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Le goût des livres - Page 2

  • Le voyage à Paimpol

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    "Je marche le long du port en respirant bien fort. Je sens l'iode qui passe dans mes membres. Je suis sûre qu'une bonne marche vaut toute la chimie que j'ingurgite depuis une semaine. J'ai tout arrêté et je suis mieux. Le seul ennui c'est que les bols d'air ne sont pas remboursés par la Sécurité Sociale. Ils sont même interdits puisqu'on ne peut sortir de chez soi que dans de strictes limites. C'est absurde, la fatigue physique et nerveuse ne se soigne pas entre quatre murs. Moi, qui hier, n'avait pas la force de passer l'aspirateur dans le salon, je crois que cet après-midi je pourrais faire Paris-Brest à pied".

    Maryvonne est au bord du craquage. Elle n'en peut plus de sa vie d'ouvrière, de son mari qui n'a plus rien de l'amoureux qu'elle a connu et même de son petit garçon qui est arrivé trop vite. 

    Alors qu'elle est en arrêt maladie, elle part sans prévenir où elle va. Ils se débrouilleront tous sans elle quelques jours, elle veut respirer, ne penser qu'à elle, loin d'un quotidien étouffant.

    Elle n'ira pas bien loin, de Saint-Brieuc à Paimpol, mais le principal c'est qu'elle soit partie, qu'elle puisse réfléchir dans la solitude et comprenne comment la vie dont elle a rêvé est en train de lui échapper, reléguée à une place de mère et d'épouse qui ne lui convient pas.

    "Je suis une minette désoeuvrée et capricieuse, une bobonne abusive. J'ai la tête à côté de mes pompes. Pourtant j'usine moi aussi, je lutte de classe, je syndicate, j'ai des copines et des sujets de conversation honorables. Il faut croire que je ne suis plus à convaincre ou à séduire et que c'est une tâche de moins à faire."

    J'ai lu ce roman à sa parution, en 1980. A l'époque une ouvrière qui se pique d'écrire, c'est une curiosité. On en parle dans tous les medias, elle est même invitée à Apostrophes. J'en avais le souvenir d'un récit intéressant et plutôt rare.

    Lorsque Gallimard a décidé de le faire reparaître cette année dans sa collection "L'imaginaire" j'ai eu envie de confronter ma lecture d'alors à la situation d'aujourd'hui.

    Déjà, c'est un roman qui n'a pas vieilli, il est toujours d'actualité, même si elle prend une forme différente. Les années me font apprécier différemment ce qui était décrit de cette vie d'usine, laborieuse, usante, humiliante, sans perspective, et une vie de famille traditionnelle où la femme a une charge mentale dirions-nous aujourd'hui lourde et sans fin.

    C'était les débuts du féminisme et on ne peut pas dire que le monde ouvrier était aux avant-postes sur ce sujet-là. Maryvonne se révolte contre la minimisation du rôle des femmes, leur place subalterne autant à l'usine qu'à la maison. Elle aspire à tout autre chose sans trop oser le revendiquer haut et fort. Déjà, se permettre une escapade à l'hôtel est toute une histoire. Une femme seule qui arrive sans bagages, c'est suspect et anormal. 

    Nous accompagnons Maryvonne dans ses divagations, les moments où elle se fait tout un cinéma sur son couple qui repartira d'un meilleur pied, après sa fugue, suivis d'autant de découragement et de culpabilité.

    "Quand le bonhomme est crevé, quand il n'a pas le moral, je lui fous la paix. Je ne lui demande rien, j'empêche le gosse de faire trop de bruit : "Papa est fatigué mon chéri, va jouer plus loin". S'il a la frite, il sort en vieux garçon et fait profiter les autres de sa bonne humeur. Il se couche à l'aube et traîne ses maux de tête et son teint bilieux avec rancune le lendemain".

    Au delà de ce moment de découragement, on sent une grande vitalité chez Maryvonne, une imagination débordante, une réflexion aiguisée, une espérance d'autres vies ailleurs, plus riches et gratifiantes, auxquelles elle pourrait avoir accès.

    "J'adore sortir, aller dans les cafés discuter des heures avec les copains, manger au restaurant, me tenir au courant de l'actualité et voir les rares bons films qui arrivent jusqu'ici. Le théâtre me fascine. Les longues marches dans les bois ou sur les plages m'aident à oublier les semaines de travail"

    C'est bien écrit, pétri de phrases qui font mouche et dans lesquelles on peut parfois se retrouver.  

    Les jours passant, comment Maryvonne va-t'elle envisager le retour chez elle ? elle fantasme une meilleure existence où elle serait à nouveau regardée, aimée, considérée. Rien ne dit que ce sera le cas et la fin a un goût un peu amer.

    Où sont les ouvrières aujourd'hui ? Quelle parole ont-elles dans les médias ? Même si la condition des femmes a bougé, les infos nous apportent tous les jours des preuves de l'immense travail qu'il reste à faire.

    Un roman qui valait largement d'être relu pour l'aspect social et féministe. N'hésitez pas à le découvrir.

    Après le succès de ce livre, Dorothée Letessier a continué à écrire, sans recueillir la même attention. Elle est décédée en 2011.

    L'avis de Miriam Moka

    Dorothée Letessier - Le voyage à Paimpol - 160 pages
    Gallimard "L'imaginaire" 2025 (première parution 1980)

  • Someone

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    "Etonnamment - nous étions là au lit ensemble, pour la première fois de notre vie, moi dans ma chemise de nuit de satin et de dentelle, et lui en maillot de corps, et nous discutions comme si nous étions habillés et assis à la table familiale en train de boire le thé - nous passâmes en revue le programme de la journée, la messe, le petit-déjeuner, le métro jusqu'à la gare de Grand Central, ou devions-nous faire une folie et prendre un taxi ? Pourquoi pas ?"

    Si mon billet précédent évoquait une lecture sombre et froide, celle-ci est tout son contraire et m'a sérieusement revigorée. Il y a pas d'histoire à proprement parler dans ce roman, mais une succession de moments de vie allant de l'enfance à la vieillesse. Pas spécialement de chronologie sans que ce soit gênant.

    Nous sommes à Brooklyn, dans les années 30, dans une famille irlandaise comme il y en a tant d'autres. Marie, la fille, a son petit caractère entre une mère sévère et un père qu'elle adore, en dépit de son penchant pour la bouteille. Elle passe son temps à jouer et bavarder avec les copines du quartier.

    Son frère aîné, Gabe, surveille Marie avec tendresse et pallie souvent à ses bêtises. Destinée à la prêtrise il est solide et sérieux. La tendresse est très présente dans ce roman, sans jamais tomber dans la mièvrerie, le petit monde décrit est chaleureux malgré sa dose de malheurs et d'évènements dramatiques.

    Marie grandit, un peu décalée, gênée par sa myopie (et son manque d'ardeur au travail). Poussée par sa mère elle finit par accepter un emploi auprès d'un patron de Pompes Funèbres. On s'attend au clash alors que c'est tout le contraire. Elle apprendra beaucoup auprès de M. Fagin, un homme d'une bonté et d'une humanité rare.

    Puis ce sera le premier chagrin d'amour, la première maternité où elle risquera sa vie. L'entourage est toujours présent, ceux qu'elle connaît depuis toujours, bien que beaucoup quittent un quartier dégradé et devenu dangereux.

    L'autrice s'y entend pour faire vivre ce microscome avec justesse et simplicité et je l'ai quitté à regret, j'aurais bien aimé continuer encore un peu avec des personnages aussi attachants.

    Sans tarder, j'ai emprunté "La neuvième heure" à la bibliothèque.

    Alice McDermott - Someone - 320 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud
    Folio - 2017

  • L'été circulaire

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    "Les autres ouvriers ne le regardent pas, et cette volonté de l'éviter - pour ne pas le mettre mal à l'aise- fait l'effet inverse. Évidemment, tout le monde en a parlé, de la petite. Belle, offerte aux regards avec ses tops à bretelles et ses jeans slim. Trop jolie sans doute."

    Un été caniculaire, quelque part dans le Vaucluse, du côté de l'Isle-sur-Sorgue. Pas chez les riches propriétaires qui viennent seulement pour les vacances, non, chez les ouvriers qui triment dur pour gagner chichement leur vie.

    Deux soeurs, Céline, 16 ans et Jo, 15 ans, trainent leur ennui comme tous les étés, entre fête foraine annuelle et sorties avec les copines, sous l'oeil des pères, plus ou moins avinés.

    Le destin des filles est tout tracé, elles n'ont même pas le temps de rêver, comme la mère de Céline et Jo. Les enfants arrivent trop vite, la femme est assignée à sa place de mère au service des autres, les jours s'écoulent, mornes et identiques.

    Cet état-là commence par un scandale. Céline est enceinte à 16 ans. Elle est très belle Céline, elle aimante les regards masculins, surtout sur sa poitrine, vite développée. Elle s'en amuse sans trop réfléchir, mais là, la réalité la rattrape, sans échappatoire. 

    Manuel, le père, réagit violemment en la frappant, d'autant plus qu'elle ne veut pas donner le nom du responsable. Manquerait plus que ce soit le jeune voisin arabe, ça le rend fou, Manuel.

    Séverine, la mère, se souvient qu'elle était aussi belle que Céline à son âge. Elle s'est retrouvée enceinte également, mais au moins le père a assumé et l'a épousée.

    L'été se fige autour de cet évènement. La tension monte crescendo. Céline s'entête à ne rien dire, déjà résignée à la vie qui lui est réservée et au manque total de perspectives. Jo, sa jeune soeur est complètement différente. Elle met les autres mal à l'aise avec ses yeux vairons. Elle réfléchit, pressent qu'il y a d'autres mondes et espère bien se sauver de ce milieu étriqué.

    C'est un roman noir, qui décrit un milieu rural étouffant de manière saisissante. Le déterminisme social pèse lourd, le patriarcat aussi. Le langage est cru et souvent brutal. Dans cette ambiance, Manuel perd pied jour après jour, sans pouvoir arrêter l'engrenage.

    C'est une histoire qui laisse un goût assez amer, tant les issues sont bouchées. Les soeurs ne se comprennent pas forcément et pourtant se soutiennent quand il le faut.

    Il ne circule pas beaucoup de tendresse dans cette histoire, de la dureté un peu partout et on sent que les évènements de l'été seront recouverts d'un voile de silence épais, pour toujours.

    J'ai apprécié l'aspect réaliste du milieu décrit, sans arriver à m'attacher aux personnages. Seule Jo semble encore avoir l'étincelle qui lui permettra peut-être de prendre le large un jour.

    Un bon roman, à ne pas entamer un jour de déprime ..

    L'avis de Luocine Athalie Ingannmic Kathel

    Marion Brunet - L'été circulaire - 272 pages
    Editions Albin Michel - 2018

  • Cairns

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    "En entendant le chant du coq, Reidar se décida à se lever. Il sortit du chalet comme s'il se passait soudain quelque chose. Il avait la gorge affreusement sèche. Le seuil en pierre était froid sous ses pieds, et il plissa les yeux face à cette matinée fraîche et lumineuse. Mais son rêve le hantait. Les images martelaient son esprit sans relâche. Il en perdait presque l'équilibre. Son rêve sur Kirsten lui serrait la poitrine. Il se retient au chambranle, dont la peinture était écaillée, en essayant de se ressaisir. Il percevait une voix au loin, mais la bouteille sur l'étagère occupait toute ses pensées. Et s'il buvait un peu avant de se remettre en chemin ?".

    C'est une étrange histoire qui nous est contée ici, rude, âpre, remplie d'incertitudes et de divagations où l'imaginaire est de plain-pied avec la réalité la plus tangible.

    Nous sommes dans un hameau norvégien où une jeune femme a disparu il y a plus d'un an, après le meurtre sauvage d'un fermier. Les recherches n'ont rien donné, jusqu'au jour où il se murmure qu'elle a demandé à voir le pasteur. Elle est donc en vie et souhaite sans doute se repentir de son geste.

    Le jeune pasteur du hameau, Sébastian Ribe, décide d'aller à sa rencontre et pour cela sollicite l'aide de Reidar Skåren, un homme taciturne et isolé qui a une connaissance profonde et instinctive de la montagne.

    C'est le périple de ces deux hommes que nous suivons. Aussi dissemblables que possible, ils devront pourtant faire équipe pendant plusieurs jours. Reidar, surnommé "le marginal" est un solitaire qui ne s'est pas remis de la mort de sa mère et encore moins de celle de son père, celui qui lui a appris tout ce qu'il sait de la nature.

    Il s'est réfugié dans l'eau-de-vie et boit jusqu'à plus soif. Le pasteur l'oblige à partir sans cette béquille, ce qui le rend nerveux. Si Reidar connaît la montagne par coeur, il est imprégné aussi des vieux contes peuplés de créatures plus ou moins bienveillantes. 

    La brume qui envahit régulièrement la montagne et fait perdre tout repère n'est pas moins épaisse dans le cerveau de Reidar, en proie à des rêves et des révélations. Il sent la présence de Kirsten.

    L'époque où se déroule cette histoire n'est pas précisée, ce qui n'est pas important. Les embûches de la montagne sont les mêmes, les problèmes liés à la cohabitation des deux hommes aussi ; ils s'appuieront cependant l'un sur l'autre à plusieurs reprises.

    C'est une lecture envoûtante, intense, où la personnalité des deux hommes se dévoile de jour en jour, jusqu'à une scène marquante. Peu de mots en disent beaucoup. La présence des cairns qui remettent dans le droit chemin ont leur importance dans le récit, immuables et mystérieux.

    Bien sûr je ne vous dirai pas comment l'aventure évolue, à vous de le découvrir. C'est un roman noir, d'une étrange beauté.

    "Reidar s'adossa au cairn. Son compagnon lui saisit le bras et plongea son regard dans le sien. Les deux hommes étaient retranchés au milieu du brouillard, qui semblait animé d'une vie propre. Là-haut, il n'y avait pas de Dieu, ils le savaient tous les deux".

    L'auteur : Martin Baldysz est né en 1977 dans le district de Sunnmøre, entre mer et montagne. Profondément attaché à sa région natale, il vit aujourd'hui avec sa famille dans une ferme en pleine nature. Ses romans, imprégnés de mythologie nordique, puisent leurs racines dans l'ouest norvégien.

    Martin Baldysz - Cairns - 128 pages
    Traduit du norvégien par Marina Heide
    Editions Paulsen - 2025

  • Bon dimanche

    Je prends mon temps pour revenir, ma tête est encore dans les montagnes et je sens que l'été va être paresseux chez moi. Je ne vous oublie pas pour autant et la vidéo du dimanche reprend du service.

    Cette semaine une chanson dont j'ai déjà donné plusieurs versions, mais je ne m'en lasse pas. Ce trio de jeunes femmes l'a enregistrée lors d'une répétition dans l'église de Vaulx (74).

    A bientôt pour un billet lecture (norvégienne) et bonnes vacances à celles et ceux qui sont sur le départ.

    Les Itinérantes

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  • Pause

    Le moment des vacances est venu ; je pars m'oxygéner dans les montagnes que j'aime. Le repos est au programme, la lecture, le farniente et pour le reste ce sera selon les jours et les envies.

    Je vous souhaite un beau mois de juin et vous donne rendez-vous début juillet.

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