"Elle se sent chez elle dans cette pièce remplie de souvenirs et d'échos silencieux. Les uns après les autres, ils se glissent dans son esprit puis disparaissent. Stella n'a pas besoin de regarder les photos mais elle le fait quand même. Et elle se rappelle. Tout ce qui est ici et qu'elle a essayé d'oublier, tout ce qui vient de se passer là-bas et qu'elle ne pourra jamais oublier."
Le roman s'ouvre sur une terrible scène d'agression vue par une Stella tétanisée, déchirée entre un bébé qui pleure sans arrêt dans ses bras et son incapacité à réagir pour porter secours à la victime.
Elle appelle la police et lorsque celle-ci arrive, tout le monde est parti, y compris la victime.
Cette introduction donne le ton à ce qui va suivre, la violence commise en rappelle d'autres, mettant à mal une petite communauté amérindienne reléguée dans un quartier mal famé de Winnipeg, dans le North End.
Au départ, nous pensons avoir compris ce qui s'est passé ; en réalité tout est à découvrir et plus l'enquête avance, plus la dureté des faits apparaît, avec des ramifications remarquement articulées par l'autrice.
L'histoire est racontée par neuf narratrices différentes, soeurs, cousines, mères, tantes ... et l'indispensable kookom, la grand-mère, la dispensatrice de conseils, de soins, toujours là prête à réconforter, le refuge et le lien indéfectible de cette petite tribu.
Un seul homme prend la parole, le jeune enquêteur, un métis qui débute dans le métier et entend le faire sérieusement, en dépit du peu d'intérêt de son coéquipier, vieux flic blasé et pas très courageux.
Malgré la dureté du sujet, ce roman est incroyablement rempli d'humanité, ces femmes sont souvent blessées, mais toujours chaleureuses, soudées, prêtes à se serrer les coudes, présentes au moindre souci. C'est une communauté ravagée par l'alcool, la drogue, la pauvreté. Avec en plus, une difficile communication entre ceux qui sont restés dans la réserve et ceux qui ont choisi de vivre en ville.
J'ai lu ce roman en deux jours, je n'arrivais pas à le lâcher, captivée par ces femmes, leur profondeur, leurs douleurs tues, leur solidarité avec les plus faibles, en dépit des regrets, de la culpabilité parfois.
Les hommes n'ont pas forcément la part belle dans cette histoire, sans être accablés non plus, le sujet central ce n'est pas eux, mais la manière dont les femmes s'en sortent entre elles.
Une lecture marquante, la dernière de l'année 2024, un quasi coup de coeur. Et j'apprends qu'un deuxième roman va paraître début février "Les filles de la famille Stranger". Il reprend des personnages de celui-ci, surtout Phoenix pour celles qui l'ont lu.
"Quand on est ménopausée, tout semble nous revenir, songe Cheryl. D'anciennes aspirations et certains souvenirs réapparaissent, dans nos rêves ou nos pensées, tout le temps. Elle a passé des heures, la nuit, à régurgiter des pans entiers de sa vie, des gens depuis longtemps disparus, des choix depuis longtemps oubliés. Tout semble se répéter à l'infini. Elle boit pour pouvoir dormir, c'est du moins ce qu'elle se dit. Ça n'empêche pas ses fantômes de la traquer, même pendant son sommeil, car ils veulent qu'elle les regarde, qu'elle se souvienne d'eux."
L'avis de Ceciloule Enna Krol Zazy
Katherena Vermette - Les femmes du North End - 448 pages
Traduit de l'anglais par Hélène Fournier
Le Livre de Poche - 2024