"Dans une AG quelconque, sûrement un rassemblement de précaires, Milou avait entendu, un jour, des types s'offusquer du terme "sans abri". "Sans domicile" "sans domicile fixe", "SDF", les mecs s'étaient écharpés pour décider quelle expression était la moins abjecte. Finalement, après une demi-heure de masturbation intellectuelle, ils étaient tombés d'accord sur le terme "marginal". C'était surréaliste : ils crevaient de faim mais tenaient à choisir le mot qu'on inscrirait à côté de leur nom dans la rubrique faits divers lorsque le Samu Social les découvrirait raides morts dans un caniveau".
Pendant les confinements successifs durant le covid, j'étais sûre que je ne lirais jamais une ligne sur cette période-là, agaçée par des déclarations vantant l'art de rester tranquille dans sa maison de campagne et de redécouvrir la nature, le calme, la famille loin de la frénésie ordinaire etc .. etc .. trop souvent discours de privilégiés.
Le temps passant, j'ai changé d'avis, c'est un évènement qui a marqué tout le monde, d'une manière ou d'une autre et bien traité, avec un peu de recul, il devient intéressant. J'ai aimé retrouver des sensations, des détails oubliés, l'état de sidération et d'étrangeté qui pouvait aller avec.
Pendant qu'il était confiné dans un appartement à Paris, l'auteur a écrit douze nouvelles qui balayent assez largement les cas de figure qui pouvaient se présenter. Nous passons du tragique au comique, avec parfois un mélange des deux dans une même nouvelle.
La première donne le ton "Les murs porteurs", avec Pélagie, une jeune femme violentée par un tyran domestique imbu de lui-même et de ses talents. Lorsqu'elle ouvre les yeux sur la "valeur" réelle de son génie de compagnon, c'est assez jubilatoire.
Dans "La Fashion faux pas", l'auteur se moque avec une certaine malice des influenceurs youtube dans le vent. La chute est hilarante et bien amenée.
"Les balcons fleuris" est une nouvelle qui dégage une certaine émotion à coup de banderoles, de poésie, de réconfort apporté aux autres dans un élan bienveillant, mais durera-t'il ?
Et vous vous souvenez de l'école à la maison ? Victor se fait fort de venir à bout de ses bambins et de remplacer des enseignants notoirement incompétents, pendant que Madame va travailler à l'hôpital. Il va se prendre une bonne claque.
"Cette fois-ci, Victor explosa. "Ta gueule ! Passe-moi quelqu'un, je veux parler à QUELQU'UN !" Et il pressa tous les boutons au hasard.
Troisième temps de silence. Puis "Désolé, je n'ai pas compris votre réponse. Vous allez être mis en relation avec un opérateur qui traitera directement votre requête".
Autre nouvelle touchante, celle qui a donné son titre au recueil "Je suis en train de mourir, ai-je songé, stupéfait". C'est celle qui évoque au plus près la violence de la pandémie et la rapidité de la dégradation physique, avec toutes les ruminations qui peuvent l'accompagner.
Je ne vais pas énumérer toutes les nouvelles, elles s'enchaînent avec fluidité et nous font partager les états d'âme de personnages très différents, attachants ou pas, c'est selon. Je les ai lues avec plaisir et je me suis remémorée l'avalanche de règles plutôt rigides qui nous sont tombées dessus.
L'avis d'Alex Anne Keisha Krol
Merci à l'auteur et aux Editions Quadrature
Axel Sénéquier - Le bruit du rêve contre la vitre - 141 pages
Editions Quadrature - 2021