"Elle avait connu tant de médiocres qui avaient réussi, sans être troublés par le syndrome de l'imposteur qui interdisait presque à un gamin comme Jérôme de s'imaginer capable d'atteindre les sommets. Des gens qui étaient allés tellement plus loin que leur talent n'aurait dû le leur permettre, artificiellement soutenus par leur confiance de privilégiés, par l'inflexible certitude que tout leur était dû et par un népotisme pur et simple. Bon sang, il n'y avait qu'à regarder la composition du gouvernement britannique actuel, où le Médiocre en chef régnait sur un genre de méritocratie, mais inversée".
Ce polar est arrivé chez moi un beau jour, sans que je l'ai demandé et comme je n'avais pas été emballée par un premier titre (Sombre avec moi) je l'ai laissé de côté.
Il faut que je vous dise que je fais (en tout cas j'essaie) un grand ménage dans mes livres et les piles montent, une pour le bouquiniste du coin, une pour Emmaüs, une pour la boîte à livres, le reste je garde. "Coupez" a failli aller chez le bouquiniste, mais j'ai décidé de lui donner une chance et je ne l'ai pas regretté.
J'ai donc fait la connaissance de Millicent, récemment libérée après une détention de vingt-quatre ans pour le meurtre de son amant. Elle sort à 72 ans, dépassée par le monde qu'elle retrouve et qu'elle ne reconnaît pas.
Elle trouve refuge auprès de deux autres vieilles dames, dont une, Clara, a entrepris de la réinsérer à sa manière, en lui donnant une tâche différente chaque jour pour lui faire reprendre contact avec le quotidien.
Dans sa vie d'avant, Millicent était spécialisée dans le maquillage et les effets spéciaux dans des films d'horreur de série B, ce qui nous vaut quelques descriptions assez gores. Elle était excellente dans son métier et fréquentait un milieu aussi glauque qu'on peut l'imaginer, avec des personnalités plus ou moins troubles, mais peu lui importait tant qu'elle travaillait.
Le hasard met sur sa route Jérôme (alias Jerry) étudiant en cinéma en délicatesse avec son entourage et cohabitant chez Clara pour s'éloigner des étudiants qu'il connaît un peu trop.
A la surprise de Millicent, Jerry connaît Mancipium, fameux film maudit qui n'a jamais pu être terminé et dont les bobines ont disparu. Dans le même temps, Millicent découvre une photo qui remet complètement en cause la version du meurtre de son amant. Elle n'a pas réussi à convaincre de son innocence jadis et cette photo la fait gamberger ; suffisamment pour partir en Europe avec Jerry à la recherche de la vérité.
Les voilà partis dans un road trip mené tambour battant, dangereux et parsemé de cadavres. Sans le vouloir Millicent est devenue une cible en remuant le passé, ce qui la fait redoubler d'ardeur.
Le duo improbable du départ se révèle de mieux en mieux rôdé. Millicent a un sacré caractère, mais son expérience de la prison l'a rendue souvent frileuse, ce qui ne l'empêche pas de bouillir intérieurement. Jerry lui, se sentira toujours illégitime dans le milieu où il est parvenu. Ils vont s'entraider et se booster mutuellement quand il le faut. Et il y a cet amour d'un certain cinéma qui les lie plus que tout.
C'est ce tandem qui fait l'intérêt du livre, avec un humour assez dévastateur sur la société en général et le microscome du cinéma d'horreur en particulier. Le passage des fugitifs à Paris est assez savoureux. Après un démarrage un peu lent, le rythme accélère et le suspense est permanent.
Je n'ai pas toujours bien suivi les multiples ramifications de l'histoire mais ce n'est pas grave. Je voulais surtout connaître la fin.
L'avis de Cathulu
Chris Brookmyre - Coupez - 512 pages
Traduit de l'anglais (Ecosse) par David Fauquemberg
Editions Métailié - 2022