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  • Le vieil incendie

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    "Aussi loin que j'arrive à remonter dans ma mémoire, Vera s'y trouve quelque part. Sauf l'enterrement de notre père, je réalise que je ne partage aucun souvenir d'adulte avec elle.

    J'ai terminé ce roman il y a quelques semaines et je me rends compte qu'il ne m'en reste pas grand chose, ce qui correspond à vrai dire à ce que j'ai ressenti pendant ma lecture.

    Il est question des retrouvailles de deux soeurs, Agathe et Véra, qui ne se sont pas vues depuis des années. Agathe vit et travaille aux Etats-Unis, comme scénariste. Elle s'est quasiment enfuie de la maison paternelle à 15 ans, n'en supportant plus l'ambiance. Elle revient dans le Périgord pour vider la maison familiale qui doit être démolie rapidement. Elles ont 9 jours.

    Véra n'a jamais quitté les lieux. Aphasique depuis l'âge de six ans, c'est devenu une jeune femme autonome qui se débrouille très bien seule. La cohabitation des deux soeurs pendant quelques jours ne sera pas facile. Elles étaient pourtant fusionnelles durant leur enfance, mais Véra a vécu le départ d'Agathe comme un abandon.

    L'histoire est faite d'entremêlements entre le présent et le passé, avec des retours en arrière fréquents, et surtout beaucoup de non-dits. Tout est vague et évanescent, la lectrice devine entre les lignes (quand elle peut).

    Je n'ai pas réussi à cerner les personnages, il m'a manqué de l'émotion, la narration est assez froide, les motivations des uns et des autres restent floues.

    Il y a pourtant de beaux passages, essentiellement sur la nature qui entoure la maison, l'atmosphère assez étouffante d'un bois, les souvenirs du père.

    Pour résumer, je suis passée complètement à côté de cette histoire. Je suis allée malgré tout jusqu'au bout, pensant avoir un déclic à un moment donné. Il n'est pas venu.

    L'avis de Cathulu, nettement plus positive que moi.

    Elisa Shua Dusapin - Le vieil incendie - 144 pages
    Editions Zoé - 2023

  • Le hameau de personne

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    "Pas un mauvais type Javerne, juste hors des clous, pas fait pour les rythmes de l'époque. Toujours seul et ne pensant qu'au crime, les gens causent de lui comme ça, par formules rebattues, mais c'est absolument faux. Un rêveur pacifique, introverti, embarrassé de lui-même. La drogue l'a sauvé et le tue tous les jours, et puis il faut bien bouffer, c'est son excuse".'

    Un tel titre ne pouvait que m'attirer, en plus aux Editions Zoé que j'apprécie fort. Alors, qu'en ai-je pensé ?

    Ambiance montagnarde suisse pour ce roman qui se déroule dans un monde assez clos. Internet existe déjà et a pénétré jusque là, pourtant le style de vie y est celui de toujours.

    J'ai d'abord cru à un récit à deux voix, celles de Fracasse et Javerne, mais les personnages sont plus nombreux que cela et l'on oscille entre le journal de bord, les réflexions des uns et des autres, et les échanges plus modernes sur les réseaux sociaux.

    Fracasse est un rêveur qui s'est fait une petite place en tant que poète et écrivain. Il voit revenir au hameau désert son amour de jadis Rosalba, désormais nommée Emaney. Après un mariage calamiteux, elle a laissé ses trois enfants derrière elle et s'est réfugiée dans une vieille bâtisse pour enfin créer à sa guise, essentiellement des robes, qu'elle vend sur internet.

    "En révisant mes patrons de couture, j'ai décidé de renforcer et d'agrandir les poches de mes robes. Plus besoin de sac à main ou de sac à dos qui vous meurtrit les épaules ! Ça n'a l'air de rien, ou seulement d'une petite excentricité supplémentaire, mais je vous assure cher.e.s Suiveur.euses , c'est un outil à la fois esthétique et fonctionnel. Je me sens très apaisée après avoir fini cette tâche."

    Dès lors, Fracasse, obsédé par cet amour non partagé, va épier Emaney sans répit, sous le regard ébahi de Javerne. Lui voit les choses plus simplement, échange en voisin avec elle et rien de plus, occupé seulement à ses cultures illicites qui lui permettent de vivre chichement, mais à l'écart de la société.

    "Les phrases figées dans les journaux, j'y comprenais rien. J'ai dû les vomir une à une, mon intérieur était empoisonné. Pendant des années, j'ai quasiment plus parlé. L'âne bâté, domestiqué, broutant sans révolte et sans espoir, c'est juste bon pour Fracasse et son sentimentalisme craintif. Moi je suis retourné vers les bêtes sauvages. Au hameau, j'ai gardé seulement les mots qui n'avaient pas encore pourri. Le strict nécessaire."

    Un peu déroutée au début par le style de narration, je m'y suis faite très vite et j'ai apprécié l'écriture et la description de la vie au hameau par des personnages tous en proie à la solitude et y faisant face chacun à leur manière.

    Cette solitude tant souhaitée par Emaney finira par lui faire perdre pied, isolée avec ses chiens, avec pour seuls échanges ses cher.e.s Suiveur.euses. L'évocation de ses créations est de plus en plus poétique et en lien avec la nature, ce qui n'empêche pas les questionnements sur la vie qu'elle a au présent et la vacuité de ce qu'elle fait sur les réseaux.

    Ne pensez pas que ce roman soit noir et sombre, le ton est assez moqueur souvent, surtout lorsqu'il s'agit des réseaux sociaux et les personnages sont vus de manière imagée et réaliste.

    Où cela nous mène-t'il ? A un auteur qui ne sait pas comment terminer son histoire et qui s'est amusé à aller voir du côté de chatgpt pour lui donner un coup de main.

    Au final, j'ai découvert un auteur avec qui j'ai l'intention de poursuivre, un roman original dans sa forme et un aperçu de la montagne suisse loin des clichés touristiques.

    J'en profite pour rappeler qu'une lecture commune est organisée le 2 Juin à l'occasion des cinquante ans des Editions Zoé (titre au choix).

    Par ailleurs, Sandrine et moi prévoyons une lecture commune le 5 Mai du "Vieil incendie" d'Elisa Shua Dusapin, toujours aux Editions Zoé

    Jérôme Meizoz - Le hameau de personne - 160 pages
    Editions Zoé - 2025

  • Deux filles

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    "A mon tour d'écouter, de rester sans défense, sidéré par ce que j'entendais. Sélène et Olga voulaient vivre ensemble. Sélène et Olga voulaient s'aimer du matin jusqu'au soir. Sélène et Olga voulaient s'installer dans un appartement déglingué et plein de charme qu'une amie leur louerait pour pas grand-chose. Sélène et Olga voulaient se nourrir de ce qu'elles admiraient et adoraient. Sélène et Olga voulaient que chacune mène ses affaires selon ses désirs, mais Sélène et Olga voulaient que ces désirs s'amplifient au fil du temps".

    J'ai choisi ce roman dans la rentrée de septembre dernier parce que j'avais envie de découvrir la plume de l'auteur, pas encore lu jusqu'à présent.

    J'ai commencé ma lecture sans presque rien savoir de l'histoire. Le narrateur est dans un creux de la vie, récemment divorcé, sans projet professionnel immédiat (il est cameraman). L'esprit un peu flottant, déboussolé, tout change lorsque sa fille Olga, 22 ans, lui annonce son retour.

    Elle est partie explorer le monde un an auparavant avec son copain Mats et elle revient avec Sélène. Les deux filles sont amoureuses et n'envisagent plus la vie l'une sans l'autre.

    La joie revient dans l'appartement du père, rue de la Roquette à Paris. Sélène est pleine d'énergie, proche de la nature, on pourrait la qualifier de décroissante, elle est tournée vers la terre, la préservation d'une vie saine, la simplicité. Elle entraîne Olga dans son sillage.

    Le père a un regard bienveillant sur les deux filles, retrouve le plaisir de l'échange et de l'animation, alors pourquoi ce malaise lorsqu'il regarde Sélène ? Malaise qui grandit au fil des jours.

    J'ai craint d'abord une histoire trop classique et banale, ce n'est heureusement pas le chemin prit par l'auteur. L'intrigue est bien plus subtile et intéressante.

    Je ne peux rien en dire sans trop dévoiler. Où l'on voit qu'une décision prise un peu légèrement dans la jeunesse du narrateur revient en boomerang une vingtaine d'années plus tard avec des questionnements bien plus profonds et dérangeants.

    Le narrateur avance à tâtons, contraint à une introspection vertigineuse. Parallèlement un autre personnage surgit, un homme sans domicile fixe, auteur de dessins extraordinaires. Les filles le rencontrent au hasard de leurs balades et se mettent en tête de le faire connaître.

    C'est une de mes meilleures lectures de la rentrée, à l'écriture, élégante, ciselée. L'histoire est racontée sans tapage, avec une grande pudeur de sentiments.

    J'ai aimé suivre les pensées du narrateur, son amour de l'art, de la marche, des rencontres, son oeil de cinéaste toujours à l'affût d'un sujet à traiter, sa vision de la vie.

    "Dès leur retour, je les ai invitées à manger, leurs paroles comme un tumulte vivifiant. Elles parlaient fort, se coupaient la parole, superposaient leurs mots, s'enhardissaient, se contredisaient parfois. Une débauche d'ardeur. Cela pétillait et partait dans tous les sens. Avec l'arrivée des plats, un peu de sérénité est revenue. Olga et Sélène louaient les trois maraîchers, beaux comme la foudre, étrangers aux bassesses et aux rancoeurs, qui leur faisaient les yeux doux et auraient voulu les associer à leur entreprise, puis, avec sollicitude elles ont décrit quelques unes des personnes venues donner un coup de main pour une journée ou deux, du professeur d'anglais qui vaquait de dépression en dépression au réfugié politique torturé, de la plasticienne au bord de la crise de nerfs à la cheffe comptable en quête de sens, et tout ce petit monde, le temps du labeur, reprenait souffle, jouissant d'un répit qui soulage".

    Un roman qui m'a touchée. Un auteur à suivre.

    Michel Layaz - Deux filles - 160 pages
    Editions Zoé - 2024

  • La famille Ruck

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    "On verra quand Carsten sera vieux. Il verra bien ce que ça fera quand tout le monde le trouvera superflu. Quand il ne comprendra plus les mots autour de lui. Quand tout le monde sera plongé dans un appareil dernier cri au lieu de le regarder en face. Quand il n'y aura plus de raison de se lever le matin, aucun projet agréable, rien, que des efforts ; quand chaque pas ne sera plus qu'un tâtonnement."

    Dans un village de l'ex-Allemagne de l'Est, trois générations d'une même famille vont être contraintes de cohabiter pendant un mois : la grand-mère, le fils, la petite-fille.

    Inge, la grand-mère a été hospitalisée suite à une chute. Si son fils s'était occupé des travaux à faire dans sa maison, ce ne serait pas arrivé pense-t'elle. La vieille femme est acariâtre, refuse absolument d'aller en maison de retraite, jugeant tout-à-fait normal que son fils, Carsten lui consacre du temps et s'occupe d'elle. Ça ne se discute pas.

    Carsten, qui est loin de partager son point de vue et qui a pour habitude de fuir toute forme de responsabilité est tout de même coincé et pour ne pas partir tout seul, propose à sa fille ado, Lissa, de l'accompagner, lui faisant miroiter huit jours de vacances tranquilles et l'occasion de revoir sa grand-mère.

    "Et pourquoi d'ailleurs devrait-il, à cinquante cinq ans, lutter encore avec sa mère ? La médecine a-t'elle pensé aux générations suivantes en décidant de laisser les vieux devenir encore plus vieux ? Les vieux le veulent-ils ?"

    Lissa a quinze ans, vit à Berlin et tient un discours écolo radical. Elle se soucie de l'avenir de la planète, est vegan depuis peu et obsédée par la pollution et les excès de la société de consommation. Elle ne l'envoie pas dire avec des gants, ses réactions sont cash. Elle déteste les adultes qui font comme si tout allait bien, comme le nouveau compagnon de sa mère par exemple.

    "Thomas Andreas Schmidt est un connard. Non pas parce que c'est l'ami de sa mère. Au contraire, loin de Lissa l'envie d'avoir Sabine pour elle toute seule. Plus sa mère est occupée, moins elle tape sur les nerfs de Lissa, et moins elle peut passer ses humeurs sur elle. Non, Thomas Andreas Schmidt est objectivement un connard. Il a peut-être l'air intelligent avec sa calvitie et ses lunettes rondes cerclées. Mais il ne l'est vraiment pas".

    J'ai terminé ce roman il y a trois mois et si j'ai perdu de vue des détails, je suis encore imprégnée de l'atmosphère hostile qui règne entre ces trois personnes. Aucune n'est vraiment sympathique et pourtant j'ai fini par les apprécier, surtout Lissa qui essaie de trouver des moyens d'améliorer la situation, à sa manière.

    Ce n'est pas un roman d'action, il ne se passe pas grand chose, mais j'ai aimé l'humour mordant omniprésent qui fait passer le côté plutôt désespérant de l'histoire.

    Lissa découvre sous un autre jour le village où vit sa grand-mère, elle est observatrice et découvre de vieilles histoires soigneusement tues. Ses bévues mettent un peu la pagaille dans un quotidien immuable, au grand dam d'Inge qui tient à sa tranquillité.

    Aucun des trois n'est doué pour le dialogue, ils se critiquent mutuellement, sans reconnaître leur part dans l'ambiance tendue qui s'est installée. On comprend mieux pourquoi le fils aîné, Jens, est parti jeune à l'étranger et ne veut plus entendre parler ni de sa mère, ni de son frère.

    C'est la vie d'une famille comme il y en a tant, pétrie de malentendus, de conflits larvés, de mauvaise foi et de refus de faire la moindre concession. Carsten est le plus agaçant, toujours prêt à se dérober en prétextant un rendez-vous à Bruxelles pour son travail.

    J'ai trouvé très juste la vision de la vieillesse à travers Inge, mais j'ai ri aussi de l'attitude de l'adolescente et de ses réactions au bazooka, ce qui n'empêche pas qu'elle retrouve parfois le côté perdu de la petite fille qu'elle est encore.

    C'est bien écrit, bien raconté, les personnages secondaires ont également leur intérêt, surtout une certaine voisine.

    Je m'attendais à ce que le passé du village qui se trouvait en Allemagne de l'Est soit davantage évoqué. C'est pourtant un changement qui n'a pas dû être évident pour Inge.

    Au final, une bonne découverte et une jeune autrice à suivre.

    Lecture commune avec Eva et Fanja

    C'est ma participation de dernière minute aux Feuilles allemandes

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    Katja Schönherr - La famille Ruck - 352 pages
    Traduit de l'allemand par Barbara Fontaine
    Editions Zoé - 2024

  • Ilaria

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    "Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul."

    Ilaria vit en Suisse avec sa mère et sa soeur. Elle a huit ans et ses parents viennent de se séparer. Son père habite en Italie. Elle est étonnée mais contente quand il vient la chercher à la fin de l'école, il s'est entendu avec sa mère, il l'emmène en virée pour le week-end.

    Ce qu'Ilaria ne sait pas c'est qu'en réalité il l'enlève. Fulvio n'accepte pas la rupture et veut faire pression sur son ex en la privant de la petite. Elle ne se doute pas non plus que la cavale va durer deux ans.

    Au début c'est plutôt amusant, le père est un personnage assez flamboyant, sûr de lui, menteur, il ment tout le temps à tout le monde, avec un aplomb sidérant. Ils passent d'hôtel en hôtel, il fait beau, ça ressemble aux vacances.

    En écoutant la radio, nous comprenons que nous sommes en 1980. Si l'équipée est distrayante dans un premier temps, Ilaria se rend peu à peu compte de couacs inquiétants. Et puis sa mère et sa soeur lui manquent.

    La force de ce roman est de nous mettre dans la même situation qu'Ilaria ; rien n'est vraiment expliqué, nous sommes dans le même flou qu'elle, même si avec notre regard d'adulte, nous  comprenons parfaitement ce qu'Ilaria ne saisit pas.

    Le temps passe, il y a des coups de fil à la mère, qui ne veut pas revenir. De charmant et séducteur, le père passe à des accès de colère, il manipule Ilaria, lui fait croire que sa mère ne veut pas lui parler, qu'elle l'oublie. Ses colères s'aggravent avec la consommation de whisky. Il peut même être cruel.

    Malgré tout Ilaria l'aime ce père, elle comprend qu'il est très seul et malheureux, elle se croit obligée de rester avec lui pour le soutenir.

    Cette histoire est racontée avec une grande délicatesse ; la situation est révoltante, mais il y a aussi des moments de bonheur, la fuite du père est jalonnée de rencontres, dont certaines chaleureuses. Ilaria peut trouver des appuis et s'attacher à des personnes qui l'entoureront d'affection et de bienveillance.

    On sent qu'en Suisse et en Italie, Ilaria et son père continuent à être recherchés. La petite se sent de plus en plus mal dans la vie que son père lui fait mener. Arrivera-t'elle à en sortir ?

    Je n'en dirai pas plus, les petites filles ont parfois plus de ressources qu'elles n'en ont l'air.

    J'ai refermé ce roman avec une pointe de tristesse pour Ilaria, confrontée si jeune à une situation qui ne pouvait que la dépasser et lui laisser une blessure difficile à cicatriser.

    Le sujet est douloureux, mais c'est un coup de coeur, une belle lecture, tant la plume de l'autrice est légère, sans pathos et sans dramatisation.

    "Qu'est-ce qui m'empêche de haïr Papa ? La honte que j'ai vue dans son regard, le jour où, exaspérée par ses whiskys, j'ai vidé sa bouteille de Ballantine's dans le lavabo de la salle de bains. J'ai remplacé ce liquide jaunâtre par de l'eau.
    Après une longue gorgée bue au goulot, Papa m'a regardé du coin de l’œil. Il a baissé les yeux, sans dire un mot."

    L'autrice est plasticienne, d’origines anglaise, italienne et suisse, elle vit à Paris. Formée à la Haute école d’art et de design à Genève, elle puise entre autres son matériau dans sa propre histoire familiale, reprenant photographies, archives, souvenirs et les agençant dans un jeu troublant entre histoire et fiction (Editions Zoé).

    Gabriella Zalapì - Ilaria - 176 pages
    Editions Zoé - 2024

  • La fortune

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    "Je n'écrivais plus à mes amis parce qu'ils auraient vu clair dans mes lettres ; mon humour ne les aurait pas trompés. Chers amis, je suis au bout, c'est écrit, ne vous donnez pas la peine de me répondre. Chers amis, mon drame est banal, où je suis, nous arrivons tous. Mes hôtes ne devinent rien, mais les choses ! Les choses comme elles vous attrapent ! Malignes, proliférantes, intraitables ! Les choses usuelles, les interrupteurs, les lunettes, les lampes de poche, les briquets - je perds tout, je mélange tout, tout m'échappe, je laisse tout tomber, je tombe moi-même."

    Je découvre Catherine Safonoff avec ce livre, qui, comme les précédents semble-t'il mélange autobiographie et fiction.

    J'ai été attirée par le sujet, une femme de quatre vingt ans qui occupe une maison depuis un quart de siècle et pense y finir ses jours. Elle a simplement occulté que cette maison n'était pas la sienne et que son propriétaire (son ex-mari) pouvait la récupérer un jour. Ce qu'il fait.

    C'est une blessure profonde pour elle, un arrachement à tout ce qui faisait sa vie, ses repères, sa bibliothèque, son environnement, ses connaissances, la proximité de Genève où elle aimait flâner dans les vieilles rues.

    Elle se retrouve à la campagne, loin de tout, hébergée par sa fille, Mélie et son compagnon, Jeff. Accueillie de bon coeur, avec son espace, mais plus chez elle. Dépendante pour tout.

    J'ai eu un peu de mal à me repérer au début, la narratrice évoquant ses souvenirs en vrac, mélangeant passé et présent, ne donnant pas toujours des indications très claires sur ce que représentent certains personnages pour elle. J'ai aimé finalement avancer un peu à l'aveuglette, tout se met en place progressivement.

    C'est un livre d'impressions et de réflexions, qui ne fait pas l'impasse sur le quotidien dans sa banalité, les petites mesquineries et les grandes colères devant ce qui lui est infligé. Ce qui ne l'empêche pas de reconnaître qu'elle est restée longtemps dans des non-dits assez confortables.

    La narratrice revient sur un long séjour aux Etats-Unis avec son jeune mari, B. la naissance de ses filles, un amant mystérieux. Elle consacre de belles pages à des séjours en Grèce, qu'elle aime tellement. Elle revient sur son envie d'écrire, depuis toujours et en toutes circonstances.

    Au présent, elle se laisse aller jusqu'à la haine à l'égard de Monsieur B. pour plusieurs raisons et elle n'aime pas se sentir envahie par cette spirale mauvaise.

    Elle décrit bien l'état où elle se retrouve aussi un jour à l'hôpital, avec des problèmes cardiaques et où elle est furieuse après un médecin qui ne s'occupe pas d'elle, avant de s'apercevoir que c'est le contraire.

    J'ai été séduite par cette succession de petits évènements, de souvenirs plus fiévreux et le refus de se résigner d'une femme âgée devant le sort qui lui est fait, prise dans un faisceau d'émotions difficiles à supporter.

    J'ai surtout été séduite par l'écriture, le style, la narratrice n'est pas passive et cherche à clarifier les zones d'ombre qui subsiste entre elle et B.

    Les allusions à ses livres précédents m'ont donné envie de continuer ma découverte de l'autrice. Les Editions Zoé viennent de sortir en poche son premier livre "La part d'Esmé".

    "Pourquoi B. détestait-il tellement que je lise ou écrive ? Comme si c'était une maladie, ou une chose interdite. Parce qu'on part, part vraiment, loin, ailleurs, et devient intouchable."

    Une interview de Catherine Safonoff ici

    Catherine Safonoff - La fortune - 176 pages
    Editions Zoé - 2024

  • Dans la ville provisoire

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    "Avant que la fondation ne prenne contact avec moi, au cours de l'automne, je n'avais jamais entendu parler de la traductrice. Mais personne n'entend jamais parler des traducteurs - c'est elle qui le disait, dans un entretien que je découvrirais plus tard -, encore moins quand ils sont des femmes".

    Un jeune homme débarque dans une ville entourée d'eau, en plein hiver. Il est clair qu'il s'agit de Venise, même si elle n'est jamais nommée.

    Il vient là pour trier les papiers d'une traductrice, dont nous ne savons pas très bien ce qu'elle est devenue, du moins dans une premier temps. Son quotidien va se résumer à des allers-retours entre la Fondation qui lui a fourni ce travail et la maison de la traductrice.

    "J'approchais cette ville comme on apprend une langue étrangère, règles et exceptions, vocabulaire, prononciation. Marcher ici équivalait à former des phrases, le jeu était de ne pas fourcher, de ne pas avoir à faire demi-tour ou demander mon chemin".

    L'histoire est ténue, c'est surtout un roman d'atmosphère, celle d'une ville brumeuse, mystérieuse, envahie par l'eau, loin des hordes touristiques de l'été. Il pleut beaucoup, le jeune homme se perd dans les papiers, prend possession de l'appartement de la traductrice, essaie d'imaginer comment elle y vivait.

    Il va jusqu'à revêtir une robe qui lui appartenait et reprend les trajets qu'il lui prête lorsqu'elle était là. Rien n'est vraiment expliqué, ce qui ne m'a pas empêchée d'aimer cette errance nébuleuse. De la même manière, le jeune homme se fond peu à peu dans la ville, sans perdre de vue qu'un jour, elle ne sera plus.

    "Quand je suis sorti du café, les doigts poisseux de sucre, les vagues éclaboussaient le quai. Le temps que le bateau me dépose de l'autre côté du canal, les rues du centre historique étaient inondées. Des vendeurs à la sauvette proposaient des sacs en plastique hors de prix dans lesquels emballer ses chaussures. C'était trop tard pour mes baskets, j'ai continué d'avancer dans l'eau qui par endroits m'arrivait aux mollets".

    Un roman qui vaut par son écriture et un charme évanescent.

    L'avis de Keisha

    Du même auteur : l'excellent Là-bas, août est un mois d'automne

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    Bruno Pellegrino - Dans la ville provisoire - 128 pages
    Editions Zoé - 2021

  • Faire paysan

    non-fiction

    "Il y a plusieurs sortes de paysans. Il y a "le résigné", un besogneux qui s'acharne dans ses choix, dans le déni de la situation actuelle. Il y a "le nostalgique", un désillusionné qui espère en secret la chute du système et le retour de l'ordre ancien lors de la prochaine grande crise mondiale. Enfin, il y a "l'entrepreneur", celui qui a compris les règles du système en vigueur et travaille à y trouver sa place, à répondre aux attentes de la population, en inventant une nouvelle manière de faire."

    L'auteur, est fils et petit-fils de paysan et bien qu'il ne le soit pas devenu lui-même, il est toujours très attaché au monde de son enfance et à ses valeurs. Pourtant, lorsqu'il revient au village, il n'est plus considéré comme un des leurs puisqu'il est parti vivre à la ville.

    Première réflexion sur le clivage actuel entre un monde paysan parfois très fermé et les urbains souvent accusés d'imposer des règles à un milieu dont ils ne connaissent rien.

    Dans ce livre, l'auteur s'attache à creuser les nombreux griefs des paysans. Il rencontre un maximum d'interlocuteurs de tous bords et essaie de comprendre et de remonter à la source des malentendus. Il n'y réussit pas toujours.

    "A l'heure du dessert - horreur - je franchis sans m'en rendre compte le point de non-retour en prononçant le mot qu'il ne faut jamais prononcer devant un paysan conventionnel de plus de 50 ans : glyphosate".

    Si la politique suisse sur l'agriculture est différente de celle de la France, on retrouve les grands enjeux actuels entre agriculture intensive et culture respectueuse des enjeux climatiques et de l'avenir de la terre.

    Au sein du monde paysan, le clivage générationnel est assez marqué, au grand désarroi des anciens qui se murent souvent dans un mutisme buté. L'auteur expose avec lucidité les défauts de certains et les projets irréalisables de jeunes utopistes.

    Il rencontre également des militants, qui malgré les obstacles permanents ne baissent pas les bras avec l'espoir d'évoluer vers une agriculture qui permettrait aux paysans de vivre de leur travail, sans détruire le vivant.

    "Il est fatigué d'entendre les parlementaires de Berne rabâcher le même argument depuis trente ans. La Suisse compte 800 000 pauvres, il est impensable d'augmenter les prix dans les supermarchés. "Mais c'est absurde ! Ce n'est pas aux paysans d'assumer le scandale des travailleurs sous-payés, c'est aux grandes surfaces de réduire leurs marges !".

    J'ai aimé la variété des rencontres de l'auteur, ses discussions avec son père et sa famille, l'évocation des générations passées. C'est une lecture très agréable, qui a le mérite d'être claire et de mettre en avant des pistes pour l'avenir.

    Mélange d'anecdotes, d'études, de souvenirs, d'exemples, je suis ressortie de ce livre plus éclairée que je n'y étais entrée.

    L'auteur : Né à Morges en 1978, Blaise Hofmann est l’auteur d'une dizaine de romans et récits de voyage. Il reçoit en 2008 pour Estive le Prix Nicolas-Bouvier au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Ses derniers ouvrages sont Marquises (2014), Capucine (2015), Monde animal (2016), Deux petites maîtresses zen (2021) et Faire paysan (2023).. Chroniqueur dans divers journaux suisses romands, il écrit aussi régulièrement des pièces de théâtre et des livres jeunesse, dont Les Mystères de l’eau (2018) et Jour de Fête (2019). En 2019, il a été l'un des deux librettistes de la Fête des Vignerons.

    Blaise Hofmann - Faire paysan - 224 pages
    Editions Zoé - 224 pages

  • La vieille maison

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    "La maison de Chasper, très vieille, est une des plus singulières, par ici. A moitié en pierre, avec des murs irréguliers, à moitié en bois, les poutres et les planches presque noires, un balcon couvert, des fenêtres de tailles différentes. Il n'y a pas l'ombre d'une symétrie : on ne sait pas pourquoi cette maison, à partir du milieu, penche un peu sur le côté. Le fond de la grange, sous le même toit, arrive jusqu'à la roche ; le toit est couvert de bardeaux. Au mur, l'année de construction, décolorée : le milieu du dix-septième siècle. La pierre et le bois ont résisté au temps, bien que le temps soit toujours là, fouillant tout autour, de ses mains silencieuses."

    A la mort de son père, Chasper hérite de la demeure familiale à laquelle il est très attaché. Le hic, c'est que l'héritage n'est constitué par ailleurs que de dettes, contractées auprès de Lemm, le cafetier du village, qui a lui-même des vues sur la maison.

    Chasper n'a pas un sou pour rembourser, condition indispensable s'il veut la conserver . Dans un premier temps, il pense trouver quelqu'un pour lui prêter l'argent parmi les villageois qu'il connaît. Hélas il se heurte à des refus plus ou moins justifiés.

    Dans ce village alpin des Grisons, Lemm a un certain pouvoir et les habitants se plient à sa volonté. Les villageois évitent désormais de croiser Chasper. Il peut compter seulement sur l'amitié indéfectible de Christian, aussi pauvre que lui.

    "Jolanda ne semble pas être ici, ni la tenancière. Lemm ne vient pas lui demander ce qu'il veut boire. Chasper attend. Il essaie de garder son calme, mais pendant que Melcher continue à parler de son chien, il se sent bouillonner. Pas à cause de la bière, mais à cause du tenancier. Il voit les têtes des hommes, leurs gueules indifférentes, leur fumée bleutée, leur manière de jeter les cartes sur les tables. L'un d'eux se lève et va vers les toilettes, passe à côté de Chasper, lui lance un regard, mais sans le saluer. Deux lampes au plafond, une horloge murale, le portrait du vieux Lemm, une vitrine avec quelques couronnes de la société de tir, à côté d'une réclame de tabac Rössli".

    Chasper passe son temps seul, à imaginer des solutions. Il se remémore le passé, quand ses parents étaient encore en vie, leur existence simple à s'occuper des terres, des bêtes et la grande douleur liée à la disparition de Dominic, le frère aîné de Chasper, parti du jour au lendemain, nul ne sait où. Chasper n'a pas perdu l'espoir de voir un jour Dominic ressurgir au coin d'une rue, riche de multiples aventures.

    L'autre souffrance dans le coeur de Chasper c'est Johanna, la femme de sa vie, qui s'est mariée à un autre. Elle lui aurait volontiers prêté la somme qu'il lui faut, mais elle en est empêchée.

    Les jours passent, Chasper voit s'éloigner toutes les possibilités de conserver la maison, en même temps que grandit sa certitude de vouloir la garder coûte que coûte.

    Je ne peux évidemment pas vous raconter la fin, à la hauteur de tout ce qui a précédé.

    J'ai beaucoup apprécié cette histoire, parue en 1999 en romanche (4e langue suisse) traduite tardivement en français, pour les 85 ans de l'auteur.

    Le personnage de Chasper est attachant ; la description du village et de ses habitants donne rapidement une impression de familiarité. La vie y est rude, le tempérament des villageois aussi. L'écriture et le style me donne envie de poursuivre avec l'auteur.

    "Souvent on est bien tout seul, mais parfois on crève de solitude. Il arrive qu'il ne voie âme qui vive des journées durant. Ce n'est pas une vie. Ce serait bien différent s'il avait une femme et des enfants, un quotidien normal et surtout des repas convenables. Si l'on pouvait bavarder à table. S'il avait voulu, il aurait sans doute trouvé une femme, mais Johanna, bien qu'elle n'y puisse rien, l'a empêché d'en prendre une autre. C'est comme ça, c'est tout".

    Encore une belle découverte dont il serait dommage de se priver.

    L'auteur : Oscar Peer (1928-2013) a écrit une quinzaine d'ouvrages en romanche, la langue du canton alpin des Grisons, dont il est l'un des écrivains emblématiques.

    Oscar Peer - La vieille maison - 195 pages
    Traduit du romanche par Walter Rosselli
    Zoé poche - 2022