"Il n'avait rien à dire, rien d'intéressant pour elle de près ni de loin, mais la seule présence d'un autre être humain, le son d'une voix, le réconfort d'une discussion sans importance sur la musique, les livres - n'importe quoi - lui était nécessaire. Il était perdu. Ça, il le savait. Caroline n'avait pas été la première à le voir. Un homme construit un château pour se protéger, puis se retrouve piégé à l'intérieur. Où qu'il aille, tous les couloirs le ramènent au même endroit. L'esprit de l'homme n'a pas de carte ; les raisonnements sont si confus qu'on ne sait plus d'où ils viennent. Tout avait commencé à Jasperville. Peut-être que tout se terminerait là-bas également".
Je cherchais une lecture addictive et j'étais à peu près sûre de la trouver avec ce roman de R.J. Ellory. J'ai été embarquée dans une histoire très sombre se déroulant dans une région inhospitalière du nord-est du Canada, à Jasperville.
Jack Devereaux est enquêteur dans les assurances à Montréal. Il a fui Jasperville a 18 ans, sans se retourner, abandonnant son petit frère, Calvis, et une amoureuse qu'il s'était engagé à revenir chercher.
Il n'en a rien fait et est pris au dépourvu lorsqu'il reçoit un coup de fil de la police locale, lui apprenant que son frère a agressé sauvagement un homme, le laissant presque mort, sans raison apparente. Le policier lui demande de venir pour l'aider à comprendre ce qui a pu se passer.
Dès lors Jack est assailli par un maelstrom d'émotions qu'il peine à maîtriser. Cette fois-ci il ne peut pas se dérober et se résout à partir pour Jasperville, ce lieu maudit où il n'a pas remis les pieds depuis vingt-six ans.
Jasperville est un coin perdu où l'hiver dure 8 mois, les étés sont humides et envahis par les moustiques. L'unique raison d'être de ce village loin de tout est une mine de fer où le père de Jack espère avoir une chance de gagner honorablement la vie de sa famille.
Sa femme n'a d'autre choix que de s'incliner et de s'acclimater comme elle peut avec leurs trois enfants, Juliette l'aînée, Jack et Curtis, le présumé meurtrier.
C'est par flash-back successifs que nous remontons le temps avec Jack, en alternance avec le présent. Nous comprenons assez vite que ce qui l'a fait fuir c'est une atmosphère délétère, de plus en plus dramatique qui pèse sur Jasperville. Ce territoire a d'abord été occupé par les Alquonquins et leurs croyances sont encore vivaces, comme par exemple la présence de wendigos, créatures maléfiques et canibales qu'il vaut mieux ne pas rencontrer.
Le pire a été la mort de plusieurs jeunes filles, dans des conditions atroces. Leurs blessures ont été attribuées à des bêtes sauvages, ours ou loups, sans chercher plus loin.
La famille de Jack charriait également son bagage de violence, avec le père, impitoyable avec les enfants, perdant de plus en plus l'esprit.
Confronté à tout ce passé, Jack devra faire face à ses manquements, ses lâchetés, et reconsidérer les évènements sous un autre jour.
S'il y a enquête autour de la mort des jeunes filles, ce n'est pas ce qui m'a le plus passionnée. C'est plutôt la description de la vie à Jasperville, les relations familiales, amicales et de solidarité qui se nouent obligatoirement dans une communauté isolée.
Jack n'apparaît pas à son avantage, il reconnaît ses faiblesses, il essaie de réparer ce qu'il a détruit, il a fui un lieu mais il n'a pas cessé de se fuir lui-même également. Le chemin sera long.
Une histoire dense, pas avare de rebondissements et de revirements, avec des personnages attachants. Un bon roman noir.
R.J. Ellory - Une saison pour les ombres - 480 pages
Traduit de l'anglais par Etienne Gomez
Le livre de poche - 2024