"Les gens croient que les esprits des morts ne reviennent visiter les vivants que le jour de leur fête mais ce n'est pas vrai. Quotidiennement, Hatsumi se plaît à laisser errer son esprit dans la vallée, à se mêler à des myriades d'autres comme le sien qui emplissent l'espace en tous sens. Elle ne craint pas les esprits de rencontre puisqu'elle en est un elle-même. La crainte des espaces errants n'affecte que les vivants".
Récemment, je vous ai parlé d'un livre dont j'avais quasiment tout oublié après un mois. Il en est d'autres par contre qui vous restent bien en mémoire des années plus tard. "Lettres d'Ogura" en fait partie et j'étais ravie d'apprendre qu'un nouveau roman reprenait le personnage d'Hatsumi, délicieuse vieille dame, gardienne des traditions et veillant à ce que le village respecte les coutumes ancestrales.
Ce n'est pas à proprement parler une suite, les deux peuvent se lire indépendamment. Seulement, dans celui-ci Hatsumi est devenue un fantôme. Elle est morte et se promène maintenant à sa guise, partout où elle veut, avec un retour en arrière sur tout ce qu'elle a vécu et un regard curieux sur les vivants qui poursuivent leur existence sans elle.
Sous sa nouvelle forme, Hatsumi veille sur sa maison, inquiète de son avenir. Elle pense à ses trois filles qui ne viennent plus souvent. Pensent-elles encore à elle ? Elle se souvient aussi de son défunt mari, qui s'est donné la mort il y a bien longtemps. C'est le seul esprit qu'elle n'a jamais croisé, elle se demande pourquoi.
Elle se déplace dans le village, à l'affût des petits et grands changements. Ogura est maintenant de plus en plus déserté, les jeunes sont partis et ne sont pas remplacés. On sent la nostalgie envahir Hatsumi au fur et à mesure que les traditions sont abandonnées.
La plume de l'auteur est toujours aussi délicate, rendant tangible la présence de la vieille dame, que l'on imagine sans peine allant d'un point à un autre, invisible mais toujours aussi soucieuse du bien-être des autres et de la survie d'Ogura, perdu dans la nature et menacé de détérioration.
Ce n'est pas un livre triste, il est même plutôt réconfortant. Hatsumi est un personnage très attachant et la vision des Japonais sur les vivants et les morts, très différente de la nôtre, est apaisante.
Comme dans le premier roman, des caractères en japonais sont insérés dans certaines phrases, ajoutant un zeste de dépaysement à la lecture, si belle par ailleurs.
"Ses errances dans la vallée la laissent parfois songeuse. Regrette-t'elle de ne plus faire partie de toutes ces petites existences ? Non. La mort aussi doit suivre son cours. Et puis, quelle frayeur pour les voisins s'ils la voyaient reparaître en vrai dans sa maison.
Il lui vient tout de même un petit regret de temps à autre, une nostalgie qu'elle ne peut refréner : le goût du thé, de tous les thés ; hijocha, sencha, mugicha et même sobacha, qu'importe. Elle aimerait savourer ne serait-ce qu'une gorgée du breuvage brûlant qu'elle aimait tant."
C'est un coup de coeur et je ne saurais trop vous inciter à lire les deux. Ce sont des textes courts qui se savourent pleinement.
L'auteur a passé sa vie professionnelle au sein du Collège de France dans le domaine de la sinologie. Il a été attaché à la Chaire d'histoire sociale et intellectuelle de la Chine de Jacques Gernet, puis aux Instituts d'Extrême-Orient en tant que maître de conférences.
L'avis de Manou
Hubert Delahaye - Fantômes d'Ogura - 136 pages
L'Asiathèque - Collection Liminaires
Commentaires
J'avais déjà noté le premier roman. Celui-ci aussi me tente bien. Je l'ai classé dans la rubrique "Fantastique" du bilan des Bonnes nouvelles.
Merci pour le challenge ; et j'espère que tu arriveras à les lire un jour.
"Petit coup de coeur" pour moi aussi... à la lecture de ton billet.
Notés ,prochain achat....
Bonne lecture alors, j'espère qu'ils te plairont autant qu'à moi.
C'est très tentant , il pourrait me plaire sans aucun doute.
C'est écrit par un Français, mais c'est la littérature japonaise comme je l'aime :-)
J'avais raté ton premier billet, je crois, malheureusement mes biblis ne connaissent pas... Que de tentations côté nouvelles et textes courts !
Mes bibliothèques ne les ont pas non plus ; je les ai achetés tous les deux.
La bibliothèque n'a aucun de ces deux livres, mais j'en prends note pour un prochain passage en librairie. Cela semble si serein... Et j'ai vu que l'auteur a aussi écrit "De thé et d'amour", comme dans ta dernière citation. Merci, Aifelle & bonne journée.
J'ai commandé "De thé et d'amour" pour une prochaine lecture. Je te conseille de commencer par le premier. Il permet de mieux se repérer dans le deuxième.
Je fais toujours partie de celles que la littérature asiatique n'emballe pas beaucoup...
Je sais, même si je pense que tu pourrais aimer le premier qui parle écologie sans le dire et voudrait sauvegarder un mode de vie où rien ne se perd, tout s'utilise. La nature y est très présente.
Quelle bonne idée de proposer ces deux pépites pour le challenge "Bonnes nouvelles". Je les ai aussi beaucoup aimés. Et merci sincèrement pour le lien vers ma chronique...
Je crois que c'est chez toi que j'avais vu qu'il y en avait un deuxième .. que j'ai acheté aussitôt. Ce sont des petits bijoux de lecture dont il ne faut pas se priver. Merci Manou.
Je note les deux titres !
Et tu fais bien :-)
Rien à la bibli, dommage...
Même réponse qu'à Kathel ; pour mes bibliothèques c'est une lecture trop marginale par rapport à ce que demandent les lecteurs. Heureusement, ils ne coûtent pas plus cher qu'un poche.
"des textes asiatiques minimalistes, qui ne racontent pas grand chose, mais le font très bien, dans une langue épurée et ciselée." (je te cite à propos du premier volet de cette histoire), c'est ce que j'adore en littérature japonaise. Même si l'auteur est francais, je veux lire ces deux nouvelles !
Tu aimeras c'est sûr ; pendant la lecture, on oublie que l'auteur n'est pas Japonais. Il y a vécu un certain temps et a bien compris le pays je pense.
Je retiens aussi, il faudra que je me refasse une pile "nouvelles". Sans ton billet, je serai sans doute passée outre, pour une très mauvaise raison : je trouve la couverture de ce livre horrible !