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Rechercher : deux femmes et un jardin

  • Zouleikha ouvre les yeux

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    "Derrière lui, quelqu’un a une exclamation effrayée. Sur la rive, serrés les uns contre les autres, agrippés à leurs balluchons, se tiennent les déplacés. Des visages creusés, noircis, fixent Ignatov avec crainte : Zouleikha enceinte, avec ses yeux immenses, les paysans maussades, les « gens du passé » de Leningrad, désorientés, et Gorelov, complètement abasourdi. Ignatov, impuissant, tape l’eau avec son revolver, et lève son regard vers le ciel. Quelque chose de petit, de blanc, tombe d’un gros nuage noir. De la neige." 

    L'histoire commence par une description du quotidien de Zouleikha, jeune femme du Tartarstan (capitale Kazan) dans les années 30. De sa vie d'avant nous ne saurons rien. Elle a été mariée à 15 ans à Mourtaza, paysan de 45 ans. Il la ramène chez lui où règne sans partage sa mère, "la Goule" vieille femme acariâtre et exigeante qui maltraite Zouleikha, lui reprochant notamment de ne pas lui donner de petit-fils. La jeune femme a mis au monde quatre filles dont aucune n'a survécu.

    Elle travaille comme une bête de somme toute la journée, est épuisée en permanence, dans la crainte d'être prise en défaut par le mari ou la belle-mère. Et pourtant, elle estime qu'elle a de la chance, que Mourtaza est un bon mari.

    Rien ne paraît devoir changer dans cette vie immuable, mais au loin les temps changent. Les rumeurs circulent, les paysans ont peur que le pouvoir prenne leurs terres, ils ne veulent pas rejoindre les kolkhoses.

    Jusqu'au jour où des militaires surgissent ; la vie va basculer complètement du jour au lendemain. Mourtaza est abattu et Zouleikha devra rejoindre le convoi des koulaks déportés.

    "Du haut de la colline, la plaine s’étendant en bas ressemble à une immense nappe blanche sur laquelle la main du Très-Haut a égrené des perles d’arbres et des rubans de routes. La caravane des koulaks forme un fil de soie fin qui s’étire jusqu’à l’horizon, où le soleil pourpre se lève solennellement."

    Le convoi est emmené par le Commandant Ignatov, bolchevik convaincu, prêt à obéir à n'importe quel ordre au service du parti. Il ne sait pas jusqu'où il devra convoyer les koulaks. En fait, le but est la Sibérie où ils crééront une colonie en partant de rien.

    Le trajet sera long, beaucoup d'entre eux mourront en route. Peu bâtie pour survivre, Zouleikha traversera néanmoins toutes les épreuves. La jeune paysanne effacée, empreinte de la culture païenne de sa mère, préoccupée de satisfaire les esprits qui sont partout et de respecter les préceptes d'Allah, s'adaptera et fera face, surtout lorsqu'elle s'apercevra au cours du voyage qu'elle est partie enceinte.

    Ce roman est une vaste fresque, au ton souvent poétique, qui nous entraîne dans le chaos de cette époque là et s'attache à de nombreux personnages au fur et à mesure du voyage et de l'installation dans des conditions épouvantables. Le groupe de survivants est laissé seul juste avant l'hiver sur une terre inhospitalière, sans abri réel et avec des vivres insuffisantes.

    Le fil rouge est bien sûr Zouleikha que nous suivons sur toutes ces années, avec le fils qu'elle a mais au monde, Youssouf, et le commandant Ignatov, dont l'évolution est inattendue.

    C'est un roman qui est captivant sur le plan romanesque, mais qui évoque aussi une période précise de l'histoire russe, la dékoulakisation des années 30, sous Staline. J'étais presque au terme de ma lecture lorsque la guerre a éclaté en Ukraine et je dois dire que je l'ai terminée dans un autre état d'esprit, le coeur serré, en me disant que l'humain ne change pas beaucoup.

    Je n'ai pas toujours compris l'attitude de Zouleikha, tellement possessive parfois, encore trop soumise à des diktats qui n'ont plus lieu d'être, mais il faut se replacer dans l'époque et c'est le jeu romanesque.

    Une lecture marquante, une écriture qui emporte, des personnages magnifiquement décrits, c'est un roman dans lequel il ne faut pas hésiter à se lancer.

    "Le plus terrible était qu’il n’avait aucune envie de partir. Comment expliquer qu’il se soit attaché, avec les années, à cette terre austère et inamicale ? À cette rivière dangereuse, perfide et inconstante, aux mille nuances de couleurs et d’odeurs ? À cet ourmane sans bornes, qui s’étendait derrière l’horizon ? À ce ciel froid, qui faisait tomber de la neige en plein été, et briller le soleil en hiver ? Sacré nom, il s’était même attaché aux gens, souvent bourrus, rustres, laids, mal habillés, s’ennuyant de chez eux, parfois pitoyables, bizarres, incompréhensibles. Très différents les uns des autres".  

    Lecture commune avec Ingannmic et Nathalie

    Gouzel Iakhina - Zouleikha ouvre les yeux - 555 pages
    Traduit du russe par Maud Maubillard
    Editions Libretto - 2021

  • Dans la peau de Sheldon Horowitz

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    "Qu'est-ce que je ferai là-bas ? Je suis un Américain. Un juif. Un veuf à la retraite de quatre-vingt-deux ans. Un marine. Un horloger. Je mets une heure à pisser. Existe-t'il un club spécial pour moi dans ce pays dont je n'ai pas entendu parler ?"

    Sheldon est un peu perdu depuis la mort de sa femme, Mabel. Il accepte de mauvais gré de quitter New-York et de suivre sa petite-fille Rhea et son mari Lars, Norvégien, à Oslo. Mabel et Sheldon ont recueilli Rhea enfant après la mort de leur fils unique, Saul, engagé dans la guerre du Vietnam.

    Rhea aimerait qu'il s'adapte à sa nouvelle vie ; elle fait tout ce qu'elle peut pour lui rendre le quotidien plus facile. Hélas, un beau matin où Sheldon est seul, une voisine serbe se réfugie chez lui avec son petit garçon. Elle est poursuivie par des tueurs kosovars qui veulent récupérer un coffret.

    La femme est assassinée ; Sheldon et l'enfant, cachés, prennent aussitôt la fuite. Sheldon ne parle pas norvégien, seulement anglais, l'enfant parle serbe. Le vieil homme se rend compte que ça ne va pas être facile de s'en sortir. Il a laissé un papier en évidence sur la table, persuadé que Rhea comprendra où il est parti se réfugier.

    Dans l'impossibilité de communiquer avec l'enfant, il l'appelle Paul et s'efforce de le protéger au mieux et de faire en sorte que les tueurs ne les retrouvent pas. Il a un plan.

    "Je sais ce que tu penses, dit-il à Paul tout en s'affairant. On a l'air de suspects, n'est-ce-pas ? En vérité, non. Quand as-tu entendu parler pour la dernière fois d'un octogénaire vêtu d'un anorak orange vif en train de voler un bateau à l'ancre près de la police ? Jamais. C'est inconcevable ! voilà comment on s'en sort sur cette planète. Faire l'inimaginable au vu et au su de tout le monde. Les gens présument qu'il ont la berlue".

    A ce point de l'histoire il faut préciser que Sheldon est un ancien marine, sniper pendant la guerre de en Corée. C'est vieux, mais il a eu une formation sévère qui peut encore lui servir. Notons que sa femme a toujours douté de la réalité de ce qu'il racontait et sur la fin, elle l'estimait atteint de démence sénile. Vrai ou pas vrai ? au lecteur de se faire son idée. Sheldon est aussi capable de voir et de dialoguer avec d'anciens amis morts.

    La narration est assez loufoque, brouillonne et part dans plusieurs directions à la fois. J'ai aimé le mélange de drame, de tendresse, de profondeur aussi qui se dégage du périple de Sheldon, le tout assaisonné d'un humour décapant.

    Je n'ai pas cherché de rationalité dans le récit et je me suis laissée porter par ce vieillard ronchon si attachant, qui sait encore quoi faire, mais dont le corps ne suit plus. Il est bourré de culpabilité parce qu'il se sent responsable de la mort de son fils, Saul. Il lui a parlé sans cesse de l'honneur qu'il y a à servir l'Amérique et de ses exploits en Corée. Il estime l'avoir poussé à s'engager. Il est également hanté par la deuxième guerre mondiale et ce qui est arrivé à son peuple. Il était trop jeune pour aller se battre.

    "Tu veux savoir ce que j'ai trouvé en Europe ? Le silence. Un silence atroce, épouvantable. Il ne restait plus une seule voix juive. Aucun de nos enfants. Rien que deux ou trois malheureux parasites traumatisés qui n'étaient pas partis ou n'avaient pas été massacrés. L'Europe colmatait la plaie. Meublait le silence avec ses vespas, ses Wolkswagen, ses croissants, comme si de rien n'était. Tu veux de la psychologie ? D'accord. Ça les a sans doute fait chier que je leur montre que j'étais toujours là. Pour les obliger à réagir."

    Pendant ce temps, la police norvégienne essaie d'y voir clair dans le mobile du meurtre de la femme et de la fuite de Sheldon et l'enfant, avec l'aide de Rhea et Lars. L'action va se déplacer vers le chalet d'été de Lars, une course de vitesse va s'enclencher, sous la direction de Sigrid, l'enquêtrice. Le fossé est grand entre une police habituée à respecter les règles et un gang qui n'en a aucune.

    "Tous fixent leurs chaussures ; Sigrid en déduit que sa synthèse est correcte. Ils sont sept. Sept nains flapis, tandis qu'elle, Blanche-Neige, réveillée de son long sommeil, ne voit pas de café venir. Rien qu'une pièce d'avortons poilus".

    Mené comme un polar, le roman est aussi une réflexion sur toutes les guerres qui détruisent les hommes qui les font. Ils rentrent, ou pas, et ne parlent jamais de ce qu'ils ont fait ou de ce qu'ils ont vu. Et les dégâts se répercutent sur les générations suivantes.

    J'ai été touchée par la relation qui s'instaure entre Sheldon et Paul, au delà du langage. Les passages où Sheldon semble perdre un peu la boussole ne m'ont pas troublée. Ce n'est pas un coup de coeur mais une lecture agréable, moins légère qu'elle n'en a l'air.

    L'avis de Séverine

    Derek B. Miller - Dans la peau de Sheldon Horowitz - 384 pages
    Traduit de l'anglais par Sylvie Schneiter
    Les Escales - 2013

  • L'âge d'eau - Tome 1

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    Nous sommes quelque part en France, dans un futur peut-être pas si lointain. Une crue a recouvert une bonne partie des terres. Il n'y aura pas de décrue. Pour des raisons sanitaires, les villes ont été entourées de digues, les campagnes sont devenues des îlots isolés où une population réfractaire tente de survivre à sa manière. L'état policier traque ces îlots de résistance, voulant regrouper tout le monde dans les villes, sous sa surveillance.

    Jeanne fait partie de ceux qui veulent rester dans la nature et y vivre, dans une maison flottante, en cultivant, en chassant, en cueillant. Elle a deux fils, Hans et Groza. Ancien CRS, il est traumatisé par son passé et ne s'exprime plus que par grognements. L'histoire est introduite par un curieux chien bleu, medium, dont l'esprit connaît aussi bien le passé que les temps à venir.

    Hans, un peu perdu depuis que sa femme l'a quitté, rejoint sa mère. Celle-ci se sent de plus en plus menacée et Hans décide de partir à la recherche d'un îlot plus sûr pour elle, avec Groza.

    Il est prêt à affronter les obstacles qu'il rencontrera ; en ces temps troublés, tous les hommes sont potentiellement dangereux.

    Sur cette problématique actuelle, les dessins sont magnifiques, surtout ceux consacrés au chien lorsqu'il a des visions de mondes imaginaires (ou pas ..). Il amène une étrangeté au récit qui trouvera sans doute un développement dans la suite prévue.

    La beauté des paysages de la Loire sous l'eau est frappante, en contraste les personnages ont des traits forts et des personnalités marquées.

    La narration n'est pas toujours très claire, ce qui n'a pas empêché que je me suis laissée prendre à l'ambiance crépusculaire. J'attends la suite avec curiosité.

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    L'avis de Violette

    Benjamin Flao - L'âge d'eau - Tome 1 - 160 pages
    Futuropolis - 2022

  • Le café sans nom

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    "Son histoire d'emplacement, c'était une question de point de vue. Le quartier des Carmélites comptait parmi les plus pauvres et les plus sales de Vienne, la poussière des décombres qu'avait laissés la guerre, et qui servaient de fondations des nouveaux immeubles communaux et des barres de logements ouvriers, y collait encore aux vitres des caves."

    Robert Simon rêvait depuis longtemps d'ouvrir un café et encouragé par sa logeuse, veuve de guerre, il se lance enfin dans un des quartiers les plus pauvres de Vienne. Jusqu'à présent il y travaillait au marché, à droite, à gauche. C'est un homme simple, habitué à travailler dur. Il remet en état un local modeste et il ouvre le café.

    Il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans ce roman, plutôt des fragments de vie au gré des clients. Le café est un point central, lieu social par excellence, où se retrouvent les habitués et les gens de passage.

    Rapidement débordé, Robert embauche Mila, sur les conseils de son ami le boucher. Elle a perdu son travail en usine et a besoin d'en retrouver un, peu importe lequel. Dans ces années marquées encore par les destructions de la guerre, la vie est dure pour les classes populaires

    Tout ce petit monde gravite autour du café, commente, donne son avis sous l'oeil souvent bienveillant de Robert et de Mila. Celle-ci épouse René, un boxeur un peu trop porté sous la bouteille. Le boucher s'épanche sur sa vie familiale, pas toujours facile avec sa femme et ses filles.

    Les saisons s'enchaînent, le quartier change, une femme passe furtivement dans la vie de Robert, un accident lui fait perdre quelques doigts, mais le café est toujours là, ouvert à tous.

    "Simon pensait à ses clients. Il savait étrangement peu de choses d'eux et pourtant il les connaissait si bien. Mais peut-être se faisait-il seulement des illusions. Peut-être qu'au fond il ne connaissait personne. Même pas lui-même. Justement pas lui-même. Peut-être était-ce pour soi qu'on restait la plus grosse énigme".

    Robert se promène quelquefois dans Vienne, à pied, la voit prospérer au fil des années, jusqu'au moment où la gentifrication de la ville atteint le café.

    "Maintenant ils construisent un métro. C'est à ne pas croire. Creuser sous la ville comme des taupes. Imagine-toi un peu ce qu'on va trouver là-dessous. A Vienne, on compte autant de têtes de morts que de pavés. Il n'en ont plus pour longtemps, de la paix éternelle, les morts. Quels abrutis. Voilà ce qu'on gagne avec un maire comme le Marek".

    Robert va devoir se résigner à fermer son café. Mais peut-être est-il temps, il a vieilli, il est fatigué. Il est conscient de la place que son café a tenu, cet endroit unique où les gens se mélangaient et se sentaient bien, le temps d'un verre ou d'un après-midi.

    J'ai tout aimé dans ce roman, la vie d'un quartier de Vienne, l'ombre de la guerre encore présente, la volonté de reconstruction que l'on sent tout autour. Mais surtout, les petites gens qui fréquentent le café, leurs réflexions, leur plaisir d'être dans un lieu accueillant. Le passé ressurgit quelquefois, au détour d'une phrase.

    "Le pauvre homme. Fragile, tremblotant. Qui se faufile à pas furtifs comme son ombre en personne. Alors qu'il y a en lui comme une tendresse cachée. Il a été solitaire toute sa vie, solitaire, mais fier, un homme sans histoires, et sympathique avec ça. Il a été nazi, on prétend que, après la guerre, il aurait redressé sa croix gammée avec une clé de plombier pour lui donner la forme de la croix du Christ. Ça ne veut rien dire, un Viennois sur deux est nazi. Où est-ce qu'ils seraient tous passés sinon ?".

    Un auteur à suivre ou à découvrir si ce n'est déjà fait.

    Lectures précédentes : Le tabac Triesnek - Une vie entière

    Lecture commune avec Miriam Maryline Keisha

    Participation aux challenges :

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    Chez Eva

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    Chez Ingannmic

    Robert Seethaler - Le café sans nom - 248 pages
    Traduit de l'allemand par Élisabeth Landes et Herbert Wolf
    Editions Sabine Wespieser - 2023

  • Les gens des collines

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    "Elle hocha la tête et lui serra  la main. Habituée depuis longtemps aux manières des hommes, elle maintenait un régime d'exercice quotidien pour renforcer sa poigne. Sans surprise, Knox se mit immédiatement à lui pressurer la main pour démontrer sa virilité. Linda riposta en serrant plus fort, sentant la tension des muscles bandés de son avant-bras. Il relâcha sa main comme un chien qui roule sur le dos pour montrer son ventre et elle sut qu'il lui en voudrait toute sa vie."

    Linda vient d'être nommée shérif d'une petite ville du Kentucky. Peinant encore à se faire respecter à ce poste en tant que femme, elle sait qu'il ne faut pas qu'elle traîne à élucider le meurtre d'une jeune femme que tout le monde aimait.

    Pour l'aider, elle fait appel à son frère, tout juste rentré au pays après des mois d'absence. Mick est enquêteur au sein de l'armée depuis des années, il est rompu aux techniques d'interrogatoires. Il a connu l'Irak, l'Afghanistan, la Syrie et dans ce coin de terre où les généalogies familiales sont importantes, sa présence sera acceptée, ou du moins tolérée.

    Il est officieusement l'adjoint de sa soeur, n'en déplaise au jeunot du FBI qui est dépêché sur les lieux pour mettre des bâtons dans les roues de Linda par le potentat local.

    Si Mick est revenu au pays, c'est parce que son mariage avec Peggy bat de l'aile. A force de l'attendre des mois durant et de le voir repartir longtemps, leur union s'est effritée et il se peut même qu'elle soit terminée, ce qui conduit Mick dans un premier temps à se saoûler copieusement dans la cabane de son grand-père.

    Si l'enquête en elle-même n'a rien d'exceptionnel, j'ai beaucoup aimé l'ambiance du roman, avec ces gens taiseux, qui ne sortent de leurs maisons qu'avec une arme, ont l'habitude de faire justice entre eux et cachent farouchement des secrets bien enfouis.

    Mick progresse entre l'enquête et ses problèmes avec Peggy, c'est un personnage attachant, conscient de ses lacunes et de ses forces, contraint de faire un bilan de la vie qu'il a menée jusqu'ici. Sa relation avec sa soeur Linda est tantôt tendue, tantôt pleine de tendresse bourrue.

    La présence de la nature apporte une touche de poésie à la vie rude de ce coin des Appalaches.

    Il semblerait que ce soit le premier volet d'une trilogie avec Mick. Je m'en réjouis.

    Chris Offutt - Les gens des collines - 240 pages
    Traduit de l'américain par Anatole Pons-Remaux
    Gallmeister - 2022

  • Soixante printemps en hiver

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    Aujourd'hui, Josy a soixante ans. Son mari et ses deux enfants s'apprêtent à fêter son anniversaire, comme d'habitude. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est que Josy a décidé de partir, de quitter mari et maison.

    Son couple n'en est plus un à ses yeux depuis longtemps, sa vie a pris une tournure qui ne lui convient pas du tout, elle s'est perdue elle-même de vue dans une routine sans intérêt.

    Elle part dans un van à peine aménagé, droit devant elle, sans but particulier, accablée de reproches par une famille qui voit là un caprice, sans lui poser la moindre question sur son mal-être et ses motivations profondes.

    Le hasard fait qu'elle s'installe auprès de la caravane de Camélia, maman d'un adorable petit Tom. Camélia est une jeune femme dynamique, combative, qui ne se laisse pas facilement intimider. Son aide et son soutien seront précieux pour Josy.

    Et puis il y a la rencontre avec le club des Vilaines Libérées où elle va découvrir une certaine solidarité féminine dont elle a bien besoin. Elle y fait la connaissance de Christine, qui va jouer un rôle inattendu dans sa nouvelle existence.

    Mais prendre sa liberté après une vie aux services des autres n'est pas si facile. Josy est déchirée entre son besoin d'indépendance et le discours culpabilisateur de sa famille qui la harcèle pour qu'elle revienne. Elle doute du bien-fondé de sa décision. Se sacrifiera-t'elle une nouvelle fois pour eux ou osera-t'elle aller au bout de sa démarche ?

    Un album qui me séduit à la fois par le graphisme et l'histoire, ce n'est pas si fréquent. L'histoire de Josy est pleine d'émotions, d'anxiété, d'incertitudes, de tendresse aussi et tournée vers un avenir plus vivant. Elle est attachante dans sa soudaine hardiesse ou son accablement devant ce qu'elle a déclenché.

    Les dessins sont beaux, dans des couleurs douces, l'âge de Josy n'est pas montré comme une catastrophe, mais plutôt comme l'opportunité de commencer une nouvelle tranche de vie, plus en harmonie avec ce qu'elle est devenue.

    Un album sensible et émouvant.

    L'avis de Cathulu Noukette

    Ingrid Chabbert - Aimée De Jongh - Soixante printemps en hiver - 160 pages
    Editions Dupuis - 2022

  • Monument national

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    "Le fiscaliste, pour sa part, n'éprouvait aucune réticence à faire appel aux banques. Seuls les pauvres vivaient de leur argent, résuma-t'il au grand salon, les Gilets jaunes qui s'échinaient à rembourser des agios quand la notoriété vous ouvrait partout d'infinies lignes de crédit. Vous êtes vos propres actifs, martela-t'il à nos parents, ne sous-estimez pas votre valeur marchande. Il serait bien malheureux qu'à la veille des célébrations, les banques n'aperçoivent pas les retombées potentielles. Serge serait partout en couverture avec sa femme, sa charmante petite fille".

    Le monument national c'est Serge Langlois, un acteur qui pourrait être un mélange de Belmondo, Delon ou autre grosse pointure. Il a eu son heure de gloire, son étoile a un peu pâli, mais il est toujours dans le coeur des Français. Il vit dans un petit château, avec sa troisième femme Ambre, trente ans de moins que lui, accro à Instagram, offrant allègrement leur intimité a des foules béates. Ambre veut que leur vie soit parfaite et cultive uniquement la joie, refusant tout ce qui peut la contrarier. Une ombre au tableau, l'existence de Victoria, fille aînée de Serge, de surcroit amie de jeunesse d'Ambre. Victoria n'a pas digéré que sa meilleure amie épouse son père.

    On cultive la simplicité chez les Langlois. On vit sur un grand pied avec cinq domestiques, mais tout le monde se retrouve démocratiquement à cinq heures pour l'apéritif rituel. Il y a là le chauffeur, l'intendante, la nurse, la cuisinière et son mari jardinier.

    Par un heureux concours de circonstances vont surgir dans ce microcosme policé des ovnis du 93 voisin, Cendrine, nurse de remplacement, mère de Marvin, enfant hyperactif et Abdul, coach en tout genre. Nous savons dès le départ que Cendrine cache un passé mystérieux. Quant à Abdul, il a eu son moment de célébrité grâce à la danse, sans toutefois décoller davantage.

    L'histoire est racontée par la fille adoptive du couple Langlois, originaire d'un pays asiatique, arrivée avec son frère jumeau Orlando. Elle regarde avec un certain détachement les comportements bizarres des adultes. On se rendra compte au fur et à mesure qu'elle a elle-même ses failles.

    C'est le deuxième roman que je lis de Julia Deck, après "Propriété privée" et j'ai la même impression. C'est drôle, féroce, bien vu, j'ai passé un bon moment de lecture, mais c'est un peu superficiel et rapide. J'aimerais plus de profondeur dans les sujets traités. Il est question ici du choc des classes sociales, d'évasion fiscale, des gilets jaunes, de testament contesté par une famille recomposée, de confinement, du jeu des apparences, c'est un feu d'artifice qui n'explose pas assez.

    C'est tout de même jubilatoire parce que l'on reconnaît des évènements réels, ceux qui font la une de Paris-Match semaine après semaine, sans compter toute la presse people. Même le couple Macron y joue un rôle et on y croit.

    Je continuerai à lire l'autrice, j'ai l'impression qu'elle a bien plus à dire et vu son style, ce sera vraiment explosif.

    "On contracta donc un emprunt pour tenir jusqu'à l'été. Puis on reçut des nouvelles du Palais. C'est Sandrine qui, par mégarde, ouvrit l'enveloppe. Elle avait mal lu le nom du destinataire sur la papeterie gaufrée liserée d'or, se flagella-t'elle. Madame Eva leva un sourcil. Elle n'osa cependant pas rétorquer que notre nurse ne recevait jamais la moindre missive - à quoi bon lui écrire puisque Cendrine ne mettait ses pouces à contribution que pour jouer à Candy Crush sur son téléphone ? Bref, l'Elysée en la personne de Brigitte annonçait qu'on se faisait une joie. On s'interrogeait aussi sur l'opportunité de convier à la fête Virginia, la première fille de Serge."

    Julia Deck - Monument National - 208 pages
    Editions de Minuit - 2022

  • La petite-fille

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    "Si l'on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. A la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l'on a dû s'exiler, on peut revenir. Le pays, pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis, est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n'existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir; leur exil est sans fin. D'où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement."

    Je n'ai pas relu l'auteur depuis "Le liseur" qui avait été un choc. Les thèmes évoqués dans "la petite fille" m'intéressaient, c'était donc l'occasion de renouer avec lui.

    Kaspar, 71 ans, est libraire à Berlin. Il vit avec sa femme Birgit qui se consacre à l'écriture, après un séjour en Inde. Birgit abuse de l'alcool, Kaspar ne dit rien et s'accommode de la situation. Un soir en rentrant, il trouve Birgit morte.

    Dans les semaines qui suivent, Kaspar découvre des carnets remplis de pensées et de souvenirs, lui révélant ce qu'il a toujours pressenti. Birgit lui a caché tout un pan de sa vie, notamment l'existence d'une fille qu'elle a eue avant de le rencontrer et qu'elle a abandonnée.

    C'est un roman difficile à résumer tant il aborde de périodes différentes et de personnages. Les carnets évoquent d'abord la rencontre de Kaspar et Birgit jeunes, à l'occasion d'un échange entre l'Allemagne de l'Est et l'Allemagne de l'Ouest.

    Kaspar tombe amoureux, mais nous sommes en 1965, le mur est là et il n'est pas question pour les jeunes gens de pouvoir vivre ensemble. Sauf à quitter son pays pour Birgit, sans espoir de retour. En lisant les carnets, Kaspar réalise qu'il n'avait pas perçu à quel point Birgit a été déracinée en le rejoignant et en a gardé un mal-être persistant.

    Il découvre également que le projet de sa femme était de retrouver sa fille, projet qu'il reprend à son compte. C'est ainsi qu'il va faire la connaissance de Svenja, la fille et de Sigrun, sa petite-fille, une famille qui vit parmi une communauté wölkisch, dans la mouvance néo-nazi.

    Cette histoire familiale met en relief à quel point l'Histoire avec un grand H a pesé sur les individus. L'Allemagne doit affronter son passé nazi, la séparation du pays en deux, avec des modes de vie tellement différents. La réunification n'a pas été simple avec des Allemands de l'Est complexés, persuadés que les Allemands de l'Ouest se pensaient supérieurs.

    C'est une impression qui n'a toujours pas disparu quand Kaspar rencontre Sigrun, sa petite-fille, élevée dans la nostalgie de l'époque où Hitler était au pouvoir. Comment lutter contre une idéologie aussi incrustée en elle ? Kaspar va s'efforcer de l'ouvrir à la musique, la lecture, la réflexion.

    J'ai apprécié la précision avec laquelle la relation Est-Ouest est décrite au fil des évènements et l'importance des traumatismes qui laisseront longtemps des traces.

    J'ai trouvé la partie historique et sociale du roman passionnante. Par contre, j'ai ressenti une certaine pesanteur et des redites sur le côté roman. Peut-être à cause de la froideur apparente des personnages, dont Birgit.

    Il n'en reste pas moins que c'est un grand roman par les sujet traités et l'approche très humaine de l'auteur.

    "Dans cette tristesse où Birgit lui manquait toujours et partout, comme si elle avait toujours été et partout autour de lui, il avait oublié comme elle avait souvent été si loin de lui."

    L'avis de Alex Dominique Maryline

    Bernard Schlink - La petite-fille - 352 pages
    Traduit de l'allemand par Bernard Lortholary
    Gallimard - 2023

  • Jambes cassées, coeurs brisés

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    "Elle fut surprise d'avoir eu cette pensée. Comme si celle-ci avait enfin osé faire surface. Il n'était effectivement pas écrit dans le Code civil suédois que Lisbeth Cederström devait fêter Noël chez ses parents à Göterborg. Ce n'était ni gravé sur les tables de la loi tel un onzième commandement, ni une loi de la nature du style le printemps succède à l'hiver. Non, il s'agissait plutôt d'un phénomène qui s'était enraciné par la répétition, l'habitude et l'absence de remise en question".

    Pendant les fêtes j'ai voulu lire léger, oublier un peu tous les malheurs du monde et autres histoires sombres dont la littérature est pleine.

    J'ai extirpé ce roman là de mes piles. Acheté à cause de sa couverture (oui il m'arrive d'être aussi superficielle ..) je n'avais même pas remarqué qu'il se passait à la période de Noël. J'avais seulement en tête d'excellents billets sur "Les oreilles de Buster" de cette autrice.

    Lisbeth est une jeune femme de 42 ans ; institutrice, elle aime son métier, a réussi à s'acheter une petite maison en bord de mer et est plutôt contente de son sort, malgré la blessure d'une rupture récente. Son petit ami l'a jetée comme une vieille chaussette, pour une fiancée plus digne de sa famille (comprenez classe sociale élevée).

    Et voilà que tout se détraque. Sa meilleure amie au village a de gros soucis avec sa fille, son ex sonne sans prévenir à sa porte, lassé de sa nouvelle conquête et prêt à renouer avec cette brave Lisbeth. Sa directrice à l'école lui annonce qu'elle lui retire des heures pour les confier à un ancien champion de ski et la plomberie de sa maison nécessite de gros travaux.

    Par ailleurs, comme d'habitude, elle doit aller fêter Noël chez ses parents, avec sa soeur, médecin, mariée et enceinte de son quatrième enfant. Parfaite la soeur.  Elle va encore passer pour la pauvre fille de la famille.

    A ce stade de la lecture, on a un peu pitié de Lisbeth, qui se laisse marcher dessus un peu trop facilement et on ne donne pas cher de son Noël. Et pourtant, la voilà qui sous le coup de la colère lâche un mensonge censé lui conserver ses heures de cours, mensonge qui l'entraîne dans les Alpes avec ses élèves, la directrice et le champion, pour un stage où elle devra elle-même faire ses preuves en ski.

    Complètement paniquée, ne voulant pas faire marche arrière, elle monte un subterfuge osé, avec la complicité du médecin du village et de son amie.

    J'ai craint le feel-good trop sucré, c'est un peu ça, mais l'histoire est pétillante, les personnages attachants, l'humour constant et j'ai souri aux nombreux rebondissements. Lisbeth passe de fille un peu gourde et malléable à jeune femme sûre d'elle et de ses talents ; elle se rend compte que ce n'est pas si difficile de mentir et de faire marcher l'entourage qui l'a blessée. Son mensonge lui donne curieusement la confiance en elle dont elle manque. Pas dupe, elle n'en est pas très fière.

    Elle a souvent des sueurs froides Lisbeth, mais voir s'effriter la superbe de sa soeur par exemple est assez réjouissant, sans parler de celle de son ex. Ce sera l'occasion de repartir sur des relations plus sincères et authentiques. Et je ne dis rien d'un certain plombier providentiel, qui va bouleverser son quotidien.

    Ce qui est sympathique dans ce roman, ce sont les préparatifs de Noël dans un village de Suède, respectueux des traditions. Avec la neige, les décorations, les bougies, les brioches au safran, je me suis sentie bien au chaud et à l'abri.

    Je ne suis pas sûre de récidiver avec l'autrice, mais ce roman a rempli son rôle de distraction agréable à un moment où j'en avais besoin.

    L'avis d'Alex

    Maria Ernestam - Jambes cassées, coeurs brisés - 352 pages
    Traduit du suédois par Anne Karila
    Babel - 2022

     

     

     

     

  • Ne m'oublie pas

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    La grand-mère de Clémence, Marie-Louise est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Placée en établissement, elle vient de fuguer pour la troisième fois. La directrice n'en tolèrera pas une quatrième, il va falloir passer à un traitement chimique fort.  Visite après visite, Clémence ne supporte pas de voir sa grand-mère s'effacer de plus en plus et sur une impulsion, elle prend la fuite avec elle, déterminée à l'emmener revoir sa maison d'enfance, au bord de la mer.

    Marie-Louise a 20 ans dans sa tête, veut rentrer à la maison familiale, persuadée que ses parents l'attendent avec inquiétude.

    Clémence sait qu'elle a mal agi et réalise en route qu'elle ne sait pas vraiment dans quoi elle s'est embarquée, avec une malade imprévisible et fragile. De plus, elle ne sait pas précisément où est la maison en question.

    Sur cette trame qui pourrait tirer sur le tragique et les larmes, le périple est raconté avec beaucoup de tendresse et un bon grain de folie. Marie-Louise a des moments de lucidité qui favorisent les échanges sur le passé et éclairent les relations entre trois femmes, grand-mère, mère et fille, toutes confrontées à des situations différentes.

    Les dessins sont pleins de douceur, certaines scènes sont sans dialogue et se suffisent à elles-mêmes.

    Un album touchant, à ne pas manquer. Il a obtenu le prix France-Culture Etudiants BD 2021

    L'avis de Pativore et Philisine

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    Alix Garin - Ne m'oublie pas - 224 pages
    Editions Lombard - 2021