"Les puissants devraient savoir que les courtisans ne sont pas fiables. Mais les puissants sont ivres de flatteries, grisés par les privilèges, habitués aux abus de pouvoir, au point de développer un sentiment d'invulnérabilité. Au lieu que le courtisan, moins assuré, plus malin, passe son temps le nez en l'air à renifler le sens du vent. Et quand il tourne, il tourne avec. On en était là, Place Gaillon, dans le salon réservé aux délibérations, entre le gigot à la menthe et la salade aux truffes, quand les convives virent une langue de feu flotter au-dessus de la tête d'Hervé Bazin".
L'auteur a obtenu le Prix Goncourt en 1990 pour "les champs d'honneur". Je l'ai lu en son temps, comme tout le monde à l'époque et aimé.
Je n'avais pas eu l'occasion de le relire avant "Kiosque" (merci Keisha) qui m'avait plu également ; l'auteur y racontait les années passées comme vendeur de journaux dans le 15e arrondissement de Paris.
"Comédie d'automne" est présenté comme une sorte de suite. Nous retrouvons en effet la narration fragmentée, les digressions, les époques mélangées, les états d'âme du kiosquier.
Mais c'est surtout l'histoire de ce prix Goncourt inattendu, il n'était même pas dans les premières sélections. L'auteur raconte avec une certaine ironie sa rencontre avec le prestigieux patron des Editions de Minuit, sa décision de sortir "les champs d'honneur" dont il ne devrait pas vendre plus de 300 exemplaires.
Sans connaissance du milieu médiatico-littéraire, le jeune auteur mettra des années à comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là et les raisons, peu glorieuses, qui l'on amené à avoir le Goncourt.
La description de ses premiers pas dans ce monde littéraire est savoureuse, notamment la circonspection des medias devant cet inconnu qui va brusquement troubler le jeu. Un marchand de journaux ! autant dire un plouc.
Nous passons des réactions de la famille de l'auteur à celle des habitués du kiosque qui commentent les évènements au fur et à mesure, des medias qui commencent à rôder dans le coin.
L'auteur, tranquille, reste relativement serein. Si son livre ne marche pas, et bien il reviendra vendre des journaux. Si personne n'est nommé, c'est assez facile de reconnaître les protagonistes du prix de cette année là et de saisir les manoeuvres destinées à éliminer le favori.
Certains passages m'ont touchée, comme par exemple les premiers contacts de l'auteur avec le regretté Bernard Rapp et son élégance naturelle.
Si j'ai aimé retrouver la vie autour du kiosque, avec notamment Albert, et le chemin d'écriture de l'auteur, j'ai fini par me lasser de cette comédie dans le petit monde germanopratin des prix. Ce n'est pas reluisant et je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux aujourd'hui.
C'est le 6e et dernier opus du cycle poétique de l'auteur.
Jean Rouaud - Comédie d'automne -288 pages
Grasset - 2023