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Littérature autrichienne

  • Le vieux garçon

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    "Maintenant que tu t'es rafraîchi, écoute-moi. Si j'étais vraiment ta mère, ainsi que tu m'appelles toujours, je me fâcherais contre toi, Victor. Car c'est mal, ce que tu as dit tantôt, que plus rien ne te donne de joie. Tu ne te rends pas encore compte à quel point c'est mal. Ton sort te chagrinerait-il que tu aurais quand même tort de parler ainsi. Regarde-moi, Victor : j'aurai bientôt soixante-dix ans, or je ne le dis pas encore, moi, que plus rien ne me donne de joie. Il faut se réjouir de tout, oui, de tout, tu entends, car le monde est beau et plus on vit, plus il embellit".

    Après ma découverte de l'auteur avec "Le sentier dans la montagne" je savais que je ne tarderais pas à le relire. "Les feuilles allemandes" chez Eva et Patrice était l'occasion idéale. J'ai donc choisi "Le vieux garçon" me demandant si j'allais retrouver le même plaisir de lecture (scoop : oui).

    Le roman s'ouvre sur une fête entre étudiants qui célèbrent la fin de leurs études et rêvent de leur avenir. Victor ne peut partager l'euphorie de ses camarades. Orphelin, confié jeune enfant à une brave femme qu'il aime comme sa mère, il n'a aucune fortune, aucune perspective devant lui et il se désespère devant ce qu'il imagine un avenir seul, sans pouvoir fonder un foyer puisqu'il n'aura pas les moyens de le faire vivre.

    Il est d'autant plus désespéré qu'il est amoureux de la fille de sa "mère" adoptive, Hanna, qui le lui rend bien. Sa seule issue dans l'immédiat a été d'accepter un poste trouvé par son tuteur.

    C'est à ce moment qu'un oncle fortuné réclame sa présence. Victor ne l'a jamais vu, n'en sait quasiment rien, si ce n'est que le vieillard est capable de lui voler le peu de biens qui lui resteraient de son père.

    Victor est un jeune homme obéissant, respectueux des usages et le voilà en route pour rejoindre cet oncle qui vit tout seul au milieu d'une île dans les montagnes.

    Le coeur lourd, il va devoir quitter tout ce qu'il connaît et aime depuis toujours. Le voyage va durer plusieurs semaines à pied, la nature changeante réjouit le jeune homme, il apprend à tout observer, en compagnie de son chien qui l'a rejoint au bout de quelques jours.

    L'arrivée sur l'île où réside son oncle est glaciale. Il trouve une grande demeure repliée sur elle-même. L'oncle possède toutes les clefs des portes, pas une ne s'ouvre sans son intervention. La première nuit, Victor s'aperçoit qu'il est enfermé jusqu'au matin. 

    L'oncle est mutique, ne dit rien, même pas pourquoi il a demandé la présence de son neveu. Victor est quasiment prisonnier. Comment la situation va-t'elle évoluer ?

    Au delà de l'intrigue, c'est l'écriture qui me séduit chez l'auteur, sa description des paysages, des us et coutumes, le côté fouillé des personnages et la complexité des relations humaines. L'oncle va se révéler plus nuancé qu'il n'y paraissait au départ et Victor capable de trouver des ressources insoupçonnées qui le feront mûrir.

    "Ainsi vivaient-ils, deux bourgeons d'une même branche ; ils auraient dû être plus proches l'un de l'autre que de quiconque, mais étaient on ne peut plus distants - deux bourgeons d'une même branche, mais si différents : à Victor la primeur radieuse et libre, dans l'oeil l'aimable étincelle, le champ ouvert pour l'action et les joies à venir ; à l'autre le déclin, le regard accablé, l'âpre passé gravé dans chaque trait, ruine d'anciens plaisirs, d'anciens profits".

    Il me reste à attendre la prochaine parution aux Editions Sillages.

    Ce roman, écrit en 1844, est paru d'abord sous le titre "L'homme sans postérité".

    L'avis de Tania Patrice

    les feuilles allemandes

    Adalbert Stifter - Le vieux garçon - 160 pages
    Traduit de l'allemand (autrichien) par Marion Roman
    Editions Sillage - 2014

  • Le sentier dans la montagne

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    "Tiburius Kneigt, jeune et riche héritier, a eu le malheur de grandir dans une famille d'excentriques. Ses parents décédés, il se trouve à la tête d'une confortable fortune, mais plongé dans une grande solitude : il consacre en effet toute son énergie à se persuader qu'il est gravement malade, et que sa seule occupation doit être de traiter un mal d'autant plus mystérieux qu'il n'existe pas vraiment" (4e de couverture).

    J'ai eu un coup de coeur pour ce très court roman, choisi sur son titre. Tiburius pourrait être un personnage rapidement agaçant, or, il n'en est rien et son lent cheminement vers un retour à une vie pleinement vécue nous est si bien contée que les pages se tournent toute seules.

    Le voir se torturer avec des maux imaginaires et s'abîmer dans une solitude délétère fait craindre plutôt pour sa santé mentale. Il cherche des solutions, sans les trouver et rejette fermement les suggestions de mariage qui peut-être ..

    C'est une cure thermale, énième tentative d'améliorer sa santé qui va faire basculer sa vie de manière inattendue. Pas grâce aux soins, mais par la découverte de la montagne et du plaisir de s'y immerger.

    "Le promeneur suivait le sentier, distrait par tout ce qu'il rencontrait. Ici les boules de corail de la canneberge flamboyaient à côté de lui, ailleurs la myrtille dressait son feuillage luisant et ses baies violacées. Les arbres se resserraient, le sous-bois devenait plus touffu avec, çà et là, l'éclat lumineux d'un tronc de bouleau. Le sentier continuait sans changer d'aspect mais peu à peu, cependant, la sapinière s'assombrit, se resserra, une brise plus fraîche siffla dans les branches et incita Tiburius à rentrer de crainte d'un refroidissement".

    La rencontre avec l'autre, en l'occurrence une jeune fille simple et joyeuse, grande connaisseuse de la montagne et vivant avec son père, va faire accepter à Tiburius ce qu'il fuyait auparavant, le partage, une vie simple au plus près de la nature, le respect de ce qu'elle nous offre et le bonheur d'y avoir accès au quotidien.

    C'est un texte ou l'on prend son temps, d'où il se dégage une impression paisible, malgré la noirceur des pensées de Tiburius, en tout cas en première partie. C'est du moins l'effet qu'il a eu sur moi et je compte continuer avec l'auteur.

    "Notre ami ne manqua pas de retourner au petit chalet niché dans la colline et renouvela ses visites à plusieurs reprises, laissant invariablement sa voiture au même endroit sur la route. Il se plaisait à deviser avec le père de Maria et passait de longs moments en sa compagnie, assis sur le banc devant la porte tandis que la jeune fille s'occupait dans la maison, ou à côté d'eux, abritant ses yeux derrière sa main, observait le ciel ou la montagne tout en se mêlant à la conversation".

    La biographie d'Adalbert Stifter ici

    Adalbert Stifter - Le sentier dans la montagne - 80 pages
    Traduit de l'allemand par Germaine Guillemot-Magitot
    Editions Sillage - 2017

  • Le café sans nom

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    "Son histoire d'emplacement, c'était une question de point de vue. Le quartier des Carmélites comptait parmi les plus pauvres et les plus sales de Vienne, la poussière des décombres qu'avait laissés la guerre, et qui servaient de fondations des nouveaux immeubles communaux et des barres de logements ouvriers, y collait encore aux vitres des caves."

    Robert Simon rêvait depuis longtemps d'ouvrir un café et encouragé par sa logeuse, veuve de guerre, il se lance enfin dans un des quartiers les plus pauvres de Vienne. Jusqu'à présent il y travaillait au marché, à droite, à gauche. C'est un homme simple, habitué à travailler dur. Il remet en état un local modeste et il ouvre le café.

    Il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans ce roman, plutôt des fragments de vie au gré des clients. Le café est un point central, lieu social par excellence, où se retrouvent les habitués et les gens de passage.

    Rapidement débordé, Robert embauche Mila, sur les conseils de son ami le boucher. Elle a perdu son travail en usine et a besoin d'en retrouver un, peu importe lequel. Dans ces années marquées encore par les destructions de la guerre, la vie est dure pour les classes populaires

    Tout ce petit monde gravite autour du café, commente, donne son avis sous l'oeil souvent bienveillant de Robert et de Mila. Celle-ci épouse René, un boxeur un peu trop porté sous la bouteille. Le boucher s'épanche sur sa vie familiale, pas toujours facile avec sa femme et ses filles.

    Les saisons s'enchaînent, le quartier change, une femme passe furtivement dans la vie de Robert, un accident lui fait perdre quelques doigts, mais le café est toujours là, ouvert à tous.

    "Simon pensait à ses clients. Il savait étrangement peu de choses d'eux et pourtant il les connaissait si bien. Mais peut-être se faisait-il seulement des illusions. Peut-être qu'au fond il ne connaissait personne. Même pas lui-même. Justement pas lui-même. Peut-être était-ce pour soi qu'on restait la plus grosse énigme".

    Robert se promène quelquefois dans Vienne, à pied, la voit prospérer au fil des années, jusqu'au moment où la gentifrication de la ville atteint le café.

    "Maintenant ils construisent un métro. C'est à ne pas croire. Creuser sous la ville comme des taupes. Imagine-toi un peu ce qu'on va trouver là-dessous. A Vienne, on compte autant de têtes de morts que de pavés. Il n'en ont plus pour longtemps, de la paix éternelle, les morts. Quels abrutis. Voilà ce qu'on gagne avec un maire comme le Marek".

    Robert va devoir se résigner à fermer son café. Mais peut-être est-il temps, il a vieilli, il est fatigué. Il est conscient de la place que son café a tenu, cet endroit unique où les gens se mélangaient et se sentaient bien, le temps d'un verre ou d'un après-midi.

    J'ai tout aimé dans ce roman, la vie d'un quartier de Vienne, l'ombre de la guerre encore présente, la volonté de reconstruction que l'on sent tout autour. Mais surtout, les petites gens qui fréquentent le café, leurs réflexions, leur plaisir d'être dans un lieu accueillant. Le passé ressurgit quelquefois, au détour d'une phrase.

    "Le pauvre homme. Fragile, tremblotant. Qui se faufile à pas furtifs comme son ombre en personne. Alors qu'il y a en lui comme une tendresse cachée. Il a été solitaire toute sa vie, solitaire, mais fier, un homme sans histoires, et sympathique avec ça. Il a été nazi, on prétend que, après la guerre, il aurait redressé sa croix gammée avec une clé de plombier pour lui donner la forme de la croix du Christ. Ça ne veut rien dire, un Viennois sur deux est nazi. Où est-ce qu'ils seraient tous passés sinon ?".

    Un auteur à suivre ou à découvrir si ce n'est déjà fait.

    Lectures précédentes : Le tabac Triesnek - Une vie entière

    Lecture commune avec Miriam Maryline Keisha

    Participation aux challenges :

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    Chez Eva

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    Chez Ingannmic

    Robert Seethaler - Le café sans nom - 248 pages
    Traduit de l'allemand par Élisabeth Landes et Herbert Wolf
    Editions Sabine Wespieser - 2023