"Les autres ouvriers ne le regardent pas, et cette volonté de l'éviter - pour ne pas le mettre mal à l'aise- fait l'effet inverse. Évidemment, tout le monde en a parlé, de la petite. Belle, offerte aux regards avec ses tops à bretelles et ses jeans slim. Trop jolie sans doute."
Un été caniculaire, quelque part dans le Vaucluse, du côté de l'Isle-sur-Sorgue. Pas chez les riches propriétaires qui viennent seulement pour les vacances, non, chez les ouvriers qui triment dur pour gagner chichement leur vie.
Deux soeurs, Céline, 16 ans et Jo, 15 ans, trainent leur ennui comme tous les étés, entre fête foraine annuelle et sorties avec les copines, sous l'oeil des pères, plus ou moins avinés.
Le destin des filles est tout tracé, elles n'ont même pas le temps de rêver, comme la mère de Céline et Jo. Les enfants arrivent trop vite, la femme est assignée à sa place de mère au service des autres, les jours s'écoulent, mornes et identiques.
Cet état-là commence par un scandale. Céline est enceinte à 16 ans. Elle est très belle Céline, elle aimante les regards masculins, surtout sur sa poitrine, vite développée. Elle s'en amuse sans trop réfléchir, mais là, la réalité la rattrape, sans échappatoire.
Manuel, le père, réagit violemment en la frappant, d'autant plus qu'elle ne veut pas donner le nom du responsable. Manquerait plus que ce soit le jeune voisin arabe, ça le rend fou, Manuel.
Séverine, la mère, se souvient qu'elle était aussi belle que Céline à son âge. Elle s'est retrouvée enceinte également, mais au moins le père a assumé et l'a épousée.
L'été se fige autour de cet évènement. La tension monte crescendo. Céline s'entête à ne rien dire, déjà résignée à la vie qui lui est réservée et au manque total de perspectives. Jo, sa jeune soeur est complètement différente. Elle met les autres mal à l'aise avec ses yeux vairons. Elle réfléchit, pressent qu'il y a d'autres mondes et espère bien se sauver de ce milieu étriqué.
C'est un roman noir, qui décrit un milieu rural étouffant de manière saisissante. Le déterminisme social pèse lourd, le patriarcat aussi. Le langage est cru et souvent brutal. Dans cette ambiance, Manuel perd pied jour après jour, sans pouvoir arrêter l'engrenage.
C'est une histoire qui laisse un goût assez amer, tant les issues sont bouchées. Les soeurs ne se comprennent pas forcément et pourtant se soutiennent quand il le faut.
Il ne circule pas beaucoup de tendresse dans cette histoire, de la dureté un peu partout et on sent que les évènements de l'été seront recouverts d'un voile de silence épais, pour toujours.
J'ai apprécié l'aspect réaliste du milieu décrit, sans arriver à m'attacher aux personnages. Seule Jo semble encore avoir l'étincelle qui lui permettra peut-être de prendre le large un jour.
Un bon roman, à ne pas entamer un jour de déprime ..
L'avis de Luocine Athalie Ingannmic Kathel
Marion Brunet - L'été circulaire - 272 pages
Editions Albin Michel - 2018