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Littérature française - Page 4

  • Solak

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    "Si on a la chance de ne pas crever de froid ou dans une crevasse, l'autre danger blanc, plus rare, mais qu'il faut pas oublier quand même, c'est le Pater. L'ours blanc. Mâle ou femelle, c'est pareil. Sur Solak, on sort jamais sans son fusil, jamais. Attention, ça veut pas dire qu'il faut forcément lui tirer dessus. Si tu le croises, t'attends de voir comment ça se passe. Parfois ils cherchent juste leur chemin, ils te regardent avec leur tête de faux nounours mais de vrais carnivores et puis ils font demi-tour, ils te snobent de leur gros cul dédaigneux."

    Voici un premier roman marquant, surtout à cause du style, rude, direct, en phase avec l'histoire. Un huis-clos de quatre hommes sur un bout de terre inhospitalière, Solak, presqu'île balayée par les vents, au nord du cercle polaire arctique, dans la nuit totale plusieurs mois par an.

    Qui sont ces hommes ? Trois sont soldats, chargés simplement de garder un drapeau marquant l'appartenance du territoire. Si l'armée les a envoyés là, c'est qu'il valait mieux qu'ils se fassent oublier un bon moment. Seul le quatrième sait qu'il repartira au bout d'un an. C'est un scientifique, Grizzli, en mission écologique.

    L'histoire commence au moment de la rotation annuelle de l'hélicoptère chargé du ravitaillement. Il repartira avec le corps d'Igor qui n'a pas résisté au climat et à la solitude de Solak. Pour le remplacer, débarque un jeune soldat à l'air fragile et fermé, de surcroît muet.

    Le narrateur, Piotr est le plus ancien sur place, vingt ans déjà et il ne souhaite pas retourner un jour vers "les terriens". Il sait qu'il est condamné à rester ici. Le deuxième soldat, Roq est une brute, un être sans état d'âme, qui aime tuer les animaux et cherche régulièrement querelle aux autres.

    Le nouveau venu les intrigue tous, c'est encore un gosse, qu'a-t'il pu faire pour atterrir ici ? Sur ce bout du monde, entre les tâches indispensables, les quatre hommes se retrouvent dans le bâtiment commun où il fait chaud, où chacun met la main à la cuisine et aux corvées. Ils disposent aussi d'une pauvre baraque individuelle où ils dorment et se réfugient quand ils ne se supportent plus.

    L'arrivée de la jeune recrue tend rapidement l'atmosphère. Roq le regarde de travers, ne supporte pas son mutisme, ni de le voir noircir les pages de son carnet. Seul Grizzli le scientifique garde son calme et croit encore en l'humanité.

    Dès le début, une tension s'installe, qui ira en s'intensifiant, ne lâchant plus le lecteur, captivé par la description des éléments, du contexte, de l'oppression de la nuit interminable. Chacun fait des efforts pour ne pas faire exploser la situation, sauf Roq, et l'histoire va irrémédiablement vers la violence et le drame.

    J'ai été très vite embarquée dans ce huis-clos étouffant, à l'écriture à l'os, où l'environnement a autant d'importance que les personnages. Pour un premier roman, c'est noir, sombre mais assez magistral.

    J'ai juste un bémol sur la fin. En quelques pages les révélations pleuvent, il y en a un peu trop à mon goût, surtout une que j'ai trouvée moins crédible. Que cela ne vous empêche pas de le lire, l'ensemble se tient fort bien.

    Caroline Hinault - Solak - 128 pages
    Editions du Rouergue - 2020

  • Bellissima

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    "J'aimerais tant savoir avec qui elle a joué, cette fillette vive, drôle, joueuse, intelligente, et ce qu'elle a raconté à ses compagnons de voyage. Leur a-t'elle parlé de sa mère, qui l'avait déposée à la gare de Milan ? Avait-elle vu ses larmes sur les quais ou les lui avait-elle cachées, ma grand-mère biologique qui préférait savoir sa petite dernière loin d'elle, en sécurité, quitte à en avoir le coeur brisé".

    C'est avec ce roman à fort contenu autobiographique que je fais connaissance avec l'autrice. Il semblerait qu'elle reprend les thèmes de ses précédents romans, en utilisant cette fois-ci le "je".

    Elle évoque ses souvenirs d'enfant et de jeune fille dans un désordre d'époques et de générations pas toujours facile à suivre. Elevée dans une famille aimante, elle est pourtant confrontée tôt à une certaine violence. Elle en garde l'image récurrente d'un homme sans visage qui la poursuit et auquel elle a si peur de ne pas échapper. Elle avait huit ans, c'est la préfiguration d'autres violences qui jalonneront sa jeunesse.

    Violence familiale d'abord, en la personne de son père qui, d'attentif et bienveillant se transformera en brute qui cogne dur dès qu'elle devient une jeune fille. Il n'en démordra plus et n'aura pas de mots assez forts pour la rabaisser, sous le regard passif de la mère. Elle n'aura d'autre solution que la fuite vers la France dans les années 80 si elle veut vraiment s'approprier sa vie.

    Elle relie cette violence intime à la violence qui a secoué l'Italie au fil des années. Retour sur la mise à mort de Mussolini, les années de plomb, les brigades rouges, l'assassinat d'Aldo Moro, la loge P2 .. tout ce qui a occupé nos journaux dans les années d'après-guerre.

    La famille a ses propres blessures. Les traumatismes sont tus, on évite d'en parler. L'enfant a une grande affection pour ses grands-parents maternels. Ils ont adopté sa mère lorsqu'elle avait huit ans, lui permettant d'éviter les rafles des juifs. Mais savaient-ils qu'elle l'était juive, eux qui étaient notoirement fascistes ? Comme toujours, tout est plus complexe que ce que montrent les apparences.

    C'est après avoir vu l'autrice à la Grande Librairie que j'ai eu envie de la lire et j'ai aimé cette façon de mêler l'histoire de l'Italie récente à la sienne, y voyant au fond les mêmes mécanismes de violence. J'ai été touchée par son désir d'aller coûte que coûte au fond de son histoire et de l'entendre dire dans une vidéo qu'écrire ce livre lui a sauvé la vie, mais a failli la détruire.

    Simonetta Greggio - Bellissima - 288 pages
    Editions Stock - 2021

  • Deux femmes et un jardin

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    "Dis-moi, toi qui n'a jamais failli te noyer, que Mariette était peut-être un peu nigaude, mais ensuite passe ton chemin. Mariette n'était pas plus stupide, ignorante ou empotée que la plupart d'entre nous. Simplement, elle avait senti que se jouait là quelque chose de l'ordre du miracle, et moins parce qu'un hasard avait fait d'elle la dernière représentante d'une tortueuse descendance qu'à cause de ce qu'elle devait appeler plus tard la bonté de la vie. Or le miracle requiert le silence de celui qui en est l'objet, ou plus exactement, il le lui impose".

    Voici un court roman qui s'est révélé être une lecture délicate et touchante sur deux personnes dont la rencontre était improbable. L'une dans la dernière partie de sa vie, l'autre en pleine adolescence.

    Par le plus grand des hasards, Mariette, femme de ménage à Paris, a hérité d'une maison quelque part dans l'Orne, sans rien savoir de plus. Sur un coup de tête, elle démissionne et part, munie de la clef de la maison et fantasmant sur ce qu'elle va trouver à l'arrivée.

    On comprend que la vie ne l'a pas gâtée, qu'elle est habituée à ne pas en attendre grand chose, mais le choc est quand même rude à l'arrivée. C'est une toute petite maison en piteux état qui l'attend, avec un jardin abandonné, dans un hameau quasi déserté.

    Mariette est une taiseuse qui n'a pas l'habitude d'avoir de l'aide, aussi se retrousse-t'elle les manches et c'est à l'élaboration de sa nouvelle vie que nous assistons, obstinée, laborieuse et de plus plus émerveillée devant les prodigalités de la nature qui l'entoure.

    Son installation a été suivie avec curiosité par Louise, une ado qui s'ennuie à mourir dans ce hameau où son père possède une résidence secondaire. Elle en a plus qu'assez d'entendre les disputes incessantes avec sa nouvelle femme et voir s'activer Mariette l'intrigue au plus haut point.

    Je n'en dirai pas plus sur l'histoire, l'essentiel n'est pas là, mais sur la relation qui se tisse entre ces deux-là. L'écriture est belle et poétique, Mariette est un peu imprévisible, elle ne sait pas mettre de mots sur ses émotions, elles naviguent l'une et l'autre au jour le jour avec maladresse, mais tendresse mutuelle.

    Le summum est atteint avec une sortie en bicyclette où l'on voit Mariette s'arrêter tout au long de la route parce que son oeil a été capté par une fleur ou un insecte qu'elle n'a pas encore vu, sa capacité à se réjouir de tout est contagieuse.

    A souligner la qualité de l'édition, rare de nos jours. En résumé, une jolie histoire, une belle écriture, un objet-livre soigné et un moment de lecture qui réchauffe le coeur.

    "Pour la première fois peut-être de sa vie, en tout cas ce fut la première et l'unique fois que Louise l'entendit s'exprimer ainsi, Mariette dit "je" pour refuser ce qui lui avait été proposé, ce que d'autres auraient probablement considéré comme une aide inespérée et n'auraient pas compris qu'elle n'en voulût pas, préférât vivre comme elle vivait, donnant le temps et les forces qui lui restaient à un jardin, à une maison, dans lesquels elle prenait aussi le temps de contempler, d'admirer, de goûter ce qui lui était offert en retour, et qui était beaucoup plus que ce qu'elle avait jamais reçu ou espéré recevoir, si bien qu'elle n'avait besoin de rien d'autre que ce qu'elle avait déjà..."

    Anne Guglielmetti - Deux femmes et un jardin - 95 pages
    Editions Interférences - 2021