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Littérature française

  • Ilaria

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    "Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul."

    Ilaria vit en Suisse avec sa mère et sa soeur. Elle a huit ans et ses parents viennent de se séparer. Son père habite en Italie. Elle est étonnée mais contente quand il vient la chercher à la fin de l'école, il s'est entendu avec sa mère, il l'emmène en virée pour le week-end.

    Ce qu'Ilaria ne sait pas c'est qu'en réalité il l'enlève. Fulvio n'accepte pas la rupture et veut faire pression sur son ex en la privant de la petite. Elle ne se doute pas non plus que la cavale va durer deux ans.

    Au début c'est plutôt amusant, le père est un personnage assez flamboyant, sûr de lui, menteur, il ment tout le temps à tout le monde, avec un aplomb sidérant. Ils passent d'hôtel en hôtel, il fait beau, ça ressemble aux vacances.

    En écoutant la radio, nous comprenons que nous sommes en 1980. Si l'équipée est distrayante dans un premier temps, Ilaria se rend peu à peu compte de couacs inquiétants. Et puis sa mère et sa soeur lui manquent.

    La force de ce roman est de nous mettre dans la même situation qu'Ilaria ; rien n'est vraiment expliqué, nous sommes dans le même flou qu'elle, même si avec notre regard d'adulte, nous  comprenons parfaitement ce qu'Ilaria ne saisit pas.

    Le temps passe, il y a des coups de fil à la mère, qui ne veut pas revenir. De charmant et séducteur, le père passe à des accès de colère, il manipule Ilaria, lui fait croire que sa mère ne veut pas lui parler, qu'elle l'oublie. Ses colères s'aggravent avec la consommation de whisky. Il peut même être cruel.

    Malgré tout Ilaria l'aime ce père, elle comprend qu'il est très seul et malheureux, elle se croit obligée de rester avec lui pour le soutenir.

    Cette histoire est racontée avec une grande délicatesse ; la situation est révoltante, mais il y a aussi des moments de bonheur, la fuite du père est jalonnée de rencontres, dont certaines chaleureuses. Ilaria peut trouver des appuis et s'attacher à des personnes qui l'entoureront d'affection et de bienveillance.

    On sent qu'en Suisse et en Italie, Ilaria et son père continuent à être recherchés. La petite se sent de plus en plus mal dans la vie que son père lui fait mener. Arrivera-t'elle à en sortir ?

    Je n'en dirai pas plus, les petites filles ont parfois plus de ressources qu'elles n'en ont l'air.

    J'ai refermé ce roman avec une pointe de tristesse pour Ilaria, confrontée si jeune à une situation qui ne pouvait que la dépasser et lui laisser une blessure difficile à cicatriser.

    Le sujet est douloureux, mais c'est un coup de coeur, une belle lecture, tant la plume de l'autrice est légère, sans pathos et sans dramatisation.

    "Qu'est-ce qui m'empêche de haïr Papa ? La honte que j'ai vue dans son regard, le jour où, exaspérée par ses whiskys, j'ai vidé sa bouteille de Ballantine's dans le lavabo de la salle de bains. J'ai remplacé ce liquide jaunâtre par de l'eau.
    Après une longue gorgée bue au goulot, Papa m'a regardé du coin de l’œil. Il a baissé les yeux, sans dire un mot."

    L'autrice est plasticienne, d’origines anglaise, italienne et suisse, elle vit à Paris. Formée à la Haute école d’art et de design à Genève, elle puise entre autres son matériau dans sa propre histoire familiale, reprenant photographies, archives, souvenirs et les agençant dans un jeu troublant entre histoire et fiction (Editions Zoé).

    Gabriella Zalapì - Ilaria - 176 pages
    Editions Zoé - 2024

  • Highlands

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    "Sans aucun contrôle sur mon esprit, je ne peux que ressasser cette dernière séquence passée dans notre salon avec toi, mon impitoyable chérie, une matinée entière à nous déchirer à grands coups de griffes et de vérités douloureuses. Trois heures terribles où chaque mot qui sortait de nos bouches en appelait un autre pire encore, dans une sorte de courbe exponentielle, typique de ces embuscades de couple."

    Les blogueuses les plus anciennes se souviennent certainement du " Saut oblique de la truite". C'était il y a dix ans et c'est le temps qu'il a fallu pour que l'auteur nous offre un nouveau roman, cette fois-ci illustré de ses tableaux puisqu'il est également peintre, sous le nom de Rorcha.

    Changement de destination, c'est dans les Highlands que se passe le périple. Le narrateur est dans une passe difficile, après une énième dispute avec sa compagne.

    Il ne voit pas d'autre issue que de quitter l'appartement, en laissant un mot plutôt bref "Je reviens dans une semaine".

    Ce sera l'occasion de ressortir son vieux sac à dos, et de revivre enfin un voyage qu'il faisait l'été avec ses parents et dont il garde de merveilleux souvenirs. Ah les couleurs de ce loch découvert avec sa mère, resté gravé dans son esprit, son père qui l'initiait à la pêche, ce serait si bien s'il transmettait la même chose à son petit garçon.

    Le voilà parti, avec un bagage minimum, retrouvant les sensations du voyage en train, en bus, puis la marche, à l'affût de ses jeunes années.

    C'est un livre dominé par les couleurs, celles des tableaux de l'auteur, intercalées avec le texte et ses somptueuses descriptions des landes écossaises.

    Le ton peut se faire léger, ou nostalgique selon les moments, sans dissimuler l'inquiétude de fond liée à l'incertitude de l'avenir du narrateur. Inquiétude qui lui fera commettre une erreur de débutant et nous vaudra quelques chapitres angoissants, tout seul dans le brouillard, livré à des questions existentielles. 

    "Mon cerveau s'engourdit. La terreur et le froid me pénètrent simultanément, les choses vont vite et pas dans le bon sens. Je n'arrive plus qu'à fixer mon attention sur cette pluie sans fin, sur mon pull aussi saturé d'eau que les mousses dégorgeant sous mes pieds. A peine ai-je compris que j'allais devoir survivre que j'ai déjà l'impression de mourir. Et puis curieusement dans un moment pareil, j'ai sommeil, une fatigue irrésistible. Je redoute un premier symptôme d'hypotermie".

    A noter une courte préface de Grégoire Bouillier où cet extrait a éclairé mes propres impressions "A première vue les bleus sont choquants, les bruns trop fauves ; mais c'est qu'ils sont imaginaires : ils appartiennent à la peinture et à elle seule. Comme les mots, les couleurs glissent au couteau les unes sur les autres, créant de nouvelles textures émotives, des unions au sens érotique du terme. Au sens où la liberté des uns (couleurs, mots) traverse la liberté des autres sans jamais s'y fondre ou s'y diluer, fusionner ou abdiquer."

    L'objet livre est de belle qualité, très agréable à parcourir.

    Merci à l'auteur et aux Editions Gallimard

    Le site de Jérôme Magnier-Moreno

    Jérôme Magnier-Moreno - Highlands -128 pages
    Editions Gallimard (Le sentiment géographique) 2024

  • Le coeur à rire et à pleurer

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    "Malgré une excessive coquetterie qui me faisait adorer la parure, je n'aimais pas aller à l'église. Il fallait porter un chapeau qui tirait les cheveux, des chaussures vernies qui serraient les orteils, des mi-bas de coton qui tenaient chaud et, surtout, se taire pendant plus d'une heure, ce qui m'était une torture puisque j'avais tout le temps une histoire à raconter."

    J'ai peu lu Maryse Condé et c'était il y a longtemps. J'ai donc eu l'impression de redécouvrir complètement cette autrice récemment disparue avec ce livre de souvenirs.

    Elle y décrit son enfance en Guadeloupe, dans les années 50, dans une famille éduquée, parlant parfaitement le français et fière de sa position sociale.

    La narratrice est la dernière de huit enfants. Le père est vieillissant, fonctionnaire imbu de sa personne, intransigeant. La mère est dure, méprisante envers plus faible qu'elle, pieuse à l'excès.

    La narratrice se révèle assez vite désobéissante, révoltée, trop franche, disant ce qu'elle pense sans filtre. Elle se fait détester à l'école, ne comprend pas ceux qui l'entourent. Elle se réfugie souvent auprès de son grand frère Sandrino, qui lui donne des explications "Papa et maman sont une paire d'aliénés".

    Il faudra du temps avant que la petite fille se rende compte qu'elle est noire dans une société coloniale où c'est une position très inférieure. Un jour à sa grande surprise, elle se fait battre par une fillette blanche, sous le seul prétexte qu'elle est "une négresse".

    Chaque chapitre aborde une histoire différente, dans l'ordre chronologique. L'enfant n'est pas heureuse, trop incomprise, trop rebelle, l'atmosphère familiale est étouffante. Nous suivons son évolution jusqu'à son arrivée en France, adolescente, en hypokhâgne et à la Sorbonne. Elle n'y fera pas grand chose, préférant s'engager en politique en compagnie d'étudiants haïtiens et africains.

    Elle a rejeté sa famille, sa relation à sa mère s'est complètement détériorée. A la fin, une scène bouleversante montre la mère et la fille aussi désespérées l'une que l'autre de cette relation ratée.

    La narratrice tombe amoureuse à Paris et s'engage résolument dans une voie qui sera apparemment pavée d'épreuves.

    L'écriture est fluide, la lecture agréable. Je l'ai trouvée seulement un peu trop courte, j'aurais aimé continuer.

    Lecture commune avec ClaudiaLucia et Miriam

    Maryse Condé - Le coeur à rire et à pleurer - 168 pages
    Pocket - 2001

  • Les doigts coupés

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    "Ça y est, j'ai compris pourquoi vous nous interdisez de chasser... Pourquoi vous nous empêchez même d'apprendre à le faire... Parce que ça vous permet de vous rendre importants en nous expliquant à quel point on est nulles tout en vous présentant comme nos sauveurs... De nous faire croire que c'est pour notre bien que vous nous punissez... Mais la vérité... la vérité, c'est que vous mourez de peur que l'on découvre que vous ne servez absolument à rien !"

    De nos jours, quelque part en Dordogne, des ouvriers polonais creusent une future piscine dans une propriété privée et font une découverte inattendue : deux squelettes apparemment très anciens. La propriétaire les supplie de les recouvrir bien vite de terre, mais les ouvriers sont de bons chrétiens et exigent la bénédiction des corps par un prêtre. S'ensuivra un branle-bas de combat et exit la piscine. Place aux spécialistes qui vont examiner les squelettes. Entrée en scène d'Adrienne Célarier, paléontologue.

    "En tant qu'universitaire elle est arrivée au bout de la course au rat en ayant déjoué tous les pièges. On la traite d'arriviste, mais elle s'en fout car c'est elle qui a le morceau de fromage entre les dents".

    Les corps étaient dans une grotte recouverte de mains peintes, toutes mutilées au niveau des phalanges. Mais pourquoi ?

    A partir de là, le récit se déroule sur deux périodes, la nôtre et celle de l'aurignacien, il y a 35 000 ans. Nous passons des doctes discours d'Adrienne à l'histoire réelle, celle d'Oli, jeune femme de la tribu, rétive aux règles imposées par les hommes, notamment Oncle-Aîné, le chef.

    Le clan est composé d'une quinzaine d'individus, chasseurs-cueilleurs. Les femmes sont cantonnées aux travaux subalternes, qui les maintient dans un périmètre étroit. Les enfants arrivent sans que l'on sache vraiment pourquoi, la relation n'est pas faite entre les accouplements fréquents, consentis ou pas et l'arrivée des bébés ..

    Cette vie ne convient pas à Oli qui veut chasser, faire la même chose que les hommes. Elle y est souvent plus habile qu'eux d'ailleurs, grâce en partie à sa soeur Wilma, très douée pour lui tailler des outils. Oli est gauchère. C'est la seule qui n'a pas d'enfant, elle refuse les accouplements avec ces hommes qui lui répugne.

    Si vous avez lu "la Daronne", vous aurez une idée du ton de ce roman préhistorique, qui ne fait pas dans la dentelle. Il fallait oser se mettre dans la peau d'une jeune aurignacienne, avide de franchir les limites de son clan et se révélant féministe bien avant l'heure, en bouleversant au passage l'ordre du monde.

    Le comique vient du décalage entre les aventures réelles d'Ori et ce qu'en déduit Adrienne, la paléontologue, dans ses conférences devant ses pairs.

    J'ai passé un bon moment à la lecture de ce roman, mais pas autant que j'attendais. Je n'ai pas adhéré au langage bien trop moderne à mon goût d'Oli et sa tribu.

    Ce qui n'empêche qu'il y a de multiples scènes réjouissantes comme celle où Oli règle son compte à celui qui l'a mutilée sans pitié.

    Je précise que l'autrice s'est appuyée sur les travaux très sérieux de l'Italienne Paola Tabet, qui a publié un livre appelé précisément "Les doigts coupés". Elle s'est inspirée également des travaux de Vinciane Despret.

    Merci aux Editions Métailié

    Une interview de l'autrice ici

    L'avis de Cathulu Dasola Je lis je blogue Zazy

    De la même autrice : La daronne - Richesse oblige

    Hannelore Cayre - Les doigts coupés - 192 pages
    Editions Métailié - 2024

  • Proust, roman familial

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    "A la manière d'un amputé qui, longtemps après l'opération, sent toujours son membre fantôme, le monde familial de mon enfance vivait figé dans la conscience intacte de sa supériorité sociale. Etymologiquement, aristocrate signifie "le pouvoir des meilleurs". Admettre que la noblesse avait perdu son prestige et ne constituait plus l'élite, c'eût été céder à l'inimaginable : l'aveu d'un déclassement. Il ne suffisait donc pas de se tenir, il fallait désormais maintenir coûte que coûte un univers, un décor, un mode d'existence devenus étrangers aux réalités contemporaines et sans rapport avec le siècle".

    Je connais Laure Murat de nom, j'ai souvent suivi ses interventions à la radio à propos de ses précédentes parutions, mais à vrai dire je ne m'étais jamais interrogée sur ses origines sociales.

    J'ai donc appris à la faveur de "Proust, roman familial" qu'elle était aristocrate et que le monde décrit par Proust était mêlé au sien de plus d'une manière.

    "Limité au surgissement de noms familiers dans le cadre d'un roman, le trouble de ma lecture serait resté anecdotique. Mais le plus sidérant, c'était que toutes les scènes lues où l'aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes vécues dont j'avais été le témoin, comme si Proust, à l'image du Dr Frankenstein, élaborait sous mes yeux le mode d'emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j'étais née".

    Dans cet essai, Laure Murat mélange histoire personnelle et épisodes de "la recherche" avec finesse et un humour souvent vachard très réjouissant.

    Après avoir décrit sa jeunesse, son éducation, campé les membres de sa famille, elle n'hésite pas à affirmer "A ce titre, il ne serait pas exagéré de dire que Proust m'a sauvée".

    Je n'ai pas lu "la recherche" (après deux essais ratés) et je l'ai ressenti clairement comme un handicap au fur et à mesure de mon avancée. Je pense être passée à côté du coeur du livre. Lorsqu'elle rapproche certains membres de sa famille des personnages de Proust, longs extraits à l'appui, je me suis sentie plutôt perdue.

    Je ne me risquerai donc pas à parler de cet aspect du livre. Il n'en reste pas moins que j'ai eu plaisir à découvrir le parcours de Laure Murat, dont la révélation de l'homosexualité à sa famille a acté une rupture irrémédiable. L'attitude de sa mère notamment fait froid dans le dos.

    La description de ce berceau familial me confirme que nous vivons dans le même pays mais sûrement pas dans le même monde. J'ai beaucoup apprécié le style de Laure Murat. Si elle passe dans votre région, n'hésitez pas à aller l'écouter, comme je l'ai fait moi-même à l'automne, au salon du livre de Trouville, c'est un régal.

    "Même les relations censément les plus simples sont marquées par l'idée - en partie inconsciente - d'appartenir à une caste modèle, qui exige d'être toujours à la hauteur et de montrer l'exemple. C'est un jeu de rôles permanent. Un aristocrate jouera à l'aristocrate dans la moindre de ses actions, en remerciant un serveur, en saluant une connaissance, en se montrant généreux ou distant. L'aristocrate est, par excellence, quelqu'un qui se prend pour un aristocrate".

    C'est une lecture commune avec Miriam et ClaudiaLucia, qui vont avoir bien plus à dire que moi sur "la recherche" puisqu'elles ont organisé un challenge sur une relecture complète.

    ma pal

    L'avis de Dasola Luocine Dominique Keisha

    Laure Murat - Proust, roman familial - 256 pages
    Editions Robert Laffont - 2023

  • Un monde à refaire

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    "Il y avait beaucoup d'hommes, dont il était impossible de savoir ce qu'ils pensaient. Il y avait Fabien qui s'avançait vers Max, à pas résolus, et puis Max au plus près de la mine, qui essayait de rester calme et digne, mais qui en fouillant le sol, se rendait compte qu'il s'agissait d'un explosif d'un genre qu'il ne connaissait pas : une surface lisse qui n'en finissait pas, sur laquelle il était impossible de trouver l'allumeur. C'était quoi ce bordel ? Max regarda furtivement où se trouvaient les gardiens, comme pour être sûr qu'il n'y avait pas un moyen de s'échapper, comme s'il était prisonnier, lui aussi, à l'instar des Allemands".

    Je suis normande, née dans les années d'après-guerre, le débarquement du 6 Juin 1944 j'en ai abondamment entendu parler, avec son cortège de dégâts et de traumatismes.

    Avec ce roman, je me rends compte que je connais nettement moins le débarquement de Provence qui a pourtant fait lui aussi de nombreuses destructions et laissé un sol dangereux.

    Nous sommes juste à la charnière de la fin de la guerre et du départ des Allemands. Outre les destructions massives comme à Marseille, ils ont laissé une côté entièrement minée, infréquentable alors que la population tout à sa joie d'être libérée voudrait foncer vers la mer.

    Dans ce contexte, des équipes volontaires de démineurs se sont constituées, sous l'égide de Raymond Aubrac. Ils sont obligés de travailler à l'aveugle, connaissant mal les différents types de mines et n'ayant pas les plans allemands qui pourraient limiter les risques.

    Les candidats au déminage ne sont pas légion, c'est pourquoi des prisonniers allemands sont réquisitionnés, en dépit de l'interdiction de la convention de Genève d'utiliser les prisonniers à des travaux dangereux. Après tout, ce n'est que justice après tout ce qu'ils nous ont fait eux-mêmes pense une majorité.

    A la tête de la petite équipe de démineurs, Fabien très engagé dans la résistance depuis le début de la guerre, estime que c'est simplement continuer le combat sous une autre forme. Il est inconsolable de la perte de sa femme, Odette.

    Vincent, lui, vient d'intégrer l'équipe sous un faux-nom. Nous comprendrons progressivement pourquoi. Il est à la recherche d'une femme aimée, disparue sans laisser de traces. Il espère la retrouver en questionnant les prisonniers allemands. Il va jusqu'à se lier d'amitié avec l'un d'entre eux, Lukas et lui proposer de l'aider à s'évader en échange de renseignements.

    Vincent va faire par ailleurs la connaissance de Saskia, jeune fille qui revient de déportation et s'aperçoit que sa maison a été accaparée indûment par une famille. A la douleur d'avoir perdu sa famille s'ajoute la colère de la spoliation et l'impossibilité de le prouver.

    J'ai été très intéressée par la description de cette période particulière ou tout est flou, une guerre se termine mais ce n'est pas encore tout-à-fait la paix. Des gens se sont perdus, ont été trahis, la joie que ce soit fini est là, mais plombée de tant de souffrances qui dureront longtemps. On ne sait pas encore très bien qui est ami, qui est ennemi.

    Certains poursuivent une vengeance, d'autres veulent seulement avancer vers une société meilleure. Dans l'équipe de Fabien, le mélange quotidien entre Français et prisonniers allemands finit par créer des liens et du respect. Il y a des moments de tension et d'autres d'entraide, impossible de faire autrement devant une mission aussi dangereuse.

    L'autrice a sûrement fait un travail de documentation solide sur cette période, dans la région de Hyères notamment, mais j'ai trouvé l'histoire affaiblie par le côté romanesque, trop surchargé à mon goût, avec des retournements de situation pas toujours très crédibles. Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages.

    C'est toutefois une lecture à retenir pour le sujet si peu traité dans la littérature me semble-t'il. Et la plupart des lecteurs n'ont pas mes réserves.

    L'avis de Kathel qui a beaucoup aimé.

    Claire Deya - Un monde à refaire - 413 pages
    L'Observatoire - 2014

  • Idiss

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    "Parfois, je me suis interrogé sur la foi d'Idiss. Quel sentiment l'animait lorsqu'elle priait ainsi, en ces temps d'épreuves ? Enfant, à l'école de la petite synagogue bessarabienne, elle avait jadis appris les rudiments de la religion juive. Elle avait été élevée dans ses pratiques et avait vécu selon ses rites. Avait-elle cependant conservé une foi inaltérable dans la bonté et la justice divine ? En ces jours du printemps 1940, elle suppliait l'Eternel tout puissant de secourir son peuple et de protéger sa famille. Mais le soleil brillait de l'aube au coucher sur le triomphe de l'armée allemande. Et le silence de l'Eternel était accablant."

    On ne présente plus Robert Badinter, l'avocat brillant, ministre de la Justice ayant réussi à faire abolir la peine de mort en France, sous le mandat de François Mitterrand. Je n'avais par contre qu'une vague idée de son histoire personnelle, avant de commencer ce magnifique hommage à sa grand-mère maternelle, Idiss.
     
    La famille est originaire de Bessarabie, alors province de l'Empire russe (actuellement en Moldavie) au coeur du Yiddishland. Idiss vit dans un shtetl, dans une grande pauvreté. Elle est analphabète, l'école étant réservée aux garçons. Ce qui lui fera accorder une grande importance à l'éducation de ses petits-enfants par la suite. Elle rencontrera l'amour de sa vie, Schulim, aura deux fils avec lui et plus tard une fille, Chifra, renommée Charlotte en France, la mère de Robert et Claude Badinter.
     
    C'est l'antisémitisme et les pogroms qui feront fuir la famille en France. Ils se font une haute idée de la République et de ce qu'elle peut offrir à des exilés comme eux.
     
    Le livre est riche d'enseignements sur l'époque et sur l'état d'esprit d'Idiss, qui s'est accoutumée à la vie parisienne et entoure ses petits-enfants de tout l'amour dont elle est capable.
     
    Ils propéreront à Paris jusqu'aux jours plus sombres des années trente et de la guerre. C'est tout un monde qui s'écroule alors avec son lot de tragédies.
     
    J'ai été touchée par la grande tendresse qui se dégage de ce récit. L'écriture est sobre, l'auteur se fait parfois un peu moqueur devant les défauts ou faiblesses de certains membres de sa famille, sans jamais surcharger.
     
    Il évoque leur quotidien, ses souvenirs d'école, il n'était pas question que son frère et lui soient autre chose que premiers de la classe. L'antisémitisme n'était pas si répandu que cela parmi leurs camarades, même avec la montée des fascismes. Le quartier du Marais où se regroupaient la plupart des familles venues de l'Est, ravivait les odeurs, les saveurs qui enchantaient sa grand-mère.
     
    A la lecture, on comprend mieux d'où les combats de Robert Badinter prennent leur source. On voit aussi à quel point cette communauté d'exilés était reconnaissante au pays qui les avait accueillis, continuait à avoir le plus grand respect pour lui et à quel point elle est tombée de haut en 1940.
     
    Les jours de douleurs ont profondément marqué l'auteur qui n'avait que douze ans au moment de l'arrestation de son père.
     
    Au delà de la famille Badinter, ce livre fait revivre un monde qui a complètement disparu avec la guerre. On mesure les profonds bouleversements qui ont jalonné la vie d'Idiss et sa souffrance à la fin de sa vie, confrontée à nouveau à un antisémitisme virulent.
     
    Ce récit a été adapté en bande dessinée par Fred Bernard et Richard Malka (Editions Rue de Sèvres)
     
    Robert Badinter - Idiss - 264 pages
    Le Livre de Poche - 2019
     
  • Hommes entre eux

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    "Je crois qu'il ne faut jamais regarder très longtemps en soi. C'est là que se trouve notre pire visage, celui que nous essayons de dissimuler pendant toute une vie. C'est mon père qui disait ces choses-là, il prétendait les tenir d'une vieille légende indienne. C'était un sang-mêlé".

    Le titre de ce roman ne pouvait pas être mieux choisi. C'est une histoire d'hommes, même si c'est une femme, Anna, qui occupe leurs pensées, jusqu'à l'obsession.

    Paul Hasselbank, assureur à Toulouse, est atteint d'une maladie incurable, qui gagne du terrain de jour en jour. Il ne veut pas mourir sans avoir revu Anna, sa femme, qui l'a quitté brusquement, sans un mot d'explication.

    Il sait seulement qu'elle serait au Canada, en Ontario. Il part donc là-bas et atterri dans un motel miteux, dans une région glacée où les blizzards surviennent sans crier gare, paralysant toute vie.

    Avec l'aide de shérif, il rencontre d'abord un personnage trouble, adepte d'ultimate fighting , chez qui Anna a logé quelque temps. Il lui donne l'adresse d'un homme qui a été l'amant d'Anna, partie à nouveau sans rien dire.

    Cet homme, Floyd Paterson, vit seul dans une maison isolée. Il a subi une greffe du coeur qui l'a transformé et mis mal à l'aise en même temps. Le donneur n'était pas quelqu'un de recommandable, il se demande s'il n'a pas absorbé quelque chose de sa nocivité, avec son coeur.

    C'est un chasseur à l'arc, un passionné de la forêt, il n'y a que dans cet élément-là qu'il se sent bien et qu'il rentre couvert de sang, avec une bête abattue.

    La rencontre des deux hommes va se faire en plein blizzard. Paul Hasselbank ne peut plus accéder à ses médicaments et va devoir affronter des douleurs infernales, des accès de fièvre et de délire qui le laissent exangue.

    Floyd Paterson va veiller sur lui à sa manière, dans un huis-clos étouffant et étrange. L'absence d'Anna est l'éléphant dans la pièce, mais qu'a-t'elle vraiment représenté pour eux ? Quelles étaient leurs insuffisances face à cette femme énigmatique ?

    Le blizzard passé, Paul Hasselbank retourne au motel, ayant quasiment renoncé à retrouver Anna. Rien ne m'avait préparé à la fin que je n'ai pas compris du tout. Un acte violent et imprévisible, aboutissement peut-être de la violence sourde qui transpire tout au long du livre.

    Je découvre l'auteur avec ce roman et je suis perplexe. Je le pensais plutôt dans un registre léger et humoristique et je me retrouve dans une histoire dure, désespérée, violente, à une sexualité crue et à l'étrangeté dérangeante parfois.

    Malgré cela, j'ai été prise dans l'ambiance et j'ai aimé. La description des paysages, de la nature sauvage, les rencontres faites par Paul, sa lutte contre les accès de douleurs, en sachant qu'il ne sera pas victorieux, tout cela m'a fait continuer, même si au final je ne sais pas très bien quel genre de livre j'ai lu.

    C'est semble-t'il un roman atypique dans l'oeuvre de l'auteur ; il me reste à en découvrir un autre pour comparer.

    L'avis de Sandrine Kathel

    Jean-Paul Dubois - Hommes entre eux - 240 pages
    Editions de l'Olivier - 2007

  • Le tableau du peintre juif

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    "Contrairement aux idées reçues, les Juifs étrangers ont été relativement épargnés par Franco. Celui-ci ne tenait pas à déplaire aux Allemands, mais il cherchait aussi à s’assurer les bonnes grâces des Alliés en prévision de l’après-guerre. Les migrants de confession judaïque étaient confiés au Joint, un organisme financé par la diaspora juive américaine, ce qui arrangeait Franco qui, ainsi, n’avait pas à débourser une peseta pour des gens qu’il ne portait pas dans son cœur, mais qu’il ne pouvait pas ouvertement persécuter."

    De nombreux avis élogieux m'ont incitée à lire ce roman dont la trame principale est de suivre la piste d'un tableau dont Stéphane a hérité d'une tante.

    Stéphane est à un moment de sa vie peu glorieux. Il est au chômage, déprimé après plusieurs échecs, sa femme, Irène, fait bouillir seule la marmite, il a des liens assez distants avec ses deux filles. Il les aime, mais ne sait pas le leur montrer.

    Le cadeau de sa tante vient du grand-père de Stéphane, homme sévère et exigeant dont il a toujours entendu dire qu'il tenait ce tableau d'un peintre juif qu'il aurait caché pendant la guerre.

    Après quelques recherches, il se rend compte que ce peintre est relativement connu, mais qu'il n'a plus rien produit après la guerre. Son grand-père, paysan cévenol taiseux était résistant. Il n'en parlait guère. Désoeuvré, Stéphane se met en tête de faire reconnaître ses grands-parents comme Justes, puisqu'ils ont sauvé un couple juif, au péril de leur vie. Le peintre leur a donné le tableau en remerciement.

    De son côté sa femme fait expertiser le tableau, qui vaut une somme non négligeable. Fatiguée de se démener seule pour assurer les fins de mois, elle demande à Stéphane de vendre le tableau, ce qui leur permettrait de repartir sur de nouvelles bases.

    Stéphane refuse obstinément et suit son idée de rendre hommage à ses grands-parents. Envers et contre tout, il se rend en Israël, où il est reçu à Yad Vashem. Làs ! il apprend là-bas que ce tableau est considéré comme volé. Non seulement ses grands-parents ne seront pas honorés, mais ils passent pour des gens malhonnêtes et profiteurs.

    Stéphane s'entête à continuer son enquête, au grand dam de sa femme. Il se sent investi de la mission de réhabiliter la mémoire de ses grands-parents, soupçonnés d'avoir dénoncé le couple juif et d'avoir provoqué leur déportation. Ses recherches le mèneront des Cévennes à l'Espagne, sur la trace de témoins encore vivants ou d'archives consultables.

    Ma lecture n'a pas été aussi enthousiaste que prévu. Si j'ai beaucoup apprécié les recherches liées au tableau, où j'ai appris pas mal de choses, j'ai été franchement agacée par le personnage de Stéphane, au comportement souvent insupportable. Imbu de lui-même, négligeant complètement son entourage, arrogant, puéril aussi parfois dans ses réactions. S'il y a une bêtise à faire on peut être sûre qu'il ne va pas la rater.

    Heureusement, en contrepoint, nous retrouvions régulièrement la voix du peintre et de sa compagne, lancés dans un périple dangereux, nous révélant petit à petit ce qui s'est réellement passé en 1943. J'ai été bluffée par le dénouement de l'histoire, je ne l'avais pas vu venir.

    Par contre, les retrouvailles de Stéphane avec sa famille m'ont paru trop artificielles et faciles.

    Impression mitigée donc. J'avoue avoir été tentée d'abandonner en cours de route, mais je voulais savoir ce qu'il était advenu du peintre et de sa femme.

    L'avis de Alex Kathel Ingannmic Luocine

    Benoît Séverac - Le tableau du peintre juif -336 pages
    10/18 - 2023

  • On dirait des hommes

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    "Elle se laisse tomber dans son fauteuil, déjà contrainte de retrouver de l'énergie. Dans quelques minutes, un couple va encore se déchirer autour de la garde de ses enfants. Dominique se prend parfois à apprécier ses dossiers pour tapage nocturne, des bagarres dans les bars, des escroqueries aux assurances, ça la change un peu de cette violence domestique qui n'en finit pas de déferler. Les pas résonnent sur le lino, les chuchotements bruissent dans les locaux encore presque déserts. La juge range ses cigarettes au fond de son sac, inspire profondément".

    Le livre s'ouvre sur une scène déchirante. Celle d'un petit garçon de 10 ans, Gabriel, qui se noie. Son père se jette à l'eau, mais n'arrivera pas à le sauver.

    Une enquête est ouverte, qui conclut à une mort accidentelle. La juge d'instruction, Dominique Bontet, devrait fermer le dossier, mais elle n'y arrive pas. Quelque chose la retient, sans qu'elle arrive à cerner quoi exactement.

    Thomas et Anna, installés depuis peu en Bretagne, essaient de survivre comme ils peuvent à ce drame. Ils avaient eu un coup de coeur pour ce village en bord de mer et s'y plaisaient beaucoup. Ils s'épaulent, sans éviter la culpabilité, les regrets, l'épuisement, les nuits sans sommeil, les images traumatisantes revues sans fin par Thomas.

    Parallèlement, une autre histoire nous est racontée, celle d'Iris et de Patrice, couple en apparence ordinaire, où les coups tombent dès la porte refermée. Iris se décide à porter plainte, sans fournir suffisamment d'éléments indiscutables.

    On se doute que les deux histoires vont finir par se croiser ; le lien c'est Dominique, la juge, scrupuleuse à l'excès, prenant son travail très à coeur. Les trois femmes feront front pour que la vérité émerge, chacune à la place qui est la sienne.

    C'est un roman assez plombant, où la personnalité des deux couples est révélée par petites touches. J'ai trouvé l'ensemble un peu appliqué, comme si l'auteur avait voulu coller à la problématique des violences faites aux femmes sans rien oublier.

    Thomas est un homme médiocre, instable dans sa vie professionnelle, jaloux de l'épanouissement de sa femme, qui s'est tout de suite adaptée à son nouveau milieu, grâce à son métier d'infirmière. Après la mort de Gabriel, elle l'a soutenu autant qu'elle a pu, en plus de son propre chagrin. Je ne veux pas trop en révéler sur sa personnalité qu'il faut découvrir peu à peu.

    Patrice, c'est l'homme irréprochable en apparence, faisant illusion pour l'entourage, mais un parfait tyran domestique utilisant la violence et les menaces à l'intérieur du foyer.

    Deux femmes sous emprise, d'une manière différente, qui se croisent au bon moment et trouverons le moyen de se dégager de liens mortifères, par l'entremise de la juge.

    C'est dans les dernières pages que survient une révélation bien amenée.

    Un roman qui ne m'a pas vraiment convaincue.

    Des avis plus enthousiastes que le mien chez Babelio

    Fabrice Tassel - On dirait des hommes - 288 pages
    La Manufacture de Livres - 2023