"Je l’aime comme ma fille, dit-elle, sans atténuer la dureté de son ton, comme si l’amour était aussi un devoir désagréable. Le mariage la canalisera peut-être. Pas le couvent. »
Après ma lecture de Someone, je n'ai pas tardé à revenir vers Alice McDermott, pressée de retrouver le ton et la chaleur humaine qui m'avait tant plu précédemment.
J'avais quelque appréhension à cause du contexte où se déroule l'histoire : un couvent, des bonnes soeurs, un drame, une jeune veuve accablée, le spectre de la misère .. j'aurais dû faire plus confiance à l'autrice et à sa capacité d'illuminer n'importe quel sujet.
Dans les années 1900, toujours à Brooklyn, un homme prépare soigneusement son suicide. Il envoie sa femme à l'extérieur et quitte ce monde en provoquant un incendie. A son retour, Annie découvre le désastre. La voilà seule, enceinte et totalement désemparée.
Soeur Saint-Sauveur qui passait par là va prendre les choses en main. C'est une bonne soeur au grand coeur, qui s'est forgée sa propre idée de l'église et de Dieu et ne craint pas n'enfreindre quelques règles injustes à ses yeux.
Elle prend les premières décisions pour ne pas laisser Annie dehors, s'entête à vouloir faire enterrer religieusement le défunt, calmer les voisins victimes de l'incendie. Les soeurs sont connues et respectées par tout le quartier, il n'y a guère de foyer où elles n'apportent pas leur aide.
Comme dans "Someone" la chronologie n'est pas respectée, ce qui n'a pas d'importance. Nous suivons une poignée de personnages à des époques différentes, les caractères sont affinés au fur et à mesure, les situations plus complexes qu'il n'y paraît.
Après quelques jours de flottement, Annie est accueillie au couvent où on l'emploie à la blanchisserie. Elle va accoucher d'une petite fille, Sally, qui va grandir entourée par les soeurs et finir par se convaincre qu'elle aussi est "appelée".
Annie a le caractère plus trempé qu'on l'imagine au début. Elle va mener sa vie à sa manière, sous le regard bienveillant ou plus sévère, c'est selon, de soeur Lucy, soeur Jeanne, ou soeur Illuminata.
Les soeurs ne disent rien mais n'en pensent pas moins et font silence sur ce qu'il n'est pas utile d'exprimer. Certaines réflexions laissent supposer qu'elles ne sont pas dupes de ce qui les a fait entrer au couvent, elles n'hésitent pas à critiquer l'église et à soutenir l'inverse de ce qu'elles sont censées appliquer "Dieu, connaît mon cœur, dit-elle. Donc, je n'ai pas besoin de Lui demander son pardon, voyez" !
Le roman balaie toute une petite communauté irlandaise vivant souvent dans la misère, trop d'enfants, l'alcoolisme, les maladies, le quotidien est dur et les petites soeurs les bienvenues.
La vocation supposée de Sally sera mise à rude épreuve devant cette réalité brutale. Le sous-sol du couvent ne l'a pas préparée à ce monde-là.
Je n'en dis pas plus ; ce roman (qui a obtenu le prix Femina 2018) est aussi touchant que le précédent, sans être naïf ou idéaliste, loin s'en faut. Un léger humour y ajoute encore un peu de légèreté. Je compte bien sûr continuer ma découverte de l'autrice.
L'avis de Choupynette Dominique Luocine
Alice McDermott - La neuvième heure - 288 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud
Editions Quai Voltaire - 2018