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Littérature française

  • Briser le plafond de glace

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    "Parfois je trouve des compagnons de cordée Camptocamp, un site collaboratif de pratiquants de montagne. Maman n'aime pas me voir partir en montagne avec des gens rencontrés au hasard sur Internet. Elle a raison, mais je n'ai pas de voiture et peu de matériel, j'irais en montagne avec n'importe qui ! Je fais de chouettes rencontres et de belles sorties, mais il m'arrive de tomber sur des compagnons de cordée qui souhaitent plus qu'une course en montagne. Ce rapport de séduction est très désagréable aux relais ou dans les refuges : la promiscuité est propice aux malentendus. Il y a des moments pour draguer, après la bière de la fin de journée par exemple, mais pas pendant l'escalade où, fatiguée par l'effort et concentrée sur la sécurité, je me sens plus vulnérable et moins préparée à refuser des avances".

    Le hasard a fait que j'ai lu l'un après l'autre deux livres de femmes en colère. Celui-ci est le récit du parcours d'une jeune femme passionnée de montagne (et c'est peu dire) et son désenchantement progressif en voyant qu'elle est trop souvent bloquée par son statut de femme.

    Depuis l'enfance, l'autrice pense montagne, vit montagne et n'envisage pas d'autre voie professionnelle que celle-là. Ses parents sont tous deux sportifs et elle a été à bonne école avec son père qui ne la ménageait pas en sortie rando, dès son jeune âge.

    Marion se lance avec enthousiasme dans tous les projets allant dans son sens. Elle est opiniâtre, veut progresser et surtout être en tête. Elle a une âme de leader.

    Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'elle allait se heurter au sexisme ordinaire et à la croyance bien ancrée qu'une femme est forcément plus fragile, moins endurante qu'un homme et moins apte à réagir devant l'obstacle.

    L'alpinisme est une affaire d'homme, ils sont d'ailleurs largement majoritaires dans le sport de haut niveau et n'acceptent pas facilement qu'une femme les égale, voire les dépasse. Quant aux blagues lourdes lorsqu'ils sont en groupe, elles sont aussi navrantes et grossières que n'importe où ailleurs. 

    Le parcours de Marion Poitevin est atypique et m'a beaucoup intéressée malgré mon peu de goût pour le sport de haut niveau, les compétitions, le toujours plus et toujours plus haut. 

    Je me suis assez vite perdue dans les sigles des différentes institutions et corps d'armée où elle a travaillé, ce qui ne gêne en rien la lecture. Alpinisme, escalade, guide de haute montagne, secours en montagne, elle progressera au hasard des déceptions et des mains qui se tendront, car il y en aura. Tous les hommes ne sont pas aussi hermétiques à l'arrivée des femmes parmi eux.

    Bien des détails techniques m'ont échappé, ils ne sont pas longs et ne plombent pas le récit. J'ai souvent été en colère avec elle ; elle a mis du temps à comprendre que c'est son genre qui posait problème et s'est culpabilisée, pensant qu'elle n'était pas à la hauteur, qu'elle n'en faisait pas assez. Et quand bien même, ça n'aurait pas excusé les coups bas et la vulgarité crasse de certains, pas plus que le silence des autres.

    Les années passant, l'enthousiame et l'envie sont toujours là, mais ce qu'elle fait est dangereux par nature et les morts jeunes qui s'accumulent autour d'elle finissent par la questionner. L'enjeu vaut-il toutes ces vies brisées ?

    De déconvenues en questionnements, Marion finira par créer avec d'autres une association "Lead the climb" visant à permettre aux femmes d'être premières de cordée en toute sécurité.

    J'ai acheté ce livre pendant mon séjour en montagne (dans une excellente galerie d'art) c'était le bon moment. J'ai découvert un style de vie très éloigné de mes rêves, mais assez captivant à suivre.

    "Nous formons une bonne cordée complémentaire, Estelle et moi. J'apprends la gestion du froid : petits gants, gros gants, gants de vaisselle pour une cascade qui goutte. J'apprends les différentes qualités de glace : assiette, méduse, sorbet. J'apprends à gérer les cordes gelées qui se bloquent dans les systèmes d'assurage ou le mousqueton qui colle au lèvres si on le met dans la bouche pour avoir les mains libres. J'apprends à brocher souvent, car même quand l'escalade est facile, la chute est interdite. Nous sommes des extra-terrestres dans les cascades : nous ne croisons aucune autre cordée féminine cet hiver-là. Les noms des voies sont d'ailleurs souvent à connotation phallique, cela manque de finesse : Croupe de la Poufiasse, Erection, Diabolobite, Orgasme, Verge du Démon ...".

    Marion Poitevin - Briser le plafond de glace - 245 pages
    Editions Paulsen - 2025

  • Le voyage à Paimpol

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    "Je marche le long du port en respirant bien fort. Je sens l'iode qui passe dans mes membres. Je suis sûre qu'une bonne marche vaut toute la chimie que j'ingurgite depuis une semaine. J'ai tout arrêté et je suis mieux. Le seul ennui c'est que les bols d'air ne sont pas remboursés par la Sécurité Sociale. Ils sont même interdits puisqu'on ne peut sortir de chez soi que dans de strictes limites. C'est absurde, la fatigue physique et nerveuse ne se soigne pas entre quatre murs. Moi, qui hier, n'avait pas la force de passer l'aspirateur dans le salon, je crois que cet après-midi je pourrais faire Paris-Brest à pied".

    Maryvonne est au bord du craquage. Elle n'en peut plus de sa vie d'ouvrière, de son mari qui n'a plus rien de l'amoureux qu'elle a connu et même de son petit garçon qui est arrivé trop vite. 

    Alors qu'elle est en arrêt maladie, elle part sans prévenir où elle va. Ils se débrouilleront tous sans elle quelques jours, elle veut respirer, ne penser qu'à elle, loin d'un quotidien étouffant.

    Elle n'ira pas bien loin, de Saint-Brieuc à Paimpol, mais le principal c'est qu'elle soit partie, qu'elle puisse réfléchir dans la solitude et comprenne comment la vie dont elle a rêvé est en train de lui échapper, reléguée à une place de mère et d'épouse qui ne lui convient pas.

    "Je suis une minette désoeuvrée et capricieuse, une bobonne abusive. J'ai la tête à côté de mes pompes. Pourtant j'usine moi aussi, je lutte de classe, je syndicate, j'ai des copines et des sujets de conversation honorables. Il faut croire que je ne suis plus à convaincre ou à séduire et que c'est une tâche de moins à faire."

    J'ai lu ce roman à sa parution, en 1980. A l'époque une ouvrière qui se pique d'écrire, c'est une curiosité. On en parle dans tous les medias, elle est même invitée à Apostrophes. J'en avais le souvenir d'un récit intéressant et plutôt rare.

    Lorsque Gallimard a décidé de le faire reparaître cette année dans sa collection "L'imaginaire" j'ai eu envie de confronter ma lecture d'alors à la situation d'aujourd'hui.

    Déjà, c'est un roman qui n'a pas vieilli, il est toujours d'actualité, même si elle prend une forme différente. Les années me font apprécier différemment ce qui était décrit de cette vie d'usine, laborieuse, usante, humiliante, sans perspective, et une vie de famille traditionnelle où la femme a une charge mentale dirions-nous aujourd'hui lourde et sans fin.

    C'était les débuts du féminisme et on ne peut pas dire que le monde ouvrier était aux avant-postes sur ce sujet-là. Maryvonne se révolte contre la minimisation du rôle des femmes, leur place subalterne autant à l'usine qu'à la maison. Elle aspire à tout autre chose sans trop oser le revendiquer haut et fort. Déjà, se permettre une escapade à l'hôtel est toute une histoire. Une femme seule qui arrive sans bagages, c'est suspect et anormal. 

    Nous accompagnons Maryvonne dans ses divagations, les moments où elle se fait tout un cinéma sur son couple qui repartira d'un meilleur pied, après sa fugue, suivis d'autant de découragement et de culpabilité.

    "Quand le bonhomme est crevé, quand il n'a pas le moral, je lui fous la paix. Je ne lui demande rien, j'empêche le gosse de faire trop de bruit : "Papa est fatigué mon chéri, va jouer plus loin". S'il a la frite, il sort en vieux garçon et fait profiter les autres de sa bonne humeur. Il se couche à l'aube et traîne ses maux de tête et son teint bilieux avec rancune le lendemain".

    Au delà de ce moment de découragement, on sent une grande vitalité chez Maryvonne, une imagination débordante, une réflexion aiguisée, une espérance d'autres vies ailleurs, plus riches et gratifiantes, auxquelles elle pourrait avoir accès.

    "J'adore sortir, aller dans les cafés discuter des heures avec les copains, manger au restaurant, me tenir au courant de l'actualité et voir les rares bons films qui arrivent jusqu'ici. Le théâtre me fascine. Les longues marches dans les bois ou sur les plages m'aident à oublier les semaines de travail"

    C'est bien écrit, pétri de phrases qui font mouche et dans lesquelles on peut parfois se retrouver.  

    Les jours passant, comment Maryvonne va-t'elle envisager le retour chez elle ? elle fantasme une meilleure existence où elle serait à nouveau regardée, aimée, considérée. Rien ne dit que ce sera le cas et la fin a un goût un peu amer.

    Où sont les ouvrières aujourd'hui ? Quelle parole ont-elles dans les médias ? Même si la condition des femmes a bougé, les infos nous apportent tous les jours des preuves de l'immense travail qu'il reste à faire.

    Un roman qui valait largement d'être relu pour l'aspect social et féministe. N'hésitez pas à le découvrir.

    Après le succès de ce livre, Dorothée Letessier a continué à écrire, sans recueillir la même attention. Elle est décédée en 2011.

    L'avis de Miriam Moka

    Dorothée Letessier - Le voyage à Paimpol - 160 pages
    Gallimard "L'imaginaire" 2025 (première parution 1980)

  • L'été circulaire

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    "Les autres ouvriers ne le regardent pas, et cette volonté de l'éviter - pour ne pas le mettre mal à l'aise- fait l'effet inverse. Évidemment, tout le monde en a parlé, de la petite. Belle, offerte aux regards avec ses tops à bretelles et ses jeans slim. Trop jolie sans doute."

    Un été caniculaire, quelque part dans le Vaucluse, du côté de l'Isle-sur-Sorgue. Pas chez les riches propriétaires qui viennent seulement pour les vacances, non, chez les ouvriers qui triment dur pour gagner chichement leur vie.

    Deux soeurs, Céline, 16 ans et Jo, 15 ans, trainent leur ennui comme tous les étés, entre fête foraine annuelle et sorties avec les copines, sous l'oeil des pères, plus ou moins avinés.

    Le destin des filles est tout tracé, elles n'ont même pas le temps de rêver, comme la mère de Céline et Jo. Les enfants arrivent trop vite, la femme est assignée à sa place de mère au service des autres, les jours s'écoulent, mornes et identiques.

    Cet état-là commence par un scandale. Céline est enceinte à 16 ans. Elle est très belle Céline, elle aimante les regards masculins, surtout sur sa poitrine, vite développée. Elle s'en amuse sans trop réfléchir, mais là, la réalité la rattrape, sans échappatoire. 

    Manuel, le père, réagit violemment en la frappant, d'autant plus qu'elle ne veut pas donner le nom du responsable. Manquerait plus que ce soit le jeune voisin arabe, ça le rend fou, Manuel.

    Séverine, la mère, se souvient qu'elle était aussi belle que Céline à son âge. Elle s'est retrouvée enceinte également, mais au moins le père a assumé et l'a épousée.

    L'été se fige autour de cet évènement. La tension monte crescendo. Céline s'entête à ne rien dire, déjà résignée à la vie qui lui est réservée et au manque total de perspectives. Jo, sa jeune soeur est complètement différente. Elle met les autres mal à l'aise avec ses yeux vairons. Elle réfléchit, pressent qu'il y a d'autres mondes et espère bien se sauver de ce milieu étriqué.

    C'est un roman noir, qui décrit un milieu rural étouffant de manière saisissante. Le déterminisme social pèse lourd, le patriarcat aussi. Le langage est cru et souvent brutal. Dans cette ambiance, Manuel perd pied jour après jour, sans pouvoir arrêter l'engrenage.

    C'est une histoire qui laisse un goût assez amer, tant les issues sont bouchées. Les soeurs ne se comprennent pas forcément et pourtant se soutiennent quand il le faut.

    Il ne circule pas beaucoup de tendresse dans cette histoire, de la dureté un peu partout et on sent que les évènements de l'été seront recouverts d'un voile de silence épais, pour toujours.

    J'ai apprécié l'aspect réaliste du milieu décrit, sans arriver à m'attacher aux personnages. Seule Jo semble encore avoir l'étincelle qui lui permettra peut-être de prendre le large un jour.

    Un bon roman, à ne pas entamer un jour de déprime ..

    L'avis de Luocine Athalie Ingannmic Kathel

    Marion Brunet - L'été circulaire - 272 pages
    Editions Albin Michel - 2018

  • Dans les brumes de Capelan

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    "Même ses vacances, une à trois semaines deux ou trois fois par an, il les passait seul, dans cette résidence où personne n'était jamais entré. Il devait aimer lire, se disait-on, écrire peut-être, et si c'était ses mémoires, la question était de savoir ce qu'il allait pouvoir mettre dedans, puisque rien des années passées ici n'aurait pu remplir un chapitre. Voilà l'idée que l'on se faisait de Coste, sans imaginer une seconde que pendant ses supposées vacances il avait recueilli les confidences des pires ordures de la criminalité organisée et, par sa seule parole, décidé de leur avenir, sauvés ou sacrifiés, lui, le capitaine lisse et conciliant qui n'emmerdait jamais personne dans sa maison suicidaire au bord du précipice."

    J'ai quitté le Capitaine Coste en bien mauvais état à la fin de "Surtensions". Je ne pouvais pas rester trop longtemps dans cette incertitude, sachant qu'il réapparaissait dans un contexte très différent.

    Il a donné sa démission de la police, mais est nommé quand même à un poste secret défense, dans l'Archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, battu par les vents, la neige et le froid, sans compter les fameuses brumes saisonnières qui brouillent tous les repères. Il participe à un programme de protection des témoins, en général des repentis et après les avoir étudiés sous toutes les coutures, c'est lui décide de leur sort.

    Une affaire particulièrement difficile s'annonce. En France on vient de retrouver une jeune fille vivante, la dixième d'une série dont aucune n'a survécu. Le tueur est en cavale et lancé sur les traces de la rescapée, Anna Bailly. La hiérarchie de Coste décide de l'envoyer dans la forteresse pour la mettre à l'abri et essayer de la faire parler. Qu'a dû faire cette jeune fille pour rester en vie si longtemps (dix ans), alors que les autres ont été tuées rapidement ? Elle les a toutes connues et a été leur compagne d'enfermement pendant quelques jours ou quelques semaines.

    Encore un livre de d'Olivier Norek que l'on ne peut pas lâcher une fois qu'on l'a commencé. Dans celui-ci la tension est constante et augmente encore avec l'arrivée d'Anna.

    Il y a d'un côté l'atmosphère particulière de l'île, les relations que Coste a pu s'y faire. Il s'arrange pour ne déranger personne et attend la même attitude vis-à-vis de lui.

    Et il y a le face à face Coste-Anna, qui va évoluer sans cesse et souffler le chaud et le froid. C'est une jeune personne énigmatique, perturbée et bousculée par les derniers évènements. Tantôt fragile, tantôt manipulatrice, elle embarque Coste dans une relation complexe et on ne sait pas toujours qui mène le jeu.

    La paroxysme est atteint avec l'intrusion du tueur sur l'île, au début des brumes qui durent trois semaines. L'auteur va encore arriver à nous surprendre jusqu'à la dernière minute. Plusieurs fois j'ai cru avoir compris ce qui allait arriver et bien non, un revirement de dernière minute m'a scotchée.

    Il ne faut pas être trop difficile sur la vraisemblance de certains développements mais peu importe, c'est un régal de retrouver Coste dans la peau du flic à bout, revenu de tout, confronté malgré lui à ce qu'il a fui. Il est mis à rude épreuve avec Anna dont la psychologie est difficile à saisir et pour cause.

    Une lecture prenante, avec des personnages étoffés et une ambiance angoissante.

    Je rappelle que le Capitaine Coste est présent dans une trilogie :

    Code 93
    Territoires
    Surtensions

    Il n'est pas nécessaire de les connaître pour lire celui-ci, mais c'est mieux.

    L'avis de Dasola Enna Ingannmic Violette

    Olivier Norek - Dans les brumes de Capelan - 480 pages
    Pocket - 2023

  • Mon vrai nom est Elisabeth

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    "J'avais déjà entendu parler de Violette. Elle figurait sur la liste des Femmes Malades de la famille, elle était l'une des preuves, s'il en fallait, que nous devions nous méfier, que le gène pouvait ressortir n'importe où, n'importe quand, comme un flux de sève souterrain qui éclate en certains bourgeons plutôt qu'en d'autres avec la venue du printemps. Cette femme était décédée subitement à quarante ans, à la suite de plusieurs internements psychiatriques. Mais aux dires de tous, il ne s'agissait pas d'un suicide".

    On voit beaucoup ce livre sur la blogosphère, je crois que tout le monde sait maintenant à peu près de quoi il est question. Adèle Yon, comme d'autres jeunes femmes de sa famille se pose des questions sur son état mental, vers l'âge de 25 ans.

    Elle est mal dans sa vie, laisse perdurer une relation malsaine et n'arrive pas à s'en sortir. Serait-il atteinte du même mal que son arrière grand-mère, Elisabeth, dite Betsy, internée pour une schizophrénie ? La rumeur familiale dit que c'est génétique. Point.

    Vraiment ? L'autrice prépare une thèse en sciences humaines, elle décide de la consacrer à l'histoire de Betsy. D'emblée sa grand-mère (fille de Betsy) lui déclare qu'elle approuve sa démarche mais qu'elle ne l'aidera pas et ne veut pas savoir ce qu'elle trouvera. Le ton est donné, Adèle Yon va se heurter au silence familial, allant du refus total aux demi-confidences et souvenirs tronqués.

    Ce qui est tangible, c'est que Betsy, est passée d'une jeune femme vive, intelligente, joyeuse, à cette personne un peu décalée, perdue, la tête déformée par deux trous voyants sur chaque coté. Elle a été internée 17 ans et lobotomisée. Pour rien.

    Au fil des recherches et des rencontres, l'autrice remonte l'histoire de son aïeule. Sa fratrie comptait dix personnes, Elisabeth a eu six enfants, ça fait pas mal de monde à interroger, même si certains ne sont plus en vie.

    Un pas en avant, trois pas en arrière, la démarche d'Adèle Yon n'est pas facile. La famille d'Elisabeth fait partie de la bonne bourgeoisie catholique, on a des principes. C'est trop étouffant pour elle qui veut être libre et attend beaucoup de la vie.

    Sa rencontre avec André, jeune homme bien sous tous les rapports, va être décisive. Elle est belle, intelligente, André tombe amoureux. L'autrice finit par entrer en possession des lettres que les fiancés échangeaient et là on sent bien que ça ne pourra pas aller. André vise ni plus ni moins la sainteté et attend la même chose de sa future épouse, qui de son côté revendique avant tout sa liberté.

    "Vous me dites que je n'aurai aucune responsabilité envers vous. Que vous le vouliez ou non, j'aurai une grande responsabilité. Car le Seigneur a voulu qu'un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre, mais jusqu'à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m'a institué tel".

    Le mariage se fera après la guerre et très vite, la situation dégénèrera. Six enfants en sept ans. Elisabeth sombre dans la dépression, ne fait pas face à ses obligations. Le conseil des médecins est de continuer à avoir des enfants, une maternité finira bien par la calmer et l'épanouir enfin.

    Evidemment, ça ne marchera pas et Elisabeth est internée à la demande son mari, avec l'accord de son père, Louis. Je ne vais pas trop en dévoiler, mais plus l'autrice entre dans l'histoire, plus elle est révoltante et glaçante.

    Ce qui se dessine c'est qu'Elisabeth n'était pas folle, mais victime d'une société patriarcale, d'un mari autoritaire et tyrannique, d'une famille toxique et d'un monde médical profondément maltraitant surtout sur le corps des femmes.

    Adèle Yon aura des moments de découragement et même abandonnera l'enquête qui la bouscule trop et mène à trop d'impasses. Toujours, un élément inattendu la fera repartir ; elle ira aussi loin que possible dans la connaissance du parcours d'Elisabeth.

    J'ai quelques réserves sur cette lecture, surtout la forme, mais il faut reconnaître qu'il frappe fort. Je l'ai lu dans un état de colère quasi-permanent devant la place assignée aux femmes et le châtiment qui les attend si elles ne s'y conforment pas. Elisabeth a pu sortir de l'internement en 1967, autrement dit quasiment hier. Comment ne pas voir que nous partons de très loin et que chaque acquis est fragile.

    Sur la forme, elle n'est pas toujours évidente. Différents types de typographie sont utilisés, par exemple pour les lettres des fiancés et également les interviews, qui mentionnent la place de chacun. J'ai eu du mal à me repérer au début.

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    J'ai failli caler au milieu du livre à cause d'une description détaillée de l'historique de la lobotomie. Pour moi elle a cassé le rythme de la narration familiale. Si j'avais su, j'aurais zappé le passage et l'aurais repris une fois la lecture terminée.

    Il reste un propos puissant, qui aborde un sujet peu traité, celui de toutes les femmes injustement enfermées. Le pire est que les médecins savaient qu'ils ne guérissaient personne. Le but était de les rendre à leurs familles dociles et conformes à ce que la société en attendait. Comment ne pas être révoltée ..

    Les avis de Cathulu Ingannmic Luocine Sandrine Sandrion etc ..

    Adèle Yon - Mon vrai nom est Elisabeth - 400 pages
    Editions du Sous-Sol - 2025

  • Le vieil incendie

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    "Aussi loin que j'arrive à remonter dans ma mémoire, Vera s'y trouve quelque part. Sauf l'enterrement de notre père, je réalise que je ne partage aucun souvenir d'adulte avec elle.

    J'ai terminé ce roman il y a quelques semaines et je me rends compte qu'il ne m'en reste pas grand chose, ce qui correspond à vrai dire à ce que j'ai ressenti pendant ma lecture.

    Il est question des retrouvailles de deux soeurs, Agathe et Véra, qui ne se sont pas vues depuis des années. Agathe vit et travaille aux Etats-Unis, comme scénariste. Elle s'est quasiment enfuie de la maison paternelle à 15 ans, n'en supportant plus l'ambiance. Elle revient dans le Périgord pour vider la maison familiale qui doit être démolie rapidement. Elles ont 9 jours.

    Véra n'a jamais quitté les lieux. Aphasique depuis l'âge de six ans, c'est devenu une jeune femme autonome qui se débrouille très bien seule. La cohabitation des deux soeurs pendant quelques jours ne sera pas facile. Elles étaient pourtant fusionnelles durant leur enfance, mais Véra a vécu le départ d'Agathe comme un abandon.

    L'histoire est faite d'entremêlements entre le présent et le passé, avec des retours en arrière fréquents, et surtout beaucoup de non-dits. Tout est vague et évanescent, la lectrice devine entre les lignes (quand elle peut).

    Je n'ai pas réussi à cerner les personnages, il m'a manqué de l'émotion, la narration est assez froide, les motivations des uns et des autres restent floues.

    Il y a pourtant de beaux passages, essentiellement sur la nature qui entoure la maison, l'atmosphère assez étouffante d'un bois, les souvenirs du père.

    Pour résumer, je suis passée complètement à côté de cette histoire. Je suis allée malgré tout jusqu'au bout, pensant avoir un déclic à un moment donné. Il n'est pas venu.

    L'avis de Cathulu, nettement plus positive que moi.

    Elisa Shua Dusapin - Le vieil incendie - 144 pages
    Editions Zoé - 2023

  • Le bruit du rêve contre la vitre

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    "Dans une AG quelconque, sûrement un rassemblement de précaires, Milou avait entendu, un jour, des types s'offusquer du terme "sans abri". "Sans domicile" "sans domicile fixe", "SDF", les mecs s'étaient écharpés pour décider quelle expression était la moins abjecte. Finalement, après une demi-heure de masturbation intellectuelle, ils étaient tombés d'accord sur le terme "marginal". C'était surréaliste : ils crevaient de faim mais tenaient à choisir le mot qu'on inscrirait à côté de leur nom dans la rubrique faits divers lorsque le Samu Social les découvrirait raides morts dans un caniveau".

    Pendant les confinements successifs durant le covid, j'étais sûre que je ne lirais jamais une ligne sur cette période-là, agaçée par des déclarations vantant l'art de rester tranquille dans sa maison de campagne et de redécouvrir la nature, le calme, la famille loin de la frénésie ordinaire etc .. etc .. trop souvent discours de privilégiés.

    Le temps passant, j'ai changé d'avis, c'est un évènement qui a marqué tout le monde, d'une manière ou d'une autre et bien traité, avec un peu de recul, il devient intéressant. J'ai aimé retrouver des sensations, des détails oubliés, l'état de sidération et d'étrangeté qui pouvait aller avec.

    Pendant qu'il était confiné dans un appartement à Paris, l'auteur a écrit douze nouvelles qui balayent assez largement les cas de figure qui pouvaient se présenter. Nous passons du tragique au comique, avec parfois un mélange des deux dans une même nouvelle.

    La première donne le ton "Les murs porteurs", avec Pélagie, une jeune femme violentée par un tyran domestique imbu de lui-même et de ses talents. Lorsqu'elle ouvre les yeux sur la "valeur" réelle de son génie de compagnon, c'est assez jubilatoire.

    Dans "La Fashion faux pas", l'auteur se moque avec une certaine malice des influenceurs youtube dans le vent. La chute est hilarante et bien amenée.

    "Les balcons fleuris" est une nouvelle qui dégage une certaine émotion à coup de banderoles, de poésie, de réconfort apporté aux autres dans un élan bienveillant, mais durera-t'il ?

    Et vous vous souvenez de l'école à la maison ? Victor se fait fort de venir à bout de ses bambins et de remplacer des enseignants notoirement incompétents, pendant que Madame va travailler à l'hôpital. Il va se prendre une bonne claque.

    "Cette fois-ci, Victor explosa. "Ta gueule ! Passe-moi quelqu'un, je veux parler à QUELQU'UN !" Et il pressa tous les boutons au hasard.
    Troisième temps de silence. Puis "Désolé, je n'ai pas compris votre réponse. Vous allez être mis en relation avec un opérateur qui traitera directement votre requête".

    Autre nouvelle touchante, celle qui a donné son titre au recueil "Je suis en train de mourir, ai-je songé, stupéfait". C'est celle qui évoque au plus près la violence de la pandémie et la rapidité de la dégradation physique, avec toutes les ruminations qui peuvent l'accompagner.

    Je ne vais pas énumérer toutes les nouvelles, elles s'enchaînent avec fluidité et nous font partager les états d'âme de personnages très différents, attachants ou pas, c'est selon. Je les ai lues avec plaisir et je me suis remémorée l'avalanche de règles plutôt rigides qui nous sont tombées dessus.

    L'avis d'Alex Anne Keisha Krol

    Merci à l'auteur et aux Editions Quadrature

    Axel Sénéquier - Le bruit du rêve contre la vitre - 141 pages
    Editions Quadrature - 2021

  • Surtensions

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    "Après douze ans à la crime du 93, il devenait compliqué pour ces flics de parler d’une rue sans la connaître pour un viol, un enlèvement ou un homicide."

    Les polars se suivent et ne se ressemblent pas. Je ne peux pas qualifier celui-là de pépère, loin s'en faut.

    J'ai aimé les deux précédents romans (ici et ) mettant en scène le Capitaine Victor Coste et je savais que je le retrouverais tôt ou tard. Voilà qui est fait avec ce troisième opus, aussi fort que les précédents.

    Victor Coste n'arrive pas tout de suite, nous avons d'abord une longue introduction sur l'univers des prisons, aussi cauchemardesque que prévu et même au-delà. Nous allons faire la connaissance de plusieurs détenus qui auront leur importance (ou pas) dans ce qui va suivre.

    Plusieurs affaires s'entremêlent ensuite, difficile à démêler, entre une soeur prête à tout pour faire sortir son petit frère de prison, une famille retenue en otage et terrorisée et quelques malfrats qui ne font pas dans la demi-mesure.

    Pas question de divulgâcher quoique ce soit ; il faut seulement savoir que c'est un des meilleurs de la série, très noir malgré les touches d'humour. L'équipe de Coste va être mise à rude épreuve, chaque membre est bien décrit avec son caractère et sa manière de réagir.

    Coste lui-même n'est pas au mieux de sa forme, après quinze ans dans le 93 il se sent usé, il n'y croit plus et songe sérieusement à démissionner. Son humanité ressort d'autant plus devant les cas de conscience qui lui tombent dessus. Toujours aussi mal à l'aise avec les sentiments, il a du mal à maintenir une relation avec Léa, la médecin légiste.

    Il n'y aura pas de happy-end, pour personne.

    Il ne faut pas oublier que l'auteur a été policier dans la vie et ce qu'il décrit doit être réaliste, ce qui fait frémir au vu de certains endroits où la vie ne vaut vraiment pas cher et ou certains individus n'ont aucune limite.

    Malgré le côté très sombre de l'histoire, j'ai été captivée par cette lecture où la tension ne faiblit pas.

    L'avis de Philippe

    Olivier Norek - Surtensions - 480 pages
    Pocket - 2017

  • Les saules

    Les Saules par Beaussault

    "On rétorque que c'est la coulée, une gamine d'ici, la Basse Motte, que c'est la famille et qu'on se lâche jamais entre culs-terreux, qu'on se serre les coudes, qu'on a des couilles, qu'on va réfléchir ensemble (comme leurs pères face aux boches) et trouver comment en finir avec ce merdier qui submerge bien plus que leurs bottes."

    Quelque part en Bretagne, à une époque non située mais qui semble être l'immédiat après-guerre, un village va être complètement bouleversé par l'assassinat d'une jeune fille de 17 ans, Marie.

    Marie est la fille unique du pharmacien qui habite la Haute Motte. Ne pas confondre avec la Basse Motte et ses habitants d'une classe inférieure, comme la famille de Marguerite, qui survit difficilement en élevant des porcs.

    Marguerite est une petite fille sale et mal peignée, jamais à la bonne place, essayant désespérément de se faire oublier partout où elle est, surtout à l'école où elle est moquée par tout le monde. Un peu simplette peut-être ou seulement différente dans un monde trop dur.

    La mort de Marie va secouer tout ce petit monde. Le policier local chargé de l'enquête est appuyé par une inspectrice venue de la ville. Tout le village ou presque va être interrogé. Personne n'a rien vu, ni rien fait, sauf que ... Marguerite, elle, a vu quelque chose, mais à son habitude elle ne dit rien, enfin pas tout de suite.

    C'est un premier roman qu'une libraire m'a fortement conseillé et je me suis laissée convaincre. On pourrait le qualifier de polar rural ou de roman noir, mais peu importe. Le côté pesant d'un trou de campagne perdu est bien rendu, les vieilles querelles, les clivages, les ragots et les classes sociales qui s'ignorent. 

    Et puis Marie c'est malheureux ce qui lui est arrivé, mais enfin, tout le monde sait bien qu'elle n'avait pas froid aux yeux et qu'elle allumait facilement la gent masculine.

    J'ai trouvé l'ensemble parfois caricatural, mais peut-être pas tant que ça et pour un premier roman il est plutôt bien construit. J'ai aimé les interrogatoires de police dont nous n'avons jamais les questions, seulement les réponses, ce qui donne une bonne idée de l'état émotionnel de certains, pas tout-à-fait nets.

    C'est surtout la petite Marguerite qui est au centre du récit, attachante, inquiète, toujours à suçoter ses manches de pull, à s'échapper avec son seul ami, Victor, un peu bizarre comme elle. Ce n'est pas facile à la maison avec son père, toujours bourru, sa mère, avare et malhabile dans des gestes qu'elle voudrait affectueux, mais qui n'arrive pas vraiment à aller au bout.

    La fin arrive un peu rapidement et ne m'a pas étonnée si l'on pense au milieu et à l'époque.

    C'est un livre qui ne se lâche pas une fois commencé ; en le refermant j'ai pensé que j'avais déjà lu cette histoire-là par ailleurs, mais il y a un ton et des personnages qui donnent envie de suivre l'autrice à l'avenir.

    L'avis d'Agnès (chez Athalie) Philippe Sandrine

    Mathilde Beaussault - Les saules - 272 pages
    Editions Seuil - 2025

  • Nos fantastiques années fric

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    "Taisez-vous, Fernandez. Tout le monde sait que c'est la guerre entre les services de police et la cellule de l'Elysée. Et la cellule c'est Grossouvre, Ménage et moi. Donc, si les RG sont au courant de cette affaire par Chardon, ils n'hésiteront pas à s'en servir pour m'abattre. Et, au passage, plomber les socialistes aux élections de mars prochain".

    Je souhaitais découvrir Dominique Manotti depuis longtemps, voilà qui est fait, avec une lecture plutôt addictive.

    L'intrigue se déroule à la fin du premier septennat de François Mitterrand. Victor Bornand est un très proche du Président, au fait de toutes les opérations au coeur de la cellule de l'Elysée, au fonctionnement plutôt opaque. C'est aussi un homme à femmes, amateur entre autres des pensionnaires d'une certaine Mado, à l'adresse bien connue du gratin parisien.

    Bornand est sur une affaire de trafic d'armes avec l'Iran, alors sous embargo. Trafic d'armes souvent couplé à celui de la drogue. Une affaire juteuse sur le point de se conclure à la grande satisfaction des parties concernées.

    Le meurtre d'une call-girl de Mado va être le grain de sable qui va gripper la machine.

    L'enquête est menée par une jeune policière, beurette selon le terme de l'époque, Noria Gozhali et un commissaire débutant, Bonfils.

    C'est une histoire complexe, truffée de magouilles, de coup bas dans le monde politico-médiatique et mafieux. Les règlements de compte sont sanglants. En filigrane, se joue le sort d'otages retenus au Liban.

    L'autrice est historienne de formation, sans doute bien documentée et c'est difficile de croire que ce genre d'histoire appartient au passé. Ça fait froid dans le dos.

    J'ai parfois eu du mal à m'y retrouver dans cette sombre galaxie tendue uniquement vers l'argent, le pouvoir et le sexe. Dès le départ nous savons que Bornand est un sale type, mais c'est encore pire que ce que je pensais. Quand on a connu cette période, c'est assez facile de mettre des noms sur quelques personnages ou un certain journal qui paraît le mercredi par exemple.

    En face, Noria et Bonfils ne lâcheront pas leur enquête, Noria a de bonnes raisons de s'obstiner, malgré la hiérarchie et les menaces.

    J'ai aimé ce roman, écrit sans fioritures, il va droit au but. Evidemment ce n'est pas brillant sur l'état de corruption de notre société et je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup de progrès depuis. Que savons-nous vraiment de ce qui se passe dans notre pays ?

    Un film a été tiré du roman "Une affaire d'Etat". Je ne l'ai pas vu.

    Dominique Manotti - Nos fantastiques années fric - 256 pages
    Rivages poche - 2021