"Si on a la chance de ne pas crever de froid ou dans une crevasse, l'autre danger blanc, plus rare, mais qu'il faut pas oublier quand même, c'est le Pater. L'ours blanc. Mâle ou femelle, c'est pareil. Sur Solak, on sort jamais sans son fusil, jamais. Attention, ça veut pas dire qu'il faut forcément lui tirer dessus. Si tu le croises, t'attends de voir comment ça se passe. Parfois ils cherchent juste leur chemin, ils te regardent avec leur tête de faux nounours mais de vrais carnivores et puis ils font demi-tour, ils te snobent de leur gros cul dédaigneux."
Voici un premier roman marquant, surtout à cause du style, rude, direct, en phase avec l'histoire. Un huis-clos de quatre hommes sur un bout de terre inhospitalière, Solak, presqu'île balayée par les vents, au nord du cercle polaire arctique, dans la nuit totale plusieurs mois par an.
Qui sont ces hommes ? Trois sont soldats, chargés simplement de garder un drapeau marquant l'appartenance du territoire. Si l'armée les a envoyés là, c'est qu'il valait mieux qu'ils se fassent oublier un bon moment. Seul le quatrième sait qu'il repartira au bout d'un an. C'est un scientifique, Grizzli, en mission écologique.
L'histoire commence au moment de la rotation annuelle de l'hélicoptère chargé du ravitaillement. Il repartira avec le corps d'Igor qui n'a pas résisté au climat et à la solitude de Solak. Pour le remplacer, débarque un jeune soldat à l'air fragile et fermé, de surcroît muet.
Le narrateur, Piotr est le plus ancien sur place, vingt ans déjà et il ne souhaite pas retourner un jour vers "les terriens". Il sait qu'il est condamné à rester ici. Le deuxième soldat, Roq est une brute, un être sans état d'âme, qui aime tuer les animaux et cherche régulièrement querelle aux autres.
Le nouveau venu les intrigue tous, c'est encore un gosse, qu'a-t'il pu faire pour atterrir ici ? Sur ce bout du monde, entre les tâches indispensables, les quatre hommes se retrouvent dans le bâtiment commun où il fait chaud, où chacun met la main à la cuisine et aux corvées. Ils disposent aussi d'une pauvre baraque individuelle où ils dorment et se réfugient quand ils ne se supportent plus.
L'arrivée de la jeune recrue tend rapidement l'atmosphère. Roq le regarde de travers, ne supporte pas son mutisme, ni de le voir noircir les pages de son carnet. Seul Grizzli le scientifique garde son calme et croit encore en l'humanité.
Dès le début, une tension s'installe, qui ira en s'intensifiant, ne lâchant plus le lecteur, captivé par la description des éléments, du contexte, de l'oppression de la nuit interminable. Chacun fait des efforts pour ne pas faire exploser la situation, sauf Roq, et l'histoire va irrémédiablement vers la violence et le drame.
J'ai été très vite embarquée dans ce huis-clos étouffant, à l'écriture à l'os, où l'environnement a autant d'importance que les personnages. Pour un premier roman, c'est noir, sombre mais assez magistral.
J'ai juste un bémol sur la fin. En quelques pages les révélations pleuvent, il y en a un peu trop à mon goût, surtout une que j'ai trouvée moins crédible. Que cela ne vous empêche pas de le lire, l'ensemble se tient fort bien.
Caroline Hinault - Solak - 128 pages
Editions du Rouergue - 2020