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Nouvelles

  • C'est bon pour ton ego

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    "Octavie soupire en découvrant ce nouveau SMS. Le paquet de cigarettes, à l'abri dans son sac, n'a pas été ouvert depuis son achat, c'est-à-dire depuis quinze jours. Pour une candidate écolo à la présidentielle, fumer est impensable. "Le tabac rend les dents jaunes. Tu sais que la télé ne pardonne rien". Ce dernier argument est sans appel, même si Octavie meurt d'envie d'en griller une, là tout de suite. Après le débat, elle ira s'enfermer dans les toilettes, à l'abri des caméras, elle l'aura bien mérité. Fichue télé".

    J'ai commencé ce recueil de seize nouvelles avec un peu de trac, l'autrice étant une blogueuse bien connue, que je suis depuis longtemps "Aux bouquins garnis".

    J'ai souri à la première nouvelle où j'ai retrouvé le ton de la blogueuse, son amour des bons petits plats et son franc-parler, qu'elle aime ou qu'elle n'aime pas un livre.

    Les nouvelles sont courtes, avec ou sans chute et ont comme toile de fond l'omniprésence des écrans dans nos vies, bénéfiques ou pas. J'avoue avoir préféré celles qui ont un zeste de cruauté, j'aurais même aimé qu'il soit poussé plus loin parfois.

    Mais au fond, tous les personnages ont en commun de chercher l'amour, perdu ou jamais trouvé, fantasmé souvent, celui qui exalte ou démolit.

    Je ne vais pas détailler les nouvelles, mais souligner celles qui m'ont le plus accrochée. La première par exemple, "Je ne suis pas Lynette" où une jeune femme se retrouve prise en otage dans un supermarché. Elle essaie de surmonter sa peur en imaginant les plats plus savoureux les uns que les autres qu'elle va faire le soir. Le tout en se désolant de ne pas être, hélas, Lynette (personnage de Desperate Housewives).

    "La loyauté" ou deux amies se retrouvent et comparent leurs enfants. Elles vont s'affronter à fleurets mouchetés autour d'une petite fille différente. Où l'on voit sombrer une (fausse ?) amitié. Histoire touchante et désolante à la fois.

    Plus fantaisiste "Victor Hugo dans mon salon" qu'il faut prendre au pied de la lettre. Comment s'est-il retrouvé là, la narratrice se le demande (et nous aussi). Elle apostrophe le grand homme sans la moindre gêne, elle a plusieurs griefs contre lui.

    J'ai été séduite par la variété des personnages et des univers évoqués. Au delà d'une certaine légèreté, les sujets plus graves affleurent régulièrement, sous un humour souvent ravageur.

    En bref, un premier recueil prometteur, qui devrait être suivi d'un deuxième.

    L'avis de Kathel (et interview de l'autrice)

    Lecture commune avec Ingannmic

    Vous pouvez trouver ce recueil dans toutes les bonnes librairies indépendantes, ou le commander ici

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    Béatrice Crespo-Binisti - C'est bon pour ton ego - 144 pages
    Editions Zonaires - 2024

  • Plus bas dans la vallée

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    "Ils arrivèrent à l'aube, le sol crépitant sous le piétinement des sabots, dans le raffut des poules qui battaient des ailes et gloussaient. Puis des voix, l'une d'entre elles criant de mettre pied à terre. Les feuilles de maïs crissèrent lorsque Rebecca quitta la paillasse, s'empressant d'enfiler et de serrer son manteau en drap par-dessus sa chemise de nuit. Elle réveilla les enfants. Alors qu'ils frottaient leurs yeux emplis de questions, elle leur chuchota de se glisser sous le lit et de ne pas bouger. Le menton d'Hannah tremblota, mais elle acquiesça d'un signe de tête. Ezra, de trois ans son aîné, prit sa soeur par la main au moment où ils se levaient. Il l'aida à se faufiler en-dessous et l'y suivit".

    Si je n'ai pas lu ce recueil de sept nouvelles plus tôt, c'est que je savais que la plus longue reprenait le personnage de l'horrible Serena, déjà personnage central d'un roman.

    Pas pressée du tout de la retrouver, j'ai d'abord commencé par les nouvelles suivantes qui se déroulent dans la région des Appalaches, chère à l'auteur.

    Ma préférée "les voisins" met en scène une jeune femme, seule avec deux enfants, dans une ferme isolée. C'est la fin de la guerre de sécession, des bandes désorganisées pillent et tuent. Son sort semble scellé lorsqu'un retournement inattendu survient, changeant radicalement la donne.

    Dans une autre nouvelle, c'est encore une jeune femme qui ne supporte pas qu'un pêcheur lourd et indifférent à la loi la nargue et l'écrase avec un parfait mépris. Il aurait dû se méfier davantage de cette jeunette inexpérimentée.

    Il est ailleurs question d'un pasteur qui va accepter de baptiser un homme contre son gré et ne s'opposera pas vraiment à la suite des évènements. On peut le comprendre.

    L'ensemble des nouvelles est noir, assez cruel, mais tellement bien raconté, c'est toujours un régal de retrouver l'écriture de Ron Rash.

    Mais n'oublions pas Serena, de retour du Mexique avec son exécuteur des basses oeuvres, Galloway et la mère de celui-ci, une sorte de sorcière à qui rien n'échappe et qui surveille tout le monde de son oeil perçant. Serena se déplace toujours à cheval avec un aigle qui lui ramène les serpents qu'il attrape.

    Serena s'est engagée à déboiser une parcelle qui lui reste dans un délai intenable. Personne n'y croit, sauf ceux qui ont déjà travaillé pour elle. Ils savent qu'ils vont souffrir et mourir pour certains.

    Si je me serais bien passée de revoir Serena, j'ai retrouvé avec plaisir le choeur des bûcherons qui observent de loin les manigances de Galloway. Ils supputent les chances des uns et des autres et savent qu'ils n'ont d'autre choix que de trimer comme des bêtes. Le massacre de la forêt préfigure les problèmes écologiques que nous rencontrons aujourd'hui. Le pillage commençait, organisé par des individus cupides, sans aucun scrupule. Entre chaque chapitre, un intermède égrène le nombre d'espèces animales obligées de quitter les lieux les unes après les autres.

    La chute de la nouvelle ne m'a pas complètement satisfaite et quelque chose me dit que Serena ressurgira un jour.

    Ron Rash excelle dans le domaine de la nouvelle et j'espère lire un jour d'autres recueils de cette trempe.

    L'avis de Athalie Kathel

    Participation au challenge Bonnes nouvelles chez Je lis je blogue

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    Ron Rash - Plus bas dans la vallée - 272 pages
    Traduit de l'anglais par Isabelle Reinharez
    Folio - 2024

  • La femme à la valise

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    "Le lever du jour a teinté ces étranges passagers d'une couleur cendrée. Dans cette tonalité grisâtre, les silhouettes ont commencé à bouger. Parfois un bras ; d'autres fois une tête qui se tournait pour finalement revenir à sa position initiale et s'appuyer sur l'épaule voisine. Chacune ramâchait sa peine ou s'abandonnait dans le sommeil après l'angoisse des heures passées. Les passagères qui ne dormaient pas ont vu les eaux noires prendre lentement une teinte de plomb sous le ciel gris. Elles regardaient leurs compagnes de voyage avec indifférence. Les têtes abandonnées sur les épaules ; les corps, emboîtés ; L'image de cet abandon se balançant sur la mer ne les émouvait pas".

    Avec ce recueil de 11 nouvelles, je fais la connaissance de Luisa Carnés qui a été elle-même membre du PC espagnol et militante. Elle a été obligée de fuir l'Espagne pour la Colombie en 1939.

    Ces nouvelles ont été écrites entre 1940 et 1960. Elles se déroulent pendant et après la guerre d'Espagne et mettent en scène essentiellement des femmes. Elles ont toutes traversé des épreuves dures, l'arrestation, la torture, la prison, la fuite. L'espoir n'est plus de mise, elles ont perdu des maris, des pères, des fils et doivent survivre dans une société muselée par les franquistes.

    C'est une lecture forte, sans pathos, tout est dit avec une sobriété qui met d'autant plus en relief l'atrocité de certaines histoires comme la nouvelle qui donne son titre au recueil. Un groupe de femmes qui fuit vers la France, à pied. Une de ces femmes porte une valise qu'elle ne veut en aucun cas lâcher, éveillant la curiosité des autres. Elle ne dit pas un mot. L'ouverture de la valise au bout du périple tétanisera le groupe de femmes, devant une réalité insoutenable.

    Dans "la partie de dominos" c'est de vengeance dont il est question, mise minutieusement au point et visant un traître, montrant la difficile cohabitation des franquistes victorieux et des républicains vaincus et réduits au silence.

    Plusieurs nouvelles évoquent la grande misère des enfants séparés des parents ou en prison avec des mères condamnées. Certains leurs sont enlevés et confiés à des institutions fascistes.

    Une des nouvelles les plus poignantes concerne une femme qui a accouché en prison et voit son enfant dépérir de jour en jour dans cet univers délétère. Elle prendra une décision terrible pour lui donner une chance de sortir de cet endroit.

    Les situations évoquées sont multiples et montrent également des femmes réduites à la prostitution puisqu'à leur sortie de prison elles ne pouvaient trouver de travail nulle part et devaient se méfier de tout le monde.

    Une des rares nouvelles porteuse d'espoir "Aixo va bé" rappelle une journée de manifestation quinze ans après les évènements qui remet en présence Paco et Paloma. Paco continue la lutte dans la clandestinité, permettant à Paloma de retrouver la chaleur d'un groupe uni dans la résistance et fier de ses convictions.

    C'est un recueil de nouvelles d'une égale qualité, je n'ignorais pas ce qui s'est passé en Espagne franquiste, mais ces histoires de femmes qui n'occultent rien donnent une dimension pleinement humaine à ce qu'une partie de la population a dû subir, avec les séquelles que nous connaissons encore aujourd'hui.

    Une autrice que je ne connaissais pas et dont je vais continuer la lecture puisque les éditions de la Contre Allée ont eu la bonne idée de rééditer ses textes, trop méconnus en France.

    L'avis de Sacha

    Luisa Carnés - La femme à la valise - 200 pages
    Traduit de l'espagnol par Michelle Ortuno
    Editions la Contre Allée - 2023

  • Incandescences

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    "Sa grand-tante était née sur cette terre-là, y avait vécu huit décennies, et la connaissait aussi bien qu'elle connaissait son mari et ses enfants. Voilà ce qu'elle avait toujours soutenu, et elle était capable de vous annoncer à la semaine près quand la première feuille de cornouiller illuminerait la crête, la première mûre serait assez noire et ronde pour être cueillie. Puis son esprit s'était égaré en un lieu où elle n'avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s'ils vivaient encore ou s'ils étaient morts. Mais son corps s'était attardé, dépouillé d'un être intime, aussi vide qu'une carapace de cigale".

    Je n'avais pas lu l'auteur depuis trop longtemps et j'ai profité du challenge "Bonnes nouvelles" pour renouer avec lui.

    J'ai retrouvé dans ses douze nouvelles tout ce qui m'a plu dans les romans. Le style est puissant, les personnages marquants. Les histoires se déroulent dans les Appalaches, de la guerre de Sécession à nos jours. Il y est  beaucoup question de misère, de conditions de vie dégradées, d'addictions diverses.

    La nouvelle qui m'a le plus touchée est sans conteste "l'envol", l'histoire d'un pauvre gosse, qui découvre par hasard un avion qui s'est crasché et qui s'invente toute une histoire en montant à bord. Son imagination est débordante et lui fait oublier ses parents, tous deux accros aux méthamphétamines. A part la drogue et la manière de s'en procurer, rien ne compte plus vraiment pour eux. La fin de cette nouvelle fend le coeur.

    Il y a aussi "les temps difficiles", autre exemple de pauvreté. Des oeufs disparaissent d'un poulailler. Un vieux couple se dispute autour de ces disparitions, jusqu'au jour où l'homme comprend se qui se passe vraiment.

    Dans une autre nouvelle, une jeune femme enceinte va devoir faire face à un soldat du camp adverse. Elle est seule, elle sait ce qu'il veut et elle va faire face avec sang-froid.

    Ailleurs, ce sont des tombes de soldats confédérés qui sont fouillées. S'ils ont gardé leur ceinture, les boucles se négocient assez cher.

    Les personnages sont souvent confrontés à une certaine solitude, isolés géographiquement, habitués à se débrouiller avec peu de moyens. Pourtant, des gestes d'humanité surgissent, une solidarité de voisinage aussi.

    Ces douze nouvelles nous font toucher du doigt l'éventail des réactions humaines dans des situations d'extrême dénuement, dans un monde rural encore imprégné de vieilles croyances. Tout le talent de l'auteur est de nous faire aimer les personnages, même les moins recommandables parfois.

    Une excellente lecture.

    L'avis de Ingannmic Kathel Sandrion

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    Ron Rash - Incandescences - 208 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
    Seuil - 2015

  • Le collectionneur de serpents

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    "La lumière de la lampe à pétrole vacillait, si bien qu'on aurait dit que la pièce ondulait. La radio scintillait et crachotait, transmettant des fragments d'ordres et de bulletins. Nous entendions des bribes de conversations tenues dans d'autres coins du front, par d'autres hommes. J'ai remis le livre en place sur la table. A la page ouverte, un hanneton exotique, coloré, me regardait. Nous aussi, pour d'autres, nous devons paraître comme ça, ai-je pensé. Colorés, étrangers, vaguement répugnants. Comme une race rudimentaire qui fait la guerre à une autre qui lui ressemble, pour des raisons à elle. Comme un objet d'étude, une espèce qu'on attrape avec des pincettes, après avoir pris soin d'enfiler des gants de laboratoire."

    Après "L'eau rouge" et "La femme du deuxième étage", je me demandais si ce recueil de nouvelles serait à la hauteur. Il l'est brillamment. Cinq nouvelles d'égale qualité, se déroulant en Croatie avant, pendant et après la guerre en ex-Yougoslavie.

    J'ai une préférence pour la première et la dernière. La première donne son titre au recueil et montre à quel point la guerre ravage la vie de gens ordinaires, contraints presque du jour au lendemain d'aller tirer sur leurs voisins. Les nuits du narrateur sont hantés par un évènement particulier, où le plus jeune d'entre eux, presque un gamin, est investi d'une mission que personne ne veut accomplir.

    Les histoires sont racontées au plus près des personnages, avec précision et empathie. Personne n'est un héros ici, seulement des humains abîmés qui reprennent leur vie comme ils peuvent.

    La cinquième nouvelle démontre que la guerre ne se termine jamais vraiment. Les règlements de compte peuvent survenir des années plus tard, les traques se poursuivre à bas bruit, menée par des hommes qui ont peut-être aussi quelque chose sur la conscience.

    Les trois autres nouvelles ne déméritent pas, tournant autour de familles brisées, séparées, de maisons que l'on se dispute, de conflits non résolus, mais aussi de gestes humains inattendus (Le tabernacle). On voit le pays changer, livré parfois à la corruption, l'enrichissement de certains, la pauvreté des autres. Chacun essaie de revivre comme il peut, avec ses traumatismes.

    Cinq nouvelles parfaitement maîtrisées et un auteur décidément à suivre de près.

    C'est ma première participation au challenge "Bonnes nouvelles" chez Je lis je blogue

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    Jurica Pavičić - Le collectionneur de serpents - 177 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2023

  • Sitka

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    "Sitka lèche le plancher autour de la chaise haute, tandis que la rouquine babillante qui y trône laisse joyeusement tomber des miettes pour la chienne-louve. Le gueuleton avalé, la bête lèche aussi les orteils du bébé, puis ses doigts potelés tendus vers elle. Chatouille. La reine rit aux éclats."

    Cette courte nouvelle est une bonne entrée en matière dans l'écriture et l'univers de l'autrice. On y fait la connaissance d'une chienne-louve, Sitka, farouchement attachée à une petite rouquine et à son père, qu'elle appelle le mâle alpha.

    Cette période prendra hélas fin rapidement et Stika passera dans différentes mains moins bienveillantes, loin du foyer d'origine. Elle changera de nom plusieurs fois au gré de ses propriétaires, retournera aussi à une vie totalement sauvage, rendue féroce par la méchanceté des hommes.

    Elle n'a pas oublié la petite reine du début et espère la retrouver un jour, sans se rendre compte qu'elle s'en éloigne toujours plus ; le Canada est grand.

    C'est un texte qui se lit d'un trait, emportée par l'écriture poétique et la beauté de la nature décrite. Le choix de la narration du point de vue de Stika nous rend l'ampleur des difficultés plus palpable.

    "La chienne-louve sait faire la différence entre les forêts saines et les forêts fausses, celles qu'on plante pour les couper encore.
    Elle marche, aujourd'hui, une de ces forêts vides qui suent l'homme piégeur. Linéaires, sans arbrisseaux, privée de couvert et délaissée des êtres ailés. Des rangées d'arbres tous pareils. Ils sentent quand même bon. Ils sentent la vie d'avant. Et se mêlent, petit à petit, aux reines boréales qui n'ont pas peur des vents les plus froids. Elles qui ploient sans grincer ni perdre tête. Entre leurs branches déployées, un chant, un sifflement aïgu."

    De la même autrice : Encabanée Sauvagines
    Le 3e volet de la trilogie "Bivouac" paraîtra en Février 2023

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    Festival América - Septembre 2022

    Gabrielle Filteau-Chiba - Sitka - 64 pages
    Editions XYZ - 2022

  • Les jardiniers

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    "J'ignore si vous avez entendu ce cri que la femme a poussé, une Anglaise, un cri aigu, perçant, comme seules les Anglaises savent en produire. J'ai moi-même entendu ce cri, depuis mon balcon où j'étais allongée dans ma chaise longue, ces chaises longues qu'ils ont ici sont tout simplement des modèles de confort. Mais du mari rien, pas un mot. On se méfie lorsqu'on entend une femme crier dans un hôtel, surtout un hôtel comme celui-ci, irréprochable à tous égards. Aussi ai-je tendu l'oreille, sans pour autant me lever, ce qui me prend un certain temps comme à vous je suppose, ni vous ni moi ne nous levons plus d'un bond, n'est-ce-pas, l'époque où nous nous relevions d'un bond de nos sièges est révolue, bel et bien révolue, cela va sans dire".

    Véronique Bizot est douée pour créer une atmosphère étrange, en apparence banale mais où l'on sent poindre quelque chose de moins innocent. Le ton, distancié et souvent caustique est savoureux, il n'y a plus qu'à attendre la chute, absurde ou féroce, c'est selon.

    Pourtant, dans ces sept nouvelles nous sommes entre gens bien. Ce qui n'empêche pas les petites ou grandes vengeances de mijoter doucement, mais sûrement. Comme par exemple dans "la femme de Georges" où un narrateur observe une piscine en contrebas, sans que nous comprenions le lien entre les occupants. La chute est glaçante.

    Quant à la jeune mariée anglaise de l'extrait, si elle crie autant, c'est qu'elle affirme avoir vu des rats en entrant dans sa chambre. Des rats dans un hôtel de luxe ! Est-ce vrai, est-ce inventé ? Et dans quel but ?

    Dans la première nouvelle, une soeur se venge de son frère absent depuis trop longtemps en transformant le jardin de la propriété. Lorsqu'il rentre enfin, la jungle qu'il avait laissée volontairement prospérer a été transformée en jardin au cordeau, fleuri et domestiqué à outrance. Les jardiniers qui y travaillent tous les jours narguent le narrateur exaspéré.

    Et que dire de ce beau-père tout juste arrivé d'Arménie dans une tour de luxe parisienne. Le temps que son gendre tourne le dos, il a disparu, défenestré. Comment l'annoncer à sa fille, à l'étranger pour son travail, comme toujours. Le narrateur préfère ramener le corps du beau-père en Arménie et l'enterrer à la va-vite.

    Des narrations simples, mais décalées, des phrases longues, des petites digressions, je n'ai jamais été déçue par un texte de l'autrice, que ce soit les nouvelles ou les romans. J'en ai encore quelques uns à découvrir.

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    Véronique Bizot - Les jardiniers - 112 pages
    Actes Sud - 2008

  • Indice des feux

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    "Mais personne en a rien à foutre de ce que je veux. Ça fait un bout de temps que j'ai compris ça. Ma mort m'appartient pas vraiment. Tout le monde veut en faire sa chose. Son jouet, sa bébelle. Avoir son mot à dire, son moment spécial, son souvenir impérissable. Tout le monde en veut un morceau. Mais crisse que je suis écoeuré de partager. Je veux juste qu'on me sacre patience de temps en temps, pis qu'on sorte de ma bulle, pis qu'on me laisse crever en paix.Quand Francine met tout le monde dehors, on dirait qu'on m'enlève un piano à queue en marbre du chest. Mes côtes de décoincent, se décrispent. Mes poumons se déplient. Je respire, ça fait de l'air".

    Voici un recueil québécois de sept nouvelles ayant pour toile de fond les désastres écologiques potentiels en cours et à venir. Pas de panique, ces textes ne sont ni culpabilisateurs, ni moralisateurs, sans pathos gratuit. L'auteur entremêle subtilement évènements personnels et problèmes collectifs.

    La première nouvelle frappe très fort, avec un jeune garçon de 16 ans atteint d'un cancer inguérissable. Les premières pages décrivent un adolescent plein de vie, puis l'inexorable dégradation physique, la dureté des traitements, le rétrécissement total de son monde. Parallèlement la pluie tombe dehors, les inondations sévissent un peu partout, sans que l'on sache où cela va s'arrêter.

    Lorsqu'il en a encore la force, l'ado dissèque l'attitude de son entourage, leur changement de regard sur lui. Isolé sur son lit d'hôpital, il suit la progression de la montée des eaux à la radio, laissant le lecteur secoué devant son impuissance.

    Ma nouvelle préférée, ou devrais-je dire mon personnage préféré est Louis, enfant, puis jeune homme surdoué, promis à un avenir radieux, couvé par sa famille qui en attend beaucoup. Il suit une trajectoire parfaite, jusqu'au moment où il s'éloigne progressivement de la voie qui lui était tracée, pour en suivre une autre, moins brillante socialement, mais plus en phase avec le dérèglement de la planète et les aspirations profondes de Louis.

    L'histoire nous est racontée par le frère de Louis, d'abord en colère après ce qu'il estime être un gâchis, puis comprenant ses motivations et acceptant ses décisions, aussi radicales soient-elles.

    Les autres nouvelles sont tout aussi intéressantes, une ou deux sont un peu plus faibles, mais c'est souvent le cas dans ce genre littéraire, ce n'est pas un problème.

    Ce qu'il faut retenir c'est que pour une première publication, c'est excellent, plein d'émotions, on s'attache avant tout aux personnages, tout en comprenant les enjeux de certains changements et l'apparition de nouvelles préoccupations dans la vie de tout un chacun.

    Seule la première nouvelle utilise pleinement le langage québécois, les autres retrouvent un style plus classique. Un glossaire à la fin permet de comprendre sans difficulté les expressions les plus courantes. 

    "Il a poursuivi avec une suite de conclusions logiques (pour lui) enchaînées rapidement comme si elles relevaient de l'évidence. Un charabia qui sonnait à peu près comme :
    - C'est simple O.K. ? pas de connaissances, pas de reconnaissance. Pas de reconnaissance, pas de lien. Pas de lien, pas d'amour. Pas d'amour, pas de sollicitude. Pas de sollicitude, pas de respect. Pas de respect, mais de sens du devoir moral, pas d'instinct protecteur. Voilà. Simple comme ça. Il faut reprendre du tout début. Partir de la relation".

    "Indice des feux" a reçu le prix du roman écologie 2022.

    Et encore une belle découverte aux Editions La Peuplade.

    L'avis de Ariane Delphine-Olympe Ingannmic Kathel

    Antoine Desjardins - Indice des feux - 360 pages
    La Peuplade - 2021