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la peuplade

  • Indice des feux

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    "Mais personne en a rien à foutre de ce que je veux. Ça fait un bout de temps que j'ai compris ça. Ma mort m'appartient pas vraiment. Tout le monde veut en faire sa chose. Son jouet, sa bébelle. Avoir son mot à dire, son moment spécial, son souvenir impérissable. Tout le monde en veut un morceau. Mais crisse que je suis écoeuré de partager. Je veux juste qu'on me sacre patience de temps en temps, pis qu'on sorte de ma bulle, pis qu'on me laisse crever en paix.Quand Francine met tout le monde dehors, on dirait qu'on m'enlève un piano à queue en marbre du chest. Mes côtes de décoincent, se décrispent. Mes poumons se déplient. Je respire, ça fait de l'air".

    Voici un recueil québécois de sept nouvelles ayant pour toile de fond les désastres écologiques potentiels en cours et à venir. Pas de panique, ces textes ne sont ni culpabilisateurs, ni moralisateurs, sans pathos gratuit. L'auteur entremêle subtilement évènements personnels et problèmes collectifs.

    La première nouvelle frappe très fort, avec un jeune garçon de 16 ans atteint d'un cancer inguérissable. Les premières pages décrivent un adolescent plein de vie, puis l'inexorable dégradation physique, la dureté des traitements, le rétrécissement total de son monde. Parallèlement la pluie tombe dehors, les inondations sévissent un peu partout, sans que l'on sache où cela va s'arrêter.

    Lorsqu'il en a encore la force, l'ado dissèque l'attitude de son entourage, leur changement de regard sur lui. Isolé sur son lit d'hôpital, il suit la progression de la montée des eaux à la radio, laissant le lecteur secoué devant son impuissance.

    Ma nouvelle préférée, ou devrais-je dire mon personnage préféré est Louis, enfant, puis jeune homme surdoué, promis à un avenir radieux, couvé par sa famille qui en attend beaucoup. Il suit une trajectoire parfaite, jusqu'au moment où il s'éloigne progressivement de la voie qui lui était tracée, pour en suivre une autre, moins brillante socialement, mais plus en phase avec le dérèglement de la planète et les aspirations profondes de Louis.

    L'histoire nous est racontée par le frère de Louis, d'abord en colère après ce qu'il estime être un gâchis, puis comprenant ses motivations et acceptant ses décisions, aussi radicales soient-elles.

    Les autres nouvelles sont tout aussi intéressantes, une ou deux sont un peu plus faibles, mais c'est souvent le cas dans ce genre littéraire, ce n'est pas un problème.

    Ce qu'il faut retenir c'est que pour une première publication, c'est excellent, plein d'émotions, on s'attache avant tout aux personnages, tout en comprenant les enjeux de certains changements et l'apparition de nouvelles préoccupations dans la vie de tout un chacun.

    Seule la première nouvelle utilise pleinement le langage québécois, les autres retrouvent un style plus classique. Un glossaire à la fin permet de comprendre sans difficulté les expressions les plus courantes. 

    "Il a poursuivi avec une suite de conclusions logiques (pour lui) enchaînées rapidement comme si elles relevaient de l'évidence. Un charabia qui sonnait à peu près comme :
    - C'est simple O.K. ? pas de connaissances, pas de reconnaissance. Pas de reconnaissance, pas de lien. Pas de lien, pas d'amour. Pas d'amour, pas de sollicitude. Pas de sollicitude, pas de respect. Pas de respect, mais de sens du devoir moral, pas d'instinct protecteur. Voilà. Simple comme ça. Il faut reprendre du tout début. Partir de la relation".

    "Indice des feux" a reçu le prix du roman écologie 2022.

    Et encore une belle découverte aux Editions La Peuplade.

    L'avis de Ariane Delphine-Olympe Ingannmic Kathel

    Antoine Desjardins - Indice des feux - 360 pages
    La Peuplade - 2021

  • Les ombres filantes

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    "Regarde-les, s'assombrit Janot en levant le menton vers les autres. Regarde-les, ça ne fait pas encore un an qu'on est ici et c'est comme si le monde d'avant n'était plus qu'un vieux souvenir. On dirait presque que ça fait leur affaire. Quand je pense qu'on aurait assez d'essence dans le cabanon pour remplir les réservoirs des véhicules qu'on a cachés sous des branches au débarcadère, je me dis qu'il vaudrait peut-être mieux retourner au village".

    Nous retrouvons ici le narrateur de "le fil des kilomètres" et "le poids de la neige". Nous n'avons pas plus d'éléments sur ce qui se passe dans le pays (le Québec). Une panne d'électricité géante a entraîné une succession de dysfonctionnements, manque d'essence, manque de vivres, errance de la population, constitution de petits groupes plus ou moins dangereux. C'est chacun pour soi pour la survie en attendant une hypothétique issue.

    Le narrateur a passé l'hiver dans une maison sous la neige, les jambes brisées après un accident. Il est remis plus ou moins sur pied et c'est dans la forêt que nous le retrouvons, décidé à rejoindre des membres de sa famille, oncles et tantes. Il sait qu'ils sont réfugiés au camp d'été où il passait ses vacances enfant, loin de tout, vivant de chasse et de pêche.

    Ce troisième opus est aussi bon que le précédent. Après l'hostilité de l'hiver et de la neige, c'est à la forêt profonde que se confronte le voyageur, devant se méfier à la fois de la nature et des hommes. Il chemine seul, jusqu'à ce qu'un curieux gamin de 12 ans se trouve sur son chemin. Seul lui aussi, il aide le narrateur à sortir d'un mauvais pas. Il paraît se débrouiller dans toutes les situations, ne parle pas de lui ou raconte des histoires différentes, mais ne lâche plus l'homme qui finit par accepter sa présence.

    Malgré le contexte post-apocalyptique, la nature a la part belle dans cette histoire. Le narrateur aime sentir la forêt autour de lui, sa végétation, le silence, les présences furtives, avec toujours en tête l'île ou il retrouvera les siens. Mais sera-t'il bien accueilli ? D'autant qu'il arrive avec un enfant, ils représentent deux bouches de plus à nourrir.

    J'ai retrouvé avec plaisir l'ambiance qui m'avait conquise dans "le poids de la neige", un mélange de contemplation et même d'une fusion avec les éléments naturels et par ailleurs le poids des relations humaines. Chaque rencontre a son lot d'inquiétude, génératrice d'entraide ou de violence. Et pour tous ces gens, l'espoir de retrouver un jour une situation normale.

    Dans ce dernier opus, le narrateur fait l'expérience d'une relation quasiment paternelle envers l'enfant, malgré leurs multiples accrochages et coups de colère, réservant une fin puissante et bouleversante.

    Une trilogie à découvrir sans hésitation.

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    Christian Guay-Poliquin - Les ombres filantes - 344 pages
    La Peuplade - 2021