Le goût des livres - Page 8
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Bon dimanche
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Nos fantastiques années fric

"Taisez-vous, Fernandez. Tout le monde sait que c'est la guerre entre les services de police et la cellule de l'Elysée. Et la cellule c'est Grossouvre, Ménage et moi. Donc, si les RG sont au courant de cette affaire par Chardon, ils n'hésiteront pas à s'en servir pour m'abattre. Et, au passage, plomber les socialistes aux élections de mars prochain".
Je souhaitais découvrir Dominique Manotti depuis longtemps, voilà qui est fait, avec une lecture plutôt addictive.
L'intrigue se déroule à la fin du premier septennat de François Mitterrand. Victor Bornand est un très proche du Président, au fait de toutes les opérations au coeur de la cellule de l'Elysée, au fonctionnement plutôt opaque. C'est aussi un homme à femmes, amateur entre autres des pensionnaires d'une certaine Mado, à l'adresse bien connue du gratin parisien.
Bornand est sur une affaire de trafic d'armes avec l'Iran, alors sous embargo. Trafic d'armes souvent couplé à celui de la drogue. Une affaire juteuse sur le point de se conclure à la grande satisfaction des parties concernées.
Le meurtre d'une call-girl de Mado va être le grain de sable qui va gripper la machine.
L'enquête est menée par une jeune policière, beurette selon le terme de l'époque, Noria Gozhali et un commissaire débutant, Bonfils.
C'est une histoire complexe, truffée de magouilles, de coup bas dans le monde politico-médiatique et mafieux. Les règlements de compte sont sanglants. En filigrane, se joue le sort d'otages retenus au Liban.
L'autrice est historienne de formation, sans doute bien documentée et c'est difficile de croire que ce genre d'histoire appartient au passé. Ça fait froid dans le dos.
J'ai parfois eu du mal à m'y retrouver dans cette sombre galaxie tendue uniquement vers l'argent, le pouvoir et le sexe. Dès le départ nous savons que Bornand est un sale type, mais c'est encore pire que ce que je pensais. Quand on a connu cette période, c'est assez facile de mettre des noms sur quelques personnages ou un certain journal qui paraît le mercredi par exemple.
En face, Noria et Bonfils ne lâcheront pas leur enquête, Noria a de bonnes raisons de s'obstiner, malgré la hiérarchie et les menaces.
J'ai aimé ce roman, écrit sans fioritures, il va droit au but. Evidemment ce n'est pas brillant sur l'état de corruption de notre société et je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup de progrès depuis. Que savons-nous vraiment de ce qui se passe dans notre pays ?
Un film a été tiré du roman "Une affaire d'Etat". Je ne l'ai pas vu.
Dominique Manotti - Nos fantastiques années fric - 256 pages
Rivages poche - 2021 -
Bon dimanche

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Le testament de Sully
"Les êtres humains souffraient d'un tas de problèmes complexes, et la cause du mal n'était pas simple à diagnostiquer. L'approche pragmatique de son père excluait la possibilité, bien réelle, qu'il n'existe pas de remède. Ruth ne l'avait-elle pas reconnu elle-même en s'inquiétant que sa petite-fille soit trop abîmée pour qu'on puisse la réparer ? Si cela était vrai également de Thomas, si la blessure que lui avait infligée Peter et Charlotte dans son enfance était à la fois profonde et permanente, à quoi lui servirait-il de le savoir ? Etait-il possible d'agir après des décennies d'inaction ?".
Après "Un homme presque parfait" et "A malin malin et demi", voici "le testament de Sully" qui clôt la trilogie.
Retour à North Bath, bourgade déclinante du New-Jersey. Son insolente voisine, Schuyler Springs, a fini par l'absorber, au grand dam de tout un petit monde de bras cassés ou autres impécunieux de North Bath.
Sully est mort depuis dix ans, mais son ombre plane toujours sur North Bath qu'il a tant imprégnée de sa présence imprévisible. Sauf pour les pauses dans les cafés de la ville, réglées comme du papier à musique.
Avant de mourir, Sully a demandé à son fils Peter de prendre soin d'un certain nombre de personnes, son ancienne maîtresse, Ruth, la fille de celle-ci Janey, Rub son ami, complètement déboussolé depuis sa disparition et quelques autres. Peter s'acquitte de sa mission avec sérieux, mais il retape la maison de son père avec l'objectif de quitter les lieux le plus vite possible et de retrouver sa vie d'universitaire hors de ce trou.
Par ailleurs, le chef de la police, Douglas Raymer, traverse une mauvaise passe. Il vient de perdre son poste suite à la fusion des deux villes et Charice, son ex-adjointe et maîtresse le quitte momentanément pour s'occuper de son frère Jérôme.
Dans cette situation déjà complexe, vient s'ajouter un cadavre trouvé dans un hôtel abandonné, au milieu du territoire.
C'est impossible de résumer un roman de Richard Russo. Les personnages sont nombreux, les digressions aussi, les évènements s'enchaînent sur un temps court. Peter réfléchit longuement à la relation qu'il a eue avec son père, les reproches qu'il lui a fait, l'attitude de sa mère. Réflexion qu'il est obligé d'élargir maintenant à un de ses fils, Thomas, qu'il a abandonné également. Répétition désastreuse qui risque de bouleverser durablement sa vie.
Les personnages des deux premiers romans sont là et je n'ai pas eu de mal à les resituer. Le charme de la lecture est toujours dans le mélange de tendresse et d'humour qui fait passer des situations profondément dramatiques.
Ce qui domine, c'est toujours un grand plaisir de lecture et l'impression de retrouver de vieux amis. L'auteur n'a pas son pareil pour aborder de grands problèmes en nous faisant rire et pleurer. Les divisions de l'Amérique sont présentes, avec le racisme, la violence, les armes, la domination de certains et l'impossibilité de changer.
Sully est mort certes, mais il est très présent dans le roman, à travers les souvenirs des uns et des autres.
Une trilogie foisonnante qui a tenu toutes ses promesses. Et qui sait, peut-être retrouverons-nous un jour Peter et les autres.
Merci à Masse critique et aux Editions La Table Ronde
Participation au challenge de Moka "Quatre saisons de pavés"

Richard Russo - Le testament de Sully - 544 pages
Traduit par Jean Esch
Editions La Table Ronde - 2025 -
Bon dimanche
Ensemble Arpeggiata - Malena Ernman, mezzo-soprano
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C'est bon pour ton ego
![CVT_Cest-bon-pour-ton-ego_3249[1].jpg](http://legoutdeslivres.hautetfort.com/media/01/02/822755230.jpg)
"Octavie soupire en découvrant ce nouveau SMS. Le paquet de cigarettes, à l'abri dans son sac, n'a pas été ouvert depuis son achat, c'est-à-dire depuis quinze jours. Pour une candidate écolo à la présidentielle, fumer est impensable. "Le tabac rend les dents jaunes. Tu sais que la télé ne pardonne rien". Ce dernier argument est sans appel, même si Octavie meurt d'envie d'en griller une, là tout de suite. Après le débat, elle ira s'enfermer dans les toilettes, à l'abri des caméras, elle l'aura bien mérité. Fichue télé".
J'ai commencé ce recueil de seize nouvelles avec un peu de trac, l'autrice étant une blogueuse bien connue, que je suis depuis longtemps "Aux bouquins garnis".
J'ai souri à la première nouvelle où j'ai retrouvé le ton de la blogueuse, son amour des bons petits plats et son franc-parler, qu'elle aime ou qu'elle n'aime pas un livre.
Les nouvelles sont courtes, avec ou sans chute et ont comme toile de fond l'omniprésence des écrans dans nos vies, bénéfiques ou pas. J'avoue avoir préféré celles qui ont un zeste de cruauté, j'aurais même aimé qu'il soit poussé plus loin parfois.
Mais au fond, tous les personnages ont en commun de chercher l'amour, perdu ou jamais trouvé, fantasmé souvent, celui qui exalte ou démolit.
Je ne vais pas détailler les nouvelles, mais souligner celles qui m'ont le plus accrochée. La première par exemple, "Je ne suis pas Lynette" où une jeune femme se retrouve prise en otage dans un supermarché. Elle essaie de surmonter sa peur en imaginant les plats plus savoureux les uns que les autres qu'elle va faire le soir. Le tout en se désolant de ne pas être, hélas, Lynette (personnage de Desperate Housewives).
"La loyauté" ou deux amies se retrouvent et comparent leurs enfants. Elles vont s'affronter à fleurets mouchetés autour d'une petite fille différente. Où l'on voit sombrer une (fausse ?) amitié. Histoire touchante et désolante à la fois.
Plus fantaisiste "Victor Hugo dans mon salon" qu'il faut prendre au pied de la lettre. Comment s'est-il retrouvé là, la narratrice se le demande (et nous aussi). Elle apostrophe le grand homme sans la moindre gêne, elle a plusieurs griefs contre lui.
J'ai été séduite par la variété des personnages et des univers évoqués. Au delà d'une certaine légèreté, les sujets plus graves affleurent régulièrement, sous un humour souvent ravageur.
En bref, un premier recueil prometteur, qui devrait être suivi d'un deuxième.
L'avis de Kathel (et interview de l'autrice)
Lecture commune avec Ingannmic
Vous pouvez trouver ce recueil dans toutes les bonnes librairies indépendantes, ou le commander ici
Béatrice Crespo-Binisti - C'est bon pour ton ego - 144 pages
Editions Zonaires - 2024 -
Bon dimanche
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Les fils de Shifty

"Mick hocha la tête. Il avait tendance à se souvenir des choses qui le rendaient triste - le deuil et le chagrin, les fautes et les faux pas. Il se demanda si c’était juste qu’il n’avait pas de bons souvenirs, ou s’il était incapable de se les remémorer."
J'avais apprécié "Les gens des collines" et sachant que c'était une trilogie j'avais hâte de découvrir le deuxième épisode.
Même décor, une petite ville du Kentucky où Mick a passé son enfance. Il est en convalescence de l'armée, où il est enquêteur. Il a connu plusieurs terrains de guerre, la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan où il a sauté sur une bombe artisanale, d'où sa blessure et son retour momentané au pays.
Il savait en rentrant que sa femme, Peggy, voulait divorcer, lasse de ses perpétuels départs. Il s'y est résigné et ne lutte plus pour la faire changer d'avis. Pour l'heure il vit chez sa soeur, Linda, shérif de la petite ville, en campagne de réélection.
Il commence à envisager son retour à l'Armée, en Allemagne lorsque l'on découvre un cadavre abandonné sur un parking. C'est un des fils de Shifty Kissick, connu pour être un trafiquant de drogue.
Shifty est parfaitement au courant du trafic de son fils et en connaît les rouages. Elle soupçonne quelque chose de pas net derrière sa mort et demande à Mick d'enquêter officieusement. C'est un enfant du pays, il connaît les gens, la mentalité du coin, il aura les coudées plus franches pour chercher.
Mick accepte, sachant que l'enquête officielle est menée par le shérif, c'est-à-dire sa soeur, Linda. Par ailleurs, il devra se débarrasser de son addiction aux anti-douleurs qu'il avale un peu trop comme des bonbons.
Une fois mis le doigt dans l'engrenage, il est entraîné dans une histoire de trafic, de vengeance, de règlements de comptes où il ira plus loin peut-être qu'il n'aurait voulu.
Ce deuxième volet est aussi réussi que la premier. Mick est plutôt du genre taiseux, mais les questionnements ne manquent pas dans sa tête, au grand plaisir de la lectrice. Au fur et à mesure de ses recherches, la violence monte, un deuxième fils de Shifty est tué, Mick est pris à parti lui-même.
Ce qui est étonnant, c'est la place de la nature dans cet univers noir, Micky y est attentif, la décrit merveilleusement bien, tout comme "Oncle Merle" qui écoute et parle aux oiseaux. Certains des personnages secondaires sont d'ailleurs assez pittoresques, allégeant l'ambiance mortifère.
Il me reste à attendre le troisième volet "La loi des collines" annoncé pour le 5 Février.
Chris Offutt - Les fils de Shifty - 288 pages
Traduit par Anatole Pons-Reumaux
Gallmeister - 2024 -
Deux filles
"A mon tour d'écouter, de rester sans défense, sidéré par ce que j'entendais. Sélène et Olga voulaient vivre ensemble. Sélène et Olga voulaient s'aimer du matin jusqu'au soir. Sélène et Olga voulaient s'installer dans un appartement déglingué et plein de charme qu'une amie leur louerait pour pas grand-chose. Sélène et Olga voulaient se nourrir de ce qu'elles admiraient et adoraient. Sélène et Olga voulaient que chacune mène ses affaires selon ses désirs, mais Sélène et Olga voulaient que ces désirs s'amplifient au fil du temps".
J'ai choisi ce roman dans la rentrée de septembre dernier parce que j'avais envie de découvrir la plume de l'auteur, pas encore lu jusqu'à présent.
J'ai commencé ma lecture sans presque rien savoir de l'histoire. Le narrateur est dans un creux de la vie, récemment divorcé, sans projet professionnel immédiat (il est cameraman). L'esprit un peu flottant, déboussolé, tout change lorsque sa fille Olga, 22 ans, lui annonce son retour.
Elle est partie explorer le monde un an auparavant avec son copain Mats et elle revient avec Sélène. Les deux filles sont amoureuses et n'envisagent plus la vie l'une sans l'autre.
La joie revient dans l'appartement du père, rue de la Roquette à Paris. Sélène est pleine d'énergie, proche de la nature, on pourrait la qualifier de décroissante, elle est tournée vers la terre, la préservation d'une vie saine, la simplicité. Elle entraîne Olga dans son sillage.
Le père a un regard bienveillant sur les deux filles, retrouve le plaisir de l'échange et de l'animation, alors pourquoi ce malaise lorsqu'il regarde Sélène ? Malaise qui grandit au fil des jours.
J'ai craint d'abord une histoire trop classique et banale, ce n'est heureusement pas le chemin prit par l'auteur. L'intrigue est bien plus subtile et intéressante.
Je ne peux rien en dire sans trop dévoiler. Où l'on voit qu'une décision prise un peu légèrement dans la jeunesse du narrateur revient en boomerang une vingtaine d'années plus tard avec des questionnements bien plus profonds et dérangeants.
Le narrateur avance à tâtons, contraint à une introspection vertigineuse. Parallèlement un autre personnage surgit, un homme sans domicile fixe, auteur de dessins extraordinaires. Les filles le rencontrent au hasard de leurs balades et se mettent en tête de le faire connaître.
C'est une de mes meilleures lectures de la rentrée, à l'écriture, élégante, ciselée. L'histoire est racontée sans tapage, avec une grande pudeur de sentiments.
J'ai aimé suivre les pensées du narrateur, son amour de l'art, de la marche, des rencontres, son oeil de cinéaste toujours à l'affût d'un sujet à traiter, sa vision de la vie.
"Dès leur retour, je les ai invitées à manger, leurs paroles comme un tumulte vivifiant. Elles parlaient fort, se coupaient la parole, superposaient leurs mots, s'enhardissaient, se contredisaient parfois. Une débauche d'ardeur. Cela pétillait et partait dans tous les sens. Avec l'arrivée des plats, un peu de sérénité est revenue. Olga et Sélène louaient les trois maraîchers, beaux comme la foudre, étrangers aux bassesses et aux rancoeurs, qui leur faisaient les yeux doux et auraient voulu les associer à leur entreprise, puis, avec sollicitude elles ont décrit quelques unes des personnes venues donner un coup de main pour une journée ou deux, du professeur d'anglais qui vaquait de dépression en dépression au réfugié politique torturé, de la plasticienne au bord de la crise de nerfs à la cheffe comptable en quête de sens, et tout ce petit monde, le temps du labeur, reprenait souffle, jouissant d'un répit qui soulage".
Un roman qui m'a touchée. Un auteur à suivre.
Michel Layaz - Deux filles - 160 pages
Editions Zoé - 2024






