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Littérature croate

  • Le collectionneur de serpents

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    "La lumière de la lampe à pétrole vacillait, si bien qu'on aurait dit que la pièce ondulait. La radio scintillait et crachotait, transmettant des fragments d'ordres et de bulletins. Nous entendions des bribes de conversations tenues dans d'autres coins du front, par d'autres hommes. J'ai remis le livre en place sur la table. A la page ouverte, un hanneton exotique, coloré, me regardait. Nous aussi, pour d'autres, nous devons paraître comme ça, ai-je pensé. Colorés, étrangers, vaguement répugnants. Comme une race rudimentaire qui fait la guerre à une autre qui lui ressemble, pour des raisons à elle. Comme un objet d'étude, une espèce qu'on attrape avec des pincettes, après avoir pris soin d'enfiler des gants de laboratoire."

    Après "L'eau rouge" et "La femme du deuxième étage", je me demandais si ce recueil de nouvelles serait à la hauteur. Il l'est brillamment. Cinq nouvelles d'égale qualité, se déroulant en Croatie avant, pendant et après la guerre en ex-Yougoslavie.

    J'ai une préférence pour la première et la dernière. La première donne son titre au recueil et montre à quel point la guerre ravage la vie de gens ordinaires, contraints presque du jour au lendemain d'aller tirer sur leurs voisins. Les nuits du narrateur sont hantés par un évènement particulier, où le plus jeune d'entre eux, presque un gamin, est investi d'une mission que personne ne veut accomplir.

    Les histoires sont racontées au plus près des personnages, avec précision et empathie. Personne n'est un héros ici, seulement des humains abîmés qui reprennent leur vie comme ils peuvent.

    La cinquième nouvelle démontre que la guerre ne se termine jamais vraiment. Les règlements de compte peuvent survenir des années plus tard, les traques se poursuivre à bas bruit, menée par des hommes qui ont peut-être aussi quelque chose sur la conscience.

    Les trois autres nouvelles ne déméritent pas, tournant autour de familles brisées, séparées, de maisons que l'on se dispute, de conflits non résolus, mais aussi de gestes humains inattendus (Le tabernacle). On voit le pays changer, livré parfois à la corruption, l'enrichissement de certains, la pauvreté des autres. Chacun essaie de revivre comme il peut, avec ses traumatismes.

    Cinq nouvelles parfaitement maîtrisées et un auteur décidément à suivre de près.

    C'est ma première participation au challenge "Bonnes nouvelles" chez Je lis je blogue

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    Jurica Pavičić - Le collectionneur de serpents - 177 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2023

  • La femme du deuxième étage

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    "Depuis qu’elle est en prison, elle pense rarement à sa propre vie. Elle refuse de réfléchir à l’après. Elle refuse de faire des plans, elle a eu sa dose de plans pour toute une vie, elle a payé assez cher ceux qu’elle a échafaudés jusqu’à présent. Mais Bruna sait qu’un jour elle va sortir d’ici. Et quand elle pense à cette évidence, c’est toujours dans cet appartement qu’elle se voit."

    Dès le départ nous savons que le personnage central du roman, Bruna, est en prison pour meurtre aggravé. Elle a empoisonné sa belle-mère, Anka. Pas de suspense donc, mais un retour en arrière pour tenter de comprendre son geste.

    L'alternance entre sa vie quotidienne en prison et la réminiscence de ce qui a motivé peu à peu son geste permet de saisir progressivement les ressorts du meurtre.

    Bruna vit dans un petit appartement avec sa mère Divna, elle travaille et sort avec ses copines. C'est dans une soirée qu'elle rencontre Frane, un jeune marin beau et séduisant. Ils s'aiment et décident assez rapidement de s'installer ensemble. Elle fait la connaissance de la famille de Frane, sa mère Anka et sa soeur, mariée et un enfant. La maison d'Anka a deux étages, le premier est libre. Pourquoi le jeune couple n'en profiterait-il pas ?

    Bruna ne dit non à rien et ne tarde pas à emménager, avec l'assentiment de sa mère, à vrai dire assez indifférente, toute occupée qu'elle est par ses propres amours.

    Bruna va vite comprendre qu'elle ne sera pas chez elle dans cette maison. Anka a la main sur tout et convainc rapidement son fils de prendre les repas tous ensemble, à son étage. Bruna n'en fait jamais assez et ce n'est jamais bien. La situation se détériore lorsque Frane part en mission sur un bateau pour plusieurs mois, laissant Bruna en tête à tête avec sa belle-mère.

    Les retrouvailles avec Frane apaisent un peu la situation, mais il repartira et une dégradation majeure interviendra lorsque Anka sera victime d'une attaque la laissant handicapée. La soeur de Frane ne peut pas quitter sa ville et son travail, Frane repart et Bruna portera seule le fardeau, sans rien dire.

    Bruna assume les soins nécessaires, ne se plaint pas, mais après quelques mois, la vue d'une boîte de poison va lui permettre d'entrevoir une issue à sa vie qui est devenue insupportable, bien loin de ce qu'elle avait imaginé, elle et Frane, dans un nid douillet et confortable, un enfant peut-être ..

    L'intérêt du roman est de suivre Bruna avant, pendant et après le crime, d'être au plus près de ses réflexions et de son évolution. En prison Bruna s'habitue à la routine. Elle fait la cuisine pour les détenues et se tient à l'écart. Lorsqu'elle sort, onze ans plus tard, elle retourne à Split et a du mal à reconnaître la ville qu'elle a quittée. Tout a changé avec l'arrivée massive des touristes.

    Finalement, c'est sur une île qu'elle ira s'installer, éloignée de la société et des lieux où elle a vécu.

    C'est un roman qui dégage une certaine tristesse et Bruna garde un côté énigmatique. On se demande pourquoi elle est restée si soumise à certains moments. Ce n'est pas une personnalité facile et elle ne m'a pas vraiment inspiré d'empathie, pas plus que son entourage.

    La cuisine a une grande importance dans l'histoire. Bruna aime cuisiner pour les autres, c'est une passion qui la soutient et c'est aussi celle par laquelle l'irréparable est arrivé.

    Les noeuds intimes et familiaux sont bien décrits, tout comme les changements sociaux en Croatie, néanmoins, c'est un texte moins abouti que "l'eau rouge" paru l'an dernier. 

    "Bruna fait la tambouille de la prison. Elle cuisine des petits pois, des pommes de terre, du chou vert et des lentilles, des saucisses, des pains de viande, des bâtonnets de poisson et du poulet. Elle mitonne à la cocotte, cuit à la vapeur ou à l'eau, panne, frit, braise. Elle se débat avec de mauvais ingrédients, des légumes pourris de va savoir quel fournisseur, de la viande congelée qui aura bien rapporté un dessous de table à quelqu'un".

    L'avis d'Alex

    Jurica Pavičić - La femme du deuxième étage - 240 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2022

  • L'eau rouge

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    "Tous deux vivent avec la ferme conviction que, s'ils se tiennent à distance des problèmes, les problèmes garderont leurs distances vis-à-vis d'eux".

    L'histoire commence en 1989, à Misto, petit port sur la côte dalmate, non loin de Split. Jakov et Vesna mènent une vie sans histoire avec leurs deux enfants, deux jumeaux Mate et Silva.

    Lorsque Silva, 17 ans, leur annonce qu'elle sort, ils ne relèvent pas la tête, sans savoir qu'ils ne la reverront pas. Elle disparaît sans laisser de trace. C'est une fille joyeuse, remuante, elle se rendait à la fête des pêcheurs, comme tout le village.

    Les policiers débarquent et commencent à enquêter. Qu'a-t'il pu se passer durant la soirée ? Certains l'ont vue, d'autres taisent ce qu'ils savent. Vesna est folle d'inquiétude et pousse Jakov et Mate à mener l'enquête de leur côté. Elle n'a pas confiance dans la police.

    Chaque chapitre est consacré à un personnage, ce qui nous permet de suivre les pensées des uns et des autres, leur désespoir, leur loyauté envers Silva, même si ce que le père et le frère découvrent est loin de correspondre à l'idée qu'ils se faisaient de la jeune fille.

    Je dirais que c'est plus un roman noir qu'un polar. Certes l'histoire se déploie autour de la disparition de Silva, mais il y a aussi les états d'âme de l'enquêteur, la stupéfaction de tous lorsque la guerre éclate, faisant exploser le pays qu'ils connaissaient.

    Les années de guerre passent, façonnant un pays tout différent, la Croatie. Jakov et Mate reprennent leurs recherches, même si Mate s'est marié entre temps. Le couple de Jakov et Vesna n'a pas résisté à cette quête sans fin. Il n'y a pas que la famille qui continue à s'interroger. L'enquêteur a été empêché de continuer ses investigations en 1989, il n'était pas dans la bonne ligne politique. Il reprend le dossier sous une autre casquette, n'étant plus policier.

    J'ai été captivée par ce roman à l'intrigue solide, bien construit, avec comme toile de fond la guerre et ses destructions et lorsqu'elle est finie, les ravages dûs à l'argent facile. Le petit port de pêche fait l'objet comme bien d'autres de projets touristiques mirifiques qui détruisent tout un mode de vie et un paysage, mais auxquels bien peu résistent.

    J'ai apprécié également l'habileté avec laquelle l'auteur nous mène dans de fausses directions, révélant petit à petit des facettes de Silva et un dénouement loin de ce que l'on pouvait envisager au départ.

    Un auteur que je relirai sans hésiter.

    L'avis d'Alex

    Jurica Pavicic - L'eau rouge - 358 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2021