"Pas un mauvais type Javerne, juste hors des clous, pas fait pour les rythmes de l'époque. Toujours seul et ne pensant qu'au crime, les gens causent de lui comme ça, par formules rebattues, mais c'est absolument faux. Un rêveur pacifique, introverti, embarrassé de lui-même. La drogue l'a sauvé et le tue tous les jours, et puis il faut bien bouffer, c'est son excuse".'
Un tel titre ne pouvait que m'attirer, en plus aux Editions Zoé que j'apprécie fort. Alors, qu'en ai-je pensé ?
Ambiance montagnarde suisse pour ce roman qui se déroule dans un monde assez clos. Internet existe déjà et a pénétré jusque là, pourtant le style de vie y est celui de toujours.
J'ai d'abord cru à un récit à deux voix, celles de Fracasse et Javerne, mais les personnages sont plus nombreux que cela et l'on oscille entre le journal de bord, les réflexions des uns et des autres, et les échanges plus modernes sur les réseaux sociaux.
Fracasse est un rêveur qui s'est fait une petite place en tant que poète et écrivain. Il voit revenir au hameau désert son amour de jadis Rosalba, désormais nommée Emaney. Après un mariage calamiteux, elle a laissé ses trois enfants derrière elle et s'est réfugiée dans une vieille bâtisse pour enfin créer à sa guise, essentiellement des robes, qu'elle vend sur internet.
"En révisant mes patrons de couture, j'ai décidé de renforcer et d'agrandir les poches de mes robes. Plus besoin de sac à main ou de sac à dos qui vous meurtrit les épaules ! Ça n'a l'air de rien, ou seulement d'une petite excentricité supplémentaire, mais je vous assure cher.e.s Suiveur.euses , c'est un outil à la fois esthétique et fonctionnel. Je me sens très apaisée après avoir fini cette tâche."
Dès lors, Fracasse, obsédé par cet amour non partagé, va épier Emaney sans répit, sous le regard ébahi de Javerne. Lui voit les choses plus simplement, échange en voisin avec elle et rien de plus, occupé seulement à ses cultures illicites qui lui permettent de vivre chichement, mais à l'écart de la société.
"Les phrases figées dans les journaux, j'y comprenais rien. J'ai dû les vomir une à une, mon intérieur était empoisonné. Pendant des années, j'ai quasiment plus parlé. L'âne bâté, domestiqué, broutant sans révolte et sans espoir, c'est juste bon pour Fracasse et son sentimentalisme craintif. Moi je suis retourné vers les bêtes sauvages. Au hameau, j'ai gardé seulement les mots qui n'avaient pas encore pourri. Le strict nécessaire."
Un peu déroutée au début par le style de narration, je m'y suis faite très vite et j'ai apprécié l'écriture et la description de la vie au hameau par des personnages tous en proie à la solitude et y faisant face chacun à leur manière.
Cette solitude tant souhaitée par Emaney finira par lui faire perdre pied, isolée avec ses chiens, avec pour seuls échanges ses cher.e.s Suiveur.euses. L'évocation de ses créations est de plus en plus poétique et en lien avec la nature, ce qui n'empêche pas les questionnements sur la vie qu'elle a au présent et la vacuité de ce qu'elle fait sur les réseaux.
Ne pensez pas que ce roman soit noir et sombre, le ton est assez moqueur souvent, surtout lorsqu'il s'agit des réseaux sociaux et les personnages sont vus de manière imagée et réaliste.
Où cela nous mène-t'il ? A un auteur qui ne sait pas comment terminer son histoire et qui s'est amusé à aller voir du côté de chatgpt pour lui donner un coup de main.
Au final, j'ai découvert un auteur avec qui j'ai l'intention de poursuivre, un roman original dans sa forme et un aperçu de la montagne suisse loin des clichés touristiques.
J'en profite pour rappeler qu'une lecture commune est organisée le 2 Juin à l'occasion des cinquante ans des Editions Zoé (titre au choix).
Par ailleurs, Sandrine et moi prévoyons une lecture commune le 5 Mai du "Vieil incendie" d'Elisa Shua Dusapin, toujours aux Editions Zoé
Jérôme Meizoz - Le hameau de personne - 160 pages
Editions Zoé - 2025