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Littérature québécoise

  • Femme forêt

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    "Derrière le comptoir, il jongle avec la vaisselle d'une famille de neuf. Il est le cirque à lui seul. Il boit des cafés et il a des éclats de verve, des pluies de phrases justes et jolies, des chemins vers cette si sensible tête, vers sa profondeur fine et fascinante.
    Mon homme est sauvé pour le moment.
    J'aime sa vastitude. J'aime ses béances sanglantes et sa douleur. J'aime ses fulgurances, les méandres de ses réflexions, ses éclats de rire et ses doigts sur le vieux piano."

    Un titre qui m'a attirée dans une librairie, une autrice dont j'ai vu d'excellents avis sur les blogs amis, il ne m'en a pas fallu plus pour repartir avec.

    J'ai plongé dans la lecture sans trop savoir à quoi m'attendre, hormis un retour à la nature. En fait, nous sommes au Québec, pendant la pandémie, évoquée juste en passant. Deux familles quittent la ville et ses interdits pour se retrouver en forêt, dans deux maisons. C'est le lieu ou la narratrice passait ses vacances dans son enfance.

    Je retiens surtout la plume très poétique, d'une beauté qui emporte. Il n'y a pas véritablement d'histoire, plutôt des fragments de vie au jour le jour. Quatre adultes et cinq enfants la cohabitation n'est pas toujours facile. Ce qui importe le plus pour la narratrice c'est d'entrer en osmose avec tout ce qui l'entoure, les arbres, le ciel, l'eau, tout ce qui la recharge et la fait vibrer.

    Elle initie ses petits aux joies simples, aux merveilles qui les entourent, sans cacher son ras-le-bol parfois, mais elle a l'amour chevillé au corps. Sa description des humains qui les entourent en est baigné.

    On devine que son mari ne va pas bien tous les jours, on sent que ça vient de loin, elle s'échappe quand il le faut et rejoint des amants de passage, sans y accorder trop d'importance.

    La narratrice fait souvent référence à des textes littéraires, notamment ceux de Francis Ponge.

    Malgré l'écriture magnifique, au bout d'un moment, il m'a manqué une histoire plus construite. Il semblerait que ce soit presque une suite à "la femme qui fuit" que je n'ai pas lu. J'aurais peut-être mieux compris si j'avais commencé par là.

    Je ne regrette cependant pas de l'avoir lu, c'est un roman original et l'écriture est superbe et lumineuse.

    "Des amis algonquins m'ont déjà expliqué quelle attitude adopter si je rencontrais un ours dans la forêt.
    J'ai retenu deux choses. Surtout, ne pas faire la morte. Je ne suis pas crédible en morte. Mais plutôt m'éloigner lentement, sans gestes brusques, en parlant à l'ours (je cherche encore quoi lui dire. Si je n'ai pas trouvé à ce moment-là, je chanterai.)
    En reculant à pas lents, repérer un arbre de confiance et y grimper. L'ours ne me suivra pas dans l'arbre".

    L'avis de Karine

    Anaïs Barbeau-Lavalette - Femme-Forêt - 288 pages
    Editions JC Lattès - 2023

  • Un grand bruit de catastrophe

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    "Louise avait huit ans lorsque les siens avaient été dépêchés à Val Grégoire afin de baptiser le plus de gens possible. Ils avaient débarqué au bout de la 385, suffisants comme des comédiens de télévision dans un théâtre d'été de province, avec beaucoup trop de valises et un sourire hardi. La congrégation, avide de saluts faciles, misait beaucoup sur le proverbial rendement des Fowley, eux qui avaient la réputation de n'avoir qu'à surprendre un regard furtif pour transformer le plus inoffensif promeneur en disciple captif".

    Val Grégoire, petite ville au nord du nord de la forêt boréale, au Canada, sous la coupe de la famille Desfossés. Val Grégoire où les habitants finissent par se convaincre qu'ils sont des ouananiches (saumon d'eau douce incapable de migrer). On ne quitte pas Val Grégoire ou alors on y revient immanquablement.

    Louise étouffe dans ce lieu et dans sa famille, bigote à outrance. Sa seule bouffée d'oxygène sont les deux copains qu'elle se fait à l'école, Marco, un Desfossés, fils du maire et Laurence, dont le frère Willy va être à l'origine de la catastrophe qui pèsera lourd pour la suite.

    L'histoire s'ouvre sur le retour improbable de Louise qui avait fini par fuir à Montréal. Elle croise Wendy, soeur de Laurence et comprend vite la situation de cette jeune femme un peu simplette, ce qui va la décider à repartir en l'emmenant avec elle.

    Plusieurs personnages prennent la parole à tour de rôle, sans souci chronologique ; à chaque narrateur et époque différente, les évènements du passé se dévoilent un peu plus jusqu'à donner une claire vue d'ensemble.

    Le coeur du livre c'est l'amitié indéfectible entre Louise, Laurence et Marco ; ils sont inséparables et les deux garçons promettent à Louise de la rejoindre lorsqu'elle part en douce pour Montréal. Ils ont en commun des familles plutôt déjantées et déstructurantes. La force de caractère de Louise leur sert de moteur.

    Les habitants de Val Grégoire suivent de près les évènements, supputent et commentent ce qu'ils croient savoir et ils n'hésiteront pas à aider Louise lorsque le moment sera venu des règlements de compte. Je dois dire que, vu tout ce qui avait précédé, j'ai apprécié la fin même si elle n'est pas morale.

    Le style de narration maintient une tension qui pousse à tourner les pages, mais ce qui m'a le plus emballée dans ce roman, c'est la langue, directe, inventive, savoureuse.

    Un auteur à découvrir.

    "Nous savions ses racines et sa souche, à Marco, et nous sentions depuis toujours qu’il aurait dû appartenir à un autre arbre généalogique. Il était né avec un patronyme qui était comme des cannettes vides attachées à ses jambes, ça faisait kakling-kakling partout où il passait. Sauf que sa réputation le concernait à peine. Il découlait, septième, d’une lignée guerrière, copie carbone des autres Desfossés, le même format, à la différence que, enfant, il exécrait la chasse parce qu’incapable de tuer et se portait, justicier, à la défense des plus vulnérables. Son père roulait les yeux de honte, ses frères l’assaillaient de pichenottes et il devint le préféré de sa mère".

    L'avis de Kathel

    Nicolas Delisle-Lheureux - Un grand bruit de catastrophe - 304 pages
    Les Avrils - 2023

  • Bivouac

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    "Le plus difficile, pour moi, ça aura été de faire la paix avec la violence. Désormais, je comprends mieux à quel point ces causes que l'on porte peuvent accaparer tout l'espace, voir chambouler nos valeurs fondamentales. Raph et Rio ont ça en commun : ils ont été des catalyseurs pour moi. Ils m'ont montré du doigt les vraies menaces mettant en péril l'Habitat. Et voir que Rio est parti à pied aux Etats-Unis, avec un mépris du danger qui semble disparu de nos tripes, depuis le temps des coureurs des bois ! Ça me jette à terre, cet esprit de fronde là. Valentin ne fait pas le poids, il mène les bêtes à l'abattoir, enterre les veaux morts, il ne se révolte pas. Deux à un."

    Dernier volet d'un triptyque, après "Encabanée" et "Sauvagines", nous retrouvons Anouk, entraînée dans une lutte collective pour sauver un bout de forêt, dans le Kamouraska.

    Elle a passé l'hiver dans une yourte, en compagnie de son amoureuse, Raphaëlle et elles rejoignent maintenant une communauté agricole qui expérimente une nouvelle façon de vivre et travailler en totale harmonie avec la nature.

    Parallèlement, nous suivons Riopelle, activiste écologiste convaincu, déjà croisé dans "Encabanée". Il est obligé de fuir après une opération pacifiste qui a mal tourné. Il pense à la "femme renard", Anouk, avec qui il a connu une brève mais intense passion. Bien sûr, nous nous doutons que la route de Riopelle et Anouk va à nouveau se croiser.

    Deuxième lecture québécoise consécutive et même plaisir de retrouver une écriture particulière et des personnages attachants. De quoi se rendre compte qu'au Canada aussi, la population ne pèse pas lourd devant les intérêts économiques. La construction d'un oléoduc va détruire une partie de forêt, dont un vieux pin de 500 ans. La résistance s'organise autour de la défense du site.

    Anouk et Raphaëlle passent d'abord un certain temps dans la communauté agricole, jusqu'à ce qu'Anouk comprenne qu'elle n'est pas faite pour cette vie-là et que, si Raphaëlle est la femme de sa vie, elle n'est pas pour autant prête à renoncer aux hommes. Elle non plus n'a pas oublié le bref passage de Riopelle dans sa cabane. Embrouilles en vue, à moins que ...

    Dans ce roman, j'ai surtout apprécié l'aspect lutte écologiste. Voir comment les plus radicaux s'organisent, luttent, préparent leurs actions, sont toujours sur le qui-vive m'a passionnée. Ils y sacrifient beaucoup, mais sont convaincus. Les descriptions de la forêt, des animaux, de la biodiversité montrent l'urgence à les sauver tant qu'il est encore temps.

    Le côté romanesque de l'histoire permet d'alléger un contexte assez désespérant, même si je l'ai trouvé parfois un peu trop envahissant. Une forte tension s'installe, la confrontation des écologistes et de la société pétrolière va virer au drame. Je n'en dirai pas plus.

    La trilogie est très réussie, c'est aussi la découverte d'une belle plume et d'une autrice talentueuse. Si chaque roman peut se lire séparément, c'est mieux de les suivre dans l'ordre.

    L'avis de Cathulu

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    Festival America - Septembre 2022

    Gabrielle Filteau-Chiba - Bivouac - 368 pages
    Editions Stock - 2023

  • Le roitelet

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    Coup de coeur

    "Après deux verres de vin je me suis demandé si ma vie allait durer longtemps. C'est une question qui me revient souvent lorsque j'ai peur de perdre mon bonheur. Pendant une minute ou deux j'ai eu peur aussi de cesser d'être aimé, voilà ce qui vous arrive quand vous avez eu une enfance insatiable. Et soudain, je n'ai plus pensé à ces choses-là parce que le chien, en se retournant dans son sommeil, a dégringolé de son monticule. C'était trop drôle de le voir rouler ainsi, comme une grosse pierre dans un éboulis. Ensuite il s'est remis sur ses pattes puis il est venu se blottir contre ma jambe, et pour la cinquième ou sixième fois de la journée j'ai été plus heureux que prévu."

    Après "Le jour des corneilles" et "La fabrication de l'aube" je retrouve la magnifique écriture de Jean-François Beauchemin. Ces soixante-trois courts chapitres m'ont tellement touchée que je me demande comment décrire au juste ce que j'ai ressenti.

    Je crois que je ne vais pas essayer et m'appuyer sur plus d'extraits que d'habitude. Le coeur du livre est la relation de l'auteur, la soixantaine, avec son frère, schizophrène, un peu plus jeune. Ils habitent le même village et se voient souvent.

    Schizophrénie
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    "Hier soir, tandis qu'il marchait à mes côtés dans la campagne, mon frère, comme devinant ma pensée, m'a dit ces choses troublantes "On dirait que Dieu, après avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière. C'est en vain que je l'appelle et le prie d'y rétablir l'éclairage". Puis, montrant du doigt les champs environnants : "Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne".

    L'auteur décrit ici sa vie de tous les jours, avec sa femme Livia, son chien et son chat. Il raconte sa manière d'être au monde, ses interrogations, ses observations et son souci constant de son frère. Ce sont les passages les plus poignants, beaux malgré la souffrance et l'impuissance.

    "Une heure s'était écoulée lorsqu'à la fin j'ai enroulé mon frère dans la serviette et saisi le peigne pour au moins tenter de donner une forme à cette chevelure insurgée. C'est ce moment qu'il a choisi pour prononcer ces mots déchirants de lucidité : "Je suis un puits sans fond. J'ai beau fouiller en moi, je n'aperçois rien qu'une nuit profonde. Je suis perdu". Et moi, l'écrivain, le spécialiste des mots, je n'ai pas su quoi lui répondre. Le soir tombait. De la forêt toute proche nous parvenaient les premiers hululements d'un hibou".

    Son frère travaille dans une jardinerie, il est proche de la nature, des plantes et des oiseaux, d'une sensibilité exacerbée. Ses réflexions sont souvent stupéfiantes d'intelligence. Mais quand surgissent les terribles crises d'angoisse, plus rien ne peut le calmer.

    Il y a une grande délicatesse dans ce récit, une tendresse infinie et de la compréhension. Mon exemplaire est hérissé de post-it. C'est un texte à lire et à relire.

    "Franchement, j'ignore si tu vivras encore longtemps dans ce corps et avec cet esprit. Chose certaine, une phrase de ta mère t'accompagnera jusqu'au bout. "Réfléchis, mais ne fait pas que réfléchir ; émerveille toi aussi. Emerveille toi, mais ne fais pas que t'émerveiller ; réfléchis aussi". Ça sera la grande affaire de ta vie".

    L'avis de Cathulu

    Jean-François Beauchemin - Le roitelet - 144 pages
    Editions Quebec Amérique - 2023

  • On a tout l'automne

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    "Kingnguq
     (Ressentir le besoin de ce qui est disparu)
    La question qui me revenait de plus en plus souvent en tête : existait-il une façon de renouer avec eux ? Sans leur dire quoi faire, cette fois. Plutôt en leur laissant la parole, en écoutant leurs histoires. Faire un bout de chemin pour les retrouver dans leur langue".

    Si vous avez lu "Nirliit" vous retrouverez ici la même narratrice, dans un rôle légèrement différent.

    Elle était venue assurer un camp d'été à Salluit, dans le Nunavik (grand nord Canadien) où elle découvrait les injustices envers la communauté Inuit et leur peu de chances de s'en sortir.

    Cette fois-ci, elle choisit de revenir à l'automne, et d'animer des ateliers de poésie en inuttitut, langue qu'elle s'efforce d'apprendre depuis quelque temps et qui la met en position d'être à son tour épaulée par les enfants. Ce sont maintenant de jeunes ados et elle est curieuse de voir leur évolution.

    Elle retrouve Maggie, Sarah, Louisa, Elisapie et Nathan. Ils sont également heureux de la revoir, même s'ils restent assez réservés sur la vie qu'ils mènent.

    "Inuulirvik
    (Naissance. Espace-temps où être dorénavant un humain).
    Un joyeux bordel règne chez Nathan. Dans le vestibule, le tapis disparaît presque sous une montagne de bottes de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Accrochés à la rampe d'escalier, des enfants s'entraînent à sauter de plus en plus haut. Au salon, des bambins se chamaillent comme des chiots,culbutant les uns sur les autres avec un plaisir sans cesse renouvelé.
    Je devrais être gênée, comme dans n'importe quelle fête, mais tout le monde se fout des mondanités ici".

    La narratrice est à un moment difficile de sa vie, elle ne se remet pas de la mort récente de sa mère. Il y a aussi Gabriel, l'amoureux, dont elle aimerait un peu plus d'engagement.

    La nature est très présente, le froid arrive, les occupations sont différentes et la jeune femme toujours intéressée de découvrir le mode de vie des autochtones. Elle essaie de saisir ce qui se passe derrière leurs silences et leurs comportements déroutants.

    L'écriture est délicate et poétique, tout en décrivant sans fard la réalité sociale et les difficultés de la communauté Inuit. L'apprentissage de l'’inuttitut et les poésies écrites par les enfants permettent d'entrer plus en profondeur dans leur coutumes et leur mode de pensée.

    Un reproche cependant, si tous les passages en langue inuttitut sont traduits, il n'en est pas de même pour l'anglais. Ce n'est peut-être pas un problème au Canada, mais j'ai passé trop de temps à chercher les traductions.

    Pour terminer, j'ai choisi un poème et sa traduction.

    Le poème Nunaapiga présenté dans le chapitre 6 a été composé par Nicolas Pirti-Duplessis, qui a généreusement permis son utilisation. La traduction est de Marc-Antoine Mahieu, en collaboration avec l'auteure.

    Nunaapiga                                      "Mon cher petit territoire
    Sila allaqijuq                                    Le temps est clair
    suurlu urquujumiittugut                   On pourrait se croire dans un endroit chaud
    Kisiani uluakka aupalingajuuk           Si mes joues n'étaient pas devenues rouges
    Pualuukka piirukkik                          Je pourrais perdre mon index
    sirlaapik                                          Si je retire mes mitaines
    suurlu tukiirsilangajunga                   Juste un instant
    Tamanna qanuingngilaq, piugigakku   Ça ne fait rien
    nunaqarviga                                     Je le trouve beau
                                                           Mon territoire"

    challenge minorités ethniques

    Juliana Léveillé-Trudel - On a tout l'automne - 216 pages
    Editions La Peuplade - 2022

  • La fille qui voulait voir l'ours

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    "Le coeur battant, le souffle court, je choisis d'avancer. Ce doit être l'un des plus beaux moments du parcours. Le plus incertain, le plus chancelant. Une légère oscillation, un pas de l'autre côté, et c'est un saut dans l'inconnu, dans le grand dehors. Seule au sommet de cette montagne, seule sur terre devant une succession infinie de dômes verts. Je me sens si fragile. Si petite. Une goutte d'eau, un petit caillou, une fougère, un insecte. Une chose minuscule et invisible, impuissante dans le grand tout qui m'entoure."

    Katia Astafieff, marcheuse aguerrie, décide de se lancer dans le sentier des Appalaches, côté canadien, le SIA. Elle veut découvrir la fameuse wilderness, se retrouver seule au coeur de la forêt, et si possible rencontrer l'ours noir qui vit dans ces contrées.

    Ce qui caractérise ce récit de voyage, c'est l'humour de l'autrice. Dès les préparatifs on s'amuse devant ses essais de sac, de chaussures et même de culotte et de soutien-gorge. Elle essaie de ne rien laisser au hasard, dans la partie la plus profonde du sentier elle va être complètement isolée plusieurs jours, sans autres ressources que celles qu'elle portent sur son dos.

    Prévoir les vivres, les points de ravitaillement, les étapes, elle croit avoir une bonne idée de ce qui l'attend. La suite lui prouvera qu'elle n'est pas aussi bien préparée qu'elle le pense.

    Dès le premier jour elle galère, elle avance à deux à l'heure, sous une canicule imprévue. Elle fera 8 kilomètres au lieu des 25 programmés. La suite sera à l'avenant, avec toujours cette lenteur due au terrain qui monte, qui descend, sous une chaleur accablante dès le matin.

    Ce qui rend le périple sympathique c'est le naturel de la narratrice, elle ne cache pas le moins du monde ses failles et ses peurs. Les premières nuits sont affreuses, elle a peur de tout, elle imagine l'ours l'attaquer, un tueur en série lui faire la peau, elle entend des bruits suspects etc ... Ses journées sont un calvaire, elle doit s'arrêter toutes les deux minutes pour poser son sac, bref, elle est loin de son rêve initial.

    Et puis jour après jour, elle avance, sous l'oeil incrédule des quelques personnes qu'elle croise et qui ne peuvent pas croire qu'elle s'est lancée toute seule dans un telle aventure. 500 kilomètres tout de même, en un mois. Elle fera des rencontres plus ou moins agréables.

    On souffre pour elle dans certains passages en se demandant pourquoi elle s'inflige une telle épreuve et de telles frayeurs. Mais peu à peu son état d'esprit change, elle a de grands moments d'émerveillement devant la splendeur des paysages traversés et la beauté de la nature. Elle surmonte même une effrayante chute qui aurait pu lui coûter cher.

    Rencontrera-t'elle l'ours ? Ça je ne vous le dirai pas.

    Une aventure au féminin, dépaysante et sans esbroufe

    "On va au bout de soi-même et on se rend compte que c’est possible".

    Le site de l'autrice

    L'avis de Cathulu

    Katia Astafieff - La fille qui voulait voir l'ours - 256 pages
    Editions Arthaud - 2022

  • Sitka

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    "Sitka lèche le plancher autour de la chaise haute, tandis que la rouquine babillante qui y trône laisse joyeusement tomber des miettes pour la chienne-louve. Le gueuleton avalé, la bête lèche aussi les orteils du bébé, puis ses doigts potelés tendus vers elle. Chatouille. La reine rit aux éclats."

    Cette courte nouvelle est une bonne entrée en matière dans l'écriture et l'univers de l'autrice. On y fait la connaissance d'une chienne-louve, Sitka, farouchement attachée à une petite rouquine et à son père, qu'elle appelle le mâle alpha.

    Cette période prendra hélas fin rapidement et Stika passera dans différentes mains moins bienveillantes, loin du foyer d'origine. Elle changera de nom plusieurs fois au gré de ses propriétaires, retournera aussi à une vie totalement sauvage, rendue féroce par la méchanceté des hommes.

    Elle n'a pas oublié la petite reine du début et espère la retrouver un jour, sans se rendre compte qu'elle s'en éloigne toujours plus ; le Canada est grand.

    C'est un texte qui se lit d'un trait, emportée par l'écriture poétique et la beauté de la nature décrite. Le choix de la narration du point de vue de Stika nous rend l'ampleur des difficultés plus palpable.

    "La chienne-louve sait faire la différence entre les forêts saines et les forêts fausses, celles qu'on plante pour les couper encore.
    Elle marche, aujourd'hui, une de ces forêts vides qui suent l'homme piégeur. Linéaires, sans arbrisseaux, privée de couvert et délaissée des êtres ailés. Des rangées d'arbres tous pareils. Ils sentent quand même bon. Ils sentent la vie d'avant. Et se mêlent, petit à petit, aux reines boréales qui n'ont pas peur des vents les plus froids. Elles qui ploient sans grincer ni perdre tête. Entre leurs branches déployées, un chant, un sifflement aïgu."

    De la même autrice : Encabanée Sauvagines
    Le 3e volet de la trilogie "Bivouac" paraîtra en Février 2023

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    Festival América - Septembre 2022

    Gabrielle Filteau-Chiba - Sitka - 64 pages
    Editions XYZ - 2022

  • Indice des feux

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    "Mais personne en a rien à foutre de ce que je veux. Ça fait un bout de temps que j'ai compris ça. Ma mort m'appartient pas vraiment. Tout le monde veut en faire sa chose. Son jouet, sa bébelle. Avoir son mot à dire, son moment spécial, son souvenir impérissable. Tout le monde en veut un morceau. Mais crisse que je suis écoeuré de partager. Je veux juste qu'on me sacre patience de temps en temps, pis qu'on sorte de ma bulle, pis qu'on me laisse crever en paix.Quand Francine met tout le monde dehors, on dirait qu'on m'enlève un piano à queue en marbre du chest. Mes côtes de décoincent, se décrispent. Mes poumons se déplient. Je respire, ça fait de l'air".

    Voici un recueil québécois de sept nouvelles ayant pour toile de fond les désastres écologiques potentiels en cours et à venir. Pas de panique, ces textes ne sont ni culpabilisateurs, ni moralisateurs, sans pathos gratuit. L'auteur entremêle subtilement évènements personnels et problèmes collectifs.

    La première nouvelle frappe très fort, avec un jeune garçon de 16 ans atteint d'un cancer inguérissable. Les premières pages décrivent un adolescent plein de vie, puis l'inexorable dégradation physique, la dureté des traitements, le rétrécissement total de son monde. Parallèlement la pluie tombe dehors, les inondations sévissent un peu partout, sans que l'on sache où cela va s'arrêter.

    Lorsqu'il en a encore la force, l'ado dissèque l'attitude de son entourage, leur changement de regard sur lui. Isolé sur son lit d'hôpital, il suit la progression de la montée des eaux à la radio, laissant le lecteur secoué devant son impuissance.

    Ma nouvelle préférée, ou devrais-je dire mon personnage préféré est Louis, enfant, puis jeune homme surdoué, promis à un avenir radieux, couvé par sa famille qui en attend beaucoup. Il suit une trajectoire parfaite, jusqu'au moment où il s'éloigne progressivement de la voie qui lui était tracée, pour en suivre une autre, moins brillante socialement, mais plus en phase avec le dérèglement de la planète et les aspirations profondes de Louis.

    L'histoire nous est racontée par le frère de Louis, d'abord en colère après ce qu'il estime être un gâchis, puis comprenant ses motivations et acceptant ses décisions, aussi radicales soient-elles.

    Les autres nouvelles sont tout aussi intéressantes, une ou deux sont un peu plus faibles, mais c'est souvent le cas dans ce genre littéraire, ce n'est pas un problème.

    Ce qu'il faut retenir c'est que pour une première publication, c'est excellent, plein d'émotions, on s'attache avant tout aux personnages, tout en comprenant les enjeux de certains changements et l'apparition de nouvelles préoccupations dans la vie de tout un chacun.

    Seule la première nouvelle utilise pleinement le langage québécois, les autres retrouvent un style plus classique. Un glossaire à la fin permet de comprendre sans difficulté les expressions les plus courantes. 

    "Il a poursuivi avec une suite de conclusions logiques (pour lui) enchaînées rapidement comme si elles relevaient de l'évidence. Un charabia qui sonnait à peu près comme :
    - C'est simple O.K. ? pas de connaissances, pas de reconnaissance. Pas de reconnaissance, pas de lien. Pas de lien, pas d'amour. Pas d'amour, pas de sollicitude. Pas de sollicitude, pas de respect. Pas de respect, mais de sens du devoir moral, pas d'instinct protecteur. Voilà. Simple comme ça. Il faut reprendre du tout début. Partir de la relation".

    "Indice des feux" a reçu le prix du roman écologie 2022.

    Et encore une belle découverte aux Editions La Peuplade.

    L'avis de Ariane Delphine-Olympe Ingannmic Kathel

    Antoine Desjardins - Indice des feux - 360 pages
    La Peuplade - 2021

  • Sauvagines

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    "Tu arrives chez moi à pied, par derrière. Il y a une entrée pas loin où tu caches ton véhicule pour braconner près de la pourvoirie, mais tu as aussi un stationnement à l'abri des regards près du chalet de Lionel, au bord de la rivière aux Perles. Si par au moins deux fois tu es venu rôder en mon absence, c'est que tu m'étudies depuis un certain temps".

    Raphaëlle Robicheau est agente de protection de la nature dans le Kamouraska, au nord-est du Québec, au coeur de la forêt boréale. Elle y vit dans une cabane, dans un environnement qui la comble. La quarantaine, solitaire, on devine entre les lignes qu'elle a eu affaire à la violence des hommes et qu'elle a choisi volontairement de s'éloigner pour se consacrer à la défense de la faune et de la forêt. Elle préfère la compagnie des animaux à celle de ses contemporains, exception faite pour certains, comme son vieil ami Lionel, qui veille sur elle mieux qu'un père.

    La première réflexion qui m'est venue est que la Canada n'est pas plus actif que nous dans la lutte contre la diminution de la biodiversité et la protection de la nature. Les coupes de bois sont ravageuses, remplacées par des essences qui rapporteront rapidement. Le braconnage est plus que toléré, les dates de chasse pas respectées, puisqu'il est même permis de tirer des espèces en voie de disparition.

    Lorsque son chien, Coyote, est pris au piège dans un collet, Raphaëlle ne décolère pas, et détruit un site de braconnage où elle trouve un vrai charnier qui atteste de l'ampleur du problème. Dès lors, elle se met en tête d'arrêter le responsable. Difficile dans ce coin perdu, où ce sont souvent une ou deux familles qui font régner leur loi au vu et au su de tous. Elle ne sera pas soutenue par l'office qui l'emploie, en réalité quasiment impuissant.

    Lorsqu'elle s'aperçoit que le braconnier est sur ses traces et qu'elle est devenue proie à son tour, commence un jeu dangereux qui va la mener loin.

    Dans son désarroi et sa peur, elle va trouver un appui en rencontrant Anouk, personnage principal d'"Encabanée", aussi solitaire qu'elle, déterminée à l'aider. Entre les deux femmes il y aura plus qu'une amitié, l'amour s'en mêle, trop heureuses qu'elles sont de se découvrir tant d'affinités.

    Tout comme dans "Encabanée", j'ai apprécié les tournures de langage québécois, les magnifiques descriptions de la vie en pleine nature, les moments de poésie et de beauté. Mais ce n'est pas une histoire douce et paisible, la colère est omniprésente, la violence aussi. Il y a des scènes difficiles à supporter, la souffrance animale y est décrite sans fard mais sans complaisance. Sans parler de la violence des individus.

    La stratégie trouvée par Raphaëlle pour se débarrasser du braconnier et retrouver sa forêt n'est pas des plus simples. Elle installe un suspense fort et des sentiments ambivalents.

    Une lecture qui tient les promesses d'Encabanée. Il va falloir attendre un an avant la parution en France du dernier roman de la trilogie "Bivouac" qui vient de sortir au Canada.

    "J'aimerais que les avions de l'armée canadienne servent, plutôt qu'aux desseins américains, à parcourir notre espace vital pour dénombrer les survivants. Bon sang, faites au moins un inventaire faunique avant de décider de lever les quotas de piégeage de nos beautés boréales ! Combien en reste-t'il, de renards arctiques ? Puis à quel parallèle s'arrêtent véritablement les coupes à blanc ? Autre question : pourquoi est-il plus important de traverser l'Atlantique en avions de guerre que d'installer l'électricité dans les réserves indiennes une fois pour toutes ?

    Lecture commune avec Sandrine

    Gabrielle Filteau-Chiba - Sauvagines - 368 pages
    Editions Stock - 2022

  • Un hiver de coyote

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    "Ce choix était absurde. Même un technicien québécois ne pouvait être bienvenu dans un tel contexte. Alors que dire d'une jeune novice étrangère ?! En cumulant tous les handicaps, je concentrais toutes les hostilités. Celle de Bruno était exprimée sans détours par un regard mauvais destiné à accélérer mon retour en braillant à Québec pour laisser la place aux hommes, aux vrais. Celle de Laurier était moins évidente mais tout autant palpable. Il ne me regardait pas, ne me demandait rien, n'évoquait pas notre prochaine saison de terrain. A quoi bon ? Il comptait bien se débarrasser de moi au plus tôt comme il l'avait fait avec les précédents incompétents envoyés par Philippe. A charge pour ce dernier de lui trouver un équipier plus crédible après mon départ".

    Pour le dernier billet lecture de l'année, je vous emmène en Gaspésie (Québec) au coeur de l'hiver, en compagnie d'une jeune biologiste qui va devoir étudier le comportement des coyotes, dont elle ignore tout, en compagnie d'un professionnel chevronné qui ne veut pas d'elle.

    Il faut dire qu'elle cumule les défauts à ses yeux : c'est une femme, biologiste et de surcroît Française de France. Il va s'arranger pour la faire dégager en moins d'une semaine. Il n'a pas besoin de se forcer pour se montrer odieux, il a un caractère épouvantable.

    Il faut avouer que de son côté, Marie s'est lancée à l'aveuglette. Elle a enjolivé juste un peu son CV pour avoir le job et se rend compte sur place qu'elle ne sera pas à la hauteur.

    Mais elle a de la ressource et elle va s'accrocher, malgré les multiples vexations et les difficultés, dont la première n'est pas la moindre : maîtriser une moto-neige, sous l'oeil atterré de son collègue.

    J'ai adoré cette lecture pleine d'humour. Confrontation savoureuse, expressions québécoises bien senties ... (sans que ce soit un obstacle à la compréhension). Et c'est la saison idéale pour s'imaginer seule dans une cabane perdue, avec un compagnon porc-épic, entourée de neige et transie de froid.

    Il semblerait que ce récit soit autobiographique, je n'ai pas compris s'il était légèrement romancé ou pas, ce qui au fond n'a pas beaucoup d'importance.

    L'autrice a un CV bien fourni, j'espère qu'elle va continuer dans l'écriture.

    "Mais coudonc, qu'est-ce que t'es allée tataouiner dans le bois ?! Tu ne le sais donc pas que c'est plein de branches qui peuvent te crever un oeil ? Tu crois que je n'ai rien de mieux à faire que te secourir si t'es blessée ? Mais, maudit, toi t'en as qu'une de chose à faire : ne pas te faire mal ! C'est trop difficile à comprendre pour toi une affaire de même ? Il faut que je te l'explique comment ? Tu-ne-vas-pas-dans-le-bois. Tu-ne-te-crèves-pas-un-oeil. Tu-ne-me-compliques-pas-la-tâche, m'a-t'il asséné en détachant bien les syllabes. C'est-tu assez clair pour toi cette fois-ci ?!"

    Marie-Lazarine Poulle - Un hiver de coyote - 200 pages
    Editions Transboréal - 2021