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Littérature allemande

  • La petite-fille

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    "Si l'on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. A la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l'on a dû s'exiler, on peut revenir. Le pays, pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis, est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n'existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir; leur exil est sans fin. D'où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement."

    Je n'ai pas relu l'auteur depuis "Le liseur" qui avait été un choc. Les thèmes évoqués dans "la petite fille" m'intéressaient, c'était donc l'occasion de renouer avec lui.

    Kaspar, 71 ans, est libraire à Berlin. Il vit avec sa femme Birgit qui se consacre à l'écriture, après un séjour en Inde. Birgit abuse de l'alcool, Kaspar ne dit rien et s'accommode de la situation. Un soir en rentrant, il trouve Birgit morte.

    Dans les semaines qui suivent, Kaspar découvre des carnets remplis de pensées et de souvenirs, lui révélant ce qu'il a toujours pressenti. Birgit lui a caché tout un pan de sa vie, notamment l'existence d'une fille qu'elle a eue avant de le rencontrer et qu'elle a abandonnée.

    C'est un roman difficile à résumer tant il aborde de périodes différentes et de personnages. Les carnets évoquent d'abord la rencontre de Kaspar et Birgit jeunes, à l'occasion d'un échange entre l'Allemagne de l'Est et l'Allemagne de l'Ouest.

    Kaspar tombe amoureux, mais nous sommes en 1965, le mur est là et il n'est pas question pour les jeunes gens de pouvoir vivre ensemble. Sauf à quitter son pays pour Birgit, sans espoir de retour. En lisant les carnets, Kaspar réalise qu'il n'avait pas perçu à quel point Birgit a été déracinée en le rejoignant et en a gardé un mal-être persistant.

    Il découvre également que le projet de sa femme était de retrouver sa fille, projet qu'il reprend à son compte. C'est ainsi qu'il va faire la connaissance de Svenja, la fille et de Sigrun, sa petite-fille, une famille qui vit parmi une communauté wölkisch, dans la mouvance néo-nazi.

    Cette histoire familiale met en relief à quel point l'Histoire avec un grand H a pesé sur les individus. L'Allemagne doit affronter son passé nazi, la séparation du pays en deux, avec des modes de vie tellement différents. La réunification n'a pas été simple avec des Allemands de l'Est complexés, persuadés que les Allemands de l'Ouest se pensaient supérieurs.

    C'est une impression qui n'a toujours pas disparu quand Kaspar rencontre Sigrun, sa petite-fille, élevée dans la nostalgie de l'époque où Hitler était au pouvoir. Comment lutter contre une idéologie aussi incrustée en elle ? Kaspar va s'efforcer de l'ouvrir à la musique, la lecture, la réflexion.

    J'ai apprécié la précision avec laquelle la relation Est-Ouest est décrite au fil des évènements et l'importance des traumatismes qui laisseront longtemps des traces.

    J'ai trouvé la partie historique et sociale du roman passionnante. Par contre, j'ai ressenti une certaine pesanteur et des redites sur le côté roman. Peut-être à cause de la froideur apparente des personnages, dont Birgit.

    Il n'en reste pas moins que c'est un grand roman par les sujet traités et l'approche très humaine de l'auteur.

    "Dans cette tristesse où Birgit lui manquait toujours et partout, comme si elle avait toujours été et partout autour de lui, il avait oublié comme elle avait souvent été si loin de lui."

    L'avis de Alex Dominique Maryline

    Bernard Schlink - La petite-fille - 352 pages
    Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary
    Gallimard - 2023

  • Les abeilles d'hiver

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    "Dans l'après-midi, je dois aller inspecter les colonies qui sont dans des prairies de Lünebach. J'ai peur qu'avec le vent, mes ruches soient à nouveau recouvertes de neige. J'attelle le cheval devant le traîneau et me mets en route. Quand j'arrive chez Maria, Franz m'y attend déjà. Je m'arrête, le fait monter, l'enveloppe dans une couverture et lui rends les rênes. Le rhénan, un vieux cheval à sang froid, connaît le chemin jusqu'aux abeilles ; il est tellement têtu que ce serait difficile de l'emmener ailleurs. Sa crinière claire se détache sur sa fourrure sombre, des touffes de poils recouverts de neige gelée se dressent sur ses paturons. Nous nous arrêtons en bas de la route et grimpons jusqu'aux ruches, qui comme je le craignais, sont complètement recouvertes de neige. Une fois de plus, certaines ruches ont été vandalisées ; dans les champs, je découvre des empreintes de bottes. Quelqu'un a dû se frayer un chemin dans la neige et tomber plusieurs fois."

    Egidius Arimond était professeur de latin dans la petite ville de Kall, en Allemagne, près de la frontière belge. Il a été renvoyé par les nazis au pouvoir à cause de son épilepsie. Elle fait de lui un indésirable, il a été stérilisé, mais pas éliminé. Il le doit sans doute à son frère, pilote de chasse émérite.

    Nous sommes en 1944, la guerre n'avait jusqu'alors pas trop impacté la région de l'Eifel, mais les passages d'avions alliés s'intensifient et les bombardements se rapprochent.

    Sans ressources, Egidius s'est consacré à sa passion, l'apiculture. Initié dès l'enfance par son père, il s'intéresse de près à la vie de ses abeilles et à l'entretien des ruches. Il a du mal à se procurer les médicaments qui lui sont nécessaires. Les envois que son frère lui faisaient se font rares, aussi il accepte de faire passer la frontière clandestinement à des juifs, dans des ruches aménagées.

    Rédigé sous forme de journal, nous suivons la vie quotidienne d'Egidius, ses peurs, mais aussi ses bons moments. Il ne rechigne pas à consoler certaines femmes du village dont les maris sont au front, ce qui ne lui vaut pas que des amis.

    Le pays se délite, pourtant c'est toujours un discours de victoire qui est tenu. Les passages difficiles sur l'omniprésence des nazis, la dureté du quotidien, sont contrebalancés par la description de la vie des abeilles, l'élaboration du miel étape après étape.

    Egidius passe aussi beaucoup de temps à la bibliothèque où il traduit le journal d'un supposé ancêtre, moine défroqué et apiculteur. Ce n'est pas la partie qui m'a le plus intéressée.

    J'ai aimé la simplicité du récit, la narration à la première personne. Egidius est un personnage attachant, il fait payer les fugitifs qu'il aide sans les voler et il prend soin d'eux le temps qu'ils sont sous sa garde. Son amour des abeilles est communicatif, mais son désarroi est de plus en plus grand devant le manque de médicaments et la cruauté du  pharmacien.

    Une excellente découverte qui met en relief l'absurdité des guerres et la complexité des réactions individuelles.

    L'avis de Dominique Luocine Miriam

    Norbert Scheuer - Les abeilles d'hiver - 368 pages
    Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger
    Actes Sud - 2021