique dans cette histoire ; je ne l'ai pas trouvée gênante, elle s'intègre bien au reste.

    Au final, un roman noir puissant (très noir) et un enfant particulier qui imprime la rétine.

    Le billet de Athalie Sandrine Une Comète

    Colin Niel - Darwyne - 288 pages
    Le Rouergue noir - 2022

  • Mes 18 exils

    Mes 18 exils.jpg

    "Toute ma vie trop grosse, pas assez belle, trop ceci et pas assez cela. des complexes en pagaille et puis, par la magie d'une rencontre une nuit à Paris, j'ai quitté ces obsessions de laideronne pour devenir une femme fatale, m'exiler de ma vieille peau et faire peau neuve. Certains exils sont réjouissants".

    Je ne connais pas les livres jeunesse de Susie Morgenstern, pour la bonne raison qu'elle ne les avait pas encore écrits lorsque j'étais moi-même enfant ! Par contre, j'en ai beaucoup entendu parler et quelques interviews à la radio ont attisé ma curiosité, suffisamment pour me lancer dans cette autobiographie originale.

    Le livre est divisé en 18 parties, dont les titres donnent une idée

    - être une fille
    - être loin de ses soeurs
    - être juive
    - être amoureuse
    - errer
    - être veuve
    - être malade etc ...

    L'ordre chronologique est bousculé, ce qui a peu d'importance, l'autrice évoque sa naissance dans une famille juive du New-Jersey, ses soeurs bien plus douées qu'elle (dit-elle) ses années d'école, la fac, puis le départ pour Jérusalem où elle rencontrera Jacques, l'amour de sa vie, un mathématicien français.

    La voilà exilée dans un pays inconnu, plein de bizarreries, loin des siens. Les différences entre les Etats-Unis et la France donne lieu à des passages hilarants. Viendront les enfants, les joies et les peines ordinaires, le quotidien à concilier avec l'écriture, les jours sombres de la mort de Jacques et la deuxième rencontre, totalement inattendue.

    Susie Morgenstern se livre avec franchise et vivacité, le ton est pétillant. Pourtant, derrière l'auto-dérision on sent parfois la tristesse, les ratés, les manques, effleurés avec délicatesse.

    Une lecture plaisante, pleine de vie, mais moins légère qu'il n'y paraît.

    "Une journée sans courrier de mes soeurs ou de ma mère était une sorte de petite mort. Ma mère répondait religieusement. Elle m'appelait "son enfant de papier". Mais, malgré le lien indéfectible, mes yeux s'ouvrirent enfin et je compris qu'elle n'avait pas toujours raison. Elle s'agrippait à son pouvoir et j'étais trop bête pour dire non, agir selon mes propres désirs. Pour ma mère, mettre un bébé de sept mois à la crèche était criminel et il fallait être une malade mentale pour faire le marché tous les jours".

    L'avis de Cathulu

    Susie Morgenstern - Mes 18 exils - 296 pages
    L'iconoclaste - 2021

  • Blizzard

    130476688_o.jpg

    "Je ne peux pas rentrer, je ne peux pas lui expliquer, ce serait trop d'un seul coup. Il est solide, mais il y a des choses qui sont trop dures à entendre. De toute façon, je ne peux pas laisser le petit tout seul. Puisque je ne sais même pas dans quelle direction aller, je vais marcher droit devant moi, c'est ce qu'il a dû faire".

    Je l'ai attendu un certain temps ce roman, aussi lorsqu'il est arrivé chez moi, je me suis jetée dessus comme quelqu'un qui n'aurait rien d'autre à se mettre sous la dent (sic). Je n'en ai fait qu'une bouchée.

    Dès le départ, nous sommes dans l'ambiance. Une jeune femme Bess, erre dans le blizzard, quelque part en Alaska, à la recherche d'un petit garçon dont elle a lâché la main et qui a disparu en une seconde.

    Que faisait-elle dehors avec l'enfant par un temps pareil ? Deux hommes, Benedict et Cole partent à sa recherche, l'un rongé d'inquiétude pour le garçon, l'autre furieux après Bess qu'il ne peut pas supporter.

    Deux autres personnages vont entrer dans l'action. Clifford et Freemann. Quels sont les liens exacts entre eux, nous le découvrirons petit à petit, au fil des chapitres où nous pénétrons dans les pensées de chacun.

    Le point fort de ce premier roman est de nous tenir en haleine avec des chapitres courts et nerveux qui dévoilent au compte-gouttes le passé des quatre protagonistes, douloureux et sombre. S'ils sont dans ce coin perdu, au coeur d'une nature hostile, c'est qu'ils ont de bonnes raisons de fuir le monde.

    La recherche du petit prend de plus en plus d'intensité et d'urgence. Les chances de le retrouver vivant s'amenuisent. Et tous ne poursuivent pas le même but.

    Il faudra attendre la fin pour saisir toutes les ficelles de l'histoire. La construction du roman est efficace, si j'ai une réserve, c'est sur l'accumulation de secrets peut-être excessive. Le jeune garçon n'est évoqué qu'en creux alors que c'est lui le pivot de l'histoire. Ce sont surtout les tourments intérieurs des adultes qui sont sur le devant de la scène.

    C'est un premier roman prometteur, je ne suis pas sûre de le garder en mémoire longtemps, mais un moment de lecture aussi prenant est toujours bon à prendre.

    Quelques avis : Eimelle Keisha Krol Luocine etc ..

    Marie Vingtras - Blizzard - 192 pages
    Editions de l'Olivier - 2022

  • Une pluie de septembre

    Une pluie de septembre.jpg

    "Tu crois que c'est comme ça qu'on répare le monde, dit-il ? Tout le monde se met en colère et reste en colère ? Je sais qu'on a tous le fantasme de dire aux gens qui nous ont fait souffrir à quel point ils nous ont fait souffrir, mais la plupart du temps, ils ne le regrettent même pas, alors c'est quoi la solution ? Tu comptes juste rester en rogne pour le restant de tes jours ?"

    Voilà un premier roman qui frappe fort. Nous sommes dans une petite bourgade du Colorado, refermée sur elle-même, dominée par une communauté religieuse intolérante et étouffante.

    Après une soirée très arrosée, Abigail Blake, 17 ans, disparaît dans la forêt des Tall Bones. Les rumeurs vont bon train, d'autant plus qu'Abigail fait partie d'une famille dysfonctionnelle méprisée par le reste des habitants.

    On retrouve une trame assez utilisée ces dernières années, une famille qui vit à l'écart en bord de forêt, un père violent revenu détruit de la guerre au Vietnam, une mère passive qui laisse faire, trois enfants qui vivent en permanence dans la peur et le rejet des autres.

    Plusieurs personnages vont prendre la parole alternativement, nous faisant entrer peu à peu dans le détail de ce qui a pu se passer, au présent et au passé. Chaque narrateur a quelque chose à cacher, plus ou moins grave. La police patauge, aucun corps n'est retrouvé, laissant un doute lancinant sur la présence d'un meurtrier au sein du village.

    Dès le début du roman, l'autrice sait installer une tension qui va aller crescendo. La jeune Emma, seule véritable amie d'Abigail, se met en tête de trouver ce qui s'est passé. Elle est écrasée de culpabilité à l'idée qu'elle a laissé Abigail s'en aller ce soir-là alors qu'elle aurait pu l'aider.

    C'est une lecture très addictive, qui ne se lâche pas. Je me suis attachée rapidement à certains personnages, Emma, mal vue parce que latino, les frères d'Abigail, tellement éprouvés, Hunter, un jeune homme qui en sait plus qu'on ne le pense et ne sait pas quoi en faire. La violence du père d'Abigail est terrifiante, la passivité de sa femme, indifférente à la souffrance de ses enfants tout autant.

    Tout le monde prie avec constance, pour un oui ou pour un non, ce qui n'empêche pas de se conduire avec une terrible inhumanité, pasteur en tête.

    L'intrigue est fort bien construite, riche en rebondissements et en changements de direction et les personnages sont suffisamment étoffés pour que l'on s'y laisse prendre.

    Un premier roman très prometteur, une autrice à suivre.

    "Née en 1995, Anna Bailey a grandi en Angleterre avant de rejoindre une petite communauté religieuse suffocante du Colorado. Elle en est revenue très vite."

    Anna Bailey - Une pluie de septembre - 408 pages
    Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié
    Sonatine - 2021

  • Incandescences

    Incandescences.jpg

    "Sa grand-tante était née sur cette terre-là, y avait vécu huit décennies, et la connaissait aussi bien qu'elle connaissait son mari et ses enfants. Voilà ce qu'elle avait toujours soutenu, et elle était capable de vous annoncer à la semaine près quand la première feuille de cornouiller illuminerait la crête, la première mûre serait assez noire et ronde pour être cueillie. Puis son esprit s'était égaré en un lieu où elle n'avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s'ils vivaient encore ou s'ils étaient morts. Mais son corps s'était attardé, dépouillé d'un être intime, aussi vide qu'une carapace de cigale".

    Je n'avais pas lu l'auteur depuis trop longtemps et j'ai profité du challenge "Bonnes nouvelles" pour renouer avec lui.

    J'ai retrouvé dans ses douze nouvelles tout ce qui m'a plu dans les romans. Le style est puissant, les personnages marquants. Les histoires se déroulent dans les Appalaches, de la guerre de Sécession à nos jours. Il y est  beaucoup question de misère, de conditions de vie dégradées, d'addictions diverses.

    La nouvelle qui m'a le plus touchée est sans conteste "l'envol", l'histoire d'un pauvre gosse, qui découvre par hasard un avion qui s'est crasché et qui s'invente toute une histoire en montant à bord. Son imagination est débordante et lui fait oublier ses parents, tous deux accros aux méthamphétamines. A part la drogue et la manière de s'en procurer, rien ne compte plus vraiment pour eux. La fin de cette nouvelle fend le coeur.

    Il y a aussi "les temps difficiles", autre exemple de pauvreté. Des oeufs disparaissent d'un poulailler. Un vieux couple se dispute autour de ces disparitions, jusqu'au jour où l'homme comprend se qui se passe vraiment.

    Dans une autre nouvelle, une jeune femme enceinte va devoir faire face à un soldat du camp adverse. Elle est seule, elle sait ce qu'il veut et elle va faire face avec sang-froid.

    Ailleurs, ce sont des tombes de soldats confédérés qui sont fouillées. S'ils ont gardé leur ceinture, les boucles se négocient assez cher.

    Les personnages sont souvent confrontés à une certaine solitude, isolés géographiquement, habitués à se débrouiller avec peu de moyens. Pourtant, des gestes d'humanité surgissent, une solidarité de voisinage aussi.

    Ces douze nouvelles nous font toucher du doigt l'éventail des réactions humaines dans des situations d'extrême dénuement, dans un monde rural encore imprégné de vieilles croyances. Tout le talent de l'auteur est de nous faire aimer les personnages, même les moins recommandables parfois.

    Une excellente lecture.

    L'avis de Ingannmic Kathel Sandrion

    Challenge Nouvelles.jpg

    Ron Rash - Incandescences - 208 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
    Seuil - 2015