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Sambre

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"Durant 30 ans, dans la Sambre, une petite région industrielle du Nord de la France, des dizaines et des dizaines de femmes sont agressées sexuellement ou violées au petit matin. Elles portent plainte, parfois à quelques jours d'intervalles. Elles ne sont pas toujours crues. Un jour de février 2018, ces femmes apprennent  l'arrestation d'un homme surnommé "le violeur de la Sambre". Comment a-t'il pu commettre autant de crimes aussi longtemps sur un si petit territoire sans jamais être inquiété ?". (Extrait 4e de couverture)

C'est tout l'objet de cette enquête journalistique, reprendre l'affaire à la source et essayer de comprendre ce qui s'est passé dans cette région du Nord. L'intérêt de ce livre, c'est qu'il part du point de vue des victimes, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ont été malmenées.

Je savais que ce ne serait pas une lecture facile, elle ne l'a pas été. J'ai été traversée par l'indignation, la colère, l'accablement, l'empathie en voyant la détresse des victimes, brisées par le traumatisme du viol et en plus remises en cause par la police et la justice. Dans les premières années, elles étaient reçues quasi-exclusivement par des hommes non formés.

Le mode opératoire était toujours le même. Au petit matin, des bruits de pas dans le dos des jeunes femmes, une cordelette ou un foulard autour du cou, l'étranglement. La promesse de ne pas les violer, l'obsession de l'homme pour les poitrines. Rares sont celles qui apercevront son visage, d'où la difficulté de faire un portrait robot.

Dans les premières plaintes, il était seulement question d'attentat à la pudeur, le viol n'était pas encore considéré comme un crime. Trop souvent, la dimension sexuelle de la plainte était tue ou évacuée. Les policiers ne reprenaient pas les paroles exactes des victimes. Les procès-verbaux étaient égarés, les lieux du viol négligés.

On n'informait pas les jeunes femmes de leurs droits, elles n'entendaient plus parler de leur affaire et beaucoup voulaient l'oublier. En plus du choc traumatique, elle devait encaisser les suspicions de la police à leur égard. "Plus tard, un policier, "un commissaire", dit-elle, revient chez elle lui poser des questions. Il lui demande si elle n'a pas inventé cette histoire. Si elle ne s'est pas fait "ça" toute seule. Son médecin généraliste, présent à ce moment-là, s'énerve et quitte le salon devant une hypothèse aussi improbable. Elle a une double cicatrice au cou, les yeux exorbités à cause de l'asphyxie, et un genou en sang. Elle est passée tout près du stade 3 de l'asphyxie, celui d'où l'on ne revient pas".

Les services de police ne communiquant pas entre eux, aucun lien n'est fait entre les différentes agressions. De plus, la police ne croit pas à l'existence de crimes en série en France. Ça concernerait seulement les Américains.

Pendant ce temps, le violeur mène une vie de mari et de père bien intégré, entretenant même un lien amical avec un policier. Quand il est allé au commissariat le saluer un jour, n'a-t'il pas plaisanté avec lui sur sa ressemblance avec le portrait-robot enfin réalisé ?

Tout est ahurissant dans cette histoire, jusqu'à l'arrivée de professionnels plus impliqués, déterminés à la suivre sans relâche. Des moyens plus modernes sont arrivés. Analyse d'ADN, création de fichiers. Les medias locaux vont enfin parler des viols après des années d'indifférence.

L'affaire se déplace un moment en Belgique, juste de l'autre côté de la frontière, à Erquelines. La Belgique, traumatisée par l'affaire Dutroux, en a tiré les leçons et accompagne nettement mieux les victimes.

Après des années de faux espoirs et de ratés, l'homme est enfin arrêté. Dino Scala. Pour certaines victimes, c'est un soulagement. Pour d'autres, la crainte de devoir replonger dans un passé si douloureux. Après discussions, le procès tiendra compte de 56 victimes officielles. Sans doute davantage dans la réalité.

Le procès est encore l'occasion de douter de la parole des femmes, malgré les faits accablants et les preuves. Un policier aura le courage de dénoncer publiquement la manière honteuse dont ont été traitées certaines victimes et leur demandera pardon au nom de l'institution.

Finalement, Dino Scala est condamné à la peine maximale, 20 ans de réclusion. Il est à souligner qu'en France, qu'un homme viole 1 femme ou une centaine, la peine est la même, le côté série n'est pas pris en compte.

L'affaire n'est pas terminée. L'avocate de l'accusé a fait appel. Un nouveau procès aura lieu en 2024.

Au-delà de ce cas, l'enquête montre à quel point les violences sexuelles sont tues dans l'ensemble de la société, à quel point le silence est la règle, à commencer par les familles. Si la parole avait été prise au bon moment, rien de tout cela n'aurait eu lieu.

C'est une enquête passionnante, qui se lit facilement. J'ai cependant fait plusieurs pauses, émotionnellement c'est assez éprouvant.

"Lorsqu'elle retourne enfin au lycée en janvier 2003, l'adolescente est une autre. Elle ne veut plus sortir aux récrés, demande à rester enfermée dans une salle. Désormais, elle a peur de tout. Elle est obsédée par les faits divers à la télé. Dort avec la lumière et la télé allumées 24 h sur 24. Elle change de look. Ne met plus que des joggings informes. Se coupe les cheveux. Les teint. Ne se maquille plus. Et commence à grossir. Au lycée, cette année-là, elle décroche. Lorsqu'elle est chez elle, elle pleure toute la nuit, un de ses frères dormira au pied de son lit durant des années".

Une lecture nécessaire, mais choisir le moment où on peut l'affronter.

L'avis de Ingannmic et Keisha

Alice Géraud - Sambre - 400 pages
Editions J.C. Lattès - 2023

Commentaires

  • Un livre nécessaire donc. On se demande si malheureusement la situation a beaucoup évolué dans le bon sens...

  • La lecture serait moins éprouvante si on pouvait se dire que tout ça est derrière nous, que maintenant les services sont adaptés, les violences bien prises en compte. Hélas, l'actualité nous démontre tous les jours que les progrès sont minces. D'ailleurs je me demande ce qui se dira encore lors du procès en appel l'an prochain.

  • Je me souviens de cette histoire. Je ne sais pas si je le lirais mais j’aime en général les histoires vraies surtout celles avec la plume de journalistes qui voient et sentent autre chose que si la même histoire est racontée des années plus tard par un policier.

  • J'aurais préféré que cette histoire là ne soit pas vraie ! Alice Géraud l'a remarquablement racontée et a surtout pris le temps d'écouter toutes les victimes, de s'inquiéter de ce qu'elles étaient devenues et d'éplucher tous les documents disponibles. Il me semble qu'elle a dit que c'était un travail de quatre années.

  • Je l'ai noté chez Keisha et réservé à la bibli départementale, qui l'enverra ici quand il sera libre.
    Je note qu'il vaut mieux être "solide" au moment où on le lit. Comme tu dis, si on savait que les prises en charge ont évolué dans le bon sens, ça passerait mieux.

  • Si la loi et les moyens techniques ont fait quelques progrès, les mentalités sont plus difficiles à bouger. La femme victime est trop souvent soupçonnée de mentir pour x raison. J'avais entendu d'abord une émission de radio avec Alice Géraud, j'avais compris qu'il ne fallait surtout pas se plonger dans cette enquête avec un moral en berne. Trop de choses sont révoltantes.

  • Oui, ça bouscule, on s'en doute, on se demande, mais comment c'est possible que ça ait duré aussi longtemps? Un livre à lire (OK, faut être prêt)

  • Je l'ai noté suite à une émission de radio et la bibliothèque a bien voulu le commander. Il a été disponible un certain temps avant que je le réserve, j'attendais d'être prête à plonger dans ces horreurs et dans un système dysfonctionnel.

  • Souvent ce sont des hommes que l'on ne soupçonne pas, tant ils sont bien perçus autour d'eux. Si les victimes avaient été prises au sérieux dès le départ, des recoupements auraient pu se faire bien plus tôt.

  • Une lecture qui doit être insoutenable, mais qui a le mérite de venir en soutien des victimes, si je comprends bien. C'est incroyable qu'un violeur en série ait la même peine que pour un seul fait !

  • Ces femmes que l'on a souvent ignorées, oubliées, rabaissées, suspectées, Alice Géraud a voulu donner la première place à leur parole et c'est légitime. Les cent premières pages m'ont paru les plus dures, avec une énumération sans fin des agressions et de la manière dont la police traitait la plainte. Les plus jeunes avaient 13-15 ans et ce sont elles qui étaient les plus maltraitées. Il y a eu des interrogatoires scandaleux. Heureusement quelques personnes se sont comportées autrement, notamment deux remarquables archivistes, la Maire d'un village et un policier. Je dois dire que j'ignorais que la même peine était appliquée qu'il y ait une victime ou des dizaines.

  • Dans un roman ou un film, on se dirait que l'auteur exagère, mais en effet la réalité est quelquefois pire.

  • C'est un sujet que je ne rejette pas mais comme tu le dis trop dur pour ne pas choisir le moment où l'on va se plonger dans sa lecture. Merci de nous en parler, je le note bien entendu.

  • Il ne faut pas se forcer à lire sur ce genre de sujet si l'on ne se sent pas au mieux de sa forme. Mieux vaut attendre. Je ne voulais pas risquer d'abandonner parce que j'aurais mal choisi mon moment. On doit bien aux victimes d'accorder de l'attention à ce qu'elles ont subi.

  • Brrr qu'est-ce que ces femmes ont subi comme violences, et pas seulement sexuelles...

  • Les violences peuvent prendre beaucoup de formes et là, les victimes n'ont pas été épargnées. Et le procès à venir va encore les obliger à revenir sur leurs traumatismes.

  • Je ne connais pas du tout cette affaire, c'est épouvantable, je ne sais pas si je serais capable de le lire, je lis des horreurs dans les romans mais là lorsqu'on sait que c'est réel ça prend une autre dimension.

  • C'est plus difficile en effet lorsque l'on sait que l'on est dans la réalité. C'est pour cela que j'ai attendu un certain temps avant de le lire.

  • Voilà plusieurs années que j'écris sur des faits divers sordides comme celui-ci (qui ne sont des faits divers que pour les autres, ce sont des drames pour les gens qui les vivent) : c'est plombant à la longue... je n'ai pas encore traité cette histoire-là mais ça viendra sans doute, quand tous les procès possibles auront eu lieu.

  • Il faut déjà voir ce que donnera le prochain procès, en 2024. Je comprends que tu satures, j'avoue que pour le moment cette enquête là me suffit. Je n'enchaînerais pas sur le même sujet.

  • Un livre, comme tous les articles, émissions, indispensable pour que les choses changent., continuent à changer...Ce n'est qu'en dénonçant, tu as raison, que l'administration policière, la justice, ont pris, prennent conscience de ces traitements dégradants infligés à des déjà victimes.
    merci d'en parler, de l'avoir lu.

  • Je n'avais pas particulièrement entendu parler de cette affaire, heureusement qu'il y a eu le livre parce que c'est un vrai condensé de tous les problèmes autour des violences sexuelles. Ce qui est désespérant c'est de constater à quel point la tâche est immense pour arriver à les traiter correctement. Nous en sommes encore très loin.

  • C'est une enquête journalistique classique. Ça n'a rien d'un roman.

  • sans doute trop éprouvant pour moi, je préfère, si possible lire de la fiction. l'insupportable m'y dérange moins.

  • Je comprends. Il y a des sujets sur lesquels je ne peux pas lire non plus, je préfère passer par la fiction, film ou roman. Ce n'est pas de l'indifférence, mais nous avons tous nos limites, c'est important de les respecter.

  • Effroyable !!! Je t'admire d'avoir tenu cette lecture jusqu'à la fin. Les choses changent mais pas partout malheureusement, pauvres victimes, je ne pense pas que l'on puisse se reconstruire après de telles violences... Merci Aifelle, à bientôt. brigitte

  • J'étais déterminée à aller au bout ; il y a tellement de dysfonctionnements autour de ces histoires de viols et d'agressions sexuelles. Là, c'est un vrai cas d'école et j'espère que cette enquête contribuera à faire bouger un peu les choses. Je vais suivre de près le prochain procès lorsqu'il aura lieu. Ce que les victimes décrivent de leur vie d'après est la plupart du temps déchirant.

  • Je crains aussi d'être traversée par la colère en lisant ce livre. Repéré mais je ne sais pas encore s'il passera le cap de la lecture.

  • Je crois que c'est impossible de ne pas être en colère en le lisant. Tu verras bien si un jour tu te sens prête à te lancer dans cette enquête, mais inutile de forcer.

  • J'étais dans la même disposition d'esprit que toi et j'ai attendu le moment. C'est ce qu'il faut faire, sinon je pense que l'on abandonne et ce serait dommage. C'est important de savoir où l'on en est dans ce type d'affaire.

  • Oui, c'est une lecture qui révolte et attriste, et qui a aussi le mérite de mettre en évidence les manquements et les aberrations non seulement d'un système mais aussi d'un certain mode de pensée. Le travail (à la fois incroyablement minutieux et toujours empathique pour les victimes) est à saluer, qui redonne la parole à ces femmes qu'on n'a au mieux pas voulu entendre, et au pire ravalées au rang de coupables ou de responsables de ce qui leur était arrivé.

  • Je vais suivre avec attention le deuxième procès. J'espère que le livre d'Alice Géraud éclairera certains esprits sur la douleur des femmes victimes, sur tant d'années. En tout cas, elle a fait un travail remarquable, toujours dans le respect.

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