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Littérature française

  • Mon vrai nom est Elisabeth

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    "J'avais déjà entendu parler de Violette. Elle figurait sur la liste des Femmes Malades de la famille, elle était l'une des preuves, s'il en fallait, que nous devions nous méfier, que le gène pouvait ressortir n'importe où, n'importe quand, comme un flux de sève souterrain qui éclate en certains bourgeons plutôt qu'en d'autres avec la venue du printemps. Cette femme était décédée subitement à quarante ans, à la suite de plusieurs internements psychiatriques. Mais aux dires de tous, il ne s'agissait pas d'un suicide".

    On voit beaucoup ce livre sur la blogosphère, je crois que tout le monde sait maintenant à peu près de quoi il est question. Adèle Yon, comme d'autres jeunes femmes de sa famille se pose des questions sur son état mental, vers l'âge de 25 ans.

    Elle est mal dans sa vie, laisse perdurer une relation malsaine et n'arrive pas à s'en sortir. Serait-il atteinte du même mal que son arrière grand-mère, Elisabeth, dite Betsy, internée pour une schizophrénie ? La rumeur familiale dit que c'est génétique. Point.

    Vraiment ? L'autrice prépare une thèse en sciences humaines, elle décide de la consacrer à l'histoire de Betsy. D'emblée sa grand-mère (fille de Betsy) lui déclare qu'elle approuve sa démarche mais qu'elle ne l'aidera pas et ne veut pas savoir ce qu'elle trouvera. Le ton est donné, Adèle Yon va se heurter au silence familial, allant du refus total aux demi-confidences et souvenirs tronqués.

    Ce qui est tangible, c'est que Betsy, est passée d'une jeune femme vive, intelligente, joyeuse, à cette personne un peu décalée, perdue, la tête déformée par deux trous voyants sur chaque coté. Elle a été internée 17 ans et lobotomisée. Pour rien.

    Au fil des recherches et des rencontres, l'autrice remonte l'histoire de son aïeule. Sa fratrie comptait dix personnes, Elisabeth a eu six enfants, ça fait pas mal de monde à interroger, même si certains ne sont plus en vie.

    Un pas en avant, trois pas en arrière, la démarche d'Adèle Yon n'est pas facile. La famille d'Elisabeth fait partie de la bonne bourgeoisie catholique, on a des principes. C'est trop étouffant pour elle qui veut être libre et attend beaucoup de la vie.

    Sa rencontre avec André, jeune homme bien sous tous les rapports, va être décisive. Elle est belle, intelligente, André tombe amoureux. L'autrice finit par entrer en possession des lettres que les fiancés échangeaient et là on sent bien que ça ne pourra pas aller. André vise ni plus ni moins la sainteté et attend la même chose de sa future épouse, qui de son côté revendique avant tout sa liberté.

    "Vous me dites que je n'aurai aucune responsabilité envers vous. Que vous le vouliez ou non, j'aurai une grande responsabilité. Car le Seigneur a voulu qu'un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre, mais jusqu'à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m'a institué tel".

    Le mariage se fera après la guerre et très vite, la situation dégénèrera. Six enfants en sept ans. Elisabeth sombre dans la dépression, ne fait pas face à ses obligations. Le conseil des médecins est de continuer à avoir des enfants, une maternité finira bien par la calmer et l'épanouir enfin.

    Evidemment, ça ne marchera pas et Elisabeth est internée à la demande son mari, avec l'accord de son père, Louis. Je ne vais pas trop en dévoiler, mais plus l'autrice entre dans l'histoire, plus elle est révoltante et glaçante.

    Ce qui se dessine c'est qu'Elisabeth n'était pas folle, mais victime d'une société patriarcale, d'un mari autoritaire et tyrannique, d'une famille toxique et d'un monde médical profondément maltraitant surtout sur le corps des femmes.

    Adèle Yon aura des moments de découragement et même abandonnera l'enquête qui la bouscule trop et mène à trop d'impasses. Toujours, un élément inattendu la fera repartir ; elle ira aussi loin que possible dans la connaissance du parcours d'Elisabeth.

    J'ai quelques réserves sur cette lecture, surtout la forme, mais il faut reconnaître qu'il frappe fort. Je l'ai lu dans un état de colère quasi-permanent devant la place assignée aux femmes et le châtiment qui les attend si elles ne s'y conforment pas. Elisabeth a pu sortir de l'internement en 1967, autrement dit quasiment hier. Comment ne pas voir que nous partons de très loin et que chaque acquis est fragile.

    Sur la forme, elle n'est pas toujours évidente. Différents types de typographie sont utilisés, par exemple pour les lettres des fiancés et également les interviews, qui mentionnent la place de chacun. J'ai eu du mal à me repérer au début.

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    J'ai failli caler au milieu du livre à cause d'une description détaillée de l'historique de la lobotomie. Pour moi elle a cassé le rythme de la narration familiale. Si j'avais su, j'aurais zappé le passage et l'aurais repris une fois la lecture terminée.

    Il reste un propos puissant, qui aborde un sujet peu traité, celui de toutes les femmes injustement enfermées. Le pire est que les médecins savaient qu'ils ne guérissaient personne. Le but était de les rendre à leurs familles dociles et conformes à ce que la société en attendait. Comment ne pas être révoltée ..

    Les avis de Cathulu Ingannmic Luocine Sandrine Sandrion etc ..

    Adèle Yon - Mon vrai nom est Elisabeth - 400 pages
    Editions du Sous-Sol - 2025

  • Le vieil incendie

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    "Aussi loin que j'arrive à remonter dans ma mémoire, Vera s'y trouve quelque part. Sauf l'enterrement de notre père, je réalise que je ne partage aucun souvenir d'adulte avec elle.

    J'ai terminé ce roman il y a quelques semaines et je me rends compte qu'il ne m'en reste pas grand chose, ce qui correspond à vrai dire à ce que j'ai ressenti pendant ma lecture.

    Il est question des retrouvailles de deux soeurs, Agathe et Véra, qui ne se sont pas vues depuis des années. Agathe vit et travaille aux Etats-Unis, comme scénariste. Elle s'est quasiment enfuie de la maison paternelle à 15 ans, n'en supportant plus l'ambiance. Elle revient dans le Périgord pour vider la maison familiale qui doit être démolie rapidement. Elles ont 9 jours.

    Véra n'a jamais quitté les lieux. Aphasique depuis l'âge de six ans, c'est devenu une jeune femme autonome qui se débrouille très bien seule. La cohabitation des deux soeurs pendant quelques jours ne sera pas facile. Elles étaient pourtant fusionnelles durant leur enfance, mais Véra a vécu le départ d'Agathe comme un abandon.

    L'histoire est faite d'entremêlements entre le présent et le passé, avec des retours en arrière fréquents, et surtout beaucoup de non-dits. Tout est vague et évanescent, la lectrice devine entre les lignes (quand elle peut).

    Je n'ai pas réussi à cerner les personnages, il m'a manqué de l'émotion, la narration est assez froide, les motivations des uns et des autres restent floues.

    Il y a pourtant de beaux passages, essentiellement sur la nature qui entoure la maison, l'atmosphère assez étouffante d'un bois, les souvenirs du père.

    Pour résumer, je suis passée complètement à côté de cette histoire. Je suis allée malgré tout jusqu'au bout, pensant avoir un déclic à un moment donné. Il n'est pas venu.

    L'avis de Cathulu, nettement plus positive que moi.

    Elisa Shua Dusapin - Le vieil incendie - 144 pages
    Editions Zoé - 2023

  • Le bruit du rêve contre la vitre

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    "Dans une AG quelconque, sûrement un rassemblement de précaires, Milou avait entendu, un jour, des types s'offusquer du terme "sans abri". "Sans domicile" "sans domicile fixe", "SDF", les mecs s'étaient écharpés pour décider quelle expression était la moins abjecte. Finalement, après une demi-heure de masturbation intellectuelle, ils étaient tombés d'accord sur le terme "marginal". C'était surréaliste : ils crevaient de faim mais tenaient à choisir le mot qu'on inscrirait à côté de leur nom dans la rubrique faits divers lorsque le Samu Social les découvrirait raides morts dans un caniveau".

    Pendant les confinements successifs durant le covid, j'étais sûre que je ne lirais jamais une ligne sur cette période-là, agaçée par des déclarations vantant l'art de rester tranquille dans sa maison de campagne et de redécouvrir la nature, le calme, la famille loin de la frénésie ordinaire etc .. etc .. trop souvent discours de privilégiés.

    Le temps passant, j'ai changé d'avis, c'est un évènement qui a marqué tout le monde, d'une manière ou d'une autre et bien traité, avec un peu de recul, il devient intéressant. J'ai aimé retrouver des sensations, des détails oubliés, l'état de sidération et d'étrangeté qui pouvait aller avec.

    Pendant qu'il était confiné dans un appartement à Paris, l'auteur a écrit douze nouvelles qui balayent assez largement les cas de figure qui pouvaient se présenter. Nous passons du tragique au comique, avec parfois un mélange des deux dans une même nouvelle.

    La première donne le ton "Les murs porteurs", avec Pélagie, une jeune femme violentée par un tyran domestique imbu de lui-même et de ses talents. Lorsqu'elle ouvre les yeux sur la "valeur" réelle de son génie de compagnon, c'est assez jubilatoire.

    Dans "La Fashion faux pas", l'auteur se moque avec une certaine malice des influenceurs youtube dans le vent. La chute est hilarante et bien amenée.

    "Les balcons fleuris" est une nouvelle qui dégage une certaine émotion à coup de banderoles, de poésie, de réconfort apporté aux autres dans un élan bienveillant, mais durera-t'il ?

    Et vous vous souvenez de l'école à la maison ? Victor se fait fort de venir à bout de ses bambins et de remplacer des enseignants notoirement incompétents, pendant que Madame va travailler à l'hôpital. Il va se prendre une bonne claque.

    "Cette fois-ci, Victor explosa. "Ta gueule ! Passe-moi quelqu'un, je veux parler à QUELQU'UN !" Et il pressa tous les boutons au hasard.
    Troisième temps de silence. Puis "Désolé, je n'ai pas compris votre réponse. Vous allez être mis en relation avec un opérateur qui traitera directement votre requête".

    Autre nouvelle touchante, celle qui a donné son titre au recueil "Je suis en train de mourir, ai-je songé, stupéfait". C'est celle qui évoque au plus près la violence de la pandémie et la rapidité de la dégradation physique, avec toutes les ruminations qui peuvent l'accompagner.

    Je ne vais pas énumérer toutes les nouvelles, elles s'enchaînent avec fluidité et nous font partager les états d'âme de personnages très différents, attachants ou pas, c'est selon. Je les ai lues avec plaisir et je me suis remémorée l'avalanche de règles plutôt rigides qui nous sont tombées dessus.

    L'avis d'Alex Anne Keisha Krol

    Merci à l'auteur et aux Editions Quadrature

    Axel Sénéquier - Le bruit du rêve contre la vitre - 141 pages
    Editions Quadrature - 2021

  • Surtensions

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    "Après douze ans à la crime du 93, il devenait compliqué pour ces flics de parler d’une rue sans la connaître pour un viol, un enlèvement ou un homicide."

    Les polars se suivent et ne se ressemblent pas. Je ne peux pas qualifier celui-là de pépère, loin s'en faut.

    J'ai aimé les deux précédents romans (ici et ) mettant en scène le Capitaine Victor Coste et je savais que je le retrouverais tôt ou tard. Voilà qui est fait avec ce troisième opus, aussi fort que les précédents.

    Victor Coste n'arrive pas tout de suite, nous avons d'abord une longue introduction sur l'univers des prisons, aussi cauchemardesque que prévu et même au-delà. Nous allons faire la connaissance de plusieurs détenus qui auront leur importance (ou pas) dans ce qui va suivre.

    Plusieurs affaires s'entremêlent ensuite, difficile à démêler, entre une soeur prête à tout pour faire sortir son petit frère de prison, une famille retenue en otage et terrorisée et quelques malfrats qui ne font pas dans la demi-mesure.

    Pas question de divulgâcher quoique ce soit ; il faut seulement savoir que c'est un des meilleurs de la série, très noir malgré les touches d'humour. L'équipe de Coste va être mise à rude épreuve, chaque membre est bien décrit avec son caractère et sa manière de réagir.

    Coste lui-même n'est pas au mieux de sa forme, après quinze ans dans le 93 il se sent usé, il n'y croit plus et songe sérieusement à démissionner. Son humanité ressort d'autant plus devant les cas de conscience qui lui tombent dessus. Toujours aussi mal à l'aise avec les sentiments, il a du mal à maintenir une relation avec Léa, la médecin légiste.

    Il n'y aura pas de happy-end, pour personne.

    Il ne faut pas oublier que l'auteur a été policier dans la vie et ce qu'il décrit doit être réaliste, ce qui fait frémir au vu de certains endroits où la vie ne vaut vraiment pas cher et ou certains individus n'ont aucune limite.

    Malgré le côté très sombre de l'histoire, j'ai été captivée par cette lecture où la tension ne faiblit pas.

    L'avis de Philippe

    Olivier Norek - Surtensions - 480 pages
    Pocket - 2017

  • Les saules

    Les Saules par Beaussault

    "On rétorque que c'est la coulée, une gamine d'ici, la Basse Motte, que c'est la famille et qu'on se lâche jamais entre culs-terreux, qu'on se serre les coudes, qu'on a des couilles, qu'on va réfléchir ensemble (comme leurs pères face aux boches) et trouver comment en finir avec ce merdier qui submerge bien plus que leurs bottes."

    Quelque part en Bretagne, à une époque non située mais qui semble être l'immédiat après-guerre, un village va être complètement bouleversé par l'assassinat d'une jeune fille de 17 ans, Marie.

    Marie est la fille unique du pharmacien qui habite la Haute Motte. Ne pas confondre avec la Basse Motte et ses habitants d'une classe inférieure, comme la famille de Marguerite, qui survit difficilement en élevant des porcs.

    Marguerite est une petite fille sale et mal peignée, jamais à la bonne place, essayant désespérément de se faire oublier partout où elle est, surtout à l'école où elle est moquée par tout le monde. Un peu simplette peut-être ou seulement différente dans un monde trop dur.

    La mort de Marie va secouer tout ce petit monde. Le policier local chargé de l'enquête est appuyé par une inspectrice venue de la ville. Tout le village ou presque va être interrogé. Personne n'a rien vu, ni rien fait, sauf que ... Marguerite, elle, a vu quelque chose, mais à son habitude elle ne dit rien, enfin pas tout de suite.

    C'est un premier roman qu'une libraire m'a fortement conseillé et je me suis laissée convaincre. On pourrait le qualifier de polar rural ou de roman noir, mais peu importe. Le côté pesant d'un trou de campagne perdu est bien rendu, les vieilles querelles, les clivages, les ragots et les classes sociales qui s'ignorent. 

    Et puis Marie c'est malheureux ce qui lui est arrivé, mais enfin, tout le monde sait bien qu'elle n'avait pas froid aux yeux et qu'elle allumait facilement la gent masculine.

    J'ai trouvé l'ensemble parfois caricatural, mais peut-être pas tant que ça et pour un premier roman il est plutôt bien construit. J'ai aimé les interrogatoires de police dont nous n'avons jamais les questions, seulement les réponses, ce qui donne une bonne idée de l'état émotionnel de certains, pas tout-à-fait nets.

    C'est surtout la petite Marguerite qui est au centre du récit, attachante, inquiète, toujours à suçoter ses manches de pull, à s'échapper avec son seul ami, Victor, un peu bizarre comme elle. Ce n'est pas facile à la maison avec son père, toujours bourru, sa mère, avare et malhabile dans des gestes qu'elle voudrait affectueux, mais qui n'arrive pas vraiment à aller au bout.

    La fin arrive un peu rapidement et ne m'a pas étonnée si l'on pense au milieu et à l'époque.

    C'est un livre qui ne se lâche pas une fois commencé ; en le refermant j'ai pensé que j'avais déjà lu cette histoire-là par ailleurs, mais il y a un ton et des personnages qui donnent envie de suivre l'autrice à l'avenir.

    L'avis d'Agnès (chez Athalie) Philippe Sandrine

    Mathilde Beaussault - Les saules - 272 pages
    Editions Seuil - 2025

  • Nos fantastiques années fric

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    "Taisez-vous, Fernandez. Tout le monde sait que c'est la guerre entre les services de police et la cellule de l'Elysée. Et la cellule c'est Grossouvre, Ménage et moi. Donc, si les RG sont au courant de cette affaire par Chardon, ils n'hésiteront pas à s'en servir pour m'abattre. Et, au passage, plomber les socialistes aux élections de mars prochain".

    Je souhaitais découvrir Dominique Manotti depuis longtemps, voilà qui est fait, avec une lecture plutôt addictive.

    L'intrigue se déroule à la fin du premier septennat de François Mitterrand. Victor Bornand est un très proche du Président, au fait de toutes les opérations au coeur de la cellule de l'Elysée, au fonctionnement plutôt opaque. C'est aussi un homme à femmes, amateur entre autres des pensionnaires d'une certaine Mado, à l'adresse bien connue du gratin parisien.

    Bornand est sur une affaire de trafic d'armes avec l'Iran, alors sous embargo. Trafic d'armes souvent couplé à celui de la drogue. Une affaire juteuse sur le point de se conclure à la grande satisfaction des parties concernées.

    Le meurtre d'une call-girl de Mado va être le grain de sable qui va gripper la machine.

    L'enquête est menée par une jeune policière, beurette selon le terme de l'époque, Noria Gozhali et un commissaire débutant, Bonfils.

    C'est une histoire complexe, truffée de magouilles, de coup bas dans le monde politico-médiatique et mafieux. Les règlements de compte sont sanglants. En filigrane, se joue le sort d'otages retenus au Liban.

    L'autrice est historienne de formation, sans doute bien documentée et c'est difficile de croire que ce genre d'histoire appartient au passé. Ça fait froid dans le dos.

    J'ai parfois eu du mal à m'y retrouver dans cette sombre galaxie tendue uniquement vers l'argent, le pouvoir et le sexe. Dès le départ nous savons que Bornand est un sale type, mais c'est encore pire que ce que je pensais. Quand on a connu cette période, c'est assez facile de mettre des noms sur quelques personnages ou un certain journal qui paraît le mercredi par exemple.

    En face, Noria et Bonfils ne lâcheront pas leur enquête, Noria a de bonnes raisons de s'obstiner, malgré la hiérarchie et les menaces.

    J'ai aimé ce roman, écrit sans fioritures, il va droit au but. Evidemment ce n'est pas brillant sur l'état de corruption de notre société et je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup de progrès depuis. Que savons-nous vraiment de ce qui se passe dans notre pays ?

    Un film a été tiré du roman "Une affaire d'Etat". Je ne l'ai pas vu.

    Dominique Manotti - Nos fantastiques années fric - 256 pages
    Rivages poche - 2021

  • C'est bon pour ton ego

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    "Octavie soupire en découvrant ce nouveau SMS. Le paquet de cigarettes, à l'abri dans son sac, n'a pas été ouvert depuis son achat, c'est-à-dire depuis quinze jours. Pour une candidate écolo à la présidentielle, fumer est impensable. "Le tabac rend les dents jaunes. Tu sais que la télé ne pardonne rien". Ce dernier argument est sans appel, même si Octavie meurt d'envie d'en griller une, là tout de suite. Après le débat, elle ira s'enfermer dans les toilettes, à l'abri des caméras, elle l'aura bien mérité. Fichue télé".

    J'ai commencé ce recueil de seize nouvelles avec un peu de trac, l'autrice étant une blogueuse bien connue, que je suis depuis longtemps "Aux bouquins garnis".

    J'ai souri à la première nouvelle où j'ai retrouvé le ton de la blogueuse, son amour des bons petits plats et son franc-parler, qu'elle aime ou qu'elle n'aime pas un livre.

    Les nouvelles sont courtes, avec ou sans chute et ont comme toile de fond l'omniprésence des écrans dans nos vies, bénéfiques ou pas. J'avoue avoir préféré celles qui ont un zeste de cruauté, j'aurais même aimé qu'il soit poussé plus loin parfois.

    Mais au fond, tous les personnages ont en commun de chercher l'amour, perdu ou jamais trouvé, fantasmé souvent, celui qui exalte ou démolit.

    Je ne vais pas détailler les nouvelles, mais souligner celles qui m'ont le plus accrochée. La première par exemple, "Je ne suis pas Lynette" où une jeune femme se retrouve prise en otage dans un supermarché. Elle essaie de surmonter sa peur en imaginant les plats plus savoureux les uns que les autres qu'elle va faire le soir. Le tout en se désolant de ne pas être, hélas, Lynette (personnage de Desperate Housewives).

    "La loyauté" ou deux amies se retrouvent et comparent leurs enfants. Elles vont s'affronter à fleurets mouchetés autour d'une petite fille différente. Où l'on voit sombrer une (fausse ?) amitié. Histoire touchante et désolante à la fois.

    Plus fantaisiste "Victor Hugo dans mon salon" qu'il faut prendre au pied de la lettre. Comment s'est-il retrouvé là, la narratrice se le demande (et nous aussi). Elle apostrophe le grand homme sans la moindre gêne, elle a plusieurs griefs contre lui.

    J'ai été séduite par la variété des personnages et des univers évoqués. Au delà d'une certaine légèreté, les sujets plus graves affleurent régulièrement, sous un humour souvent ravageur.

    En bref, un premier recueil prometteur, qui devrait être suivi d'un deuxième.

    L'avis de Kathel (et interview de l'autrice)

    Lecture commune avec Ingannmic

    Vous pouvez trouver ce recueil dans toutes les bonnes librairies indépendantes, ou le commander ici

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    Béatrice Crespo-Binisti - C'est bon pour ton ego - 144 pages
    Editions Zonaires - 2024

  • Fantômes d'Ogura

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    "Les gens croient que les esprits des morts ne reviennent visiter les vivants que le jour de leur fête mais ce n'est pas vrai. Quotidiennement, Hatsumi se plaît à laisser errer son esprit dans la vallée, à se mêler à des myriades d'autres comme le sien qui emplissent l'espace en tous sens. Elle ne craint pas les esprits de rencontre puisqu'elle en est un elle-même. La crainte des espaces errants n'affecte que les vivants".

    Récemment, je vous ai parlé d'un livre dont j'avais quasiment tout oublié après un mois. Il en est d'autres par contre qui vous restent bien en mémoire des années plus tard. "Lettres d'Ogura" en fait partie et j'étais ravie d'apprendre qu'un nouveau roman reprenait le personnage d'Hatsumi, délicieuse vieille dame, gardienne des traditions et veillant à ce que le village respecte les coutumes ancestrales.

    Ce n'est pas à proprement parler une suite, les deux peuvent se lire indépendamment. Seulement, dans celui-ci Hatsumi est devenue un fantôme. Elle est morte et se promène maintenant à sa guise, partout où elle veut, avec un retour en arrière sur tout ce qu'elle a vécu et un regard curieux sur les vivants qui poursuivent leur existence sans elle.

    Sous sa nouvelle forme, Hatsumi veille sur sa maison, inquiète de son avenir. Elle pense à ses trois filles qui ne viennent plus souvent. Pensent-elles encore à elle ? Elle se souvient aussi de son défunt mari, qui s'est donné la mort il y a bien longtemps. C'est le seul esprit qu'elle n'a jamais croisé, elle se demande pourquoi.

    Elle se déplace dans le village, à l'affût des petits et grands changements. Ogura est maintenant de plus en plus déserté, les jeunes sont partis et ne sont pas remplacés. On sent la nostalgie envahir Hatsumi au fur et à mesure que les traditions sont abandonnées.

    La plume de l'auteur est toujours aussi délicate, rendant tangible la présence de la vieille dame, que l'on imagine sans peine allant d'un point à un autre, invisible mais toujours aussi soucieuse du bien-être des autres et de la survie d'Ogura, perdu dans la nature et menacé de détérioration.

    Ce n'est pas un livre triste, il est même plutôt réconfortant. Hatsumi est un personnage très attachant et la vision des Japonais sur les vivants et les morts, très différente de la nôtre, est apaisante.

    Comme dans le premier roman, des caractères en japonais sont insérés dans certaines phrases, ajoutant un zeste de dépaysement à la lecture, si belle par ailleurs.

    "Ses errances dans la vallée la laissent parfois songeuse. Regrette-t'elle de ne plus faire partie de toutes ces petites existences ? Non. La mort aussi doit suivre son cours. Et puis, quelle frayeur pour les voisins s'ils la voyaient reparaître en vrai dans sa maison.

    Il lui vient tout de même un petit regret de temps à autre, une nostalgie qu'elle ne peut refréner : le goût du thé, de tous les thés ; hijocha, sencha, mugicha et même sobacha, qu'importe. Elle aimerait savourer ne serait-ce qu'une gorgée du breuvage brûlant qu'elle aimait tant."

    C'est un coup de coeur et je ne saurais trop vous inciter à lire les deux. Ce sont des textes courts qui se savourent pleinement.

    L'auteur a passé sa vie professionnelle au sein du Collège de France dans le domaine de la sinologie. Il a été attaché à la Chaire d'histoire sociale et intellectuelle de la Chine de Jacques Gernet, puis aux Instituts d'Extrême-Orient en tant que maître de conférences.

    L'avis de Manou

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    Hubert Delahaye - Fantômes d'Ogura - 136 pages
    L'Asiathèque - Collection Liminaires

  • L'agent

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    "Livide, Thérèse rangea les brochures, des pulsations tambourinant contre ses tempes. Elle repensa à la maison de retraite où sa propre mère avait fini ses jours. Les infirmières nourrissaient les vieillards à la petite cuillère puis leur mettait de la musique de l'entre-deux guerres ou un documentaire animalier. Elle préférerait mourir plutôt que survivre dans cette atmosphère. Elle avait construit toute son existence pour être libre et autonome. Pas de mari, pas de patron. Celui qui arriverait à la cloîtrer entre quatre murs n'était pas né".

    Après une enfance pauvre et malmenée, Anthony se targue d'une belle réussite sociale. Il fait désormais partie d'une classe supérieure et jouit de certains privilèges : bel appartement, quartier huppé, il promène tranquillement ses deux chiens, papa et maman, des molosses impressionnants.

    Evidemment il ne peut pas crier sa profession sur les toits, profession créé par lui : agent de tueurs à gages et le meilleur. Les affaires marchent bien jusqu'au jour où ... une future recrue prometteuse envoie valser sans le vouloir cette belle mécanique.

    De son côté, Thérèse qui se remet d'un AVC est hébergée chez son neveu ; elle n'a pas d'enfants et elle comprend que la situation ne peut pas durer, son neveu la pousse à aller en maison de retraite, ce qu'elle refuse catégoriquement. Malgré ses soixante-quinze ans elle travaille encore à sauver son agence matrimoniale et ne lâchera pas le morceau.

    Voilà comment deux individus qui n'avaient aucune raison de se rencontrer se retrouvent à se planquer dans un camping du côté de Vierzon.

    Comment la cohabitation va-t'elle se passer sachant qu'Anthony a une escouade de tueurs à ses trousses et que Thérèse est recherchée comme personne vulnérable.

    Je souhaitais une lecture distrayante et amusante et c'est sur la foi de critiques unanimement positives que j'ai plongé dans cette histoire. Un mois après, je dois dire qu'il ne m'en reste pas grand chose. La confrontation de Thérèse et Anthony m'a souvent fait sourire mais sans plus.

    Ce qui est réussi par contre, c'est la critique féroce de la société envers les vieux et les pauvres. Alors imaginez quand vous cumulez les deux. Les réflexions sont justes et on jubile parfois devant les solutions trouvées par les deux phénomènes, parfaitement immorales.

    En bref, je ne suis pas ressortie enthousiaste de cette lecture, pas sûr que je récidive avec un autre titre.

    L'avis d'Alex et Cathulu, plus fans que moi.

    Pascale Dietrich - L'agent -192 pages
    Liana Levi - 2024

  • Ilaria

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    "Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul."

    Ilaria vit en Suisse avec sa mère et sa soeur. Elle a huit ans et ses parents viennent de se séparer. Son père habite en Italie. Elle est étonnée mais contente quand il vient la chercher à la fin de l'école, il s'est entendu avec sa mère, il l'emmène en virée pour le week-end.

    Ce qu'Ilaria ne sait pas c'est qu'en réalité il l'enlève. Fulvio n'accepte pas la rupture et veut faire pression sur son ex en la privant de la petite. Elle ne se doute pas non plus que la cavale va durer deux ans.

    Au début c'est plutôt amusant, le père est un personnage assez flamboyant, sûr de lui, menteur, il ment tout le temps à tout le monde, avec un aplomb sidérant. Ils passent d'hôtel en hôtel, il fait beau, ça ressemble aux vacances.

    En écoutant la radio, nous comprenons que nous sommes en 1980. Si l'équipée est distrayante dans un premier temps, Ilaria se rend peu à peu compte de couacs inquiétants. Et puis sa mère et sa soeur lui manquent.

    La force de ce roman est de nous mettre dans la même situation qu'Ilaria ; rien n'est vraiment expliqué, nous sommes dans le même flou qu'elle, même si avec notre regard d'adulte, nous  comprenons parfaitement ce qu'Ilaria ne saisit pas.

    Le temps passe, il y a des coups de fil à la mère, qui ne veut pas revenir. De charmant et séducteur, le père passe à des accès de colère, il manipule Ilaria, lui fait croire que sa mère ne veut pas lui parler, qu'elle l'oublie. Ses colères s'aggravent avec la consommation de whisky. Il peut même être cruel.

    Malgré tout Ilaria l'aime ce père, elle comprend qu'il est très seul et malheureux, elle se croit obligée de rester avec lui pour le soutenir.

    Cette histoire est racontée avec une grande délicatesse ; la situation est révoltante, mais il y a aussi des moments de bonheur, la fuite du père est jalonnée de rencontres, dont certaines chaleureuses. Ilaria peut trouver des appuis et s'attacher à des personnes qui l'entoureront d'affection et de bienveillance.

    On sent qu'en Suisse et en Italie, Ilaria et son père continuent à être recherchés. La petite se sent de plus en plus mal dans la vie que son père lui fait mener. Arrivera-t'elle à en sortir ?

    Je n'en dirai pas plus, les petites filles ont parfois plus de ressources qu'elles n'en ont l'air.

    J'ai refermé ce roman avec une pointe de tristesse pour Ilaria, confrontée si jeune à une situation qui ne pouvait que la dépasser et lui laisser une blessure difficile à cicatriser.

    Le sujet est douloureux, mais c'est un coup de coeur, une belle lecture, tant la plume de l'autrice est légère, sans pathos et sans dramatisation.

    "Qu'est-ce qui m'empêche de haïr Papa ? La honte que j'ai vue dans son regard, le jour où, exaspérée par ses whiskys, j'ai vidé sa bouteille de Ballantine's dans le lavabo de la salle de bains. J'ai remplacé ce liquide jaunâtre par de l'eau.
    Après une longue gorgée bue au goulot, Papa m'a regardé du coin de l’œil. Il a baissé les yeux, sans dire un mot."

    L'autrice est plasticienne, d’origines anglaise, italienne et suisse, elle vit à Paris. Formée à la Haute école d’art et de design à Genève, elle puise entre autres son matériau dans sa propre histoire familiale, reprenant photographies, archives, souvenirs et les agençant dans un jeu troublant entre histoire et fiction (Editions Zoé).

    Gabriella Zalapì - Ilaria - 176 pages
    Editions Zoé - 2024