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Rechercher : deux femmes et un jardin

  • La douceur de l'eau

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    "Georges avait-il fait preuve de courage ? ou seulement de naïveté, de cette candeur dont il était coutumier ? Isabelle n'avait pas la réponse, pas plus qu'elle n'avait celle à cette éternelle grande question : comprenait-elle son mari ? Consciemment ou non, en présence des siens, il avait tenu tête à ces hommes sans manifester l'ombre d'une hésitation, d'une voix aussi ferme que lorsqu'il lui expliquait une recette de cuisine, ou lui racontait une de ses blagues favorites. Sans faire preuve exactement de passion, il s'était exprimé avec une ardeur qui n'en était pas loin, et cela aussi la fascinait".

    Nous sommes à Old Ox en Géorgie, à la fin de la guerre de Sécession. Les soldats sudistes vaincus reviennent dans leurs foyers. La troupe Yankee libère peu à peu les esclaves, provoquant la colère des planteurs.

    Ils trouvent cependant une parade en embauchant les affranchis et en les payant si peu que leur vie ne s'améliore vraiment pas, sans compter qu'ils n'ont plus de toit. Prentiss et Landry, deux frères libérés ne l'entendent pas de cette oreille et errent dans la forêt en rêvant à une vie ailleurs.

    Ils croisent Georges, un fermier qui décide de cultiver une parcelle de terre en souvenir de Caleb, son fils, dont il vient d'apprendre la mort au combat. Georges propose aux frères de les embaucher en les payant décemment, leur permettant de mettre de l'argent de côté pour quitter le sud.

    Evidemment, cette situation est très mal vue des habitants de la petite ville, notamment le voisin de Georges, Ted Morton, qui a perdu tous ses esclaves et ne l'accepte pas.

    Les frères se mettent au travail avec Georges, sous l'oeil d'Isabelle, sa femme, désespérée et rendue muette par la mort de son fils. Jusqu'au matin ou Caleb ressurgit ..

    Je ne pense pas nécessaire d'en révéler plus sur l'histoire au risque de trop divulgâcher. L'intérêt de ce premier roman est dans la description d'une époque charnière qui voit un mode de vie disparaître et le futur plein d'incertitudes.

    Nous entrons dans le détail de la vie des anciens esclaves, livrés à eux-mêmes, dans une grande pauvreté, ne sachant pas quoi faire d'une liberté à laquelle rien ne les a préparés.

    La main tendue de Georges va précipiter la famille dans une succession de tensions et de problèmes de plus en plus aïgus. L'auteur a accordé autant d'attention aux remous historiques qu'à la vie de chaque personnage, confronté à ses peurs, ses lâchetés, ses pulsions, destructrices pour certaines.

    La première partie du roman est assez lente, nous faisons connaissance avec les lieux et les habitants, puis les évènements arrivent les uns après les autres et sans que le rythme soit trépidant, une forme de suspense s'installe qui pousse à tourner les pages de plus en plus vite.

    C'est un premier roman captivant, malgré quelques longueurs et une fin un peu trop diluée à mon goût. Les personnages féminins sont forts, Isabelle la femme de Georges, Mildred son amie et Valentine. Le couple de Georges et Isabelle est secoué de toute part, ils se rendront compte qu'ils connaissaient bien mal leur fils.

    L'auteur (rencontré au festival America) est jeune et plus que prometteur. Je ne suis pas loin du coup de coeur.

    L'avis de Keisha

    Nathan Harris - La douceur de l'eau - 454 pages
    Traduit de l'américain par Isabelle Chapman
    Editions Philippe Rey - 2022

  • Les masques éphémères

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    "Les moulins à prières tournent avec une extrême lenteur, mais ceux de la bureaucratie italienne sont capables d'atteindre une vitesse vertigineuse, selon la main qui les actionne. Dans le cas d'un avocat spécialisé dans le droit maritime, frère d'une marchese, lui-même proche d'un ou deux amiraux - dont l'un d'eux avait fait monter en grade le capitaine Alaimo -, demander une faveur à ce capitaine revenait à donner un ordre. C'est ainsi que l'on transmit l'appel du commissaire Guido Brunetti au capitaine, qui proposa de le recevoir l'après-midi même, si ce rendez-vous lui convenait. Ou le lendemain matin ? Aucun problème ! 11 heures ? Parfait."

    Trentième enquête du commissaire Brunetti, la cinquième pour moi, dans le désordre, ce qui n'a pas d'importance.

    Deux étudiantes Américaines ont été déposées en bateau devant l'hôpital par deux jeunes hommes qui ont pris la fuite. L'une d'elles est grièvement blessée. Brunetti est persuadé que les jeunes gens avaient quelque chose chose à cacher pour se sauver ainsi.

    Il va patiemment remonter la chaîne des évènements de cette nuit-là, arrêtant les suspects et mettant à jour progressivement un trafic nocturne des plus horribles, au bénéfice de certains bateliers.

    Brunetti fait équipe avec Claudia Griffoni, ce qui nous vaut un jeu de comparaisons vieilles comme le monde entre Venise et Naples. Paola, la femme du commissaire fait toujours aussi bien la cuisine, ses enfants sont maintenant de grands ados. Les deux suspects ont à peu près l'âge de son fils, Rafi, ce qui pousse Brunetti à se questionner aussi en tant que parent.

    Il doit faire appel à la Guardia Costiera pour l'aider, donnant lieu à des scènes angoissantes dans les canaux sombres de Venise la nuit.

    Si la Sérénissime a toujours autant d'importance dans l'histoire, cette fois-ci l'enquête est prenante, avec une tension qui monte inexorablement vers une fin qui a l'air de surprendre Brunetti lui-même. J'ai l'impression que nous en entendrons parler dans les prochains volumes.

    C'était un plaisir de retrouver le commissaire, son écoute bienveillante, sa pugnacité, son agacement devant le délitement de la société en général et de Venise en particulier. Malgré le côté noir des enquêtes, l'univers de Brunetti a quelque chose d'apaisant qui gagne la lectrice.

    L'avis d'Eimelle

    Merci à Masse Critique et à Babelio

    Donna Leon - Les masques éphémères - 342 pages
    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gabriella Zimmermann
    Calmann-Levy - 2022

  • Les abeilles d'hiver

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    "Dans l'après-midi, je dois aller inspecter les colonies qui sont dans des prairies de Lünebach. J'ai peur qu'avec le vent, mes ruches soient à nouveau recouvertes de neige. J'attelle le cheval devant le traîneau et me mets en route. Quand j'arrive chez Maria, Franz m'y attend déjà. Je m'arrête, le fait monter, l'enveloppe dans une couverture et lui rends les rênes. Le rhénan, un vieux cheval à sang froid, connaît le chemin jusqu'aux abeilles ; il est tellement têtu que ce serait difficile de l'emmener ailleurs. Sa crinière claire se détache sur sa fourrure sombre, des touffes de poils recouverts de neige gelée se dressent sur ses paturons. Nous nous arrêtons en bas de la route et grimpons jusqu'aux ruches, qui comme je le craignais, sont complètement recouvertes de neige. Une fois de plus, certaines ruches ont été vandalisées ; dans les champs, je découvre des empreintes de bottes. Quelqu'un a dû se frayer un chemin dans la neige et tomber plusieurs fois."

    Egidius Arimond était professeur de latin dans la petite ville de Kall, en Allemagne, près de la frontière belge. Il a été renvoyé par les nazis au pouvoir à cause de son épilepsie. Elle fait de lui un indésirable, il a été stérilisé, mais pas éliminé. Il le doit sans doute à son frère, pilote de chasse émérite.

    Nous sommes en 1944, la guerre n'avait jusqu'alors pas trop impacté la région de l'Eifel, mais les passages d'avions alliés s'intensifient et les bombardements se rapprochent.

    Sans ressources, Egidius s'est consacré à sa passion, l'apiculture. Initié dès l'enfance par son père, il s'intéresse de près à la vie de ses abeilles et à l'entretien des ruches. Il a du mal à se procurer les médicaments qui lui sont nécessaires. Les envois que son frère lui faisaient se font rares, aussi il accepte de faire passer la frontière clandestinement à des juifs, dans des ruches aménagées.

    Rédigé sous forme de journal, nous suivons la vie quotidienne d'Egidius, ses peurs, mais aussi ses bons moments. Il ne rechigne pas à consoler certaines femmes du village dont les maris sont au front, ce qui ne lui vaut pas que des amis.

    Le pays se délite, pourtant c'est toujours un discours de victoire qui est tenu. Les passages difficiles sur l'omniprésence des nazis, la dureté du quotidien, sont contrebalancés par la description de la vie des abeilles, l'élaboration du miel étape après étape.

    Egidius passe aussi beaucoup de temps à la bibliothèque où il traduit le journal d'un supposé ancêtre, moine défroqué et apiculteur. Ce n'est pas la partie qui m'a le plus intéressée.

    J'ai aimé la simplicité du récit, la narration à la première personne. Egidius est un personnage attachant, il fait payer les fugitifs qu'il aide sans les voler et il prend soin d'eux le temps qu'ils sont sous sa garde. Son amour des abeilles est communicatif, mais son désarroi est de plus en plus grand devant le manque de médicaments et la cruauté du  pharmacien.

    Une excellente découverte qui met en relief l'absurdité des guerres et la complexité des réactions individuelles.

    L'avis de Dominique Luocine Miriam

    Norbert Scheuer - Les abeilles d'hiver - 368 pages
    Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger
    Actes Sud - 2021

  • Dans la ville provisoire

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    "Avant que la fondation ne prenne contact avec moi, au cours de l'automne, je n'avais jamais entendu parler de la traductrice. Mais personne n'entend jamais parler des traducteurs - c'est elle qui le disait, dans un entretien que je découvrirais plus tard -, encore moins quand ils sont des femmes".

    Un jeune homme débarque dans une ville entourée d'eau, en plein hiver. Il est clair qu'il s'agit de Venise, même si elle n'est jamais nommée.

    Il vient là pour trier les papiers d'une traductrice, dont nous ne savons pas très bien ce qu'elle est devenue, du moins dans une premier temps. Son quotidien va se résumer à des allers-retours entre la Fondation qui lui a fourni ce travail et la maison de la traductrice.

    "J'approchais cette ville comme on apprend une langue étrangère, règles et exceptions, vocabulaire, prononciation. Marcher ici équivalait à former des phrases, le jeu était de ne pas fourcher, de ne pas avoir à faire demi-tour ou demander mon chemin".

    L'histoire est ténue, c'est surtout un roman d'atmosphère, celle d'une ville brumeuse, mystérieuse, envahie par l'eau, loin des hordes touristiques de l'été. Il pleut beaucoup, le jeune homme se perd dans les papiers, prend possession de l'appartement de la traductrice, essaie d'imaginer comment elle y vivait.

    Il va jusqu'à revêtir une robe qui lui appartenait et reprend les trajets qu'il lui prête lorsqu'elle était là. Rien n'est vraiment expliqué, ce qui ne m'a pas empêchée d'aimer cette errance nébuleuse. De la même manière, le jeune homme se fond peu à peu dans la ville, sans perdre de vue qu'un jour, elle ne sera plus.

    "Quand je suis sorti du café, les doigts poisseux de sucre, les vagues éclaboussaient le quai. Le temps que le bateau me dépose de l'autre côté du canal, les rues du centre historique étaient inondées. Des vendeurs à la sauvette proposaient des sacs en plastique hors de prix dans lesquels emballer ses chaussures. C'était trop tard pour mes baskets, j'ai continué d'avancer dans l'eau qui par endroits m'arrivait aux mollets".

    Un roman qui vaut par son écriture et un charme évanescent.

    L'avis de Keisha

    Du même auteur : l'excellent Là-bas, août est un mois d'automne

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    Bruno Pellegrino - Dans la ville provisoire - 128 pages
    Editions Zoé - 2021

  • L'attaque du Calcutta-Darjeeling

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    "J'ai du mal à imaginer en quoi Buchan pourrait aggraver les choses. "En l'espace de quelques jours, sergent, j'ai été agressé, on m'a tiré dessus et j'ai failli être empoisonné par ma logeuse. Si M. Buchan pense pouvoir mieux faire, je lui souhaite bonne chance".

    Merci aux blogueuses qui ont chaudement recommandé cette série policière. J'ai passé un excellent moment en compagnie du capitaine Wyndham, dans la chaleur moite d'une Calcutta modelée pour l'occupant anglais.

    Nous sommes en 1919, le capitaine vient d'arriver en Inde avec un passé qui l'étouffe. Il a perdu sa jeune femme, Sarah, victime de la grippe espagnole et il est traumatisé par les combats dans les tranchées du conflit de 14-18. Il a travaillé à Scotland Yard, c'est à ce titre qu'un poste lui est proposé en Inde.

    Dès son arrivée, il est confronté au meurtre d'un haut-fonctionnaire, abattu à deux pas d'un bordel, un message enfoncé dans la gorge, ce qui fait désordre, avouons-le. A l'aide d'un sergent bengali, Banerjee, il devra démêler une affaire aux multiples ramifications, à relier à l'attaque simultanée du train Calcutta-Djarjeeling.

    Je n'entrerai pas dans les détails, je dirai seulement que l'intrigue est habile, bien menée, avec des changements de direction fréquents et palpitants.

    L'action est située à l'époque où la population bengali commence à se révolter. Elle aspire à l'indépendance, que ce soit par des actions violentes ou la non-violence de  Gandhi. Les Anglais s'imaginent installés là pour l'éternité, au nom de leur supériorité morale, face à un peuple incapable de se diriger.

    Le sergent Banerjee justifie de travailler pour les Anglais en prévision du jour où ils partiront et où son pays aura besoin d'hommes qualifiés pour prendre le relais. Le capitaine Wyndham est vite mis au parfum de l'attitude à adopter vis-à-vis des indigènes, ce qu'il ne suivra pas à la lettre. Il se reproche souvent une séverité imméritée envers Banerjee, d'autant qu'il lui reconnaît des qualités précieuses.

    Ce fond historique et politique apporte un vrai plus à l'enquête et à l'évolution des personnages. Ils ne sont pas d'une seule pièce, à l'image du capitaine Wyndham qui cache un secret. Il est opiomane, ce qui lui complique quelque peu la vie.

    Il ne faut pas se fier au titre, en réalité le train Calcutta-Darjeeling est secondaire dans l'histoire. Il s'agit davantage des petits et grands arrangements dans les hautes sphères aux moeurs discutables et de l'irruption d'un début de révolte des Bengalis. Un humour délicieusement anglais court tout au long du roman.

    N'oublions pas la ville de Calcutta, grouillante, écrasée de chaleur, aux contrastes saisissants entre ses différents quartiers, bâtis pour que chacun reste bien à sa place.

    "Rien, sauf peut-être la guerre, ne vous prépare pour Calcutta. Ni les horreurs décrites dans les pièces enfumées de Pall Mall par les hommes rentrés de l'Inde ni les écrits des journalistes et des romanciers, ni même un voyage de cinq mille miles avec escales à Alexandrie et Aden. Calcutta, quand elle apparaît, se situe dans une catégorie plus étrangère que tout ce que l'imagination d'un Anglais peut concevoir. Le baron Robert Clive l'a appelé l'endroit le plus cruel de l'Univers et c'était un des commentaires les plus positifs."

    Un roman policier distrayant et instructif. A suivre ..

    L'auteur : Abir Mukherjee, né dans une famille d’immigrés indiens, a grandi dans l’ouest de l’Écosse. Il a choisi de situer sa série policière durant les années 1920, moment où l’emprise britannique sur l’Inde commence à être mise en discussion.

    L'avis de A girl from earth (lu en anglais) Kathel Alex Anne Dasola Keisha Luocine

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    Abir Mukherjee - L'attaque du Calcutta-Darjeeling - 464 pages
    Traduit de l'anglais par Franchita Gonzalez Batlle
    Folio Policier - 2020

  • Au nom du bien

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    "Gary et moi, on a grandi à Stock, et à Stock, être gay c'est encore un péché. Et pas un petit péché comme jurer, par exemple. En dehors de maltraiter un enfant ou tuer quelqu'un, c'est à peu près ce qu'on peut faire de pire. Toute ma vie j'ai entendu ça, et mon cul de païenne a même pas fréquenté les bancs de l'église."

    Richard Weatherford est le pasteur d'une petite ville de l'Arkansas, père de cinq enfants et mari irréprochable. Il a des convictions inébranlables qu'il s'efforce de communiquer à ses ouailles. Nous sommes au coeur de l'Amérique trumpienne, détenant la vérité et exigeant une morale sans faille, pas loin du fonctionnement d'une secte. Ça, c'est le côté face.

    Côté pile c'est moins brillant. Le pasteur s'est fourré dans une situation catastrophique en cédant à ses pulsions homosexuelles avec le jeune Gary. Le dit Gary lui réclame maintenant 30 000 dollars, faute de quoi il le dénoncera publiquement. Frère Richard a 48 heures pour les trouver.

    Prêt à tout pour sauver sa réputation, sa famille, sa place et son honneur nous voyons le pasteur s'abîmer dans une suite de décisions catastrophiques qui vont coûter cher à quelques membres de la communauté. C'est cruel, hypocrite, sans aucun scrupule.

    Je n'ai pas de chance avec les pasteurs dans mes lectures récentes (ici) et je dois dire que celui-ci pulvérise des records dans le chapitre reniements, manque de foi, faillite morale et j'en passe. L'action se passe sur les deux jours des fêtes de Pâques où le pasteur doit mener à la fois les préparatifs habituels et chercher désespérément l'argent, tout en jouant la comédie à sa femme.

    L'histoire est racontée par plusieurs protagonistes, nous passons de l'un à l'autre, ce qui permet de saisir la montée en tension et les raisons de chacun. Dans cet imbroglio, la lutte sans merci du pasteur pour l'interdiction d'alcool dans la ville a son importance.

    Tout en reconnaissant la force de la dénonciation, je ne me suis pas sentie très à l'aise dans ce roman ou la noirceur domine. J'ai espéré une lueur d'espoir du côté de l'épouse du pasteur. Hélas, c'était juste une illusion, l'hypocrisie et le cynisme sont bien partagés dans le couple. En comparaison, j'ai fini par trouver presque sympathique le jeune couple de maîtres chanteurs à la base de l'histoire.

    Si la charge contre certains mouvements religieux est parfaitement réussie, c'est une lecture qui tombait peut-être à un mauvais moment pour moi.

    L'avis de Kathel Luocine

    Jake Hinkson - Au nom du bien - 336 pages
    Traduit de l'américain par Sophie Aslanides 
    Gallmeister - 2020

  • Les abeilles grises

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    "Bien que conscient du caractère factice et injustifié de ce trouble juvénile et grisant, il en tirait un certain apaisement et la conviction que tout irait bien. Il avait laissé derrière lui les "erpédistes" et les soldats ukrainiens. Derrière lui le grondement des canons proches et lointains. Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu seulement l'habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l'aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles, ne comprenaient pas ce qu'était la guerre !"

    Après "Donbass", nouvelle lecture sur la même région, même époque, la guerre est là depuis 2014, Sergueïtch a voulu rester dans son village, en pleine zone grise où résonnent régulièrement des tirs. De part et d'autre, les troupes ukrainiennes et les séparatistes pro-russes.

    Un autre habitant est resté à Mala Starogradivka, son "ennemi d'enfance" Pachka. Seuls, à une rue d'écart, ils sont bien obligés de s'épauler devant le manque de vivres, l'absence d'électricité, la solitude. Pachka n'hésite pas à aller se ravitailler chez les pro-russes, pendant que Sergueïtch est aidé par un soldat ukrainien. La bouteille de vodka aide à aplanir les différences.

    Mais le plus important pour Sergeïtch, c'est de veiller sur ses abeilles. Apiculteur aux petits soins pour elles, il a même aménagé ses ruches de manière à pouvoir y faire des siestes. Il est convaincu que le contact avec le bourdonnement des abeilles est curatif et régénère les êtres humains.

    Dans cet environnement gris, déserté et triste, Sergeïtch continue à admirer la nature, ses abeilles et leur travail. Au printemps, il décide de les éloigner de la zone grise pour qu'elles retrouvent le calme nécessaire, loin des tirs, d'abord plus à l'ouest de l'Ukraine et ensuite en Crimée.

    Sergeïtch est un homme simple, sincère, assez flegmatique devant le chaos ambiant, il part confiant dans un périple incertain, à la recherche de la nature qu'il aime tant, la meilleure possible pour ses abeilles. Il veut qu'elles soient dans un bel environnement.

    Si la première partie m'a paru un peu lente avec la description du quotidien au village, j'ai été embarquée rapidement dans les réflexions de Sergeïtch, sa manière de voir le monde. Il est parfois un peu bourru, mais attachant et soucieux des autres.

    Son périple sera long et semé d'embûches. Il trouve d'abord sur sa route une femme, Galia, qui lui sera d'un grand secours. Plus il avance, plus il se rend compte qu'il n'est vraiment à sa place nulle part, pas au bon moment au bon endroit, il n'a pas la bonne religion, la bonne nationalité. Il provoque la suspicion.

    Obligé de quitter Galia et le champ qu'il occupait avec ses abeilles, il prend la direction de la Crimée pour y retrouver un apiculteur rencontré il y a plus de vingt ans lors d'un congrès.

    Pour atteindre la Crimée, annexée par les Russes, il devra franchir plusieurs barrages, être retenu de longues heures, avec la crainte à chaque fois d'être arrêté. Il apprend en arrivant que son ami a disparu, il a été arrêté par les Russes. Accueilli dans sa famille, il trouve l'emplacement idéal pour ses abeilles. Il découvre à quel point les Tatars sont mal vus, poussés à quitter le territoire. 

    La poésie est très présente dans ce roman, alors qu'autour tout n'est qu'inquiétude et angoisse. S'il est en butte à de la méfiance, Sergeïtch découvre aussi des personnes généreuses et une entraide naturelle.

    Il finira par revenir au village où rien n'a bougé, riche de ces rencontres, avec des lendemains toujours aussi incertains. Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est ..

    Une lecture indispensable.

    "La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l'existence humaine. Et ce n'était pas à l'avantage de la seconde."

    L'avis de Choupynette Delphine-Olympe Krol Miriam Pativore Violette etc ...

    Andréï Kourkov - Les abeilles grises - 400 pages
    Traduit du russe par Paul Lequesne
    Editions Liana Levi - 2022

  • Sauvagines

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    "Tu arrives chez moi à pied, par derrière. Il y a une entrée pas loin où tu caches ton véhicule pour braconner près de la pourvoirie, mais tu as aussi un stationnement à l'abri des regards près du chalet de Lionel, au bord de la rivière aux Perles. Si par au moins deux fois tu es venu rôder en mon absence, c'est que tu m'étudies depuis un certain temps".

    Raphaëlle Robicheau est agente de protection de la nature dans le Kamouraska, au nord-est du Québec, au coeur de la forêt boréale. Elle y vit dans une cabane, dans un environnement qui la comble. La quarantaine, solitaire, on devine entre les lignes qu'elle a eu affaire à la violence des hommes et qu'elle a choisi volontairement de s'éloigner pour se consacrer à la défense de la faune et de la forêt. Elle préfère la compagnie des animaux à celle de ses contemporains, exception faite pour certains, comme son vieil ami Lionel, qui veille sur elle mieux qu'un père.

    La première réflexion qui m'est venue est que la Canada n'est pas plus actif que nous dans la lutte contre la diminution de la biodiversité et la protection de la nature. Les coupes de bois sont ravageuses, remplacées par des essences qui rapporteront rapidement. Le braconnage est plus que toléré, les dates de chasse pas respectées, puisqu'il est même permis de tirer des espèces en voie de disparition.

    Lorsque son chien, Coyote, est pris au piège dans un collet, Raphaëlle ne décolère pas, et détruit un site de braconnage où elle trouve un vrai charnier qui atteste de l'ampleur du problème. Dès lors, elle se met en tête d'arrêter le responsable. Difficile dans ce coin perdu, où ce sont souvent une ou deux familles qui font régner leur loi au vu et au su de tous. Elle ne sera pas soutenue par l'office qui l'emploie, en réalité quasiment impuissant.

    Lorsqu'elle s'aperçoit que le braconnier est sur ses traces et qu'elle est devenue proie à son tour, commence un jeu dangereux qui va la mener loin.

    Dans son désarroi et sa peur, elle va trouver un appui en rencontrant Anouk, personnage principal d'"Encabanée", aussi solitaire qu'elle, déterminée à l'aider. Entre les deux femmes il y aura plus qu'une amitié, l'amour s'en mêle, trop heureuses qu'elles sont de se découvrir tant d'affinités.

    Tout comme dans "Encabanée", j'ai apprécié les tournures de langage québécois, les magnifiques descriptions de la vie en pleine nature, les moments de poésie et de beauté. Mais ce n'est pas une histoire douce et paisible, la colère est omniprésente, la violence aussi. Il y a des scènes difficiles à supporter, la souffrance animale y est décrite sans fard mais sans complaisance. Sans parler de la violence des individus.

    La stratégie trouvée par Raphaëlle pour se débarrasser du braconnier et retrouver sa forêt n'est pas des plus simples. Elle installe un suspense fort et des sentiments ambivalents.

    Une lecture qui tient les promesses d'Encabanée. Il va falloir attendre un an avant la parution en France du dernier roman de la trilogie "Bivouac" qui vient de sortir au Canada.

    "J'aimerais que les avions de l'armée canadienne servent, plutôt qu'aux desseins américains, à parcourir notre espace vital pour dénombrer les survivants. Bon sang, faites au moins un inventaire faunique avant de décider de lever les quotas de piégeage de nos beautés boréales ! Combien en reste-t'il, de renards arctiques ? Puis à quel parallèle s'arrêtent véritablement les coupes à blanc ? Autre question : pourquoi est-il plus important de traverser l'Atlantique en avions de guerre que d'installer l'électricité dans les réserves indiennes une fois pour toutes ?

    Lecture commune avec Sandrine

    Gabrielle Filteau-Chiba - Sauvagines - 368 pages
    Editions Stock - 2022

  • Donbass

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    "Quant à savoir qui avait commencé, c'était une autre histoire, et même les observateurs étrangers de l'OSCE se gardaient de tirer de telles conclusions. Un obus tiré sur Avdiïvka pouvait être la réponse à un tir de mitrailleuse ukrainien ou à une roquette tirée une heure plus tôt depuis une autre position du front. A quoi bon, dès lors, accuser les uns ou les autres pour finalement se fâcher avec leurs employeurs occidentaux ou russes qui finançaient leur mission. Au lieu de cela, tout le monde continuait à parler de "cessez-le-feu fragile", passant par pertes et profits le million de personnes qui, selon les décomptes officiels, habitaient à moins de cinq kilomètres de part et d'autre de la ligne de front. La poursuite de ce conflit larvé convenait aussi bien à Kiev qu'aux rebelles et à leur parrain moscovite".

    Nous sommes en 2018, dans le Donbass, en guerre depuis déjà quatre ans. Le colonel Henrik Kavadze est chef de la police locale dans la petite ville d'Avdiïvka, côté Ukrainien, plus par hasard que par conviction. Il aurait pu aussi bien rester côté séparatiste où il habitait auparavant, dans la ville de Donetsk. Il est désabusé, revenu de tout, surtout depuis la mort accidentelle de sa fille unique, à 10 ans. Son couple n'a pas résisté à ce malheur et s'il vit encore sous le même toit que sa femme, ils n'ont plus rien à se dire. Par ailleurs ancien soldat en Afghanistan, il est régulièrement hanté parce qu'il a vu et fait là-bas, dans une autre guerre.

    La mort sauvage d'un enfant de six ans va le sortir de sa torpeur, il ne peut pas fermer les yeux et va enquêter, y compris contre sa propre hiérarchie.

    Si j'ai choisi ce roman policier à la bibiothèque, c'est bien sûr à cause du contexte actuel, pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se joue dans cette région du monde.

    L'intrigue policière se tient bien jusqu'où bout. Le colonel suit d'abord une piste liée à son passé en Afghanistan, puis une autre mettant en lumière la multitude de trafics qui se tiennent dans la région. L'enfant aurait-il vu ce qu'il ne devait pas voir ? Un deuxième meurtre va venir embrouiller un peu plus la situation.

    Mais ce n'est pas ce qui m'intéressait le plus. Nous sommes surtout plongés dans le quotidien de la guerre, dont plus personne ne sait pourquoi elle a vraiment commencé. Dans cette zone il ne reste plus guère que des grands-mères, tous les autres ont fui vers Kiev. La vie est rythmée par les explosions plus ou moins lointaines, les bombes ont fait des dégâts. La corruption est partout, du haut en bas de l'échelle sociale. Le chaos règne, les lendemains sont incertains, chacun se débrouille comme il peut.

    L'accent est mis sur le passé minier du Donbass, la fierté des mineurs de cette époque-là et leur déclassement après la chute de l'Union Soviétique. Ils regardent de travers leurs compatriotes de Kiev, trop tournés vers l'Occident et son style de vie. Chaque famille ou presque a des membres des deux côtés, d'où des déchirements constants.

    Lorsque le roman a été écrit, la situation pourrissait, nous connaissons aujourd'hui son évolution, ce qui a certainement modifié ma perception du livre. Je ne suis pas spécialiste en géopolitique, je ne me lance donc pas dans plus d'explications. Même si je le savais par les medias, j'ai été frappée par l'importance de la corruption et la présence des mafias.

    Le personnage du Colonel est attachant. Il est loin d'être un saint, mais il reste en lui une humanité qui lui permet de ne pas sombrer complètement et d'avoir encore le courage de lutter contre une injustice trop flagrante. Il décrit une situation bien plus nuancée que ce que nous entendons d'habitude.

    La forme du roman policier a correspondu à ce que je cherchais : comprendre un peu mieux la génèse du conflit, sans me perdre dans des analyses trop spécialisées.

    "Henrik, lui, avait seulement incliné le haut du corps et baissé la tête. Toujours le même refus de faire corps, la réticence à se joindre à la masse. Il connaissait trop bien les extrémités dont celle-ci était capable. Elles pouvaient être lumineuses, comme ce matin de mars où des centaines de têtes s'inclinaient devant un cercueil d'enfant, ou terribles. C'est la foule qui avait décidé de la guerre. La foule qui avait convoqué le vieux démon de la haine. Les frustrations et les rancœurs de chacun s'étaient mêlées, assemblées pour ne former plus qu'une colère sauvage, un amas de fureur."

    L'auteur, Benoît Vitkine est correspondant du Monde à Moscou, il a reçu le prix Albert Londres 2019 pour une série de reportages réalisés en Ukraine. "Donbass" est son premier roman.

    L'avis de Zazy

    Benoît Vitkine - Donbass - 282 pages
    Editions Les Arènes - 2020

  • Nous, les Allemands

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    "Quand j'essaie de décrire quel genre d'homme il était lorsque je l'ai connu, voilà ce qui me vient immédiatement à l'esprit : un être austère dans ses habitudes tant physiques que mentales ; peu porté à s'accorder quoi que ce soit ; et néanmoins empressé à accorder aux autres presque tout ce qui, pensait-il, leur ferait plaisir".

    Ce roman prend la forme d'une longue lettre adressée par un grand-père, décédé depuis, à son petit-fils qui le pressait de questions sur ce qu'il avait vécu pendant la guerre.

    Callum, le petit-fils habite à Londres, son père est Ecossais, sa mère Allemande. Pour lui, l'Allemagne est le pays des vacances, chez son Oma et son Opa qu'il adore.

    Le grand-père, Meissner, a bien réussi dans la vie. Il est devenu pharmacien dans un coin tranquille, et son plus grand bonheur est d'offrir une existence confortable à sa femme. Après le décès de celle-ci, Callum a continué à rendre visite à son grand-père une fois par an. Il n'a pas insisté sur le passé du vieil homme, ne voulant pas le perturber outre mesure.

    Aussi a-t'il été surpris, lorsque le notaire lui a donné un carton contenant une lettre où Meissner lui raconte dans le détail comment il a a vécu les années de guerre, notamment 1944, lorsque les Allemands se repliaient de Russie vers l'Autriche.

    Meissner a été incorporé à 19 ans et envoyé directement sur le front russe. Il reviendra à plusieurs reprises sur son regret de ne pas avoir été expédié plutôt sur le front de l'ouest qui lui apparaissait comme tellement plus tranquille.

    Passé l'enthousiasme des débuts et la griserie de remporter victoire sur victoire, les désillusions ont commencé à se cumuler, jusqu'en 1944 où une petite escouade de cinq hommes, dont Meissner se retrouve livrée à elle-même, sans règles, pétrifiée de peur à l'idée de tomber sur les Russes dont elle redoute la violence.

    Meissner ne cherche pas d'excuses, il sait que les Allemands se sont tellement mal conduits que ce n'est qu'un juste retour des choses. Pour son petit-fils, il essaie de ne rien omettre de son état d'esprit de l'époque et d'être honnête avec lui-même.

    J'ai aimé la construction du roman, où alterne la confession du jeune soldat en plein désarroi et le contrepoint du petit-fils qui explore sa propre perception de son grand-père.

    Les questions soulevées par cette histoire sont nombreuses et resteront sans réponse pour beaucoup. Le jeune Meissner ne rêvait que de devenir un grand chimiste et certainement pas de se retrouver dans un uniforme en lambeaux, avec des camarades plus ou moins dangereux, des ordres absurdes et la peur viscérale de mourir à chaque instant.

    Meissner fait partie de ces soldats qui n'étaient pas fanatisés, mais que des mois de guerre ont rendu insensibles, blasés, écoeurés devant des ordres de plus en plus incompréhensibles. Que dire sur des hommes qui vont transgresser les règles, rendus à moitié fous par les scènes dont ils sont les témoins impuissants ?

    "Donc, pour ce qui est de savoir si mon grand-père était ou non un homme bon, vous êtes prévenus : je suis son petit-fils et je l'adorais. Et pourtant, il s'est battu pour les nazis. Il a porté l'uniforme. Il a tué des gens. Il a accompli les actes dont il parle ici. Je l'adorais tellement que je me demande si je lui aurais pardonné n'importe quoi. Probablement pas n'importe quoi, bien que je me sens triste rien qu'à le dire".

    Je n'avais pas lu jusqu'à présent de roman vu du côté allemand sur la débâcle, ce qui était déjà intéressant, mais il prend un relief particulier puisqu'une partie de l'action se passe sur les terres ukrainiennes. Certains évènements font directement écho à l'actualité. L'histoire bégaie. Il vaut mieux prévenir qu'il y a des passages difficiles à lire par leur extrême cruauté.

    Il y a également les interrogations de Callum, qui finit par se sentir mal à l'aise d'avoir une ascendance à moitié allemande, comme s'il endossait lui aussi une part de culpabilité.

    Un roman de la rentrée littéraire à découvrir.

    "Je ne trouve rien à redire au concept de notre responsabilité collective; simplement, il ne résonne pas en moi. L'idée que je sois coupable de choses que je n'ai jamais vues et auxquelles je ne pouvais rien, ne me semble pas satisfaire aux normes de la justice naturelle. Ce que je sens en moi par contre, c'est une honte inextirpable."

    Alexander Starritt - Nous, les Allemands - 208 pages
    Traduit de l'anglais par Diane Meur
    Editions Belfond - 2022