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Le goût des livres - Page 4

  • Quand un fils nous est donné

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    "Ils prirent sur la gauche et descendirent vers les Gesuati, le soleil dans le dos. Ils furent surpris par le nombre de gelateri qui avaient ouvert au cours de l'année précédente. Brunetti se demanda si les glaces et les pizzas étaient devenues les deux produits gastronomiques les plus répandus en Italie. Dans le monde entier, peut-être ? Un énorme yacht bleu marine, amarré devant une pizzeria, bloquait irrémédiablement la vue sur la rive opposée à la plupart des habitants des immeubles situés sur cette portion de quai."

    Une enquête menée par le Commissaire Brunetti c'est l'assurance d'un bon moment de lecture, à travers les ruelles de Venise, la météo changeante, les frasques bien cachées de la bonne société etc .. etc .. on en oublierait presque qu'il y a forcément un ou plusieurs meurtres.

    Cette fois-ci l'enquête est d'autant plus délicate que la victime est un grand ami du beau-père de Brunetti et de Brunetti lui-même. Gonzalo Rodriguez de Tejeda est sur le point d'adopter son jeune amant afin de le faire bénéficier de sa grande fortune le moment venu.

    Brunetti navigue entre la volonté de son beau-père d'éviter ce qu'il estime indigne de son ami, et le désir de ne pas s'en mêler de trop près. De nombreux pièges le guettent.

    L'enquête est gentiment menée à son terme, mais ce que j'aime surtout c'est la description d'un habitant de Venise, l'envers du décor du tourisme effréné. J'aime retrouver Paola, sa femme, et ses petits plats, ses enfants devenus presque adultes, les tensions à table à cause de sa fille devenue farouchement végétarienne et défenseuse du monde animal ..

    Brunetti, issu d'un milieu populaire et Paola, fille d'une des plus grandes familles de Venise, riche et influente, c'est forcément le choc des cultures, vécu plutôt harmonieusement ici.

    Je classerais cette enquête dans les bons crus et je continuerai à piocher dans la série au gré de mes envies. Pour une fois, je ne respecte pas l'ordre chronologique.

    Donna Leon - Quand un fils nous est donné - 336 pages
    Traduit de l'anglais par Gabriella Zimmermann
    Points - 2021

  • Comédie d'automne

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    "Les puissants devraient savoir que les courtisans ne sont pas fiables. Mais les puissants sont ivres de flatteries, grisés par les privilèges, habitués aux abus de pouvoir, au point de développer un sentiment d'invulnérabilité. Au lieu que le courtisan, moins assuré, plus malin, passe son temps le nez en l'air à renifler le sens du vent. Et quand il tourne, il tourne avec. On en était là, Place Gaillon, dans le salon réservé aux délibérations, entre le gigot à la menthe et la salade aux truffes, quand les convives virent une langue de feu flotter au-dessus de la tête d'Hervé Bazin".

    L'auteur a obtenu le Prix Goncourt en 1990 pour "les champs d'honneur". Je l'ai lu en son temps, comme tout le monde à l'époque et aimé.

    Je n'avais pas eu l'occasion de le relire avant "Kiosque" (merci Keisha) qui m'avait plu également ; l'auteur y racontait les années passées comme vendeur de journaux dans le 15e arrondissement de Paris.

    "Comédie d'automne" est présenté comme une sorte de suite. Nous retrouvons en effet la narration fragmentée, les digressions, les époques mélangées, les états d'âme du kiosquier.

    Mais c'est surtout l'histoire de ce prix Goncourt inattendu, il n'était même pas dans les premières sélections. L'auteur raconte avec une certaine ironie sa rencontre avec le prestigieux patron des Editions de Minuit, sa décision de sortir "les champs d'honneur" dont il ne devrait pas vendre plus de 300 exemplaires.

    Sans connaissance du milieu médiatico-littéraire, le jeune auteur mettra des années à comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là et les raisons, peu glorieuses, qui l'on amené à avoir le Goncourt.

    La description de ses premiers pas dans ce monde littéraire est savoureuse, notamment la circonspection des medias devant cet inconnu qui va brusquement troubler le jeu. Un marchand de journaux ! autant dire un plouc.

    Nous passons des réactions de la famille de l'auteur à celle des habitués du kiosque qui commentent les évènements au fur et à mesure, des medias qui commencent à rôder dans le coin.

    L'auteur, tranquille, reste relativement serein. Si son livre ne marche pas, et bien il reviendra vendre des journaux. Si personne n'est nommé, c'est assez facile de reconnaître les protagonistes du prix de cette année là et de saisir les manoeuvres destinées à éliminer le favori.

    Certains passages m'ont touchée, comme par exemple les premiers contacts de l'auteur avec le regretté Bernard Rapp et son élégance naturelle.

    Si j'ai aimé retrouver la vie autour du kiosque, avec notamment Albert, et le chemin d'écriture de l'auteur, j'ai fini par me lasser de cette comédie dans le petit monde germanopratin des prix. Ce n'est pas reluisant et je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux aujourd'hui.

    C'est le 6e et dernier opus du cycle poétique de l'auteur.

    L'avis de Keisha Maryline

    Jean Rouaud - Comédie d'automne -288 pages
    Grasset - 2023

  • Le jardin nu

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    "Tout est plus vivant de devoir mourir. Tel est l'enseignement. Toute vie est dérisoire, et toute vie est en même temps unique, infiniment fragile - la palpitation de la veine - précieuse en raison même de sa fragilité. A l'individualisme qui consacre Narcisse comme centre de son propre univers, je veux substituer l'attention infinie à chaque individu. A chaque humain, à chaque graine qui tente de toutes ses forces de soulever son tombeau de terre brune pour déployer une promesse de fleur.
    A ce prix-là, peut-être, nos minuscules et infinies souffrances seront rédimées".

    Terminé il y a environ trois mois, ce récit intimiste me laisse une empreinte durable et je le relirais volontiers tout de suite, avec le même plaisir.

    Le décès du compagnon d'Anne Le Maître l'a laissée complètement brisée et elle a choisi de quitter l'appartement où ils vivaient pour se réfugier dans une maison à l'écart, dotée d'un petit jardin.

    C'est là quelle reprendra pied dans la vie, en observant attentivement tout ce qui l'entoure, se laissant captiver par les sons et les couleurs, en bonne aquarelliste qu'elle est. Elle va apprendre de ce bout de terre, jour après jour, tantôt peignant, tantôt regardant sereinement.

    Le texte est découpé en courts chapitres aux titres évocateurs "Semer, planter, se taire" "déposer les armes" "la verveine et le compost" etc ... l'écriture se fait délicate, sensible, poétique.

    L'autrice passe de l'évocation du passé au présent peuplé d'oiseaux, de fleurs, de moments contemplatifs où peu à peu la joie se fraie à nouveau un chemin.

    Sachant qu'il était question d'un deuil, j'avais retardé ma lecture et j'ai eu bien tort. Je suis sortie de ce récit curieusement réconfortée, admirative de la force intérieure qui se dégage de l'autrice et de son regard sur les beautés de la nature et des êtres vivants.

    C'est un coup de coeur et d'ores et déjà "La sagesse de l'herbe" m'attend.

    "Qui suis-je pour raccourcir ces brins d'herbe qui ont si vaillamment traversé l'été, ces laiterons qui nourrissent les derniers papillons, ces branches hérissées qui servent de terrain de jeu aux mouches et aux fauvettes ? Qui suis-je pour déranger les soyeux arrangements de toile fine élaborés par tant de minuscules araignées à la surface des thuyas ? Pourquoi jeter ces feuilles mortes qui servent de refuge (illusoire) aux escargots et dans lesquelles fourrage avec gourmandise l'ami invisible et piquant - le hérisson ?"

    L'avis de Tania

    Anne Le Maître - Le jardin nu - 120 pages
    Editions Bayard - 2023

  • L'attaque du Calcutta-Darjeeling

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    "J'ai du mal à imaginer en quoi Buchan pourrait aggraver les choses. "En l'espace de quelques jours, sergent, j'ai été agressé, on m'a tiré dessus et j'ai failli être empoisonné par ma logeuse. Si M. Buchan pense pouvoir mieux faire, je lui souhaite bonne chance".

    Merci aux blogueuses qui ont chaudement recommandé cette série policière. J'ai passé un excellent moment en compagnie du capitaine Wyndham, dans la chaleur moite d'une Calcutta modelée pour l'occupant anglais.

    Nous sommes en 1919, le capitaine vient d'arriver en Inde avec un passé qui l'étouffe. Il a perdu sa jeune femme, Sarah, victime de la grippe espagnole et il est traumatisé par les combats dans les tranchées du conflit de 14-18. Il a travaillé à Scotland Yard, c'est à ce titre qu'un poste lui est proposé en Inde.

    Dès son arrivée, il est confronté au meurtre d'un haut-fonctionnaire, abattu à deux pas d'un bordel, un message enfoncé dans la gorge, ce qui fait désordre, avouons-le. A l'aide d'un sergent bengali, Banerjee, il devra démêler une affaire aux multiples ramifications, à relier à l'attaque simultanée du train Calcutta-Djarjeeling.

    Je n'entrerai pas dans les détails, je dirai seulement que l'intrigue est habile, bien menée, avec des changements de direction fréquents et palpitants.

    L'action est située à l'époque où la population bengali commence à se révolter. Elle aspire à l'indépendance, que ce soit par des actions violentes ou la non-violence de  Gandhi. Les Anglais s'imaginent installés là pour l'éternité, au nom de leur supériorité morale, face à un peuple incapable de se diriger.

    Le sergent Banerjee justifie de travailler pour les Anglais en prévision du jour où ils partiront et où son pays aura besoin d'hommes qualifiés pour prendre le relais. Le capitaine Wyndham est vite mis au parfum de l'attitude à adopter vis-à-vis des indigènes, ce qu'il ne suivra pas à la lettre. Il se reproche souvent une séverité imméritée envers Banerjee, d'autant qu'il lui reconnaît des qualités précieuses.

    Ce fond historique et politique apporte un vrai plus à l'enquête et à l'évolution des personnages. Ils ne sont pas d'une seule pièce, à l'image du capitaine Wyndham qui cache un secret. Il est opiomane, ce qui lui complique quelque peu la vie.

    Il ne faut pas se fier au titre, en réalité le train Calcutta-Darjeeling est secondaire dans l'histoire. Il s'agit davantage des petits et grands arrangements dans les hautes sphères aux moeurs discutables et de l'irruption d'un début de révolte des Bengalis. Un humour délicieusement anglais court tout au long du roman.

    N'oublions pas la ville de Calcutta, grouillante, écrasée de chaleur, aux contrastes saisissants entre ses différents quartiers, bâtis pour que chacun reste bien à sa place.

    "Rien, sauf peut-être la guerre, ne vous prépare pour Calcutta. Ni les horreurs décrites dans les pièces enfumées de Pall Mall par les hommes rentrés de l'Inde ni les écrits des journalistes et des romanciers, ni même un voyage de cinq mille miles avec escales à Alexandrie et Aden. Calcutta, quand elle apparaît, se situe dans une catégorie plus étrangère que tout ce que l'imagination d'un Anglais peut concevoir. Le baron Robert Clive l'a appelé l'endroit le plus cruel de l'Univers et c'était un des commentaires les plus positifs."

    Un roman policier distrayant et instructif. A suivre ..

    L'auteur : Abir Mukherjee, né dans une famille d’immigrés indiens, a grandi dans l’ouest de l’Écosse. Il a choisi de situer sa série policière durant les années 1920, moment où l’emprise britannique sur l’Inde commence à être mise en discussion.

    L'avis de A girl from earth (lu en anglais) Kathel Alex Anne Dasola Keisha Luocine

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    Abir Mukherjee - L'attaque du Calcutta-Darjeeling - 464 pages
    Traduit de l'anglais par Franchita Gonzalez Batlle
    Folio Policier - 2020