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Le goût des livres

  • Mon vrai nom est Elisabeth

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    "J'avais déjà entendu parler de Violette. Elle figurait sur la liste des Femmes Malades de la famille, elle était l'une des preuves, s'il en fallait, que nous devions nous méfier, que le gène pouvait ressortir n'importe où, n'importe quand, comme un flux de sève souterrain qui éclate en certains bourgeons plutôt qu'en d'autres avec la venue du printemps. Cette femme était décédée subitement à quarante ans, à la suite de plusieurs internements psychiatriques. Mais aux dires de tous, il ne s'agissait pas d'un suicide".

    On voit beaucoup ce livre sur la blogosphère, je crois que tout le monde sait maintenant à peu près de quoi il est question. Adèle Yon, comme d'autres jeunes femmes de sa famille se pose des questions sur son état mental, vers l'âge de 25 ans.

    Elle est mal dans sa vie, laisse perdurer une relation malsaine et n'arrive pas à s'en sortir. Serait-il atteinte du même mal que son arrière grand-mère, Elisabeth, dite Betsy, internée pour une schizophrénie ? La rumeur familiale dit que c'est génétique. Point.

    Vraiment ? L'autrice prépare une thèse en sciences humaines, elle décide de la consacrer à l'histoire de Betsy. D'emblée sa grand-mère (fille de Betsy) lui déclare qu'elle approuve sa démarche mais qu'elle ne l'aidera pas et ne veut pas savoir ce qu'elle trouvera. Le ton est donné, Adèle Yon va se heurter au silence familial, allant du refus total aux demi-confidences et souvenirs tronqués.

    Ce qui est tangible, c'est que Betsy, est passée d'une jeune femme vive, intelligente, joyeuse, à cette personne un peu décalée, perdue, la tête déformée par deux trous voyants sur chaque coté. Elle a été internée 17 ans et lobotomisée. Pour rien.

    Au fil des recherches et des rencontres, l'autrice remonte l'histoire de son aïeule. Sa fratrie comptait dix personnes, Elisabeth a eu six enfants, ça fait pas mal de monde à interroger, même si certains ne sont plus en vie.

    Un pas en avant, trois pas en arrière, la démarche d'Adèle Yon n'est pas facile. La famille d'Elisabeth fait partie de la bonne bourgeoisie catholique, on a des principes. C'est trop étouffant pour elle qui veut être libre et attend beaucoup de la vie.

    Sa rencontre avec André, jeune homme bien sous tous les rapports, va être décisive. Elle est belle, intelligente, André tombe amoureux. L'autrice finit par entrer en possession des lettres que les fiancés échangeaient et là on sent bien que ça ne pourra pas aller. André vise ni plus ni moins la sainteté et attend la même chose de sa future épouse, qui de son côté revendique avant tout sa liberté.

    "Vous me dites que je n'aurai aucune responsabilité envers vous. Que vous le vouliez ou non, j'aurai une grande responsabilité. Car le Seigneur a voulu qu'un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre, mais jusqu'à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m'a institué tel".

    Le mariage se fera après la guerre et très vite, la situation dégénèrera. Six enfants en sept ans. Elisabeth sombre dans la dépression, ne fait pas face à ses obligations. Le conseil des médecins est de continuer à avoir des enfants, une maternité finira bien par la calmer et l'épanouir enfin.

    Evidemment, ça ne marchera pas et Elisabeth est internée à la demande son mari, avec l'accord de son père, Louis. Je ne vais pas trop en dévoiler, mais plus l'autrice entre dans l'histoire, plus elle est révoltante et glaçante.

    Ce qui se dessine c'est qu'Elisabeth n'était pas folle, mais victime d'une société patriarcale, d'un mari autoritaire et tyrannique, d'une famille toxique et d'un monde médical profondément maltraitant surtout sur le corps des femmes.

    Adèle Yon aura des moments de découragement et même abandonnera l'enquête qui la bouscule trop et mène à trop d'impasses. Toujours, un élément inattendu la fera repartir ; elle ira aussi loin que possible dans la connaissance du parcours d'Elisabeth.

    J'ai quelques réserves sur cette lecture, surtout la forme, mais il faut reconnaître qu'il frappe fort. Je l'ai lu dans un état de colère quasi-permanent devant la place assignée aux femmes et le châtiment qui les attend si elles ne s'y conforment pas. Elisabeth a pu sortir de l'internement en 1967, autrement dit quasiment hier. Comment ne pas voir que nous partons de très loin et que chaque acquis est fragile.

    Sur la forme, elle n'est pas toujours évidente. Différents types de typographie sont utilisés, par exemple pour les lettres des fiancés et également les interviews, qui mentionnent la place de chacun. J'ai eu du mal à me repérer au début.

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    J'ai failli caler au milieu du livre à cause d'une description détaillée de l'historique de la lobotomie. Pour moi elle a cassé le rythme de la narration familiale. Si j'avais su, j'aurais zappé le passage et l'aurais repris une fois la lecture terminée.

    Il reste un propos puissant, qui aborde un sujet peu traité, celui de toutes les femmes injustement enfermées. Le pire est que les médecins savaient qu'ils ne guérissaient personne. Le but était de les rendre à leurs familles dociles et conformes à ce que la société en attendait. Comment ne pas être révoltée ..

    Les avis de Cathulu Ingannmic Luocine Sandrine Sandrion etc ..

    Adèle Yon - Mon vrai nom est Elisabeth - 400 pages
    Editions du Sous-Sol - 2025

  • Le vieil incendie

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    "Aussi loin que j'arrive à remonter dans ma mémoire, Vera s'y trouve quelque part. Sauf l'enterrement de notre père, je réalise que je ne partage aucun souvenir d'adulte avec elle.

    J'ai terminé ce roman il y a quelques semaines et je me rends compte qu'il ne m'en reste pas grand chose, ce qui correspond à vrai dire à ce que j'ai ressenti pendant ma lecture.

    Il est question des retrouvailles de deux soeurs, Agathe et Véra, qui ne se sont pas vues depuis des années. Agathe vit et travaille aux Etats-Unis, comme scénariste. Elle s'est quasiment enfuie de la maison paternelle à 15 ans, n'en supportant plus l'ambiance. Elle revient dans le Périgord pour vider la maison familiale qui doit être démolie rapidement. Elles ont 9 jours.

    Véra n'a jamais quitté les lieux. Aphasique depuis l'âge de six ans, c'est devenu une jeune femme autonome qui se débrouille très bien seule. La cohabitation des deux soeurs pendant quelques jours ne sera pas facile. Elles étaient pourtant fusionnelles durant leur enfance, mais Véra a vécu le départ d'Agathe comme un abandon.

    L'histoire est faite d'entremêlements entre le présent et le passé, avec des retours en arrière fréquents, et surtout beaucoup de non-dits. Tout est vague et évanescent, la lectrice devine entre les lignes (quand elle peut).

    Je n'ai pas réussi à cerner les personnages, il m'a manqué de l'émotion, la narration est assez froide, les motivations des uns et des autres restent floues.

    Il y a pourtant de beaux passages, essentiellement sur la nature qui entoure la maison, l'atmosphère assez étouffante d'un bois, les souvenirs du père.

    Pour résumer, je suis passée complètement à côté de cette histoire. Je suis allée malgré tout jusqu'au bout, pensant avoir un déclic à un moment donné. Il n'est pas venu.

    L'avis de Cathulu, nettement plus positive que moi.

    Elisa Shua Dusapin - Le vieil incendie - 144 pages
    Editions Zoé - 2023

  • Bon dimanche

    En écho à Colo et un clin d'oeil à Dominique

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  • Le hameau de personne

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    "Pas un mauvais type Javerne, juste hors des clous, pas fait pour les rythmes de l'époque. Toujours seul et ne pensant qu'au crime, les gens causent de lui comme ça, par formules rebattues, mais c'est absolument faux. Un rêveur pacifique, introverti, embarrassé de lui-même. La drogue l'a sauvé et le tue tous les jours, et puis il faut bien bouffer, c'est son excuse".'

    Un tel titre ne pouvait que m'attirer, en plus aux Editions Zoé que j'apprécie fort. Alors, qu'en ai-je pensé ?

    Ambiance montagnarde suisse pour ce roman qui se déroule dans un monde assez clos. Internet existe déjà et a pénétré jusque là, pourtant le style de vie y est celui de toujours.

    J'ai d'abord cru à un récit à deux voix, celles de Fracasse et Javerne, mais les personnages sont plus nombreux que cela et l'on oscille entre le journal de bord, les réflexions des uns et des autres, et les échanges plus modernes sur les réseaux sociaux.

    Fracasse est un rêveur qui s'est fait une petite place en tant que poète et écrivain. Il voit revenir au hameau désert son amour de jadis Rosalba, désormais nommée Emaney. Après un mariage calamiteux, elle a laissé ses trois enfants derrière elle et s'est réfugiée dans une vieille bâtisse pour enfin créer à sa guise, essentiellement des robes, qu'elle vend sur internet.

    "En révisant mes patrons de couture, j'ai décidé de renforcer et d'agrandir les poches de mes robes. Plus besoin de sac à main ou de sac à dos qui vous meurtrit les épaules ! Ça n'a l'air de rien, ou seulement d'une petite excentricité supplémentaire, mais je vous assure cher.e.s Suiveur.euses , c'est un outil à la fois esthétique et fonctionnel. Je me sens très apaisée après avoir fini cette tâche."

    Dès lors, Fracasse, obsédé par cet amour non partagé, va épier Emaney sans répit, sous le regard ébahi de Javerne. Lui voit les choses plus simplement, échange en voisin avec elle et rien de plus, occupé seulement à ses cultures illicites qui lui permettent de vivre chichement, mais à l'écart de la société.

    "Les phrases figées dans les journaux, j'y comprenais rien. J'ai dû les vomir une à une, mon intérieur était empoisonné. Pendant des années, j'ai quasiment plus parlé. L'âne bâté, domestiqué, broutant sans révolte et sans espoir, c'est juste bon pour Fracasse et son sentimentalisme craintif. Moi je suis retourné vers les bêtes sauvages. Au hameau, j'ai gardé seulement les mots qui n'avaient pas encore pourri. Le strict nécessaire."

    Un peu déroutée au début par le style de narration, je m'y suis faite très vite et j'ai apprécié l'écriture et la description de la vie au hameau par des personnages tous en proie à la solitude et y faisant face chacun à leur manière.

    Cette solitude tant souhaitée par Emaney finira par lui faire perdre pied, isolée avec ses chiens, avec pour seuls échanges ses cher.e.s Suiveur.euses. L'évocation de ses créations est de plus en plus poétique et en lien avec la nature, ce qui n'empêche pas les questionnements sur la vie qu'elle a au présent et la vacuité de ce qu'elle fait sur les réseaux.

    Ne pensez pas que ce roman soit noir et sombre, le ton est assez moqueur souvent, surtout lorsqu'il s'agit des réseaux sociaux et les personnages sont vus de manière imagée et réaliste.

    Où cela nous mène-t'il ? A un auteur qui ne sait pas comment terminer son histoire et qui s'est amusé à aller voir du côté de chatgpt pour lui donner un coup de main.

    Au final, j'ai découvert un auteur avec qui j'ai l'intention de poursuivre, un roman original dans sa forme et un aperçu de la montagne suisse loin des clichés touristiques.

    J'en profite pour rappeler qu'une lecture commune est organisée le 2 Juin à l'occasion des cinquante ans des Editions Zoé (titre au choix).

    Par ailleurs, Sandrine et moi prévoyons une lecture commune le 5 Mai du "Vieil incendie" d'Elisa Shua Dusapin, toujours aux Editions Zoé

    Jérôme Meizoz - Le hameau de personne - 160 pages
    Editions Zoé - 2025

  • Le bruit du rêve contre la vitre

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    "Dans une AG quelconque, sûrement un rassemblement de précaires, Milou avait entendu, un jour, des types s'offusquer du terme "sans abri". "Sans domicile" "sans domicile fixe", "SDF", les mecs s'étaient écharpés pour décider quelle expression était la moins abjecte. Finalement, après une demi-heure de masturbation intellectuelle, ils étaient tombés d'accord sur le terme "marginal". C'était surréaliste : ils crevaient de faim mais tenaient à choisir le mot qu'on inscrirait à côté de leur nom dans la rubrique faits divers lorsque le Samu Social les découvrirait raides morts dans un caniveau".

    Pendant les confinements successifs durant le covid, j'étais sûre que je ne lirais jamais une ligne sur cette période-là, agaçée par des déclarations vantant l'art de rester tranquille dans sa maison de campagne et de redécouvrir la nature, le calme, la famille loin de la frénésie ordinaire etc .. etc .. trop souvent discours de privilégiés.

    Le temps passant, j'ai changé d'avis, c'est un évènement qui a marqué tout le monde, d'une manière ou d'une autre et bien traité, avec un peu de recul, il devient intéressant. J'ai aimé retrouver des sensations, des détails oubliés, l'état de sidération et d'étrangeté qui pouvait aller avec.

    Pendant qu'il était confiné dans un appartement à Paris, l'auteur a écrit douze nouvelles qui balayent assez largement les cas de figure qui pouvaient se présenter. Nous passons du tragique au comique, avec parfois un mélange des deux dans une même nouvelle.

    La première donne le ton "Les murs porteurs", avec Pélagie, une jeune femme violentée par un tyran domestique imbu de lui-même et de ses talents. Lorsqu'elle ouvre les yeux sur la "valeur" réelle de son génie de compagnon, c'est assez jubilatoire.

    Dans "La Fashion faux pas", l'auteur se moque avec une certaine malice des influenceurs youtube dans le vent. La chute est hilarante et bien amenée.

    "Les balcons fleuris" est une nouvelle qui dégage une certaine émotion à coup de banderoles, de poésie, de réconfort apporté aux autres dans un élan bienveillant, mais durera-t'il ?

    Et vous vous souvenez de l'école à la maison ? Victor se fait fort de venir à bout de ses bambins et de remplacer des enseignants notoirement incompétents, pendant que Madame va travailler à l'hôpital. Il va se prendre une bonne claque.

    "Cette fois-ci, Victor explosa. "Ta gueule ! Passe-moi quelqu'un, je veux parler à QUELQU'UN !" Et il pressa tous les boutons au hasard.
    Troisième temps de silence. Puis "Désolé, je n'ai pas compris votre réponse. Vous allez être mis en relation avec un opérateur qui traitera directement votre requête".

    Autre nouvelle touchante, celle qui a donné son titre au recueil "Je suis en train de mourir, ai-je songé, stupéfait". C'est celle qui évoque au plus près la violence de la pandémie et la rapidité de la dégradation physique, avec toutes les ruminations qui peuvent l'accompagner.

    Je ne vais pas énumérer toutes les nouvelles, elles s'enchaînent avec fluidité et nous font partager les états d'âme de personnages très différents, attachants ou pas, c'est selon. Je les ai lues avec plaisir et je me suis remémorée l'avalanche de règles plutôt rigides qui nous sont tombées dessus.

    L'avis d'Alex Anne Keisha Krol

    Merci à l'auteur et aux Editions Quadrature

    Axel Sénéquier - Le bruit du rêve contre la vitre - 141 pages
    Editions Quadrature - 2021