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Littérature américaine

  • Quatre saisons à Mohawk

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    "Au Grill, je faisais quasiment partie des meubles, on ne faisait pas attention à moi et c'était à mon avantage. J'étais à la fois invisible et doué d'ubiquité pour les clients de la fin de l'après-midi, qui ne mâchaient pas toujours leurs mots devant moi. Il fallait vraiment qu'ils crient "merde", "chier", "con", pour se rappeler ma présence. Et ils étaient du genre à jurer d'abord, et à regarder ensuite. Alors ils plaisantaient : "T'as rien entendu, Ptit Sam, hein ?" Peu se souvenaient de mon nom et, dans ce cas, c'était la version Wussy. Parfois Harry marmonnait que : "Putain, c'est pas un endroit pour un môme, ici." A qui la faute répondait mon père."

    J'en suis à ma dixième lecture de Richard Russo et pas de déception jusqu'à présent, même si ce roman-ci m'a un peu pesé à cause de la tristesse qui le domine.

    Nous retrouvons un univers familier, celui des laissés-pour-compte d'une petite ville américaine imaginaire, Mohawk dont la prospérité est derrière elle. L'histoire est racontée par Ned, surnommé "Ptit Sam" un gamin balloté entre un père et une mère aussi défaillants l'un que l'autre, chacun à leur manière.

    Ils l'aiment leur fils, mais les circonstances de la vie les laissent sur le côté, incapables d'affronter leurs responsabilités comme ils le devraient.

    Au retour de la guerre, la mère n'a pas retrouvé l'homme qu'elle avait aimé. Il a changé et s'adonne à l'alcool et au jeu. De fil en aiguille elle demande le divorce, que Sam refuse de lui accorder, la harcelant et la menaçant, allant jusqu'à casser la figure à son avocat.

    Ned et sa mère vivent dans l'angoisse du surgissement du père à tout moment pendant des années. Rien n'est vraiment expliqué à Ned, qui se fait une idée de ce qui se passe dans un certain brouillard. Il voit sa mère dépérir de mois en mois. Jusqu'au moment où elle sombrera dans une profonde dépression et sera hospitalisée pour longtemps.

    Par la force des choses, Ned est récupéré par son père. Sa vie va changer du tout au tout. Plus de règles, un appartement précaire, la solitude des soirées, en sachant Sam dans un des bars de la ville, en compagnie de copains plus folkloriques et infréquentables les uns que les autres.

    Les saisons passent, Ned se débrouille comme il peut avec ce père atypique, qui peut disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles. Le gamin grandit, se forge une carapace, fait pas mal de bêtises.

    J'ai tracé seulement les grandes lignes du roman, qui est foisonnant, plein de personnages hauts en couleurs, truffés d'évènements tragi-comiques relatés par le menu et c'est là que l'auteur nous piège et nous fait tourner les pages avec gourmandise. J'ai évoqué la tristesse, mais il y aussi un humour vache permanent qui fait mouche et allège le reste.

    Le coeur du roman est la relation difficile père-fils. Ned ne mâche pas ses mots vis-à-vis de son père, mais on sent au fil du temps la tendresse mutuelle, même s'ils ne peuvent le reconnaître ni l'un ni l'autre.

    Ma découverte de l'auteur va se poursuivre, j'ai encore quelques titres devant moi.

    L'avis de Keisha

    Richard Russo - Quatre saisons à Mohawk - 602 pages
    Traduit par Jean-Luc Piningre
    10/18 - 2007

  • Incandescences

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    "Sa grand-tante était née sur cette terre-là, y avait vécu huit décennies, et la connaissait aussi bien qu'elle connaissait son mari et ses enfants. Voilà ce qu'elle avait toujours soutenu, et elle était capable de vous annoncer à la semaine près quand la première feuille de cornouiller illuminerait la crête, la première mûre serait assez noire et ronde pour être cueillie. Puis son esprit s'était égaré en un lieu où elle n'avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s'ils vivaient encore ou s'ils étaient morts. Mais son corps s'était attardé, dépouillé d'un être intime, aussi vide qu'une carapace de cigale".

    Je n'avais pas lu l'auteur depuis trop longtemps et j'ai profité du challenge "Bonnes nouvelles" pour renouer avec lui.

    J'ai retrouvé dans ses douze nouvelles tout ce qui m'a plu dans les romans. Le style est puissant, les personnages marquants. Les histoires se déroulent dans les Appalaches, de la guerre de Sécession à nos jours. Il y est  beaucoup question de misère, de conditions de vie dégradées, d'addictions diverses.

    La nouvelle qui m'a le plus touchée est sans conteste "l'envol", l'histoire d'un pauvre gosse, qui découvre par hasard un avion qui s'est crasché et qui s'invente toute une histoire en montant à bord. Son imagination est débordante et lui fait oublier ses parents, tous deux accros aux méthamphétamines. A part la drogue et la manière de s'en procurer, rien ne compte plus vraiment pour eux. La fin de cette nouvelle fend le coeur.

    Il y a aussi "les temps difficiles", autre exemple de pauvreté. Des oeufs disparaissent d'un poulailler. Un vieux couple se dispute autour de ces disparitions, jusqu'au jour où l'homme comprend se qui se passe vraiment.

    Dans une autre nouvelle, une jeune femme enceinte va devoir faire face à un soldat du camp adverse. Elle est seule, elle sait ce qu'il veut et elle va faire face avec sang-froid.

    Ailleurs, ce sont des tombes de soldats confédérés qui sont fouillées. S'ils ont gardé leur ceinture, les boucles se négocient assez cher.

    Les personnages sont souvent confrontés à une certaine solitude, isolés géographiquement, habitués à se débrouiller avec peu de moyens. Pourtant, des gestes d'humanité surgissent, une solidarité de voisinage aussi.

    Ces douze nouvelles nous font toucher du doigt l'éventail des réactions humaines dans des situations d'extrême dénuement, dans un monde rural encore imprégné de vieilles croyances. Tout le talent de l'auteur est de nous faire aimer les personnages, même les moins recommandables parfois.

    Une excellente lecture.

    L'avis de Ingannmic Kathel Sandrion

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    Ron Rash - Incandescences - 208 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
    Seuil - 2015

  • En ces temps de tempête

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    "Je ne suis pas en train de me décomposer, papa. Je suis juste furieuse que tu aies mis une semaine entière à me rappeler. Et s'il te plaît, cesse de te comporter comme si mon mari était une espèce de manager qui est censé me protéger de la réalité quand elle déconne".

    N'ayant jamais été déçue par un roman de Julia Glass, je n'ai pas hésité lorsque j'ai vu sa dernière parution. Roman choral, comme d'habitude, ce sont huit personnages différents qui prennent la parole à tour de rôle, nous permettant de creuser profondément leur personnalité et les relations qui les unissent les uns et les autres.

    L'histoire se déroule dans une petite ville du Massachussetts, Vigil Harbour, dans un futur proche, une poignée de décennies peut-être. Le dérèglement climatique s'est accentué, les catastrophes se sont faites de plus en plus dramatiques, tremblements de terre, tempêtes, virus mortel, etc .. Ont suivi des attentats, à New-York notamment, rendant le quotidien anxiogène et incertain.

    Curieusement, Vigil Harbour paraît à l'abri de cette ambiance délétère, en tout cas pour le moment et une petite communauté privilégiée essaie d'y vivre encore en bonne intelligence, et veut croire à un avenir supportable.

    Le premier narrateur, Brecht, jeune adulte, a survécu à un attentat à New-York, où il était étudiant. Traumatisé, il est revenu chez sa mère, Miriam, à Vigil Harbour et a abandonné ses études. Il a pour seule compagnie son copain, Noam. Son père est mort d'un virus (covid ?) lorsqu'il avait huit ans. Son beau-père, Austin, architecte, lui procure un travail chez Célestino, immigré de longue date, qui créé et entretient des jardins.

    Dans cet endroit relativement préservé vont surgir deux personnages inattendus, poursuivant chacun des buts cachés. Ils vont apporter le trouble avec eux, provoquant des réactions en chaîne aux conséquences imprévisibles.

    Je ne vais pas en raconter davantage, c'est une histoire fouillée dans laquelle il faut entrer progressivement. L'autrice excelle dans la description des personnages et des interractions entre chacun d'entre eux. C'est finement observé et peu à peu les liens se font avec subtilité.

    Les révélations arrivent, jusqu'à une dernière partie assez tendue, avec un suspense qui monte. Les changements liés au bouleversement climatique imprègnent toute l'histoire, soulevant des questionnements fondamentaux.

    La part belle est faite aux personnages, deux couples explosent entraînant des recompositions surprenantes ; j'ai particulièrement aimé, Margo, ancienne professeur de Brecht, qui encaisse le départ de son conjoint avec une autre en épaulant vigoureusement l'autre mari quitté qui se laisse couler. L'avenir montrera qu'elle sait faire face à pire que cela.

    "Si je détaillais, je dirais ceci : je suis sur une île dont la côte est menacée. Il y a des gardes, des flics, des rangers et toutes sortes de gens en uniforme qui surveillent, il y a des bassins écrêteurs là où il y avait autrefois des terrains de basket, il y a des périodes estivales où les températures atteignent 38° cinq jours d'affilée, et on est peut-être menacés de tempêtes, de bombes, de contagion, de pandémies et de pagaille, mais je vais bien. Je fais travailler mon esprit, je fais travailler mon corps. Je mange - parfois très bien".

    L'avis de Cuné et Sandrine

    Avec ce titre, je participe aux deux challenges qui ont remplacé "le pavé de l'été" de Brize.

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    Chez Sibylline

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    Julia Glass - En ces temps de tempête - 608 pages
    Traduit de l'américain par Sophie Aslanides
    Editions Gallmeister - 2023

  • La bibliothèque des livres brûlés

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    "Althea n'était pas une femme simpliste, quoi qu'en pensent les Berlinois. Elle préférait seulement le sanctuaire des livres à la dure réalité. Pour le meilleur ou pour le pire, les histoires fictives lui permettaient de porter des oeillères, de côtoyer des personnages, même s'ils étaient inventés, sans avoir à se dévoiler, à se sentir vulnérable. Lorsqu'elle avait six, neuf, treize ans, les livres lui avaient offert un refuge, un lieu rassurant, une meilleure amie qui n'existait pas dans la vie réelle, et parfois même une volonté de revanche sur ses ennemis qu'elle ne mettrait jamais à exécution, mais auquel il était plaisant de réfléchir".

    Ce roman a pour fil conducteur le rôle et la défense des livres en des temps difficiles. Il met en scène trois femmes à trois époques différentes. Leur trajectoire personnelle finira bien sûr par se croiser.

    Berlin, 1933 : nous suivons Althea, jeune autrice américaine auréolée d'un premier roman à succès, invitée par Joseph Gobbels, dans le cadre d'un échange culturel organisé par le nouveau pouvoir nazi. Si, au début de son séjour, elle est séduite par le dynamisme de la ville et l'accueil qui lui est réservé par les cercles cultivés du parti, elle ouvrira les yeux sur la nature réelle des nazis en assistant au grand autodafé de tous les livres jugés contraires au nationalisme allemand.

    Paris, 1936 : Hannah, juive allemande est réfugiée à Paris et travaille à la bibliothèque des livres brûlés, lieu discret qui s'efforce de réunir les livres voués à la destruction dans son pays. Elle y participait à un mouvement d'opposition et est hantée par une trahison qui  a entraîné la mort d'un proche.

    New-York, 1944 : Vivian, bibliothécaire, travaille pour une association qui envoie des livres aux soldats sur le front. Elle est en conflit ouvert avec un sénateur qui veut censurer certains livres et se battra avec acharnement pour empêcher son action.

    Voilà pour le thème principal, certainement bien documenté par rapport aux faits réels. Mais nous sommes ici dans un roman et la vie sentimentale des jeunes femmes prend le pas sur le reste, ce qui m'a moins intéressée.

    Chacune à leur manière, elles ont des relations assez compliquées et même parfois des réactions de midinettes un peu surprenantes, même si l'on considère l'époque, alors qu'elles font preuve d'un grand courage par ailleurs.

    Les chapitres alternent entre les trois femmes et j'ai mis du temps à m'y retrouver, ce n'était pas toujours très clair.

    Je ressors de cette lecture assez mitigée. L'intérêt historique est là, mais je constate une fois de plus que sur ce genre de sujet je préfère les documents. Et là, le coté romanesque prend un peu trop le dessus à mon goût. Ce n'est que mon avis personnel et c'est tout de même une lecture à tenter.

    Merci à Masse Critique et aux Editions HarperCollins

    Brianna Labuskes - La bibliothèque des livres brûlés - 336 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carole Delporte
    Editions HarperCollins - 2023

  • Le silence des repentis

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    "Un jour elle ne s'en contentera plus, évidemment. Elle voudra non seulement entendre parler du monde mais aussi le voir de ses propres yeux. Connaître son goût, le sentir. En faire l'expérience. Impossible de le lui reprocher. Et elle y aura droit, mais pas tout de suite. Car je ne lui ai pas encore raconté la longue et terrible histoire qui explique notre présence ici, les détails de ce que j'ai dû faire pour la récupérer. Elle n'a pas besoin de savoir, enfin pas encore. Elle a huit ans, elle pense que je suis quelqu'un de bien, et je ne cherche pas à la détromper."

    Un père et sa fille vivent seuls en forêt, cachés, loin de tout, au nord des Appalaches, ravitaillés une fois par an par Jake, propriétaire de la cabane où ils habitent et vieil ami de Cooper. La petite fille, Finch, a huit ans, elle n'a jamais rien connu d'autre. Qu'est-ce qui a pu les amener à une telle situation ?

    Encore un roman survivaliste me direz-vous. Oui, mais autre chose aussi, dû à l'amour infini du père pour sa fille. La mère est morte dans un accident de voiture et Cooper a dû transgresser quelques règles pour éviter qu'on ne lui retire sa fille encore bébé. Il faut dire qu'il y avait quelques raisons de se méfier, mais je ne vous dirai pas lesquelles.

    Ils mènent une vie simple, se débrouillent avec les vivres amenées par Jack. Ils chassent aussi, élèvent des poules, cultivent un potager. La petite a une bibliothèque à sa disposition, laissée par l'ancien propriétaire de la cabane. Elle en sait plus que bien des enfants de son âge. Et surtout elle a une connaissance de la forêt incomparable.

    Cooper est-il tranquille pour autant ? Non, car il a aussi un voisin encombrant, Scotland, qui les observe à la longue-vue et surgit sans bruit lorsqu'on ne l'attend pas. Finch l'accueille avec enthousiasme, mais Cooper s'en méfie comme de la peste. Qu'est-ce qui l'empêche de dénoncer leur présence à la police ? Et qu'est-ce qui l'a poussé à se réfugier en forêt, comme eux ?

    De plus, depuis quelques jours, une jeune femme rôde autour du camp, un appareil photo en bandoulière. Elle représente un danger trop grand, Cooper la surveille de près. Par contre Finch est excitée par la présence d'une femme. Elle aimerait en faire une amie.

    Dans le même temps, Jake ne vient pas au rendez-vous annuel du ravitaillement, ce qui pose un problème majeur et angoissant.

    L'histoire est racontée par Cooper, qui ressasse ce qui lui est arrivé, ses missions en Afghanistan lorsqu'il était militaire, le poids qui pèse sur sa conscience depuis cette époque, les attaques de panique depuis son retour. Il pense souvent à sa femme dont il était si amoureux et de la vie qu'ils auraient pu avoir tous les trois.

    C'est une lecture sous tension, on sent dès le départ que ça va mal tourner. Les ficelles sont un peu grosses, la fin un peu trop facile, mais j'ai marché, les personnages sont attachants, Cooper le premier, malgré les casseroles qu'il traîne. Et comment ne pas être attendrie devant le mal qu'il se donne pour élever Finch correctement, avec des valeurs.

    Une lecture distrayante, mais plus prenante que je ne l'aurai pensé au départ, sur fond de traumatismes de guerre et d'amour paternel.

    L'avis de Krol

    Kimi Cunningham Grant - Le silence des repentis - 336 pages
    Traduit de l'anglais par Alice Delarbre
    10/18 - 2023

  • La rivière

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    "Ils firent un feu près du canoë, sur les galets de la plage. Une fois de plus, ils emmitouflèrent la femme dans les sacs de couchage et utilisèrent des pierres pour la réchauffer. Ils lui surélevèrent les jambes et quand elle remua, ils lui firent avaler de l'eau chaude sucrée. Elle était entre la vie et la mort ; voilà ce que Wynn pensait. Si elle survivait aux prochains jours ce serait ... quoi ? Un miracle ? Non, mais le pronostic n'était pas bon. Les prochains jours allaient être critiques. Elle avait besoin de liquide et de calories, et surtout, elle avait besoin de se reposer. C'était ça, le dilemne."

    J'ai enfin découvert l'auteur tant encensé par quelques blogueuses de ma connaissance. J'ai choisi "la rivière" un peu au hasard. Au début j'ai crains un peu une redite du "lac de nulle part" de Pete Fromm (les portages !) mais c'est très différent.

    La première partie du livre est assez lente, nous prenons le temps de faire connaissance avec les personnages principaux, deux jeunes hommes à l'amitié indéfectible, du moins le croient-ils au départ.

    Wynn et Jack sont partis bien préparés, bien équipés pour une descente en canoë sur le fleuve Maskwa jusqu'à la baie d'Hudson. Ils ont l'habitude de ce genre de virée ensemble et sont bien rôdés, prêts à toute éventualité. Vraiment ? La suite va nous le dire.

    Le rythme est lent, assez contemplatif face à une nature à la fois grandiose et inquiétante.

    Dès le début, ils repèrent un feu au loin, sans s'inquiéter davantage, ils se sentent assez forts pour le distancer et gérer la situation. L'auteur est doué pour décrire la nature, les éléments, la vivacité de l'eau, les obstacles à contourner, le plaisir d'être loin de tout et de profiter de chaque instant qui passe.

    Néanmoins, j'ai commencé à trouver le temps long et à me demander si j'allais continuer devant l'absence d'action. Et puis, au milieu du livre, tout s'emballe. L'incendie s'avère plus rapide et dangereux que prévu, et un évènement totalement inattendu va bouleverser le rythme et la donne.

    Je n'en dirai pas plus, si ce n'est que le périple devient très anxiogène, la vie des garçons est désormais en danger et leur amitié n'était peut-être pas aussi solide qu'ils le pensaient. L'un des deux croit en la bonté des hommes, l'autre beaucoup moins et devant les décisions à prendre leurs différences vont éclater au grand jour.

    Si la première partie du livre traîne un peu en longueur, la suite est haletante et ne se lâche plus. Les rebondissements s'enchaînent et il y a des descriptions dantesques du passage d'un incendie où on se demande qui pourra s'en sortir et dans quel état.

    C'est bien écrit, les personnages sont attachants, la nature a une place importante. Globalement, sans être aussi enthousiaste que certaines, j'ai apprécié ma lecture.

    "Ils ne voyaient pas le brasier, aucun panache ne couvrait les étoiles, aucune lueur comme dans les villes ne couronnait les arbres, mais ça empestait la forêt brûlée et le sol calciné, et toute la nuit ils entendirent les battements d'ailes et les pépiements des oiseaux qui passaient au-dessus d'eux."

    L'avis de Sandrine Kathel Luocine

    Peter Heller - La rivière - 304 pages
    Traduit de l'anglais par Céline Leroy
    Actes Sud - 2021

  • Vue cavalière

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    "Peut-être même suis-je à l'origine de ce qui est arrivé à la vieille dame, encore que Ruth m'assure qu'on ne peut reprocher à qui que ce soit les attaques et crises cardiaques d'une personne approchant des cent ans. N'empêche, c'est plutôt troublant. La voilà qui arrive à pas comptés, soutenue par son orgueil et la volonté de tenir son rôle de matriarche devant sa petite-fille et les amis de celle-ci, et paf, un des amis en question prononce le nom fatal, de la fumée s'élève, une odeur de soufre remplit la pièce, les belles dames se muent en créatures à groin, les assiettes se mettent à grouiller d'anguilles vivantes".

    Commencer un roman de Wallace Stegner, c'est la promesse d'un excellent moment de lecture. D'autant plus que dans celui-ci, nous retrouvons le personnage de Joe Allston, déjà rencontré dans "La vie obstinée".

    Retiré dans la campagne californienne avec Ruth, son épouse, Joe grommelle en constatant tous les jours les ravages de la vieillesse. Son regard sur la vie est sombre et caustique et Ruth s'efforce de l'en distraire comme elle peut. Il rumine toujours la mort prématurée de leur fils unique, Curtis, et son impuissance à le comprendre et à l'aider.

    Joe était agent d'écrivains. La visite fortuite d'un de ses auteurs,  Italien volubile et en pleine forme, le renvoie encore plus à sa propre inertie. C'est alors qu'il tombe fortuitement sur un journal intime qu'il avait tenu en 1954 lors d'un voyage au Danemark, pays d'origine de sa mère.

    Ruth lui demande de le lire à voix haute tous les soirs pour confronter leurs souvenirs de ce voyage. C'est l'occasion d''approfondir quelques non-dits entre eux et pour Joe, comparer l'homme qu'il voulait être à l'époque à celui qu'il est devenu.

    J'aime toujours autant l'impitoyable auto-dérision dont fait preuve Joe et ses questionnements existentiels. Pendant ce séjour danois, il ne sera pas indifférent au charme de la comtesse Astrid Wredel-Krarup, aristocrate rejetée par tout son milieu. Nous finirons par savoir pourquoi. Cet intermède danois ancien tient une grande place dans l'histoire.

    J'ai savouré ce roman qui décrit les sentiments des personnages avec subtilité et délicatesse. Joe est plus tendre qu'il ne veut bien se l'avouer. L'attitude de Ruth est souvent empreinte de sollicitude, ce qui ne l'empêche pas d'envoyer promener Joe lorsqu'il exagère dans son numéro de raté irrécupérable. En résumé, un vieux couple solidement soudé, malgré les faux-pas et les drames de la vie.

    Un écrivain indispensable à votre bibliothèque.

    "J'ai parcouru quelques unes des questions, puis j'ai jeté le tout dans la cheminée. Encore une de ces études socio-psycho-physiologiques menées par informatique dont les conclusions sont déjà connues de toute personne au-dessus de cinquante ans. Qui a jamais douté que l'amour-propre des vieux en prend un coup dans une société qui montre de trente-six façons possibles qu'elle ne leur accorde aucune valeur et les tient pour une source de dépenses et de tracas, dans une société qui se rit de leur expérience, se défausse de leurs problèmes, les parque dans des hospices et d'une manière générale les ignore, sauf pour solliciter leurs suffrages, ou leur arracher leur sac à main et le montant de leur pension ? Une société qui possède l'effrayante capacité de les regarder droit dans les yeux sans jamais les voir."

    L'avis de Sandrion

    Wallace Stegner - Vue cavalière - 304 pages
    Traduit de l'américain par Eric Chedaille
    2011 - Libretto

  • Identités croisées

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    "C’est le principe même de ces émissions. Tu n’as jamais regardé ? On prend des jeunes gens malléables qui rêvent de gloire et on les manipule comme on veut. C’est open bar. On les fait boire. On crée des situations toxiques. Chaque participant, alors qu’il manque déjà de confiance en lui, passe par une essoreuse émotionnelle, et aucun n’est équipé pour ça."
     
    Retrouvailles avec Wilde, découvert dans "L'inconnu de la forêt". Le personnage est toujours sympathique, malgré son côté sauvage et sa manie de disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles.
     
    Dans le premier épisode, il hésitait à poursuivre une recherche ADN sur un site spécialisé. Cette fois-ci il se lance pour essayer de savoir qui a bien pu l'abandonner dans la forêt lorsqu'il avait 5-6 ans. J'ignorais tout de ce genre de recherche et c'est assez intrigant à suivre.
     
    L'enquête se complexifie assez rapidement, avec une multitude de personnages et plusieurs intrigues menées de front. Une piste l'emmène dans le monde de la téléréalité, écoeurant au possible et au coeur de multiples combines sordides.
     
    Il tombe également sur un mystérieux groupe de justiciers du web, déterminés à punir tous ceux qui ont détruit la réputation, voire la vie de quelqu'un sur la toile. Ça fait beaucoup de pistes, mais avec un peu d'attention, on s'y retrouve.
     
    Bien entendu les morts s'accumulent, il est question d'un tueur en série. On se demande comment les liens vont se faire avec toutes ces intrigues. J'avoue qu'à la fin je n'avais pas vu le coupable venir.
     
    Côté sentimental, Wilde entretient toujours une liaison avec Laïla, la veuve de David, qui était son meilleur ami. La situation évolue enfin, un peu grâce à Matthew, le fils de Laïla, laissant supposer une stabilisation dans la vie de Wilde. 
     
    Le plus captivant est sa recherche de parenté ; une partie du voile se lève sur ses ascendants, mais pas tout. Ce qui promet un troisième opus, que je lirai parce que je suis suffisamment curieuse.
     
    J'oubliais Hester, avocate, (et grand-mère de Matthew) toujours là dès que Wilde s'est fourré dans le pétrin. Partagée entre son nouvel amoureux et sa déontologie, elle nous vaut quelques pages combatives et réjouissantes.
     
    J'ai préféré nettement ce deuxième opus au premier de la série. Le rythme est plus nerveux. L'intérêt principal c'est Wilde et là, tout est centré sur lui, son passé dont il a tout oublié, et l'intérêt ou pas, de rechercher une parentèle. Ce n'est pas un super héros, mais un homme qui cherche à vivre au mieux avec son histoire et son entourage.
     
    C'est un roman qui se lit facilement, avec un suspense constant et des personnages attachants. Vous pouvez le lire indépendamment du premier.
     
    L'avis de Brize
     
    Harlan Coben - Identités croisées - 400 pages
    Traduit de l'américain par Roxane Azimi
    Editions Belfond - 2022
  • L'inconnu de la forêt

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    "Pourquoi avait-il toujours fui ? Était-ce un instinct primitif de survie ? Était-il dans la nature profonde de l’homme de craindre ses semblables plutôt que de chercher à entrer en relation avec eux ? Il s’était souvent posé cette question. Pourquoi, jeune enfant, avait-il systématiquement choisi la fuite ? Était-ce la conséquence d’un traumatisme psychologique ?"

    Je n'ai pas lu Harlan Coben depuis "Ne le dis à personne". J'avais aimé, sans plus. Je me suis décidée pour ce titre après le billet de Brize sur "Identités croisées", le deuxième épisode avec le même personnage principal. Comme je suis méthodique, j'ai voulu commencer par le premier.

    J'ai donc fait la connaissance de Wilde, dont la particularité est d'avoir vécu enfant un certain temps tout seul dans une forêt du New-Jersey. D'où venait-il ? qui était-il ? il n'en sait rien, aucun indice, aucun signe n'est venu l'éclairer sur ses origines et le pourquoi de son abandon. Il avait cinq ou six ans lorsqu'il a été trouvé et recueilli.

    Ensuite, il a mené une vie d'adulte assez marginale, éprouvant le besoin de retourner régulièrement dans la forêt où il habite une écocapsule bardée de systèmes de surveillance, lui signalant une présence humaine dès qu'elle apparaît. Il est détective après être passé par les forces spéciales.

    Malgré tout, il aime la compagnie et est proche de Laïla, la veuve de son meilleur ami, David, mort une dizaine d'années auparavant. Il suit de près le fils du couple, Matthew, jeune adolescent.

    C'est d'ailleurs Matthew qui l'appelle à l'aide à propos de la disparition d'une camarade de classe, Naomi.

    J'ai refermé ce thriller avec une vague impression d'ennui. Il n'y a pas grand chose à dire sur l'intrigue, où les rebondissements se succèdent, souvent assez tirés par les cheveux.

    Wilde est un personnage attachant, avec des questionnements profonds. Il n'a pas tellement envie de savoir d'où il vient, pourtant il s'est inscrit sur un site de tests ADN et il a "matché" avec un homme qui pourrait être son cousin. Va-t'il se décider à le contacter ou laisser tomber ..

    Bref, je n'aurais sans doute pas fait de billet, mais j'ai lu le deuxième épisode (Identités croisées) qui est nettement meilleur. J'ai considéré que celui-ci était juste une mise en place des personnages, le véritable sujet étant la quête de Wilde pour trouver son identité.

    Outre Wilde, j'ai aimé le personnage d'Hester, avocate haute en couleurs, la soixantaine, toujours prête à se porter à son secours. C'est la mère de David et la grand-mère de Matthew. Tout ce petit monde est agréable à suivre, peu importe les invraisemblances.

    Je vous parlerai prochainement plus en détail d'Identités croisées.

    Je pense qu'il y a matière à un troisième opus et je suis suffisamment ferrée par le mystère Wilde pour le lire malgré les défauts. Le suspense est garanti.

    Harlan Coben - L'inconnu de la forêt - 480 pages
    Traduit de l'anglais par Roxane Azimi
    Pocket - 2021

  • Oh William !

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    "Je tiens à le dire tout de suite : j'ai toujours tendance à avoir très peur. Je pense que c'est le résultat de ce qui m'est arrivé pendant ma jeunesse, mais j'ai très facilement la frousse. Par exemple, presque chaque soir, quand le soleil se couche, il m'arrive d'être effrayée. Parfois aussi, je ressens juste de la peur, comme si quelque chose d'horrible allait m'arriver. Même si, la première fois que j'ai rencontré William, j'ignorais cela de moi, tout ça me paraissait ... oh, je suppose que tout ça me ressemblait".

    "Oh William" est le troisième roman mettant en scène Lucy Barton, après "Je m'appelle Lucy Barton" et "Tout est possible" (lus, mais pas de billets).

    Le temps a passé, rappelons que Lucy Barton est une écrivaine reconnue, qu'elle a été mariée vingt ans à William, dont elle a eu deux filles, et qu'elle a fini par divorcer. Elle s'est remariée à David, qui est décédé récemment. Elle ne peut pas surmonter ce deuil, David était l'homme parfait pour elle, elle est inconsolable.

    De son côté William s'est remarié deux fois, et sa dernière épouse, Estelle nettement plus jeune que lui, vient de le quitter. Il est assez perdu, d'autant plus que professionnellement, il se rend compte qu'il est dépassé et qu'il n'a plus guère d'écho dans son milieu universitaire.

    Lucy et William sont restés en bons termes et c'est à elle qu'il s'adresse lorsqu'il apprend, de surcroît, que sa mère lui a caché l'existence d'une soeur aînée. Il demande à Lucy de l'accompagner à la recherche de cette soeur, dans le Maine.

    Lucy accepte, et c'est l'occasion de se remémorer leur vie en commun et d'approfondir la personnalité de Catherine Cole, la mère de William, qui était omniprésente dans leur vie, trop sans doute.

    Disons tout de suite que ce n'est pas le meilleur de la série, "Je m'appelle Lucy Barton" m'avait paru beaucoup plus fort. "Tout était possible" était déjà moins prenant. 

    Comme c'est Elizabeth Strout qui écrit, c'est malgré tout un bon moment de lecture, les réactions des personnages sont souvent inattendues, mais finement décrites, avec de multiples interactions. Lucy a vieilli, elle peut revenir différemment sur certains épisodes et voir à quel point elle était inadaptée parfois. William a encore le pouvoir de l'énerver régulièrement, mais elle se contrôle mieux ..

    Il ne se passe pas grand chose, tout est dans les détails, les souvenirs, les regrets, le constat que finalement on ne connaît pas si bien que cela les gens qui nous entourent.

    Il n'est pas nécessaire d'avoir lu les deux précédents, l'autrice rappelle l'essentiel, mais c'est tout de même plus intéressant de les connaître.

    Le style est assez hésitant, Lucy n'est jamais très sûre de ce qu'elle va ou veut dire, elle a besoin d'appuyer constamment son propos par des expressions du genre "c'est ça que je veux dire". Je n'ai pas le souvenir que les deux premiers adoptaient un style aussi incertain. Au final, elle souffrira toujours de son enfance auprès de parents toxiques et atypiques, à l'écart de la société.

    Si vous n'avez jamais lu Elizabeth Strout, je vous conseille plutôt de commencer par "Olive Kitteridge" et "Olive, enfin" plus percutants.

    L'avis de Brize

    Elizabeth Strout - Oh William ! - 260 pages
    Traduit de l'anglais par Pierre Brevignon
    Editions Fayard - 2023