"Son histoire d'emplacement, c'était une question de point de vue. Le quartier des Carmélites comptait parmi les plus pauvres et les plus sales de Vienne, la poussière des décombres qu'avait laissés la guerre, et qui servaient de fondations des nouveaux immeubles communaux et des barres de logements ouvriers, y collait encore aux vitres des caves."
Robert Simon rêvait depuis longtemps d'ouvrir un café et encouragé par sa logeuse, veuve de guerre, il se lance enfin dans un des quartiers les plus pauvres de Vienne. Jusqu'à présent il y travaillait au marché, à droite, à gauche. C'est un homme simple, habitué à travailler dur. Il remet en état un local modeste et il ouvre le café.
Il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans ce roman, plutôt des fragments de vie au gré des clients. Le café est un point central, lieu social par excellence, où se retrouvent les habitués et les gens de passage.
Rapidement débordé, Robert embauche Mila, sur les conseils de son ami le boucher. Elle a perdu son travail en usine et a besoin d'en retrouver un, peu importe lequel. Dans ces années marquées encore par les destructions de la guerre, la vie est dure pour les classes populaires
Tout ce petit monde gravite autour du café, commente, donne son avis sous l'oeil souvent bienveillant de Robert et de Mila. Celle-ci épouse René, un boxeur un peu trop porté sous la bouteille. Le boucher s'épanche sur sa vie familiale, pas toujours facile avec sa femme et ses filles.
Les saisons s'enchaînent, le quartier change, une femme passe furtivement dans la vie de Robert, un accident lui fait perdre quelques doigts, mais le café est toujours là, ouvert à tous.
"Simon pensait à ses clients. Il savait étrangement peu de choses d'eux et pourtant il les connaissait si bien. Mais peut-être se faisait-il seulement des illusions. Peut-être qu'au fond il ne connaissait personne. Même pas lui-même. Justement pas lui-même. Peut-être était-ce pour soi qu'on restait la plus grosse énigme".
Robert se promène quelquefois dans Vienne, à pied, la voit prospérer au fil des années, jusqu'au moment où la gentifrication de la ville atteint le café.
"Maintenant ils construisent un métro. C'est à ne pas croire. Creuser sous la ville comme des taupes. Imagine-toi un peu ce qu'on va trouver là-dessous. A Vienne, on compte autant de têtes de morts que de pavés. Il n'en ont plus pour longtemps, de la paix éternelle, les morts. Quels abrutis. Voilà ce qu'on gagne avec un maire comme le Marek".
Robert va devoir se résigner à fermer son café. Mais peut-être est-il temps, il a vieilli, il est fatigué. Il est conscient de la place que son café a tenu, cet endroit unique où les gens se mélangaient et se sentaient bien, le temps d'un verre ou d'un après-midi.
J'ai tout aimé dans ce roman, la vie d'un quartier de Vienne, l'ombre de la guerre encore présente, la volonté de reconstruction que l'on sent tout autour. Mais surtout, les petites gens qui fréquentent le café, leurs réflexions, leur plaisir d'être dans un lieu accueillant. Le passé ressurgit quelquefois, au détour d'une phrase.
"Le pauvre homme. Fragile, tremblotant. Qui se faufile à pas furtifs comme son ombre en personne. Alors qu'il y a en lui comme une tendresse cachée. Il a été solitaire toute sa vie, solitaire, mais fier, un homme sans histoires, et sympathique avec ça. Il a été nazi, on prétend que, après la guerre, il aurait redressé sa croix gammée avec une clé de plombier pour lui donner la forme de la croix du Christ. Ça ne veut rien dire, un Viennois sur deux est nazi. Où est-ce qu'ils seraient tous passés sinon ?".
Un auteur à suivre ou à découvrir si ce n'est déjà fait.
Lectures précédentes : Le tabac Triesnek - Une vie entière
Lecture commune avec Miriam Maryline Keisha
Participation aux challenges :
Chez Ingannmic
Robert Seethaler - Le café sans nom - 248 pages
Traduit de l'allemand par Élisabeth Landes et Herbert Wolf
Editions Sabine Wespieser - 2023
Commentaires
Ce roman semble avoir beaucoup de charme, et rentre tout à fait dans ce que je cherchais à lire pour "Sous les pavés ...", un lien entre un espace et un personnage. Bon, j'ai lu d'autres titres, mais je retiens celui-ci et également le nom de l'auteur.
Deux merci donc !
Il a un certain charme oui. Je suis sensible à ce genre de roman, où il ne se passe pas forcément grand chose, mais où tout est dans l'écriture et ce qui est suggéré.
Pour la LC, j'ai vu ça chez Et si on bouquinait, j'ai saisi l'occasion mais de toute façon je voulais le lire, et pareil pour Sous les pavés, je réalise que 'ça le fait'.
Sinon, oui, j'ai aimé, et j'ai un autre Seethaler sous le coude pour ce mois.
Je n'en ai pas d'autre de l'auteur pour le moment, mais je continuerai, j'apprécie beaucoup son écriture.
Une lecture parfaite pour les thèmes de lecture de novembre ! Tu mets plus l'accent que tes colectrices sur Robert Simon, il y a donc un personnage principal, contrairement au Champ, si mes souvenirs sont bons...
Je n'ai pas encore lu "Au champ". Oui, je considère que Robert Simon est un peu le pivot de l'histoire puisque c'est principalement autour et dans son café que tout se passe. C'est sa personnalité qui fait que le lieu est ce qu'il est. Il n'a pas cherché à faire fortune, mais à créer un endroit où l'on se rassemble.
Vous êtes toutes trois plutôt enthousiastes mais je me méfie quand même des romans sans histoires...
Disons qu'il n'y a pas une grande histoire mais une multitude de petites histoires très attachantes. Mais je comprends que ça ne convienne pas à tout le monde.
Je vais me laisser entraîner dans votre sillage pour le Lettres Allemandes
Très bien ! je pense que tu ne seras pas déçue.
C'est amusant, je commence ce mois de novembre des "feuilles allemandes" par ce même auteur avec un autre titre
J'ai vu ça ce matin. Contrairement à toi, je ne suis pas du tout déçue. J'emprunterai à a bibliothèque celui que tu as lu.
Merci de me rappeler ce titre dont j'avais déjà lu du bien, tu le confirmes. Je viens de l'ajouter dans ma liste où j'avais oublié de le noter.
J'étais attirée par le thème et ayant déjà lu l'auteur, j'étais quasiment sûre d'aimer le roman.
Ce dernier roman de Seethaler semble faire l'unanimité, une LC réussie donc :-) Merci pour ta participation aux "Feuilles allemandes",
Fabienne
Bonjour Fabienne. J'aurais lu le roman de toute façon, alors c'était l'opportunité de participer "aux feuilles allemandes" que je vois passer sur les blogs amis depuis quelques années.
Il est noté, ta jolie chronique fait envie :)
Tant mieux ! j'espère que tu aimeras cette incursion dans un café viennois (très loin des falbalas de la haute société).
J'avais déjà beaucoup aimé l'écriture de Seethaler dans le Tabac Tresniek que j'ai lu récemment, aussi je reviendrai sûrement à lui, mais j'ai encore ses précédents à découvrir.
Tu retrouveras l'ambiance du "Tabac Tresniek" et ici l'ambiance d'après-guerre dans le petit peuple viennois. Mon préféré de l'auteur reste le premier découvert "Une vie entière".
Très tentant. Je vais regarder s'il est à la bibli
Tu devrais le trouver, c'est un auteur connu maintenant.
Je vois qu'il y avait déjà eu "Le tabac Tresniek". Ca devient une spécialisation :-D
Il y a des similitudes entre les deux c'est vrai et j'en redemande. J'aime beaucoup l'univers de ses romans.
"Les affaires n’étaient pas vraiment prospères, mais ça n’avait rien de déshonorant. Seulement il sentait depuis quelque temps croître en lui un certain vide. Avec le café il avait réalisé un rêve, et il prenait maintenant conscience du fait tout bête que, lorsqu’il se réalise, le rêve disparaît. Aux espérances confuses mais non moins vastes des débuts s’étaient substitués de petites attentes et de petits soucis : les relances de Kostya Vavrovsky pour les impayés, les factures exagérées des livreurs, les tuyaux de la tireuse qui éclataient, les heures de l’après-midi qui s’étiraient péniblement l’hiver, et les chiures d’oiseaux qui criblaient la terrasse d’une multitude de taches blanches l’été. C’était pénible, c’était usant, mais, chaque fois qu’il tentait de s’imaginer une vie différente, il arrivait à la conclusion qu’il ne s’était finalement pas si mal débrouillé de la sienne. Il était content de son sort. Et pourtant il y avait un désir qui, telle une braise sous la cendre, couvait depuis longtemps dans son cœur."
Lorsque j'ai su qu'avec Marilyne (que j'embrasse, si elle le veut bien) vous prépariez une LC pour aujourd'hui, j'ai eu envie de découvrir ce roman, en même temps que vous.
J'avais lu et aimé "Le tabac Triesnek",...
Le "Café sans nom" m'a emballée pour son regard sur les "petites gens" dans un contexte particulier, mais tellement ordinaire. L'art de l'auteur c'est de donner sens et vie au simple, à l'humble, au modeste. Et quel sens, quelle vie !
Merci pour ce billet, Aifelle.
C'est tout-à-fait cela et des extraits comme celui que tu mentionnes, j'aurais pu en trouver à toutes les pages. Il a l'art de décrire des ambiances, de suggérer des sentiments, une certaine pudeur aussi devant la misère ordinaire et la déchéance de quelques personnages. Un auteur à suivre de près, incontestablement. Bonne journée Martine (très venteuse chez moi).
Comme toi, j'ai tout aimé. Je n'ai jamais été déçue par un roman de R.Seethaler, sa capacité à dire beaucoup en toute sobriété, ce romanesque sans effet, si réaliste. Merci pour cette lecture commune avec ce titre, un bonheur de lecture.
( les grands esprits, j'ai hésité à citer ce dernier extrait :))
Nous sommes toutes d'accord sur ce roman, ça me fait plaisir. Je ne pouvais pas rater ce dernier extrait, d'autant plus que je lis actuellement "la propagandiste" où il est beaucoup question des nazis qui sont passés à travers les mailles de l'épuration.
je pense que ce livre me plairait
C'est possible. Je serais curieuse de voir ce que tu en penserais. Mais il faut que tu sortes des polars ..
Vous semblez unanimes et ça ne m'étonne pas. J'en ai encore d'autres à lire mais celui-ci aura sa place.
C'est un très bon moment de lecture et ça ne se refuse pas. J'en étais quasiment sûre à l'avance, c'est le genre que j'aime lire.
Je devrais aimer ce livre, avec le ressenti de ces 'petites gens" qui se sentent si bien dans ce petit café, où ils peuvent se libérer un peu...et trouver une forme de réconfort!
Les gens décrits sont souvent très seuls, ou mal assortis, et le café est une bouffée d'oxygène dans un quotidien qui en manque beaucoup.
Ce personnage semble attachant avec sa vie simple dans un lieu tourmenté. Je ne sais pas si j’adhèrerais à cette non histoire en ce moment car elle me semble un peu glauque tout de même.
Glauque ? non je ne dirais pas ça. C'est la vie dans un quartier pauvre tout simplement. Mais il y a aussi de l'entraide, des gens qui bossent dur et qui essaient de s'en sortir comme ils peuvent. La personnalité du cafetier y insuffle une certaine humanité et compréhension.
Hier en allant à la médiathèque je cherchais Éden, et je suis tombée sur celui-là ! Sans grande conviction, je l’ai pris, on verra bien. De toutes les façons dès que je m’ennuie en lisant, j’arrête le livre.
Le seul et unique titre de cet auteur que ma médiathèque possède c'est "Le tabac Tresniek" que j'ai noté je pense grâce à Keisha. Il faut que j'attende qu'il soit disponible. Je vais noter celui-ci dans mon pense-bête parce que j'aime ce genre d'ambiance où le roman entier se passe autour de petites choses tout simplement humaines...Merci pour ta chronique.
J'en suis au troisième roman et j'aime toujours autant le regard que l'auteur porte sur les gens, surtout modestes. Et l'écriture est belle. Il en a plusieurs qui sont sortis en poche.
Cette LC a eu beaucoup de succès ! Du même auteur, j'ai lu "Le champ". On y trouve ce même plaisir à décrire les gens simples.
Je n'ai pas encore lu "le champ" mais je vais le faire, c'est sûr. J'aime trop sa plume :-)
Un nom d'auteur que je vais noter dans mes calepins, tant les critiques sur le Web sont élogieuses. L'auteur semble avoir le sens de l'observation et le verbe ajusté. Merci pour cette découverte.
Il a beaucoup de tendresse pour ses personnages aussi, et ça fait du bien. Il n'enjolive rien, mais il a un regard très humain sur les autres. Il y a toujours aussi un fond social ou historique qui enrichit l'histoire.
Je n'ai jamais lu cet auteur, mais il semble intéressant.
Il l'est ! Je l'ai découvert avec "une vie entière" mon préféré jusqu'à présent. A travers un personnage assez rude, il décrit la vie à la montagne avant la deuxième guerre mondiale, puis le tout début des stations de ski. Ça m'avait beaucoup intéressée. C'est un fin observateur des interactions humaines.
Eh bien de mon côté c'est Le tabac Tresniek (que tu as lu, je vois) que j'ai choisi de lire pour les Feuilles allemandes, et qui entre aussi dans les lectures urbaines, je n'y pensais même pas ! J'ai beaucoup aimé, mais c'est Vienne dans une autre ambiance, n'est-ce pas, bien plus sombre et effrayante...
C'est la période d'après "le tabac Tresniek" quand le désastre est terminé. Mais on sent bien le poids du passé dans des réflexions faites en passant. Il y a aussi ceux qui se sont enrichis de manière trouble. Ce que j'aime chez l'auteur c'est qu'il n'appuie jamais trop, il suggère, mais tout est dit.
Tu donnes envie de découvrir ce quartier, et ce café.
Tant mieux, c'était le but :-)
Pas de doute, ça me plairait, ayant beaucoup apprécié Le tabac... et Une vie...
Alors pas de doute en effet, n'hésite pas.
Je n'ai pas lu celui-ci mais bien les deux autres dont tu parles que j'avais beaucoup aimé !
N'hésite pas à continuer avec ce titre-là, tu aimeras tout autant.
Je viens de chez Keisha qui en dit moins que toi^^ J'adore cet auteur et il me manque ce titre, c'est parfait pour moi :)
J'essaie de ne pas trop en dire quand même, mais l'équilibre n'est pas toujours facile à trouver. Bonne lecture si tu te décides :-)
Un livre sur l'après guerre dans un quartier populaire. Cela doit ressembler à mon enfance à Marseille à la Belle de Mai. C'est vrai que les gens avaient des difficultés mais il y avait une solidarité, une bienveillance... Les gens n'étaient pas riches mais s'entraidaient, c'était tout sauf glauque !
Je pense en effet que tu pourrais y retrouver des similitudes. J'ai passé mon enfance dans un village, à l'époque il y avait une grande différence entre les deux modes de vie.
@ Thaïs : quand j'emprunte à la bibliothèque je m'autorise de plus en plus à abandonner si le livre ne me convient pas. J'insiste davantage quand je l'ai acheté ! Tiens moi au courant de la suite pour "le café sans nom".
Bonjour Aifelle, un roman que je compte lire (d'autant plus qu'il se passe à Vienne) car j'apprécie l'oeuvre de Robert Seethaler, j'ai lu les trois premiers : Le tabac Tresniek, Une vie entière et Le champ. En revanche, le sujet du 4ème (Le Dernier mouvement) ne m'avait pas tentée; Merci pour ce billet.
J'ai encore "le champ" à découvrir et je tenterai "le dernier mouvement" en bibliothèque. Le thème m'intéresse également. Bonne journée Dasola.
Joli doublé ;-D Après cette LC enthousiaste, je vais devoir redonner sa chance à Robert Seethaler. Je serai ravie de retrouver l'ambiance des cafés viennois et j'aime le côté "comptoir" où les gens nouent des liens l'air de rien.
Bonjour Sacha, "redonner sa chance" ce qui veut dire que tu as dû être déçue auparavant. J'en suis à ma troisième lecture de l'auteur et j'ai aimé autant les trois. Je compte continuer.
Ça fait plaisir de voir à quel point nous avons toutes apprécié cette lecture commune. C’est un roman charmant qui se lit tout seul et qu’on a le plaisir de retrouver le soir. Parfait pour la saison aussi. Les clients du café sont décrits avec beaucoup de tendresse, on voit que Seethaler lui-même doit être un habitué d’un café viennois !
Merci d’avoir participé à notre mois thématique :)
En tout cas, il voit les autres avec beaucoup d'humanité ; j'avais déjà eu cette impression là avec "Le tabac Tresniek", ce sont des livres qui font du bien, en accordant de l'attention aux "gens de peu". Un auteur à suivre ...
Merci pour cette découverte. J'aime beaucoup cette maison d'éditions mais je ne connais pas cet auteur.