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Les deux visages du monde

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"Chacun faisait son deuil comme il le pouvait, seul le temps était le dénominateur commun. Il fallait apprendre à accepter la seconde pour survivre à la minute, à l'heure, à la journée. Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise façon et rien ne garantissait qu'on guérisse un jour. Il fallait laisser le temps au temps et apprendre à faire avec,  car une telle perte était une condamnation à perpétuité et pour l'heure tout était encore trop frais et fragile. Dayna en sentait tout le poids, mais elle avait encore à en prendre la vraie mesure".

Après Ron Rash, nous restons dans les Appalaches, précisément la petite ville de Sylva, en Caroline du Nord, avec le dernier roman de David Joy, auteur que je découvre.

Même population de petites gens et nocivité d'une société minée par le racisme, le silence sur les traumatismes passés, la position dominante des hommes blancs, chacun se tenant à sa place sans même y réfléchir.

Dans cette ambiance verrouillée débarque Toya, la petite-fille de Vess. Jeune artiste afro-américaine talentueuse, elle brûle d'envoyer valser les faux-semblants et de mettre chacun devant un passé d'esclavagisme qui pèse encore lourd.

Elle voudrait également comprendre d'où elle vient. Sa mère, Dayna, a fui ce milieu étouffant pour aller s'installer en ville dès qu'elle a pu. Elle attend beaucoup de Vess, l'ancienne, garante de la transmission familiale.

Les valeurs des confédérés imprègnent encore une partie de la population. Si le Ku-Klux-Klan ne défile plus ouvertement dans les rues, il est toujours là, en sourdine.

C'est une statue, symbole de la ville, qui va mettre le feu aux poudres. Toya l'a recouverte de sang, y voyant le symbole des violences racistes, ce qui n'est pas le cas de nombre d'habitants blancs. Dès lors les passions se déchaînent jusqu'au crime.

Par ailleurs, un membre supposé du Klan est arrivé en ville ; le shérif, Coggins l'a à l'oeil, surtout après le tabassage d'un de ses adjoints, Ernie. Les deux intrigues vont se dérouler parallèlement, sans que nous sachions si elles sont liées.

L'auteur prend son temps pour installer les personnages et le contexte. Tout le monde se connaît dans cette petite ville. Certains remettent en cause de vieilles amitiés, vont accepter de bousculer ce qu'ils croyaient acquis. D'autres ne veulent entendre parler de rien et vont se laisser emporter par la rage.

Un retournement final m'a déroutée, je ne l'avais pas deviné et je crois que je ne voulais pas l'envisager. Il est un peu expédié et pas assez étayé, ce qui n'enlève rien à l'intérêt général du roman.

Les personnages féminins sont forts dans cette histoire. Le plus intéressant à mes yeux est Vess, la grand-mère, pilier central de la famille, mais si pleine de douleurs. Ses conversations avec Toya la font peu à peu changer de regard sur ce qu'elle a vécu. Plus tard, elle reprendra des échanges encore plus douloureux avec sa fille Dayna.

Une autre femme, Leah, l'enquêtrice, fera elle aussi un chemin difficile, brisant tout ce à quoi elle croyait jusqu'à présent.

Un roman noir dense, complexe et un auteur dont je vais lire maintenant les romans précédents.

David Joy - Les deux visages du monde - 432 pages
Traduit de l'anglais (Amérique) par Jean-Yves Cotté
Sonatine - 2024

Commentaires

  • N'hésite pas si tu en as l'occasion.

  • J'ai lu Là où les lumières se perdent de David Joy, son premier traduit en français je crois, et c'était vraiment très fort mais aussi très sombre.

  • Comme celui-ci alors ; je vais prendre mon temps mais j'ai très envie de lire les premiers romans.

  • Un roman sombre...pas trop envie en ce moment.. entendu parler de cet auteur pour "là où les lumières se perdent" mais jamais lu!!

  • Je comprends que l'on n'aie pas toujours envie de sombre .. mais on ne sait jamais.

  • Je suis sûre qu'il te plairait :-)

  • J'ai trouvé un billet sur ton blog, je compte bien lire les premiers romans parus.

  • Voilà encore un roman qui cerne bien l'incompréhension, pour ne pas dire le gouffre, qui divise l'Amérique. Je note ce roman, mais après ceux de Ron Rash que j'ai mis en tête de mes priorités états-uniennes.

  • J'ai presque tout lu de Ron Rash, tu as raison de le mettre en priorité, je serais curieuse d'avoir tes impressions.

  • Je ne connais pas encore cet auteur mais j'avais noté de lui "ce lien entre nous" dont j'avais lu de bonnes critiques. A voir donc si je le trouve.

  • J'ai trouvé celui-ci à la bibliothèque, ce qui m'a permis d'essayer sans prendre de risque. Mais j'étais presque sûre qu'il m'intéresserait.

  • Je ne connais pas l’auteur, les personnages semblent vraiment bien décrits ainsi que l’ambiance mais pourtant cela ne me donne pas envie de le lire. Peut-être trop sombre ?

  • Peut-être en effet, ce n'est peut-être pas le moment pour toi. Il est sombre c'est sûr, mais ça ne me gêne pas quand il y a un solide arrière-fond historique et social. Ce n'est pas de la violence gratuite.

  • Alors je n'insiste pas ..

  • j'ai vu l'auteur sur plusieurs blog et il parait intéressant donc merci pour cette recension qui est bien attirante

  • Je n'avais pas beaucoup entendu parler de lui, mais dans une interview il était présenté comme un possible disciple de Ron Rash ; je m'y suis donc intéressée et je ne le regrette pas.

  • Ou les deux visages des Etats-Unis ? Bon, je ne vais pas chicaner ;-). La thématique du roman est intéressante, ta présentation donne envie de le découvrir. S'il se présente à la bibliothèque, j'y jetterais bien un oeil.

  • J'avais déjà noté ce titre sur un autre blog, tu en rajoutes une couche... dommage que je ne le trouve pas à ma BM !!

  • l'Amérique a tellement souffert du racisme ! on peut dire que ça a gangrené toute une partie de la population , ceux qui en sont victimes et ceux qui se croient supérieurs du fait de la couleur de leur peau et ne peuvent pas réfléchir ni se transformer !

  • J'ai lu ce roman récemment, mais pas commenté.
    Ce n'est pas mon préféré de David Joy, (là, le thème semblait prendre le pas sur les personnages), et je pense que tu as donc de belles lectures devant toi si tu te tournes vers Ce lien entre nous ou Nos vies en flammes.

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