"Sa grand-tante était née sur cette terre-là, y avait vécu huit décennies, et la connaissait aussi bien qu'elle connaissait son mari et ses enfants. Voilà ce qu'elle avait toujours soutenu, et elle était capable de vous annoncer à la semaine près quand la première feuille de cornouiller illuminerait la crête, la première mûre serait assez noire et ronde pour être cueillie. Puis son esprit s'était égaré en un lieu où elle n'avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s'ils vivaient encore ou s'ils étaient morts. Mais son corps s'était attardé, dépouillé d'un être intime, aussi vide qu'une carapace de cigale".
Je n'avais pas lu l'auteur depuis trop longtemps et j'ai profité du challenge "Bonnes nouvelles" pour renouer avec lui.
J'ai retrouvé dans ses douze nouvelles tout ce qui m'a plu dans les romans. Le style est puissant, les personnages marquants. Les histoires se déroulent dans les Appalaches, de la guerre de Sécession à nos jours. Il y est beaucoup question de misère, de conditions de vie dégradées, d'addictions diverses.
La nouvelle qui m'a le plus touchée est sans conteste "l'envol", l'histoire d'un pauvre gosse, qui découvre par hasard un avion qui s'est crasché et qui s'invente toute une histoire en montant à bord. Son imagination est débordante et lui fait oublier ses parents, tous deux accros aux méthamphétamines. A part la drogue et la manière de s'en procurer, rien ne compte plus vraiment pour eux. La fin de cette nouvelle fend le coeur.
Il y a aussi "les temps difficiles", autre exemple de pauvreté. Des oeufs disparaissent d'un poulailler. Un vieux couple se dispute autour de ces disparitions, jusqu'au jour où l'homme comprend se qui se passe vraiment.
Dans une autre nouvelle, une jeune femme enceinte va devoir faire face à un soldat du camp adverse. Elle est seule, elle sait ce qu'il veut et elle va faire face avec sang-froid.
Ailleurs, ce sont des tombes de soldats confédérés qui sont fouillées. S'ils ont gardé leur ceinture, les boucles se négocient assez cher.
Les personnages sont souvent confrontés à une certaine solitude, isolés géographiquement, habitués à se débrouiller avec peu de moyens. Pourtant, des gestes d'humanité surgissent, une solidarité de voisinage aussi.
Ces douze nouvelles nous font toucher du doigt l'éventail des réactions humaines dans des situations d'extrême dénuement, dans un monde rural encore imprégné de vieilles croyances. Tout le talent de l'auteur est de nous faire aimer les personnages, même les moins recommandables parfois.
Une excellente lecture.
L'avis de Ingannmic Kathel Sandrion
Ron Rash - Incandescences - 208 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
Seuil - 2015