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Carnets d'estives (Des Alpes au Chiapas)

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"J'éprouvais pour la première fois le sentiment de pénétrer dans l'intimité de la montagne, d'être introduit auprès de ses habitants. Je sortis mes jumelles pour mieux les observer. Ils léchaient les pierres. Le troupeau de brebis était passé par ici quelques semaines auparavant, et du sel avait probablement été répandu sur ces pierres. Les chamois continuaient à venir les lécher. Je restais ainsi un bon moment, étendu sur l'herbe fraîche et mouillée par la rosée. Puis je finis par me souvenir que j'étais venu pour installer un parc. Je me relevai et j'essayai tout de même de gagner quelques mètres sans qu'ils me vissent."

J'ai eu un coup de coeur pour ce récit, lu l'été dernier, mélange de souvenirs de voyages, de saisons en alpage, de réflexions et d'écologie. A 19 ans, l'auteur, étudiant en philosophie part pour la première fois comme aide-berger en alpage. Pas très bien accueilli, il s'adapte au mieux, fasciné par cette vie au plus près d'une nature authentique, logé dans une cabane rudimentaire, dépouillé de tout besoin inutile.

Le récit alterne les saisons en alpage dans les Alpes et des voyages plus lointains, notamment dans le Chiapas au Mexique, ou dans les grands parcs nationaux américains.

"Les heures passent et nous sommes peu à peu enveloppés par l'atmosphère envoûtante du canyon, suffisamment vaste pour que nous ne nous y sentions pas enfermés, et néanmoins suffisamment étroit et encaissé pour créer un climat d'intimité absolu. Au matin du deuxième jour, nous atteignons l'extraordinaire cascade de la Conchuda, la deuxième et la plus imposante des deux grandes chutes d'eau du canyon, avec ses piscines naturelles aux eaux d'un bleu laiteux d'une beauté irréelle, qui prennent leur source dans une rivière souterraine jaillissant des falaises quelques centaines de mètres en amont. Nous passons la journée à explorer les vasques qui s'y succèdent, à nager, à plonger dans ces eaux turquoise où se dessinent les jeux d'ombres et de lumière du ramage des arbres qui nous entourent et nous enveloppent".

L'auteur a des convictions profondes, ne mâche pas ses mots sur les dégradations liées aux hommes, sur les paysages et sur les populations. Il n'a pas apprécié son voyage aux Etats-Unis, dans la région même ou Edward Abbey a été ranger.

"Tel semble être le destin des peuples et des lieux à l'époque moderne ; les uns commencent par lutter contre leurs envahisseurs et finissent par vendre de l'artisanat le long des routes, les autres forment d'abord un réseau vivant de présences tantôt bienveillantes et tantôt menaçantes, pour finir par laisser place aux parkings, aux buvettes et aux parcs accrobranche. Ne voulant pas céder à la première déconvenue, je poursuivis malgré tout ma route. Mal m'en prit. Je n'avais pas encore réalisé que voyager en vélo aux Etats-Unis peut être un anachronisme coupable et que les park rangers eux-mêmes, enivrés par la toute-puissance des prothèses motorisées que le gouvernement leur octroie généreusement, n'ont la plupart du temps qu'un lointain souvenir de ce que l'on pourrait appeler les limites du corps".

J'ai tout aimé dans ce texte, l'écriture sans artifices inutiles, les descriptions, les constats implacables, les rencontres plus ou moins heureuses. J'aurais trouvé facilement des extraits à chaque page. Ecrire ce billet me donne d'ailleurs envie de le relire sans tarder.

"Comme nombre d'entre nous, je souhaiterais que puisse cohabiter en paix le monde paysan et le monde sauvage, que les prédateurs et les bergers puissent vivre en bonne entente, que "le loup et l'agneau puissent partager la même couche". Mais s'il me fallait choisir entre une montagne sans bergers ni moutons, pleine de loups et de touristes (avec leur sinistre cortège de sentiers d'interprétation, de parcs accrobranche, de pistes de ski et de faux paysans sentant bon l'authenticité et la sagesse), ou une montagne sans loups, mais avec une économie paysanne agro-pastorale forte et respectueuse, j'opterais pour la seconde alternative".

Une lecture qui mérite une place de choix parmi les récits de voyage.

Pierre Madelin, auteur et traducteur, a grandi à Cuba et à Paris. Il vit et travaille à San Cristobal de las Casas, au Mexique. Il est notamment l’auteur de Après le capitalisme et Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement (Ecosociété).

Pierre Madelin - Carnets d'Estives - 144 pages
Editions Wildproject - 2021

Commentaires

  • Ce n’est pas trop mon style, ( nature, voyage toussa toussa ...) en général, mais tu en parles joliment. Alors je le note !

  • Je pense que tu serais plus sensible à un périple de cuisine tous azimuts. Au fait, j'en ai un dans ma PAL, je vais le sortir.

  • Ce récit a vraiment tout pour me plaire. Nous avons rencontrer des berges l'été dernier de vraiment beaux échanges. J'ai aussi passé une journée avec un berger dans les Pyrénées quand j'étais ado !

  • Alors il te plaira c'est certain. Et je pense que tu seras assez souvent d'accord avec les prises de positions de l'auteur.

  • C'est très tentant pour découvrir des paysages de montagnes plus lointaines, je prends note. Le passage sur le voyage en vélo m'a rappelé une remarque qu'on nous avait faite à Washington, où on déconseillait d'aller à pied d'un endroit à l'autre.

  • Je ne pouvais pas reproduire l'intégralité de la page mais l'auteur est très critique sur ce que les Américains ont fait de leurs parcs, qui ont perdu tout intérêt à ses yeux et sont d'une rigidité totale côté règlement, y compris pour des broutilles. Le récit n'est pas très long, mais il fourmille d'histoires et de réflexions extrêmement intéressantes, sans compter de magnifiques descriptions.

  • Tu dois pouvoir le télécharger je pense. Avec tous les voyages que tu as à ton actif, peut-être retrouveras tu des paysages connus.

  • Je le pense aussi. Tu apprécieras particulièrement le passage sur Edward Abbey.

  • Intéressant ! Le passage sur les parcs américains et les rangers ne m'étonne pas, cela correspond, en pire, à ce qu'on peut lire en filigrane dans le livre d'Abbey, Désert solitaire...

  • Il souligne l'aggravation de la situation depuis l'époque d'Abbey, c'est vrai que ça ne fait pas envie, alors que ce sont des sites fantastiques au départ. Tout est fait pour le profit et certainement pas pour l'humain.

  • Totale découverte pour moi, l'auteur et l'éditeur ! Il faut dire que je n'ai même pas lu E.Abbey. Ce doit être une lecture " rafraichissante " ( au sens où un autre regard, même critique, cela fait du bien ) malgré le désenchantement.

  • Je n'ai pas lu Abbey non plus, j'en ai seulement beaucoup entendu parler .. Je ne dirais pas qu'il porte un regard rafraîchissant, plutôt lucide et sans illusion. Mais il est très engagé sur le plan écologique et met ses actes en accord avec ses convictions, ce qui est déjà beaucoup.

  • Je note et surligne: l'année prochaine avec les BTS je bosse sur le thème du voyage !

  • Je suis curieuse d'avoir ton avis sur ce récit. J'ai beaucoup apprécié l'engagement de l'auteur, il écrit bien aussi, sa pensée est claire, pour moi ça a été un vrai plaisir de lecture.

  • Il m'intéresse mais pas encore à la médiathèque (je viens de regarder sur le catalogue). Je vais tenter une suggestion d'achat, malgré tout. Merci pour cette suggestion !

  • Je l'ai acheté parce que c'est typiquement le genre de livre que la bibliothèque n'aura pas. Quand je fais des suggestions, elles sont souvent suivies, mais pas forcément sur ce genre d'ouvrage, trop confidentiel.

  • Ce n'est pas mon genre de prédilection mais j'aime lire ce genre de billet chez toi ou chez Keisha ;-)

  • Moi aussi j'aime bien lire les billets des autres, même si ce n'est pas mon genre de lecture. Ça ouvre des horizons et sait-on jamais ..

  • Oh, j'aime TOUT TOUT TOUT !!! Je connais peu les Pyrénées (j'ai peur des ours et je m'en veux, mais j'y travaille !) mais les Alpes nous donnent l'occasion de belles balades et de belles rencontres avec bergers et troupeaux. Les loups sont là en effet, comme l'auteur je souscris à la seconde alternative. Merci Aifelle , j'ai hâte de découvrir ce livre, douce journée à toi. brigitte

  • Je préfère moi aussi la deuxième solution .. C'est un livre qui va plus loin que la plupart des récits de ce genre je trouve et je m'y suis bien retrouvée. C'est très bien écrit aussi.

  • oh je suis passée à coté de ce livre merci à toi le genre de récit que j'aime particulièrement

  • Je suis sûre que tu l'apprécieras, c'est ce que tu aimes lire et je le situe dans les meilleurs du genre.

  • Comme Anne, ce n'est pas mon genre de prédilection, mais en effet, ça ouvre des horizons.

  • Nous n'aimons pas toutes les mêmes choses heureusement, mais c'est ce qui fait la richesse des blogs, une variété réjouissante.

  • C'est tout-à-fait possible. J'espère que tu pourras le lire.

  • Je me suis régalée avec les passages que tu as cités ce n’est pourtant pas à priori le genre de livres que j’apprécie mais j’aime l’originalité de son point de vue.

  • Comme je le disais, des extraits comme ceux-ci, j'aurais pu en trouver à chaque page ; c'est un livre distrayant par les voyages de l'auteur, mais qui pousse constamment à réfléchir sérieusement, le tout avec une belle écriture.

  • Il est intéressant, mais il faut tout de même avoir un minimum de goût pour ce genre de livre. Il y en a tant, qu'il vaut mieux aller vers ce qui plaît vraiment.

  • Bien tentée par ce voyage au grand air et ces constats, qui deviennent hélas incontournables, mais qu'il est utile de rappeler et d'y penser et repenser pour agir et changer.

  • On ne peut que partager les constats, mais par ailleurs le récit lui-même est captivant et très bien écrit. J'aimerais que l'auteur continue dans cette veine-là.

  • Je l'ai trouvé excellent et l'alternance entre les Pyrénées et ses lointains voyages donnent un bel éventail équilibré à l'ensemble du récit.

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