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Littérature américaine

  • La loi des collines

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    "Le maire s'en alla et Mick fut soulagé d'avoir un moment pour lui. Il s'était trouvé une bonne dizaine de fois dans cette position - attendre des informations médicales sur un blessé - mais jamais pour un membre de sa famille. La peur soudaine de perdre Linda le glaça jusqu'à la moelle. Il repoussa cette sensation et la rangea dans une boîte. C'était hors de son contrôle. Il traiterait le cas de sa soeur comme n'importe quel autre".

    Elle est rude la loi des collines, elle charrie de vieilles rancoeurs et pratique facilement la vengeance. Et rien ne s'oublie.

    Voici le troisième et dernier volet des enquêtes de Mick Hardin dans ce coin du Kentucky où il a grandi et qu'il a quitté pour devenir soldat dans des pays en guerre, Afghanistan, Irak, Syrie etc ...

    A 39 ans il peut prendre sa retraite et c'est ce qu'il fait, avec le projet d'aller vivre au fin fond de la Corse et y mener une vie un peu semblable à celle des collines. Il est revenu au pays dire au revoir à sa soeur Linda, shérif de Rocksalt, avant de s'envoler pour la France.

    Linda enquête justement, avec son adjoint Johnny Boy sur la mort d'un mécanicien hors-pair. Mick n'est pas là pour s'en mêler, mais suite à un service rendu dans un conflit anodin, le voilà embarqué malgré lui dans une histoire de combats de coqs clandestins qui vont l'emmener bien plus loin qu'il ne le souhaitait.

    On tire sur Linda qui se retrouve grièvement blessée, deux nouveaux cadavres sont trouvés au grand désarroi de Johnny Boy, peu taillé pour remplacer la shérif.

    Nous retrouvons les personnages des précédents épisodes, des hommes taiseux, souvent brutaux, armés toujours. Mick ne respectera à peu près aucune règle dans cette histoire, s'appuyant surtout sur son instinct et son solide entraînement de soldat.

    Il montre aussi une grande générosité envers plus faible que lui et se sort de situations dangereuses avec une maestria quasi-magique. J'ai trouvé ce dernier épisode un peu trop boursouflé côté intrigue, je me suis perdue parfois dans les personnages et des situations alambiquées, surtout lorsque Mick s'éloigne des collines.

    Il ne faut pas se monter trop exigeant sur la crédibilité de l'ensemble mais j'ai eu plaisir à retrouver Mick une dernière fois et suis toujours aussi étonnée de sa grande politesse devant les femmes, même si elles pointent un fusil sur lui. Il a des manières ce gars-là.

    "Quand t'auras trouvé le minable qui lui a tiré dessus, l'embarque pas. Tu l'étales et tu rappliques chez nous, t'entends ?
    Oui Madame."

    Les deux précédents : Les gens des collines  - Les fils de Shifty

    Chris Offutt - La loi des collines - 288 pages
    Traduit de l'américain par Anatole Pons-Reumaux
    Editions Gallmeister - 2025

  • Le testament de Sully

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    "Les êtres humains souffraient d'un tas de problèmes complexes, et la cause du mal n'était pas simple à diagnostiquer. L'approche pragmatique de son père excluait la possibilité, bien réelle, qu'il n'existe pas de remède. Ruth ne l'avait-elle pas reconnu elle-même en s'inquiétant que sa petite-fille soit trop abîmée pour qu'on puisse la réparer ? Si cela était vrai également de Thomas, si la blessure que lui avait infligée Peter et Charlotte dans son enfance était à la fois profonde et permanente, à quoi lui servirait-il de le savoir ? Etait-il possible d'agir après des décennies d'inaction ?".

    Après "Un homme presque parfait" et "A malin malin et demi", voici "le testament de Sully" qui clôt la trilogie.

    Retour à North Bath, bourgade déclinante du New-Jersey. Son insolente voisine, Schuyler Springs, a fini par l'absorber, au grand dam de tout un petit monde de bras cassés ou autres impécunieux de North Bath.

    Sully est mort depuis dix ans, mais son ombre plane toujours sur North Bath qu'il a tant imprégnée de sa présence imprévisible. Sauf pour les pauses dans les cafés de la ville, réglées comme du papier à musique.

    Avant de mourir, Sully a demandé à son fils Peter de prendre soin d'un certain nombre de personnes, son ancienne maîtresse, Ruth, la fille de celle-ci Janey, Rub son ami, complètement déboussolé depuis sa disparition et quelques autres. Peter s'acquitte de sa mission avec sérieux, mais il retape la maison de son père avec l'objectif de quitter les lieux le plus vite possible et de retrouver sa vie d'universitaire hors de ce trou.

    Par ailleurs, le chef de la police, Douglas Raymer, traverse une mauvaise passe. Il vient de perdre son poste suite à la fusion des deux villes et Charice, son ex-adjointe et maîtresse le quitte momentanément pour s'occuper de son frère Jérôme.

    Dans cette situation déjà complexe, vient s'ajouter un cadavre trouvé dans un hôtel abandonné, au milieu du territoire.

    C'est impossible de résumer un roman de Richard Russo. Les personnages sont nombreux, les digressions aussi, les évènements s'enchaînent sur un temps court. Peter réfléchit longuement à la relation qu'il a eue avec son père, les reproches qu'il lui a fait, l'attitude de sa mère. Réflexion qu'il est obligé d'élargir maintenant à un de ses fils, Thomas, qu'il a abandonné également. Répétition désastreuse qui risque de bouleverser durablement sa vie.

    Les personnages des deux premiers romans sont là et je n'ai pas eu de mal à les resituer. Le charme de la lecture est toujours dans le mélange de tendresse et d'humour qui fait passer des situations profondément dramatiques.

    Ce qui domine, c'est toujours un grand plaisir de lecture et l'impression de retrouver de vieux amis. L'auteur n'a pas son pareil pour aborder de grands problèmes en nous faisant rire et pleurer. Les divisions de l'Amérique sont présentes, avec le racisme, la violence, les armes, la domination de certains et l'impossibilité de changer.

    Sully est mort certes, mais il est très présent dans le roman, à travers les souvenirs des uns et des autres.

    Une trilogie foisonnante qui a tenu toutes ses promesses. Et qui sait, peut-être retrouverons-nous un jour Peter et les autres.

    L'avis de Céciloule, Jérôme

    Merci à Masse critique et aux Editions La Table Ronde

    Participation au challenge de Moka "Quatre saisons de pavés"

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    Richard Russo - Le testament de Sully - 544 pages
    Traduit par Jean Esch
    Editions La Table Ronde - 2025

  • Les fils de Shifty

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    "Mick hocha la tête. Il avait tendance à se souvenir des choses qui le rendaient triste - le deuil et le chagrin, les fautes et les faux pas. Il se demanda si c’était juste qu’il n’avait pas de bons souvenirs, ou s’il était incapable de se les remémorer."

    J'avais apprécié "Les gens des collines" et sachant que c'était une trilogie j'avais hâte de découvrir le deuxième épisode.

    Même décor, une petite ville du Kentucky où Mick a passé son enfance. Il est en convalescence de l'armée, où il est enquêteur. Il a connu plusieurs terrains de guerre, la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan où il a sauté sur une bombe artisanale, d'où sa blessure et son retour momentané au pays.

    Il savait en rentrant que sa femme, Peggy, voulait divorcer, lasse de ses perpétuels départs. Il s'y est résigné et ne lutte plus pour la faire changer d'avis. Pour l'heure il vit chez sa soeur, Linda, shérif de la petite ville, en campagne de réélection.

    Il commence à envisager son retour à l'Armée, en Allemagne lorsque l'on découvre un cadavre abandonné sur un parking. C'est un des fils de Shifty Kissick, connu pour être un trafiquant de drogue.

    Shifty est parfaitement au courant du trafic de son fils et en connaît les rouages. Elle soupçonne quelque chose de pas net derrière sa mort et demande à Mick d'enquêter officieusement. C'est un enfant du pays, il connaît les gens, la mentalité du coin, il aura les coudées plus franches pour chercher.

    Mick accepte, sachant que l'enquête officielle est menée par le shérif, c'est-à-dire sa soeur, Linda. Par ailleurs, il devra se débarrasser de son addiction aux anti-douleurs qu'il avale un peu trop comme des bonbons.

    Une fois mis le doigt dans l'engrenage, il est entraîné dans une histoire de trafic, de vengeance, de règlements de comptes où il ira plus loin peut-être qu'il n'aurait voulu.

    Ce deuxième volet est aussi réussi que la premier. Mick est plutôt du genre taiseux, mais les questionnements ne manquent pas dans sa tête, au grand plaisir de la lectrice. Au fur et à mesure de ses recherches, la violence monte, un deuxième fils de Shifty est tué, Mick est pris à parti lui-même.

    Ce qui est étonnant, c'est la place de la nature dans cet univers noir, Micky y est attentif, la décrit merveilleusement bien, tout comme "Oncle Merle" qui écoute et parle aux oiseaux. Certains des personnages secondaires sont d'ailleurs assez pittoresques, allégeant l'ambiance mortifère.

    Il me reste à attendre le troisième volet "La loi des collines" annoncé pour le 5 Février.

    Chris Offutt - Les fils de Shifty - 288 pages
    Traduit par Anatole Pons-Reumaux
    Gallmeister - 2024

  • Plus bas dans la vallée

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    "Ils arrivèrent à l'aube, le sol crépitant sous le piétinement des sabots, dans le raffut des poules qui battaient des ailes et gloussaient. Puis des voix, l'une d'entre elles criant de mettre pied à terre. Les feuilles de maïs crissèrent lorsque Rebecca quitta la paillasse, s'empressant d'enfiler et de serrer son manteau en drap par-dessus sa chemise de nuit. Elle réveilla les enfants. Alors qu'ils frottaient leurs yeux emplis de questions, elle leur chuchota de se glisser sous le lit et de ne pas bouger. Le menton d'Hannah tremblota, mais elle acquiesça d'un signe de tête. Ezra, de trois ans son aîné, prit sa soeur par la main au moment où ils se levaient. Il l'aida à se faufiler en-dessous et l'y suivit".

    Si je n'ai pas lu ce recueil de sept nouvelles plus tôt, c'est que je savais que la plus longue reprenait le personnage de l'horrible Serena, déjà personnage central d'un roman.

    Pas pressée du tout de la retrouver, j'ai d'abord commencé par les nouvelles suivantes qui se déroulent dans la région des Appalaches, chère à l'auteur.

    Ma préférée "les voisins" met en scène une jeune femme, seule avec deux enfants, dans une ferme isolée. C'est la fin de la guerre de sécession, des bandes désorganisées pillent et tuent. Son sort semble scellé lorsqu'un retournement inattendu survient, changeant radicalement la donne.

    Dans une autre nouvelle, c'est encore une jeune femme qui ne supporte pas qu'un pêcheur lourd et indifférent à la loi la nargue et l'écrase avec un parfait mépris. Il aurait dû se méfier davantage de cette jeunette inexpérimentée.

    Il est ailleurs question d'un pasteur qui va accepter de baptiser un homme contre son gré et ne s'opposera pas vraiment à la suite des évènements. On peut le comprendre.

    L'ensemble des nouvelles est noir, assez cruel, mais tellement bien raconté, c'est toujours un régal de retrouver l'écriture de Ron Rash.

    Mais n'oublions pas Serena, de retour du Mexique avec son exécuteur des basses oeuvres, Galloway et la mère de celui-ci, une sorte de sorcière à qui rien n'échappe et qui surveille tout le monde de son oeil perçant. Serena se déplace toujours à cheval avec un aigle qui lui ramène les serpents qu'il attrape.

    Serena s'est engagée à déboiser une parcelle qui lui reste dans un délai intenable. Personne n'y croit, sauf ceux qui ont déjà travaillé pour elle. Ils savent qu'ils vont souffrir et mourir pour certains.

    Si je me serais bien passée de revoir Serena, j'ai retrouvé avec plaisir le choeur des bûcherons qui observent de loin les manigances de Galloway. Ils supputent les chances des uns et des autres et savent qu'ils n'ont d'autre choix que de trimer comme des bêtes. Le massacre de la forêt préfigure les problèmes écologiques que nous rencontrons aujourd'hui. Le pillage commençait, organisé par des individus cupides, sans aucun scrupule. Entre chaque chapitre, un intermède égrène le nombre d'espèces animales obligées de quitter les lieux les unes après les autres.

    La chute de la nouvelle ne m'a pas complètement satisfaite et quelque chose me dit que Serena ressurgira un jour.

    Ron Rash excelle dans le domaine de la nouvelle et j'espère lire un jour d'autres recueils de cette trempe.

    L'avis de Athalie Kathel

    Participation au challenge Bonnes nouvelles chez Je lis je blogue

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    Ron Rash - Plus bas dans la vallée - 272 pages
    Traduit de l'anglais par Isabelle Reinharez
    Folio - 2024

  • Les deux visages du monde

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    "Chacun faisait son deuil comme il le pouvait, seul le temps était le dénominateur commun. Il fallait apprendre à accepter la seconde pour survivre à la minute, à l'heure, à la journée. Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise façon et rien ne garantissait qu'on guérisse un jour. Il fallait laisser le temps au temps et apprendre à faire avec,  car une telle perte était une condamnation à perpétuité et pour l'heure tout était encore trop frais et fragile. Dayna en sentait tout le poids, mais elle avait encore à en prendre la vraie mesure".

    Après Ron Rash, nous restons dans les Appalaches, précisément la petite ville de Sylva, en Caroline du Nord, avec le dernier roman de David Joy, auteur que je découvre.

    Même population de petites gens et nocivité d'une société minée par le racisme, le silence sur les traumatismes passés, la position dominante des hommes blancs, chacun se tenant à sa place sans même y réfléchir.

    Dans cette ambiance verrouillée débarque Toya, la petite-fille de Vess. Jeune artiste afro-américaine talentueuse, elle brûle d'envoyer valser les faux-semblants et de mettre chacun devant un passé d'esclavagisme qui pèse encore lourd.

    Elle voudrait également comprendre d'où elle vient. Sa mère, Dayna, a fui ce milieu étouffant pour aller s'installer en ville dès qu'elle a pu. Elle attend beaucoup de Vess, l'ancienne, garante de la transmission familiale.

    Les valeurs des confédérés imprègnent encore une partie de la population. Si le Ku-Klux-Klan ne défile plus ouvertement dans les rues, il est toujours là, en sourdine.

    C'est une statue, symbole de la ville, qui va mettre le feu aux poudres. Toya l'a recouverte de sang, y voyant le symbole des violences racistes, ce qui n'est pas le cas de nombre d'habitants blancs. Dès lors les passions se déchaînent jusqu'au crime.

    Par ailleurs, un membre supposé du Klan est arrivé en ville ; le shérif, Coggins l'a à l'oeil, surtout après le tabassage d'un de ses adjoints, Ernie. Les deux intrigues vont se dérouler parallèlement, sans que nous sachions si elles sont liées.

    L'auteur prend son temps pour installer les personnages et le contexte. Tout le monde se connaît dans cette petite ville. Certains remettent en cause de vieilles amitiés, vont accepter de bousculer ce qu'ils croyaient acquis. D'autres ne veulent entendre parler de rien et vont se laisser emporter par la rage.

    Un retournement final m'a déroutée, je ne l'avais pas deviné et je crois que je ne voulais pas l'envisager. Il est un peu expédié et pas assez étayé, ce qui n'enlève rien à l'intérêt général du roman.

    Les personnages féminins sont forts dans cette histoire. Le plus intéressant à mes yeux est Vess, la grand-mère, pilier central de la famille, mais si pleine de douleurs. Ses conversations avec Toya la font peu à peu changer de regard sur ce qu'elle a vécu. Plus tard, elle reprendra des échanges encore plus douloureux avec sa fille Dayna.

    Une autre femme, Leah, l'enquêtrice, fera elle aussi un chemin difficile, brisant tout ce à quoi elle croyait jusqu'à présent.

    Un roman noir dense, complexe et un auteur dont je vais lire maintenant les romans précédents.

    David Joy - Les deux visages du monde - 432 pages
    Traduit de l'anglais (Amérique) par Jean-Yves Cotté
    Sonatine - 2024

  • Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques

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    "Il rit, son piège se referme. "Rien d'autre que six ans pour coups et blessures envers un représentant des forces de l'ordre". Il me fixe d'un regard noir, avec la confiance d'un homme qui sait que le système tout entier est de son côté, un homme qui vient de me pousser à le supplier pour le compte de mon client. Je fais comme si je me sentais humilié. Parfois mieux vaut laisser s'amuser les idiots".

    Justin Sykes est avocat commis d'office. ll a connu des temps plus brillants, dans un cabinet prestigieux, carrière ascendante assurée, rémunération à la hauteur, mais il a joué les lanceurs d'alerte et en a payé le prix. Il sait qu'il ne peut maintenant que végéter dans son rôle auprès des laissés pour compte en tous genres.

    Il est assez surpris lorsqu'un truand en prison lui propose un deal. Il va donner des conseils une fois par semaine à des stripteaseuses, dans un club privé, pendant une heure. Il encaissera 1000 dollars, passera obligatoirement une nuit au motel d'en face et repartira le matin, sans poser de questions.

    Apparemment rien d'illégal et il a besoin de cet argent, il ne roule pas sur l'or. Par ailleurs il en a assez des discussions de marchands de tapis pour négocier des peines auprès d'un procureur-adjoint idiot, lequel s'est mis en tête de se faire élire comme procureur, tout comme son père avant lui. Il sent que c'est louche, mais accepte quand même la proposition.

    Quand l'auteur se focalise sur un milieu, on peut compter sur lui pour le dézinguer avec une bonne dose de cynisme et beaucoup de drôlerie. C'est encore le cas ici, où le système judiciaire américain est sur la sellette, avec ses marchandages, ses coups fourrés, sa mauvaise foi. Une comédie bien rodée.

    Evidemment gagner 1000 dollars aussi facilement a quelques contreparties que Justin découvrira au fur et à mesure. Pris en tenaille entre des trafiquants et le procureur-adjoint pas si idiot que cela, il aura fort à faire pour se sortir d'un très mauvais pas.

    Pas sûr que la morale soit sauve à la fin du roman, mais j'ai passé un bon moment, même si j'ai trouvé l'histoire un peu plus superficielle que mes lectures précédentes. Je m'attendais à plus de mordant.

    Cette lecture me permet de participer au challenge "Monde ouvrier et Mondes du travail" chez Ingannmic

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    L'avis d'Anne et Alex

    Sur le blog : Les tribulations d'un précaire - Arrêtez-moi là

    Iain Levison - Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques - 240 pages
    Traduit de l'anglais par Emmanuelle Aronson et Philippe Aronson
    Editions Liana Levi - 2024

  • Orange amère

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    "Autrefois Teresa avait vu en son mari l'homme le plus séduisant du monde, alors qu'en réalité il ressemblait à une de ces gargouilles perchées sur une corniche au sommet de Notre-Dame, destinées à effrayer le diable et à le chasser. Elle garda cette pensée pour elle, mais il était clair qu'elle était inscrite sur son visage, car Bert changea de ton."

    Voilà un bon roman américain comme je les aime, une histoire familiale un peu compliquée, mais si bien racontée, avec des personnages finement décrits au fil des années.

    Le premier chapitre consacré au baptême d'une petite Franny ne présage pas de la suite du roman. Nous y voyons Bert Cousins qui s'incruste à ce baptême sans y avoir été invité, juste pour fuir son foyer où il laisse sa femme, Teresa, se débrouiller avec leurs trois enfants, plus un quatrième en route.

    Nous sommes dans un milieu de flics et de juristes, tout le monde se connaît plus ou moins, Bert est accueilli en voisin par Fix, le maître de maison et sa femme, Beverly, une beauté resplendissante.

    Chapitre suivant, nous retrouvons Franny, largement adulte, au chevet de son père, Fix, l'accompagnant dans une séance de chimio. Que s'est-il passé entre-temps ? Nous allons l'apprendre petit à petit et dans un désordre chronologique, chaque chapitre nous ramenant à un autre personnage ou une autre époque.

    Je vous rassure, on s'y retrouve très bien. J'ai juste fait un pense-bête au départ pour ne pas me perdre dans les personnages.

    Après le baptême, les couples se sont recomposés, Bert a quitté Teresa pour Beverly, laissant Fix avec ses deux filles. Les uns sont en Virginie, les autres en Californie, les six enfants ne se retrouvent ensemble qu'aux vacances scolaires.

    On retrouve ici toutes les difficultés liées aux familles recomposées, les blessures accumulées, les accommodements, les conflits de loyauté. On devine assez vite qu'un drame est survenu, qui a bouleversé durablement la vie de chacun. Et encore plus lorsqu'un livre paraîtra sur l'histoire de la famille, remuant douloureusement le passé.

    Le rythme est lent, ce qui n'est pas un défaut, il permet de s'attacher longuement à chaque narrateur, d'en retrouver certains longtemps après, transformés par les années, quelquefois apaisés.

    C'est une histoire qui se savoure patiemment et qui m'a manqué lorsque la dernière page a été tournée.

    "Elle était tellement épuisée qu'elle se disait qu'elle avait de la chance de réussir à aller jusqu'à la salle de bains et à la cuisine pour aller prendre un verre d'eau, avant de rejoindre son lit. Elle avait quatre-vingt-deux ans. Elle imaginait que ses enfants risqueraient d'utiliser cette douleur précise à l'estomac pour décider qu'elle ne pourrait plus vivre seule chez elle et qu'elle devrait déménager dans un établissement médicalisé quelque part là-haut, au nord, près de chez Albie. Elle ne pouvait pas s'installer chez Jeannette, les gens s'installent à Brooklyn pour tomber amoureux, écrire des romans, avoir des enfants, pas pour vieillir, et elle ne pouvait pas s'installer chez Holly, même si mourir au centre zen pourrait apporter des avantages spirituels."

    L'avis de Antigone Ingannmic Kathel Keisha

    De la même autrice "Dans la course"

    Ann Patchett - Orange amère - 416 pages
    Traduit par Hélène Frappat
    Babel - 2021

     

     

  • Quatre saisons à Mohawk

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    "Au Grill, je faisais quasiment partie des meubles, on ne faisait pas attention à moi et c'était à mon avantage. J'étais à la fois invisible et doué d'ubiquité pour les clients de la fin de l'après-midi, qui ne mâchaient pas toujours leurs mots devant moi. Il fallait vraiment qu'ils crient "merde", "chier", "con", pour se rappeler ma présence. Et ils étaient du genre à jurer d'abord, et à regarder ensuite. Alors ils plaisantaient : "T'as rien entendu, Ptit Sam, hein ?" Peu se souvenaient de mon nom et, dans ce cas, c'était la version Wussy. Parfois Harry marmonnait que : "Putain, c'est pas un endroit pour un môme, ici." A qui la faute répondait mon père."

    J'en suis à ma dixième lecture de Richard Russo et pas de déception jusqu'à présent, même si ce roman-ci m'a un peu pesé à cause de la tristesse qui le domine.

    Nous retrouvons un univers familier, celui des laissés-pour-compte d'une petite ville américaine imaginaire, Mohawk dont la prospérité est derrière elle. L'histoire est racontée par Ned, surnommé "Ptit Sam" un gamin balloté entre un père et une mère aussi défaillants l'un que l'autre, chacun à leur manière.

    Ils l'aiment leur fils, mais les circonstances de la vie les laissent sur le côté, incapables d'affronter leurs responsabilités comme ils le devraient.

    Au retour de la guerre, la mère n'a pas retrouvé l'homme qu'elle avait aimé. Il a changé et s'adonne à l'alcool et au jeu. De fil en aiguille elle demande le divorce, que Sam refuse de lui accorder, la harcelant et la menaçant, allant jusqu'à casser la figure à son avocat.

    Ned et sa mère vivent dans l'angoisse du surgissement du père à tout moment pendant des années. Rien n'est vraiment expliqué à Ned, qui se fait une idée de ce qui se passe dans un certain brouillard. Il voit sa mère dépérir de mois en mois. Jusqu'au moment où elle sombrera dans une profonde dépression et sera hospitalisée pour longtemps.

    Par la force des choses, Ned est récupéré par son père. Sa vie va changer du tout au tout. Plus de règles, un appartement précaire, la solitude des soirées, en sachant Sam dans un des bars de la ville, en compagnie de copains plus folkloriques et infréquentables les uns que les autres.

    Les saisons passent, Ned se débrouille comme il peut avec ce père atypique, qui peut disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles. Le gamin grandit, se forge une carapace, fait pas mal de bêtises.

    J'ai tracé seulement les grandes lignes du roman, qui est foisonnant, plein de personnages hauts en couleurs, truffés d'évènements tragi-comiques relatés par le menu et c'est là que l'auteur nous piège et nous fait tourner les pages avec gourmandise. J'ai évoqué la tristesse, mais il y aussi un humour vache permanent qui fait mouche et allège le reste.

    Le coeur du roman est la relation difficile père-fils. Ned ne mâche pas ses mots vis-à-vis de son père, mais on sent au fil du temps la tendresse mutuelle, même s'ils ne peuvent le reconnaître ni l'un ni l'autre.

    Ma découverte de l'auteur va se poursuivre, j'ai encore quelques titres devant moi.

    L'avis de Keisha

    Richard Russo - Quatre saisons à Mohawk - 602 pages
    Traduit par Jean-Luc Piningre
    10/18 - 2007

  • Incandescences

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    "Sa grand-tante était née sur cette terre-là, y avait vécu huit décennies, et la connaissait aussi bien qu'elle connaissait son mari et ses enfants. Voilà ce qu'elle avait toujours soutenu, et elle était capable de vous annoncer à la semaine près quand la première feuille de cornouiller illuminerait la crête, la première mûre serait assez noire et ronde pour être cueillie. Puis son esprit s'était égaré en un lieu où elle n'avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s'ils vivaient encore ou s'ils étaient morts. Mais son corps s'était attardé, dépouillé d'un être intime, aussi vide qu'une carapace de cigale".

    Je n'avais pas lu l'auteur depuis trop longtemps et j'ai profité du challenge "Bonnes nouvelles" pour renouer avec lui.

    J'ai retrouvé dans ses douze nouvelles tout ce qui m'a plu dans les romans. Le style est puissant, les personnages marquants. Les histoires se déroulent dans les Appalaches, de la guerre de Sécession à nos jours. Il y est  beaucoup question de misère, de conditions de vie dégradées, d'addictions diverses.

    La nouvelle qui m'a le plus touchée est sans conteste "l'envol", l'histoire d'un pauvre gosse, qui découvre par hasard un avion qui s'est crasché et qui s'invente toute une histoire en montant à bord. Son imagination est débordante et lui fait oublier ses parents, tous deux accros aux méthamphétamines. A part la drogue et la manière de s'en procurer, rien ne compte plus vraiment pour eux. La fin de cette nouvelle fend le coeur.

    Il y a aussi "les temps difficiles", autre exemple de pauvreté. Des oeufs disparaissent d'un poulailler. Un vieux couple se dispute autour de ces disparitions, jusqu'au jour où l'homme comprend se qui se passe vraiment.

    Dans une autre nouvelle, une jeune femme enceinte va devoir faire face à un soldat du camp adverse. Elle est seule, elle sait ce qu'il veut et elle va faire face avec sang-froid.

    Ailleurs, ce sont des tombes de soldats confédérés qui sont fouillées. S'ils ont gardé leur ceinture, les boucles se négocient assez cher.

    Les personnages sont souvent confrontés à une certaine solitude, isolés géographiquement, habitués à se débrouiller avec peu de moyens. Pourtant, des gestes d'humanité surgissent, une solidarité de voisinage aussi.

    Ces douze nouvelles nous font toucher du doigt l'éventail des réactions humaines dans des situations d'extrême dénuement, dans un monde rural encore imprégné de vieilles croyances. Tout le talent de l'auteur est de nous faire aimer les personnages, même les moins recommandables parfois.

    Une excellente lecture.

    L'avis de Ingannmic Kathel Sandrion

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    Ron Rash - Incandescences - 208 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
    Seuil - 2015

  • En ces temps de tempête

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    "Je ne suis pas en train de me décomposer, papa. Je suis juste furieuse que tu aies mis une semaine entière à me rappeler. Et s'il te plaît, cesse de te comporter comme si mon mari était une espèce de manager qui est censé me protéger de la réalité quand elle déconne".

    N'ayant jamais été déçue par un roman de Julia Glass, je n'ai pas hésité lorsque j'ai vu sa dernière parution. Roman choral, comme d'habitude, ce sont huit personnages différents qui prennent la parole à tour de rôle, nous permettant de creuser profondément leur personnalité et les relations qui les unissent les uns et les autres.

    L'histoire se déroule dans une petite ville du Massachussetts, Vigil Harbour, dans un futur proche, une poignée de décennies peut-être. Le dérèglement climatique s'est accentué, les catastrophes se sont faites de plus en plus dramatiques, tremblements de terre, tempêtes, virus mortel, etc .. Ont suivi des attentats, à New-York notamment, rendant le quotidien anxiogène et incertain.

    Curieusement, Vigil Harbour paraît à l'abri de cette ambiance délétère, en tout cas pour le moment et une petite communauté privilégiée essaie d'y vivre encore en bonne intelligence, et veut croire à un avenir supportable.

    Le premier narrateur, Brecht, jeune adulte, a survécu à un attentat à New-York, où il était étudiant. Traumatisé, il est revenu chez sa mère, Miriam, à Vigil Harbour et a abandonné ses études. Il a pour seule compagnie son copain, Noam. Son père est mort d'un virus (covid ?) lorsqu'il avait huit ans. Son beau-père, Austin, architecte, lui procure un travail chez Célestino, immigré de longue date, qui créé et entretient des jardins.

    Dans cet endroit relativement préservé vont surgir deux personnages inattendus, poursuivant chacun des buts cachés. Ils vont apporter le trouble avec eux, provoquant des réactions en chaîne aux conséquences imprévisibles.

    Je ne vais pas en raconter davantage, c'est une histoire fouillée dans laquelle il faut entrer progressivement. L'autrice excelle dans la description des personnages et des interractions entre chacun d'entre eux. C'est finement observé et peu à peu les liens se font avec subtilité.

    Les révélations arrivent, jusqu'à une dernière partie assez tendue, avec un suspense qui monte. Les changements liés au bouleversement climatique imprègnent toute l'histoire, soulevant des questionnements fondamentaux.

    La part belle est faite aux personnages, deux couples explosent entraînant des recompositions surprenantes ; j'ai particulièrement aimé, Margo, ancienne professeur de Brecht, qui encaisse le départ de son conjoint avec une autre en épaulant vigoureusement l'autre mari quitté qui se laisse couler. L'avenir montrera qu'elle sait faire face à pire que cela.

    "Si je détaillais, je dirais ceci : je suis sur une île dont la côte est menacée. Il y a des gardes, des flics, des rangers et toutes sortes de gens en uniforme qui surveillent, il y a des bassins écrêteurs là où il y avait autrefois des terrains de basket, il y a des périodes estivales où les températures atteignent 38° cinq jours d'affilée, et on est peut-être menacés de tempêtes, de bombes, de contagion, de pandémies et de pagaille, mais je vais bien. Je fais travailler mon esprit, je fais travailler mon corps. Je mange - parfois très bien".

    L'avis de Cuné et Sandrine

    Avec ce titre, je participe aux deux challenges qui ont remplacé "le pavé de l'été" de Brize.

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    Chez Sibylline

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    ta d loi du cine (chez Dasola)

    Julia Glass - En ces temps de tempête - 608 pages
    Traduit de l'américain par Sophie Aslanides
    Editions Gallmeister - 2023