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marche

  • Highlands

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    "Sans aucun contrôle sur mon esprit, je ne peux que ressasser cette dernière séquence passée dans notre salon avec toi, mon impitoyable chérie, une matinée entière à nous déchirer à grands coups de griffes et de vérités douloureuses. Trois heures terribles où chaque mot qui sortait de nos bouches en appelait un autre pire encore, dans une sorte de courbe exponentielle, typique de ces embuscades de couple."

    Les blogueuses les plus anciennes se souviennent certainement du " Saut oblique de la truite". C'était il y a dix ans et c'est le temps qu'il a fallu pour que l'auteur nous offre un nouveau roman, cette fois-ci illustré de ses tableaux puisqu'il est également peintre, sous le nom de Rorcha.

    Changement de destination, c'est dans les Highlands que se passe le périple. Le narrateur est dans une passe difficile, après une énième dispute avec sa compagne.

    Il ne voit pas d'autre issue que de quitter l'appartement, en laissant un mot plutôt bref "Je reviens dans une semaine".

    Ce sera l'occasion de ressortir son vieux sac à dos, et de revivre enfin un voyage qu'il faisait l'été avec ses parents et dont il garde de merveilleux souvenirs. Ah les couleurs de ce loch découvert avec sa mère, resté gravé dans son esprit, son père qui l'initiait à la pêche, ce serait si bien s'il transmettait la même chose à son petit garçon.

    Le voilà parti, avec un bagage minimum, retrouvant les sensations du voyage en train, en bus, puis la marche, à l'affût de ses jeunes années.

    C'est un livre dominé par les couleurs, celles des tableaux de l'auteur, intercalées avec le texte et ses somptueuses descriptions des landes écossaises.

    Le ton peut se faire léger, ou nostalgique selon les moments, sans dissimuler l'inquiétude de fond liée à l'incertitude de l'avenir du narrateur. Inquiétude qui lui fera commettre une erreur de débutant et nous vaudra quelques chapitres angoissants, tout seul dans le brouillard, livré à des questions existentielles. 

    "Mon cerveau s'engourdit. La terreur et le froid me pénètrent simultanément, les choses vont vite et pas dans le bon sens. Je n'arrive plus qu'à fixer mon attention sur cette pluie sans fin, sur mon pull aussi saturé d'eau que les mousses dégorgeant sous mes pieds. A peine ai-je compris que j'allais devoir survivre que j'ai déjà l'impression de mourir. Et puis curieusement dans un moment pareil, j'ai sommeil, une fatigue irrésistible. Je redoute un premier symptôme d'hypotermie".

    A noter une courte préface de Grégoire Bouillier où cet extrait a éclairé mes propres impressions "A première vue les bleus sont choquants, les bruns trop fauves ; mais c'est qu'ils sont imaginaires : ils appartiennent à la peinture et à elle seule. Comme les mots, les couleurs glissent au couteau les unes sur les autres, créant de nouvelles textures émotives, des unions au sens érotique du terme. Au sens où la liberté des uns (couleurs, mots) traverse la liberté des autres sans jamais s'y fondre ou s'y diluer, fusionner ou abdiquer."

    L'objet livre est de belle qualité, très agréable à parcourir.

    Merci à l'auteur et aux Editions Gallimard

    Le site de Jérôme Magnier-Moreno

    Jérôme Magnier-Moreno - Highlands -128 pages
    Editions Gallimard (Le sentiment géographique) 2024

  • En marchant (Petite rhétorique itinérante)

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    "Une lenteur orchestrée qui fait durer le temps : ne tient-on pas là une merveilleuse définition de la marche ? Oui, la marche est un fastueux déploiement de lenteur et de silence. Lenteur pour soi, silence en soi. Et comme elle nous l'enseigne souverainement : les trois seuls vrais luxes en ce monde, où superflu et vanité pullulent, sont le temps, l'espace et le silence. Le reste n'est que fumées".

    J'ai tellement aimé "L'homme qui fuyait le Nobel" il y a quelques années, que je n'ai pas hésité à choisir le nouveau titre de l'auteur à l'occasion de la dernière opération Masse Critique. Et bien m'en a pris. Ce n'est pas un roman cette fois-ci, mais une réflexion sur ce que peut représenter la marche en général, dans le passé et aujourd'hui.

    L'auteur s'appuie autant sur ses expériences personnelles que sur les écrits des philosophes, écrivains, compositeurs etc .. l'ayant pratiquée assidûment.

    "Alexandre Dumas, lui, le dit bien dans ses mémoires. Encore jeune à l'époque, séjournant à Crépy-en-Valois, il part pédibus visiter le tombeau de Rousseau, situé à Ermenonville, à près de six lieues de là, c'est-à-dire la bagatelle de 24 kilomètres, ce qui fait tout de même une sérieuse balade aller-retour ... On sait que son ami Hugo sacrifia lui-même au voluptueux impératif de la marche quotidienne. Avait-il peur comme Eugène Sue - autre grand enjambeur de lieues - que l'obésité ne le gagne ? Toujours est-il qu'en adepte de l'hydrothérapie et de l'exercice physique, il ne dérogea que rarement à ce qu'il appelait son mille passus. Cette balade digestive, de deux heures environ, il la fit seul ou accompagné de sa chère Juliette Drouet, à Paris, dans ses divers voyages, mais aussi à Jersey et surtout Guernesey, exîle chère à son coeur."

    J'ai retrouvé l'érudition, la plume élégante qui m'avait tant plu et l'humour discret. L'auteur n'idéalise pas la marche, il prône au contraire la simplicité, nul besoin d'équipement coûteux ou de voyages lointains pour en profiter.

    Il revient toutefois sur les paysages magnifiques qu'il a pu admirer lors de ses voyages et qui l'ont laissé ébloui. Il y a des pages superbes et poétiques sur le site d'Ankhor.

    "J'eus la chance, voué à des activités variées ou plus simplement par goût, de pas mal voyager dans ce monde en quête de paysages divers, de "décors", parfois splendides, mais nul besoin d'aller jusqu'aux pôles ou en Pagagonie pour connaître l'émerveillement. Les philosophes, eux, parleraient d'étonnement, de cette stupéfaction oscillant entre volupté et douleur, d'être là, en vie, marchant sur une route, un layon en forêt, ou dans les rues d'une grande capitale, plutôt que de n'être pas."

    Mon exemplaire est hérissé de post-it, tant de passages m'ont donné envie d'y revenir tôt ou tard.

    Vous l'avez compris c'est un vrai coup de coeur, destiné aussi bien aux marcheurs en fauteuil qu'à ceux qui se lancent sur les chemins. Chacun y trouvera une inspiration.

    Je dois vous prévenir que la bibliographie finale, bien fournie, risque d'aggraver vos envies de lecture.

    Merci à Masse Critique et aux Editions Tallandier

    L'interview de Sonia Devillers (France Inter) ici

    Patrick Tudoret - En marchant - 208 pages
    Editions Tallandier - 2023

  • La fille qui voulait voir l'ours

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    "Le coeur battant, le souffle court, je choisis d'avancer. Ce doit être l'un des plus beaux moments du parcours. Le plus incertain, le plus chancelant. Une légère oscillation, un pas de l'autre côté, et c'est un saut dans l'inconnu, dans le grand dehors. Seule au sommet de cette montagne, seule sur terre devant une succession infinie de dômes verts. Je me sens si fragile. Si petite. Une goutte d'eau, un petit caillou, une fougère, un insecte. Une chose minuscule et invisible, impuissante dans le grand tout qui m'entoure."

    Katia Astafieff, marcheuse aguerrie, décide de se lancer dans le sentier des Appalaches, côté canadien, le SIA. Elle veut découvrir la fameuse wilderness, se retrouver seule au coeur de la forêt, et si possible rencontrer l'ours noir qui vit dans ces contrées.

    Ce qui caractérise ce récit de voyage, c'est l'humour de l'autrice. Dès les préparatifs on s'amuse devant ses essais de sac, de chaussures et même de culotte et de soutien-gorge. Elle essaie de ne rien laisser au hasard, dans la partie la plus profonde du sentier elle va être complètement isolée plusieurs jours, sans autres ressources que celles qu'elle portent sur son dos.

    Prévoir les vivres, les points de ravitaillement, les étapes, elle croit avoir une bonne idée de ce qui l'attend. La suite lui prouvera qu'elle n'est pas aussi bien préparée qu'elle le pense.

    Dès le premier jour elle galère, elle avance à deux à l'heure, sous une canicule imprévue. Elle fera 8 kilomètres au lieu des 25 programmés. La suite sera à l'avenant, avec toujours cette lenteur due au terrain qui monte, qui descend, sous une chaleur accablante dès le matin.

    Ce qui rend le périple sympathique c'est le naturel de la narratrice, elle ne cache pas le moins du monde ses failles et ses peurs. Les premières nuits sont affreuses, elle a peur de tout, elle imagine l'ours l'attaquer, un tueur en série lui faire la peau, elle entend des bruits suspects etc ... Ses journées sont un calvaire, elle doit s'arrêter toutes les deux minutes pour poser son sac, bref, elle est loin de son rêve initial.

    Et puis jour après jour, elle avance, sous l'oeil incrédule des quelques personnes qu'elle croise et qui ne peuvent pas croire qu'elle s'est lancée toute seule dans un telle aventure. 500 kilomètres tout de même, en un mois. Elle fera des rencontres plus ou moins agréables.

    On souffre pour elle dans certains passages en se demandant pourquoi elle s'inflige une telle épreuve et de telles frayeurs. Mais peu à peu son état d'esprit change, elle a de grands moments d'émerveillement devant la splendeur des paysages traversés et la beauté de la nature. Elle surmonte même une effrayante chute qui aurait pu lui coûter cher.

    Rencontrera-t'elle l'ours ? Ça je ne vous le dirai pas.

    Une aventure au féminin, dépaysante et sans esbroufe

    "On va au bout de soi-même et on se rend compte que c’est possible".

    Le site de l'autrice

    L'avis de Cathulu

    Katia Astafieff - La fille qui voulait voir l'ours - 256 pages
    Editions Arthaud - 2022

  • Carnets d'estives (Des Alpes au Chiapas)

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    "J'éprouvais pour la première fois le sentiment de pénétrer dans l'intimité de la montagne, d'être introduit auprès de ses habitants. Je sortis mes jumelles pour mieux les observer. Ils léchaient les pierres. Le troupeau de brebis était passé par ici quelques semaines auparavant, et du sel avait probablement été répandu sur ces pierres. Les chamois continuaient à venir les lécher. Je restais ainsi un bon moment, étendu sur l'herbe fraîche et mouillée par la rosée. Puis je finis par me souvenir que j'étais venu pour installer un parc. Je me relevai et j'essayai tout de même de gagner quelques mètres sans qu'ils me vissent."

    J'ai eu un coup de coeur pour ce récit, lu l'été dernier, mélange de souvenirs de voyages, de saisons en alpage, de réflexions et d'écologie. A 19 ans, l'auteur, étudiant en philosophie part pour la première fois comme aide-berger en alpage. Pas très bien accueilli, il s'adapte au mieux, fasciné par cette vie au plus près d'une nature authentique, logé dans une cabane rudimentaire, dépouillé de tout besoin inutile.

    Le récit alterne les saisons en alpage dans les Alpes et des voyages plus lointains, notamment dans le Chiapas au Mexique, ou dans les grands parcs nationaux américains.

    "Les heures passent et nous sommes peu à peu enveloppés par l'atmosphère envoûtante du canyon, suffisamment vaste pour que nous ne nous y sentions pas enfermés, et néanmoins suffisamment étroit et encaissé pour créer un climat d'intimité absolu. Au matin du deuxième jour, nous atteignons l'extraordinaire cascade de la Conchuda, la deuxième et la plus imposante des deux grandes chutes d'eau du canyon, avec ses piscines naturelles aux eaux d'un bleu laiteux d'une beauté irréelle, qui prennent leur source dans une rivière souterraine jaillissant des falaises quelques centaines de mètres en amont. Nous passons la journée à explorer les vasques qui s'y succèdent, à nager, à plonger dans ces eaux turquoise où se dessinent les jeux d'ombres et de lumière du ramage des arbres qui nous entourent et nous enveloppent".

    L'auteur a des convictions profondes, ne mâche pas ses mots sur les dégradations liées aux hommes, sur les paysages et sur les populations. Il n'a pas apprécié son voyage aux Etats-Unis, dans la région même ou Edward Abbey a été ranger.

    "Tel semble être le destin des peuples et des lieux à l'époque moderne ; les uns commencent par lutter contre leurs envahisseurs et finissent par vendre de l'artisanat le long des routes, les autres forment d'abord un réseau vivant de présences tantôt bienveillantes et tantôt menaçantes, pour finir par laisser place aux parkings, aux buvettes et aux parcs accrobranche. Ne voulant pas céder à la première déconvenue, je poursuivis malgré tout ma route. Mal m'en prit. Je n'avais pas encore réalisé que voyager en vélo aux Etats-Unis peut être un anachronisme coupable et que les park rangers eux-mêmes, enivrés par la toute-puissance des prothèses motorisées que le gouvernement leur octroie généreusement, n'ont la plupart du temps qu'un lointain souvenir de ce que l'on pourrait appeler les limites du corps".

    J'ai tout aimé dans ce texte, l'écriture sans artifices inutiles, les descriptions, les constats implacables, les rencontres plus ou moins heureuses. J'aurais trouvé facilement des extraits à chaque page. Ecrire ce billet me donne d'ailleurs envie de le relire sans tarder.

    "Comme nombre d'entre nous, je souhaiterais que puisse cohabiter en paix le monde paysan et le monde sauvage, que les prédateurs et les bergers puissent vivre en bonne entente, que "le loup et l'agneau puissent partager la même couche". Mais s'il me fallait choisir entre une montagne sans bergers ni moutons, pleine de loups et de touristes (avec leur sinistre cortège de sentiers d'interprétation, de parcs accrobranche, de pistes de ski et de faux paysans sentant bon l'authenticité et la sagesse), ou une montagne sans loups, mais avec une économie paysanne agro-pastorale forte et respectueuse, j'opterais pour la seconde alternative".

    Une lecture qui mérite une place de choix parmi les récits de voyage.

    Pierre Madelin, auteur et traducteur, a grandi à Cuba et à Paris. Il vit et travaille à San Cristobal de las Casas, au Mexique. Il est notamment l’auteur de Après le capitalisme et Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement (Ecosociété).

    Pierre Madelin - Carnets d'Estives - 144 pages
    Editions Wildproject - 2021