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Littérature française

  • Un monde à refaire

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    "Il y avait beaucoup d'hommes, dont il était impossible de savoir ce qu'ils pensaient. Il y avait Fabien qui s'avançait vers Max, à pas résolus, et puis Max au plus près de la mine, qui essayait de rester calme et digne, mais qui en fouillant le sol, se rendait compte qu'il s'agissait d'un explosif d'un genre qu'il ne connaissait pas : une surface lisse qui n'en finissait pas, sur laquelle il était impossible de trouver l'allumeur. C'était quoi ce bordel ? Max regarda furtivement où se trouvaient les gardiens, comme pour être sûr qu'il n'y avait pas un moyen de s'échapper, comme s'il était prisonnier, lui aussi, à l'instar des Allemands".

    Je suis normande, née dans les années d'après-guerre, le débarquement du 6 Juin 1944 j'en ai abondamment entendu parler, avec son cortège de dégâts et de traumatismes.

    Avec ce roman, je me rends compte que je connais nettement moins le débarquement de Provence qui a pourtant fait lui aussi de nombreuses destructions et laissé un sol dangereux.

    Nous sommes juste à la charnière de la fin de la guerre et du départ des Allemands. Outre les destructions massives comme à Marseille, ils ont laissé une côté entièrement minée, infréquentable alors que la population tout à sa joie d'être libérée voudrait foncer vers la mer.

    Dans ce contexte, des équipes volontaires de démineurs se sont constituées, sous l'égide de Raymond Aubrac. Ils sont obligés de travailler à l'aveugle, connaissant mal les différents types de mines et n'ayant pas les plans allemands qui pourraient limiter les risques.

    Les candidats au déminage ne sont pas légion, c'est pourquoi des prisonniers allemands sont réquisitionnés, en dépit de l'interdiction de la convention de Genève d'utiliser les prisonniers à des travaux dangereux. Après tout, ce n'est que justice après tout ce qu'ils nous ont fait eux-mêmes pense une majorité.

    A la tête de la petite équipe de démineurs, Fabien très engagé dans la résistance depuis le début de la guerre, estime que c'est simplement continuer le combat sous une autre forme. Il est inconsolable de la perte de sa femme, Odette.

    Vincent, lui, vient d'intégrer l'équipe sous un faux-nom. Nous comprendrons progressivement pourquoi. Il est à la recherche d'une femme aimée, disparue sans laisser de traces. Il espère la retrouver en questionnant les prisonniers allemands. Il va jusqu'à se lier d'amitié avec l'un d'entre eux, Lukas et lui proposer de l'aider à s'évader en échange de renseignements.

    Vincent va faire par ailleurs la connaissance de Saskia, jeune fille qui revient de déportation et s'aperçoit que sa maison a été accaparée indûment par une famille. A la douleur d'avoir perdu sa famille s'ajoute la colère de la spoliation et l'impossibilité de le prouver.

    J'ai été très intéressée par la description de cette période particulière ou tout est flou, une guerre se termine mais ce n'est pas encore tout-à-fait la paix. Des gens se sont perdus, ont été trahis, la joie que ce soit fini est là, mais plombée de tant de souffrances qui dureront longtemps. On ne sait pas encore très bien qui est ami, qui est ennemi.

    Certains poursuivent une vengeance, d'autres veulent seulement avancer vers une société meilleure. Dans l'équipe de Fabien, le mélange quotidien entre Français et prisonniers allemands finit par créer des liens et du respect. Il y a des moments de tension et d'autres d'entraide, impossible de faire autrement devant une mission aussi dangereuse.

    L'autrice a sûrement fait un travail de documentation solide sur cette période, dans la région de Hyères notamment, mais j'ai trouvé l'histoire affaiblie par le côté romanesque, trop surchargé à mon goût, avec des retournements de situation pas toujours très crédibles. Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages.

    C'est toutefois une lecture à retenir pour le sujet si peu traité dans la littérature me semble-t'il. Et la plupart des lecteurs n'ont pas mes réserves.

    L'avis de Kathel qui a beaucoup aimé.

    Claire Deya - Un monde à refaire - 413 pages
    L'Observatoire - 2014

  • Idiss

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    "Parfois, je me suis interrogé sur la foi d'Idiss. Quel sentiment l'animait lorsqu'elle priait ainsi, en ces temps d'épreuves ? Enfant, à l'école de la petite synagogue bessarabienne, elle avait jadis appris les rudiments de la religion juive. Elle avait été élevée dans ses pratiques et avait vécu selon ses rites. Avait-elle cependant conservé une foi inaltérable dans la bonté et la justice divine ? En ces jours du printemps 1940, elle suppliait l'Eternel tout puissant de secourir son peuple et de protéger sa famille. Mais le soleil brillait de l'aube au coucher sur le triomphe de l'armée allemande. Et le silence de l'Eternel était accablant."

    On ne présente plus Robert Badinter, l'avocat brillant, ministre de la Justice ayant réussi à faire abolir la peine de mort en France, sous le mandat de François Mitterrand. Je n'avais par contre qu'une vague idée de son histoire personnelle, avant de commencer ce magnifique hommage à sa grand-mère maternelle, Idiss.
     
    La famille est originaire de Bessarabie, alors province de l'Empire russe (actuellement en Moldavie) au coeur du Yiddishland. Idiss vit dans un shtetl, dans une grande pauvreté. Elle est analphabète, l'école étant réservée aux garçons. Ce qui lui fera accorder une grande importance à l'éducation de ses petits-enfants par la suite. Elle rencontrera l'amour de sa vie, Schulim, aura deux fils avec lui et plus tard une fille, Chifra, renommée Charlotte en France, la mère de Robert et Claude Badinter.
     
    C'est l'antisémitisme et les pogroms qui feront fuir la famille en France. Ils se font une haute idée de la République et de ce qu'elle peut offrir à des exilés comme eux.
     
    Le livre est riche d'enseignements sur l'époque et sur l'état d'esprit d'Idiss, qui s'est accoutumée à la vie parisienne et entoure ses petits-enfants de tout l'amour dont elle est capable.
     
    Ils propéreront à Paris jusqu'aux jours plus sombres des années trente et de la guerre. C'est tout un monde qui s'écroule alors avec son lot de tragédies.
     
    J'ai été touchée par la grande tendresse qui se dégage de ce récit. L'écriture est sobre, l'auteur se fait parfois un peu moqueur devant les défauts ou faiblesses de certains membres de sa famille, sans jamais surcharger.
     
    Il évoque leur quotidien, ses souvenirs d'école, il n'était pas question que son frère et lui soient autre chose que premiers de la classe. L'antisémitisme n'était pas si répandu que cela parmi leurs camarades, même avec la montée des fascismes. Le quartier du Marais où se regroupaient la plupart des familles venues de l'Est, ravivait les odeurs, les saveurs qui enchantaient sa grand-mère.
     
    A la lecture, on comprend mieux d'où les combats de Robert Badinter prennent leur source. On voit aussi à quel point cette communauté d'exilés était reconnaissante au pays qui les avait accueillis, continuait à avoir le plus grand respect pour lui et à quel point elle est tombée de haut en 1940.
     
    Les jours de douleurs ont profondément marqué l'auteur qui n'avait que douze ans au moment de l'arrestation de son père.
     
    Au delà de la famille Badinter, ce livre fait revivre un monde qui a complètement disparu avec la guerre. On mesure les profonds bouleversements qui ont jalonné la vie d'Idiss et sa souffrance à la fin de sa vie, confrontée à nouveau à un antisémitisme virulent.
     
    Ce récit a été adapté en bande dessinée par Fred Bernard et Richard Malka (Editions Rue de Sèvres)
     
    Robert Badinter - Idiss - 264 pages
    Le Livre de Poche - 2019
     
  • Hommes entre eux

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    "Je crois qu'il ne faut jamais regarder très longtemps en soi. C'est là que se trouve notre pire visage, celui que nous essayons de dissimuler pendant toute une vie. C'est mon père qui disait ces choses-là, il prétendait les tenir d'une vieille légende indienne. C'était un sang-mêlé".

    Le titre de ce roman ne pouvait pas être mieux choisi. C'est une histoire d'hommes, même si c'est une femme, Anna, qui occupe leurs pensées, jusqu'à l'obsession.

    Paul Hasselbank, assureur à Toulouse, est atteint d'une maladie incurable, qui gagne du terrain de jour en jour. Il ne veut pas mourir sans avoir revu Anna, sa femme, qui l'a quitté brusquement, sans un mot d'explication.

    Il sait seulement qu'elle serait au Canada, en Ontario. Il part donc là-bas et atterri dans un motel miteux, dans une région glacée où les blizzards surviennent sans crier gare, paralysant toute vie.

    Avec l'aide de shérif, il rencontre d'abord un personnage trouble, adepte d'ultimate fighting , chez qui Anna a logé quelque temps. Il lui donne l'adresse d'un homme qui a été l'amant d'Anna, partie à nouveau sans rien dire.

    Cet homme, Floyd Paterson, vit seul dans une maison isolée. Il a subi une greffe du coeur qui l'a transformé et mis mal à l'aise en même temps. Le donneur n'était pas quelqu'un de recommandable, il se demande s'il n'a pas absorbé quelque chose de sa nocivité, avec son coeur.

    C'est un chasseur à l'arc, un passionné de la forêt, il n'y a que dans cet élément-là qu'il se sent bien et qu'il rentre couvert de sang, avec une bête abattue.

    La rencontre des deux hommes va se faire en plein blizzard. Paul Hasselbank ne peut plus accéder à ses médicaments et va devoir affronter des douleurs infernales, des accès de fièvre et de délire qui le laissent exangue.

    Floyd Paterson va veiller sur lui à sa manière, dans un huis-clos étouffant et étrange. L'absence d'Anna est l'éléphant dans la pièce, mais qu'a-t'elle vraiment représenté pour eux ? Quelles étaient leurs insuffisances face à cette femme énigmatique ?

    Le blizzard passé, Paul Hasselbank retourne au motel, ayant quasiment renoncé à retrouver Anna. Rien ne m'avait préparé à la fin que je n'ai pas compris du tout. Un acte violent et imprévisible, aboutissement peut-être de la violence sourde qui transpire tout au long du livre.

    Je découvre l'auteur avec ce roman et je suis perplexe. Je le pensais plutôt dans un registre léger et humoristique et je me retrouve dans une histoire dure, désespérée, violente, à une sexualité crue et à l'étrangeté dérangeante parfois.

    Malgré cela, j'ai été prise dans l'ambiance et j'ai aimé. La description des paysages, de la nature sauvage, les rencontres faites par Paul, sa lutte contre les accès de douleurs, en sachant qu'il ne sera pas victorieux, tout cela m'a fait continuer, même si au final je ne sais pas très bien quel genre de livre j'ai lu.

    C'est semble-t'il un roman atypique dans l'oeuvre de l'auteur ; il me reste à en découvrir un autre pour comparer.

    L'avis de Sandrine Kathel

    Jean-Paul Dubois - Hommes entre eux - 240 pages
    Editions de l'Olivier - 2007

  • Le tableau du peintre juif

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    "Contrairement aux idées reçues, les Juifs étrangers ont été relativement épargnés par Franco. Celui-ci ne tenait pas à déplaire aux Allemands, mais il cherchait aussi à s’assurer les bonnes grâces des Alliés en prévision de l’après-guerre. Les migrants de confession judaïque étaient confiés au Joint, un organisme financé par la diaspora juive américaine, ce qui arrangeait Franco qui, ainsi, n’avait pas à débourser une peseta pour des gens qu’il ne portait pas dans son cœur, mais qu’il ne pouvait pas ouvertement persécuter."

    De nombreux avis élogieux m'ont incitée à lire ce roman dont la trame principale est de suivre la piste d'un tableau dont Stéphane a hérité d'une tante.

    Stéphane est à un moment de sa vie peu glorieux. Il est au chômage, déprimé après plusieurs échecs, sa femme, Irène, fait bouillir seule la marmite, il a des liens assez distants avec ses deux filles. Il les aime, mais ne sait pas le leur montrer.

    Le cadeau de sa tante vient du grand-père de Stéphane, homme sévère et exigeant dont il a toujours entendu dire qu'il tenait ce tableau d'un peintre juif qu'il aurait caché pendant la guerre.

    Après quelques recherches, il se rend compte que ce peintre est relativement connu, mais qu'il n'a plus rien produit après la guerre. Son grand-père, paysan cévenol taiseux était résistant. Il n'en parlait guère. Désoeuvré, Stéphane se met en tête de faire reconnaître ses grands-parents comme Justes, puisqu'ils ont sauvé un couple juif, au péril de leur vie. Le peintre leur a donné le tableau en remerciement.

    De son côté sa femme fait expertiser le tableau, qui vaut une somme non négligeable. Fatiguée de se démener seule pour assurer les fins de mois, elle demande à Stéphane de vendre le tableau, ce qui leur permettrait de repartir sur de nouvelles bases.

    Stéphane refuse obstinément et suit son idée de rendre hommage à ses grands-parents. Envers et contre tout, il se rend en Israël, où il est reçu à Yad Vashem. Làs ! il apprend là-bas que ce tableau est considéré comme volé. Non seulement ses grands-parents ne seront pas honorés, mais ils passent pour des gens malhonnêtes et profiteurs.

    Stéphane s'entête à continuer son enquête, au grand dam de sa femme. Il se sent investi de la mission de réhabiliter la mémoire de ses grands-parents, soupçonnés d'avoir dénoncé le couple juif et d'avoir provoqué leur déportation. Ses recherches le mèneront des Cévennes à l'Espagne, sur la trace de témoins encore vivants ou d'archives consultables.

    Ma lecture n'a pas été aussi enthousiaste que prévu. Si j'ai beaucoup apprécié les recherches liées au tableau, où j'ai appris pas mal de choses, j'ai été franchement agacée par le personnage de Stéphane, au comportement souvent insupportable. Imbu de lui-même, négligeant complètement son entourage, arrogant, puéril aussi parfois dans ses réactions. S'il y a une bêtise à faire on peut être sûre qu'il ne va pas la rater.

    Heureusement, en contrepoint, nous retrouvions régulièrement la voix du peintre et de sa compagne, lancés dans un périple dangereux, nous révélant petit à petit ce qui s'est réellement passé en 1943. J'ai été bluffée par le dénouement de l'histoire, je ne l'avais pas vu venir.

    Par contre, les retrouvailles de Stéphane avec sa famille m'ont paru trop artificielles et faciles.

    Impression mitigée donc. J'avoue avoir été tentée d'abandonner en cours de route, mais je voulais savoir ce qu'il était advenu du peintre et de sa femme.

    L'avis de Alex Kathel Ingannmic Luocine

    Benoît Séverac - Le tableau du peintre juif -336 pages
    10/18 - 2023

  • On dirait des hommes

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    "Elle se laisse tomber dans son fauteuil, déjà contrainte de retrouver de l'énergie. Dans quelques minutes, un couple va encore se déchirer autour de la garde de ses enfants. Dominique se prend parfois à apprécier ses dossiers pour tapage nocturne, des bagarres dans les bars, des escroqueries aux assurances, ça la change un peu de cette violence domestique qui n'en finit pas de déferler. Les pas résonnent sur le lino, les chuchotements bruissent dans les locaux encore presque déserts. La juge range ses cigarettes au fond de son sac, inspire profondément".

    Le livre s'ouvre sur une scène déchirante. Celle d'un petit garçon de 10 ans, Gabriel, qui se noie. Son père se jette à l'eau, mais n'arrivera pas à le sauver.

    Une enquête est ouverte, qui conclut à une mort accidentelle. La juge d'instruction, Dominique Bontet, devrait fermer le dossier, mais elle n'y arrive pas. Quelque chose la retient, sans qu'elle arrive à cerner quoi exactement.

    Thomas et Anna, installés depuis peu en Bretagne, essaient de survivre comme ils peuvent à ce drame. Ils avaient eu un coup de coeur pour ce village en bord de mer et s'y plaisaient beaucoup. Ils s'épaulent, sans éviter la culpabilité, les regrets, l'épuisement, les nuits sans sommeil, les images traumatisantes revues sans fin par Thomas.

    Parallèlement, une autre histoire nous est racontée, celle d'Iris et de Patrice, couple en apparence ordinaire, où les coups tombent dès la porte refermée. Iris se décide à porter plainte, sans fournir suffisamment d'éléments indiscutables.

    On se doute que les deux histoires vont finir par se croiser ; le lien c'est Dominique, la juge, scrupuleuse à l'excès, prenant son travail très à coeur. Les trois femmes feront front pour que la vérité émerge, chacune à la place qui est la sienne.

    C'est un roman assez plombant, où la personnalité des deux couples est révélée par petites touches. J'ai trouvé l'ensemble un peu appliqué, comme si l'auteur avait voulu coller à la problématique des violences faites aux femmes sans rien oublier.

    Thomas est un homme médiocre, instable dans sa vie professionnelle, jaloux de l'épanouissement de sa femme, qui s'est tout de suite adaptée à son nouveau milieu, grâce à son métier d'infirmière. Après la mort de Gabriel, elle l'a soutenu autant qu'elle a pu, en plus de son propre chagrin. Je ne veux pas trop en révéler sur sa personnalité qu'il faut découvrir peu à peu.

    Patrice, c'est l'homme irréprochable en apparence, faisant illusion pour l'entourage, mais un parfait tyran domestique utilisant la violence et les menaces à l'intérieur du foyer.

    Deux femmes sous emprise, d'une manière différente, qui se croisent au bon moment et trouverons le moyen de se dégager de liens mortifères, par l'entremise de la juge.

    C'est dans les dernières pages que survient une révélation bien amenée.

    Un roman qui ne m'a pas vraiment convaincue.

    Des avis plus enthousiastes que le mien chez Babelio

    Fabrice Tassel - On dirait des hommes - 288 pages
    La Manufacture de Livres - 2023

  • Comédie d'automne

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    "Les puissants devraient savoir que les courtisans ne sont pas fiables. Mais les puissants sont ivres de flatteries, grisés par les privilèges, habitués aux abus de pouvoir, au point de développer un sentiment d'invulnérabilité. Au lieu que le courtisan, moins assuré, plus malin, passe son temps le nez en l'air à renifler le sens du vent. Et quand il tourne, il tourne avec. On en était là, Place Gaillon, dans le salon réservé aux délibérations, entre le gigot à la menthe et la salade aux truffes, quand les convives virent une langue de feu flotter au-dessus de la tête d'Hervé Bazin".

    L'auteur a obtenu le Prix Goncourt en 1990 pour "les champs d'honneur". Je l'ai lu en son temps, comme tout le monde à l'époque et aimé.

    Je n'avais pas eu l'occasion de le relire avant "Kiosque" (merci Keisha) qui m'avait plu également ; l'auteur y racontait les années passées comme vendeur de journaux dans le 15e arrondissement de Paris.

    "Comédie d'automne" est présenté comme une sorte de suite. Nous retrouvons en effet la narration fragmentée, les digressions, les époques mélangées, les états d'âme du kiosquier.

    Mais c'est surtout l'histoire de ce prix Goncourt inattendu, il n'était même pas dans les premières sélections. L'auteur raconte avec une certaine ironie sa rencontre avec le prestigieux patron des Editions de Minuit, sa décision de sortir "les champs d'honneur" dont il ne devrait pas vendre plus de 300 exemplaires.

    Sans connaissance du milieu médiatico-littéraire, le jeune auteur mettra des années à comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là et les raisons, peu glorieuses, qui l'on amené à avoir le Goncourt.

    La description de ses premiers pas dans ce monde littéraire est savoureuse, notamment la circonspection des medias devant cet inconnu qui va brusquement troubler le jeu. Un marchand de journaux ! autant dire un plouc.

    Nous passons des réactions de la famille de l'auteur à celle des habitués du kiosque qui commentent les évènements au fur et à mesure, des medias qui commencent à rôder dans le coin.

    L'auteur, tranquille, reste relativement serein. Si son livre ne marche pas, et bien il reviendra vendre des journaux. Si personne n'est nommé, c'est assez facile de reconnaître les protagonistes du prix de cette année là et de saisir les manoeuvres destinées à éliminer le favori.

    Certains passages m'ont touchée, comme par exemple les premiers contacts de l'auteur avec le regretté Bernard Rapp et son élégance naturelle.

    Si j'ai aimé retrouver la vie autour du kiosque, avec notamment Albert, et le chemin d'écriture de l'auteur, j'ai fini par me lasser de cette comédie dans le petit monde germanopratin des prix. Ce n'est pas reluisant et je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux aujourd'hui.

    C'est le 6e et dernier opus du cycle poétique de l'auteur.

    L'avis de Keisha Maryline

    Jean Rouaud - Comédie d'automne -288 pages
    Grasset - 2023

  • Le jardin nu

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    "Tout est plus vivant de devoir mourir. Tel est l'enseignement. Toute vie est dérisoire, et toute vie est en même temps unique, infiniment fragile - la palpitation de la veine - précieuse en raison même de sa fragilité. A l'individualisme qui consacre Narcisse comme centre de son propre univers, je veux substituer l'attention infinie à chaque individu. A chaque humain, à chaque graine qui tente de toutes ses forces de soulever son tombeau de terre brune pour déployer une promesse de fleur.
    A ce prix-là, peut-être, nos minuscules et infinies souffrances seront rédimées".

    Terminé il y a environ trois mois, ce récit intimiste me laisse une empreinte durable et je le relirais volontiers tout de suite, avec le même plaisir.

    Le décès du compagnon d'Anne Le Maître l'a laissée complètement brisée et elle a choisi de quitter l'appartement où ils vivaient pour se réfugier dans une maison à l'écart, dotée d'un petit jardin.

    C'est là quelle reprendra pied dans la vie, en observant attentivement tout ce qui l'entoure, se laissant captiver par les sons et les couleurs, en bonne aquarelliste qu'elle est. Elle va apprendre de ce bout de terre, jour après jour, tantôt peignant, tantôt regardant sereinement.

    Le texte est découpé en courts chapitres aux titres évocateurs "Semer, planter, se taire" "déposer les armes" "la verveine et le compost" etc ... l'écriture se fait délicate, sensible, poétique.

    L'autrice passe de l'évocation du passé au présent peuplé d'oiseaux, de fleurs, de moments contemplatifs où peu à peu la joie se fraie à nouveau un chemin.

    Sachant qu'il était question d'un deuil, j'avais retardé ma lecture et j'ai eu bien tort. Je suis sortie de ce récit curieusement réconfortée, admirative de la force intérieure qui se dégage de l'autrice et de son regard sur les beautés de la nature et des êtres vivants.

    C'est un coup de coeur et d'ores et déjà "La sagesse de l'herbe" m'attend.

    "Qui suis-je pour raccourcir ces brins d'herbe qui ont si vaillamment traversé l'été, ces laiterons qui nourrissent les derniers papillons, ces branches hérissées qui servent de terrain de jeu aux mouches et aux fauvettes ? Qui suis-je pour déranger les soyeux arrangements de toile fine élaborés par tant de minuscules araignées à la surface des thuyas ? Pourquoi jeter ces feuilles mortes qui servent de refuge (illusoire) aux escargots et dans lesquelles fourrage avec gourmandise l'ami invisible et piquant - le hérisson ?"

    L'avis de Tania

    Anne Le Maître - Le jardin nu - 120 pages
    Editions Bayard - 2023

  • Territoires

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    "Vous ne savez pas comment gérer ces milliers de gamins sans diplômes ni emplois, mais moi je m’en occupe. Je leur donne un travail et ils font vivre leurs familles. Résultat, le trafic tempère vos quartiers défavorisés et hypocritement, vous nous avez laissés faire, comme si vous ne connaissiez pas les raisons de ce calme."

    Après Code 93, je n'ai pas tardé à retrouver Victor Coste et son équipe, toujours à Malceny. L'entrée en matière est rude avec trois exécutions particulièrement brutales, laissant supposer qu'il y a un changement de tête dans le contrôle du trafic de drogue.

    Au cours de l'enquête, nous croiserons un jeune ado de 13 ans qui n'a peur de rien et n'a pas de limites dans la violence ; deux vieillards mêlés malgré eux au trafic, une Maire qui navigue à vue pour préserver la paix sociale et surtout sa réélection.

    Le quotidien décrit dans ce deuxième roman est impressionnant par la dégradation, oserai-je dire de la qualité de vie dans certains lieux ; dire qu'ils sont abandonnés par les pouvoirs publics est peu dire. Comme l'auteur était policier dans le 93, j'imagine que ce qu'il décrit est très près de la réalité, même s'il a exagéré certains aspects.

    La compromission de la Maire, son peu de scrupules pour obtenir le calme, ses manoeuvres pour avoir le vote d'une communauté, font froid dans le dos. Des vies humaines en dépendent.

    L'auteur sait maintenir un suspense et ménager les rebondissements. L'équipe de Coste est rodée et le suit, même lorsqu'elle ne comprend pas forcément sa logique.

    Roman dévoré, malgré la dureté de ce qu'il raconte. L'humanité et les failles du Capitaine Coste tempèrent l'horreur ambiante.

    Un auteur à suivre. J'ai maintenant "Entre deux mondes" sous le coude.

    L'avis de Alex Dasola Luocine

    Olivier Norek - Territoires - 384 pages
    Pocket - 2015

  • La propagandiste

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    "Celle qui, quelques semaines plus tôt, était encore l'auteur de l'un des derniers slogans de la "Propaganda" (" Les " libérateurs"! La libération ! Quelle libération ?") est désormais protégée par un travail du "bon côté". Lucie n'est pas à une contradiction près quand il s'agit de sauver sa peau et d'éviter la honte et l'infamie. Ces femmes tondues au front marqué au fer rouge, enduites de mercurochrome, brisées, promenées à travers la ville à demi dénudées, elle préfère éviter d'y penser."

    Cécile Desprairies est historienne ; elle a surtout écrit sur le thème de l'occupation et du collaborationnisme pendant la deuxième guerre mondiale.

    Elle a choisi la forme du roman pour parler de sa famille, essentiellement sa mère, Lucie, qui a fait partie de ces Français séduits par le nazisme et ayant collaboré activement. Par idéologie et par amour en ce qui concerne Lucie, dont le premier mari, Friedrich, était étudiant en biologie, alsacien ayant choisi le côté allemand, passionné de génétique et favorable aux thèses d'un Mengele.

    Le roman commence par une scène se déroulant sous les yeux de la narratrice, petite fille de six ans. A peine le deuxième mari de Lucie parti, les femmes de la famille arrivent, la tante, la grand-mère, la cousine et des conversations se déroulent, faisant allusion à un passé merveilleux, où on a su se débrouiller, où l'on vivait un "conte de fées". La narratrice n'aura pas trop d'une vie pour décrypter les non-dits et les ramifications derrière ces propos obscurs.

    La personnalité de Lucie domine le récit. Profondément amoureuse de Friedrich, elle le suivra en tout, autant antisémite et pro-nazi que lui. Brillants tous les deux, ils ne tarderont pas à se faire une place auprès des occupants. Lucie entre au service de la propagande, où elle sera surnommée "la Leni Riefenstahl de l'affiche". Le jeune couple habite un superbe appartement bien placé à Paris, sans doute volé à des propriétaires juifs. Tout va bien, l'avenir est radieux.

    Ce qui est incroyable, c'est lorsque les évènements tourneront mal, Lucie avec son culot et son intelligence, saura rebondir en peu de temps et se retrouver aux côtés de Américains. Partie quelques mois aux Etats-Unis, elle reviendra blanchie, prête pour une nouvelle vie. Toute la famille autour d'elle aura collaboré et c'est grâce à elle qu'ils s'en sortiront également.

    Autre élément stupéfiant, c'est la vie que Lucie mènera après la guerre. Elle restera profondément nazie, mais après la mort de Friedrich se remariera avec Charles, haut-fonctionnaire compréhensif, avec qui elle aura quatre enfants, dont la narratrice. Elle les élèvera dans le culte de Friedrich, laissant planer une atmosphère malsaine entre réalité et imagination.

    A ce stade, il est temps que je dise que j'ai été dérangée par la forme du roman. J'aurais préféré de loin, un récit. Je me suis constamment demandée où était la part réelle et la part romancée. La narratrice a choisi une distance assez ironique pour raconter, parfois gênante tellement les faits exposés et les propos tenus sont choquants. La famille dans son ensemble paraît dépourvue d'émotions et est prête à tout pour s'attribuer et garder ses privilèges.

    "Par un des interstices de l'enceinte , "un juif" avait tendu à ma grand-mère "une montre en or, en échange d'un verre d'eau". Ma grand-mère avait pris la montre, mais n'avait " pas donné le verre d'eau " . C'était dit sans émotion."

    L'intérêt historique du roman est incontestable. Décrypter de l'intérieur les rouages du collaborationnisme n'est pas si fréquent. L'absence de scrupules, l'antisémitisme viscéral, la haine des autres, l'anti-républicanisme, tout y est. Mais la narration manque de fluidité, l'articulation entre faits historiques et histoire familiale ne se fait pas bien.

    Pour tout dire, j'avais hâte de terminer le livre et de quitter ces personnages que rien ne sauve.

    Une déception et un point positif : l'envie de lire les ouvrages purement historiques de l'autrice.

    L'avis de Alex Maryline

    Cécile Desprairies -La propagandiste - 224 pages
    Editions Seuil - 2023

  • Code 93

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    "Quatre voies grises et sans fin s’enfonçant comme une lance dans le cœur de la banlieue. Au fur et à mesure, voir les maisons devenir immeubles et les immeubles devenir tours. Détourner les yeux devant les camps de Roms. Caravanes à perte de vue, collées les unes aux autres à proximité des lignes du RER. Linge mis à sécher sur les grillages qui contiennent cette partie de la population qu’on ne sait aimer ni détester. Fermer sa vitre en passant devant la déchetterie inter-municipale et ses effluves, à seulement quelques encablures des premières habitations. C’est de cette manière que l’on respecte le 93 et ses citoyens : au point de leur foutre sous le nez des montagnes de poubelles. Une idée que l’on devrait proposer à la capitale, en intramuros. Juste pour voir la réaction des Parisiens. À moins que les pauvres et les immigrés n’aient un sens de l’odorat moins développé"

    Je voulais découvrir cet auteur de polars depuis longtemps, voilà qui est fait. Nous sommes dans le 93, département particulièrement pauvre en région parisienne. Appelée sur les lieux d'un crime, l'équipe de Victor Coste de la PJ découvre un homme émasculé. Déclaré mort, il se réveille au milieu de l'autopsie.

    Comme si cela ne suffisait pas, un deuxième cadavre couvert de brûlures est trouvé à son tour dans un appartement vide. C'est celui d'un jeune toxico. Coste est un flic aguerri, ces deux affaires sentent les ennuis à plein nez, juste au moment où il perd son meilleur adjoint, muté à Annecy.

    Je ne dirai pas grand chose de l'enquête, au risque de trop en dévoiler. Elle part du corps d'une jeune femme non identifiée, toxico très abîmée et de la mystérieuse disparition de dossiers.

    L'affaire se complique au fur et à mesure, sans que l'on perde le fil. L'auteur étant lui même un policier, on imagine que ce qu'il décrit est très près de la réalité. Le style est cru, les touches d'humour aussi.

    Malgré sa longue expérience, Victor se retrouve dans un certain brouillard, pris dans une embrouille qui touche sa hiérarchie, mais pas que .. Une partie de l'action touche au trafic de drogue, à la prostitution, mais aussi aux manoeuvres politiciennes autour du projet du Grand Paris.

    Coste est un flic assez attachant, il n'a pas perdu une certaine humanité. Il ne se remet pas du suicide de sa compagne, mais n'est pas indifférent au charme de la médecin légiste.

    Il frôle la catastrophe plusieurs fois dans cette enquête, qui se refermera d'une drôle de manière.

    J'ai suffisamment aimé pour me procurer dès maintenant le deuxième roman de la série. Je ne vais pas tarder à retrouver Coste et son équipe assez haute en couleurs.

    L'avis de Sandrion Alex Miriam

    Olivier Norek - Code 93 - 258 pages
    Pocket - 2014