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  • L'attaque du Calcutta-Darjeeling

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    "J'ai du mal à imaginer en quoi Buchan pourrait aggraver les choses. "En l'espace de quelques jours, sergent, j'ai été agressé, on m'a tiré dessus et j'ai failli être empoisonné par ma logeuse. Si M. Buchan pense pouvoir mieux faire, je lui souhaite bonne chance".

    Merci aux blogueuses qui ont chaudement recommandé cette série policière. J'ai passé un excellent moment en compagnie du capitaine Wyndham, dans la chaleur moite d'une Calcutta modelée pour l'occupant anglais.

    Nous sommes en 1919, le capitaine vient d'arriver en Inde avec un passé qui l'étouffe. Il a perdu sa jeune femme, Sarah, victime de la grippe espagnole et il est traumatisé par les combats dans les tranchées du conflit de 14-18. Il a travaillé à Scotland Yard, c'est à ce titre qu'un poste lui est proposé en Inde.

    Dès son arrivée, il est confronté au meurtre d'un haut-fonctionnaire, abattu à deux pas d'un bordel, un message enfoncé dans la gorge, ce qui fait désordre, avouons-le. A l'aide d'un sergent bengali, Banerjee, il devra démêler une affaire aux multiples ramifications, à relier à l'attaque simultanée du train Calcutta-Djarjeeling.

    Je n'entrerai pas dans les détails, je dirai seulement que l'intrigue est habile, bien menée, avec des changements de direction fréquents et palpitants.

    L'action est située à l'époque où la population bengali commence à se révolter. Elle aspire à l'indépendance, que ce soit par des actions violentes ou la non-violence de  Gandhi. Les Anglais s'imaginent installés là pour l'éternité, au nom de leur supériorité morale, face à un peuple incapable de se diriger.

    Le sergent Banerjee justifie de travailler pour les Anglais en prévision du jour où ils partiront et où son pays aura besoin d'hommes qualifiés pour prendre le relais. Le capitaine Wyndham est vite mis au parfum de l'attitude à adopter vis-à-vis des indigènes, ce qu'il ne suivra pas à la lettre. Il se reproche souvent une séverité imméritée envers Banerjee, d'autant qu'il lui reconnaît des qualités précieuses.

    Ce fond historique et politique apporte un vrai plus à l'enquête et à l'évolution des personnages. Ils ne sont pas d'une seule pièce, à l'image du capitaine Wyndham qui cache un secret. Il est opiomane, ce qui lui complique quelque peu la vie.

    Il ne faut pas se fier au titre, en réalité le train Calcutta-Darjeeling est secondaire dans l'histoire. Il s'agit davantage des petits et grands arrangements dans les hautes sphères aux moeurs discutables et de l'irruption d'un début de révolte des Bengalis. Un humour délicieusement anglais court tout au long du roman.

    N'oublions pas la ville de Calcutta, grouillante, écrasée de chaleur, aux contrastes saisissants entre ses différents quartiers, bâtis pour que chacun reste bien à sa place.

    "Rien, sauf peut-être la guerre, ne vous prépare pour Calcutta. Ni les horreurs décrites dans les pièces enfumées de Pall Mall par les hommes rentrés de l'Inde ni les écrits des journalistes et des romanciers, ni même un voyage de cinq mille miles avec escales à Alexandrie et Aden. Calcutta, quand elle apparaît, se situe dans une catégorie plus étrangère que tout ce que l'imagination d'un Anglais peut concevoir. Le baron Robert Clive l'a appelé l'endroit le plus cruel de l'Univers et c'était un des commentaires les plus positifs."

    Un roman policier distrayant et instructif. A suivre ..

    L'auteur : Abir Mukherjee, né dans une famille d’immigrés indiens, a grandi dans l’ouest de l’Écosse. Il a choisi de situer sa série policière durant les années 1920, moment où l’emprise britannique sur l’Inde commence à être mise en discussion.

    L'avis de A girl from earth (lu en anglais) Kathel Alex Anne Dasola Keisha Luocine

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    Abir Mukherjee - L'attaque du Calcutta-Darjeeling - 464 pages
    Traduit de l'anglais par Franchita Gonzalez Batlle
    Folio Policier - 2020

  • Dans la ville provisoire

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    "Avant que la fondation ne prenne contact avec moi, au cours de l'automne, je n'avais jamais entendu parler de la traductrice. Mais personne n'entend jamais parler des traducteurs - c'est elle qui le disait, dans un entretien que je découvrirais plus tard -, encore moins quand ils sont des femmes".

    Un jeune homme débarque dans une ville entourée d'eau, en plein hiver. Il est clair qu'il s'agit de Venise, même si elle n'est jamais nommée.

    Il vient là pour trier les papiers d'une traductrice, dont nous ne savons pas très bien ce qu'elle est devenue, du moins dans une premier temps. Son quotidien va se résumer à des allers-retours entre la Fondation qui lui a fourni ce travail et la maison de la traductrice.

    "J'approchais cette ville comme on apprend une langue étrangère, règles et exceptions, vocabulaire, prononciation. Marcher ici équivalait à former des phrases, le jeu était de ne pas fourcher, de ne pas avoir à faire demi-tour ou demander mon chemin".

    L'histoire est ténue, c'est surtout un roman d'atmosphère, celle d'une ville brumeuse, mystérieuse, envahie par l'eau, loin des hordes touristiques de l'été. Il pleut beaucoup, le jeune homme se perd dans les papiers, prend possession de l'appartement de la traductrice, essaie d'imaginer comment elle y vivait.

    Il va jusqu'à revêtir une robe qui lui appartenait et reprend les trajets qu'il lui prête lorsqu'elle était là. Rien n'est vraiment expliqué, ce qui ne m'a pas empêchée d'aimer cette errance nébuleuse. De la même manière, le jeune homme se fond peu à peu dans la ville, sans perdre de vue qu'un jour, elle ne sera plus.

    "Quand je suis sorti du café, les doigts poisseux de sucre, les vagues éclaboussaient le quai. Le temps que le bateau me dépose de l'autre côté du canal, les rues du centre historique étaient inondées. Des vendeurs à la sauvette proposaient des sacs en plastique hors de prix dans lesquels emballer ses chaussures. C'était trop tard pour mes baskets, j'ai continué d'avancer dans l'eau qui par endroits m'arrivait aux mollets".

    Un roman qui vaut par son écriture et un charme évanescent.

    L'avis de Keisha

    Du même auteur : l'excellent Là-bas, août est un mois d'automne

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    Bruno Pellegrino - Dans la ville provisoire - 128 pages
    Editions Zoé - 2021

  • Le café sans nom

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    "Son histoire d'emplacement, c'était une question de point de vue. Le quartier des Carmélites comptait parmi les plus pauvres et les plus sales de Vienne, la poussière des décombres qu'avait laissés la guerre, et qui servaient de fondations des nouveaux immeubles communaux et des barres de logements ouvriers, y collait encore aux vitres des caves."

    Robert Simon rêvait depuis longtemps d'ouvrir un café et encouragé par sa logeuse, veuve de guerre, il se lance enfin dans un des quartiers les plus pauvres de Vienne. Jusqu'à présent il y travaillait au marché, à droite, à gauche. C'est un homme simple, habitué à travailler dur. Il remet en état un local modeste et il ouvre le café.

    Il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans ce roman, plutôt des fragments de vie au gré des clients. Le café est un point central, lieu social par excellence, où se retrouvent les habitués et les gens de passage.

    Rapidement débordé, Robert embauche Mila, sur les conseils de son ami le boucher. Elle a perdu son travail en usine et a besoin d'en retrouver un, peu importe lequel. Dans ces années marquées encore par les destructions de la guerre, la vie est dure pour les classes populaires

    Tout ce petit monde gravite autour du café, commente, donne son avis sous l'oeil souvent bienveillant de Robert et de Mila. Celle-ci épouse René, un boxeur un peu trop porté sous la bouteille. Le boucher s'épanche sur sa vie familiale, pas toujours facile avec sa femme et ses filles.

    Les saisons s'enchaînent, le quartier change, une femme passe furtivement dans la vie de Robert, un accident lui fait perdre quelques doigts, mais le café est toujours là, ouvert à tous.

    "Simon pensait à ses clients. Il savait étrangement peu de choses d'eux et pourtant il les connaissait si bien. Mais peut-être se faisait-il seulement des illusions. Peut-être qu'au fond il ne connaissait personne. Même pas lui-même. Justement pas lui-même. Peut-être était-ce pour soi qu'on restait la plus grosse énigme".

    Robert se promène quelquefois dans Vienne, à pied, la voit prospérer au fil des années, jusqu'au moment où la gentifrication de la ville atteint le café.

    "Maintenant ils construisent un métro. C'est à ne pas croire. Creuser sous la ville comme des taupes. Imagine-toi un peu ce qu'on va trouver là-dessous. A Vienne, on compte autant de têtes de morts que de pavés. Il n'en ont plus pour longtemps, de la paix éternelle, les morts. Quels abrutis. Voilà ce qu'on gagne avec un maire comme le Marek".

    Robert va devoir se résigner à fermer son café. Mais peut-être est-il temps, il a vieilli, il est fatigué. Il est conscient de la place que son café a tenu, cet endroit unique où les gens se mélangaient et se sentaient bien, le temps d'un verre ou d'un après-midi.

    J'ai tout aimé dans ce roman, la vie d'un quartier de Vienne, l'ombre de la guerre encore présente, la volonté de reconstruction que l'on sent tout autour. Mais surtout, les petites gens qui fréquentent le café, leurs réflexions, leur plaisir d'être dans un lieu accueillant. Le passé ressurgit quelquefois, au détour d'une phrase.

    "Le pauvre homme. Fragile, tremblotant. Qui se faufile à pas furtifs comme son ombre en personne. Alors qu'il y a en lui comme une tendresse cachée. Il a été solitaire toute sa vie, solitaire, mais fier, un homme sans histoires, et sympathique avec ça. Il a été nazi, on prétend que, après la guerre, il aurait redressé sa croix gammée avec une clé de plombier pour lui donner la forme de la croix du Christ. Ça ne veut rien dire, un Viennois sur deux est nazi. Où est-ce qu'ils seraient tous passés sinon ?".

    Un auteur à suivre ou à découvrir si ce n'est déjà fait.

    Lectures précédentes : Le tabac Triesnek - Une vie entière

    Lecture commune avec Miriam Maryline Keisha

    Participation aux challenges :

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    Chez Eva

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    Chez Ingannmic

    Robert Seethaler - Le café sans nom - 248 pages
    Traduit de l'allemand par Élisabeth Landes et Herbert Wolf
    Editions Sabine Wespieser - 2023