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Le goût des livres - Page 19

  • Stöld

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    "Elle se figea : elle entendait des motoneiges au loin. Lasse l'avait prévenue, lui avait demandé de s'arrêter. Au moins deux motoneiges. Sans doute zigzaguaient-elles, car le vrombissement lui parvenait par vagues. Elle observa les traces laissées par ses skis, évidentes au milieu de la piste de motoneige. Elle était facile à repérer. Elle se trouvait sûrement à quatre kilomètres de chez elle, trop loin pour qu'on puisse lui venir en aide à temps. Les motoneiges hurlaient, de plus en plus proches. Ça lui sifflait dans les oreilles, comme des acouphènes, comme les roues d'un train qui grincent contre le rail. Mais les engins ne parvinrent pas jusqu'à elle. Ils firent demi-tour et les bruits s'éloignèrent".

    L'histoire se déroule au nord du cercle polaire, au sein d'une communauté sami. Elsa, petite fille de 9 ans, grandit dans une famille d'éleveurs de rennes. Un matin, elle se rend tout seule à l'enclos des rennes pour faire une surprise à ses parents. Elle tombe sur un contrebandier, Robert Isaksson.Il vient de tuer son renne préféré pour alimenter le trafic de viande.

    Il menace implicitement Elsa de la supprimer si elle parle. La petite fille, tétanisée, rentre en expliquant ce qu'elle a vu, sans avouer qu'elle a reconnu le coupable.

    Nous entrons par ce drame récurrent dans le monde des éleveurs de rennes. Cette attaque n'est pas isolée, les éleveurs n'en peuvent plus des bêtes perdues, des plaintes déposées et jamais suivies d'effets. Tout le monde sait qui est derrière ce trafic mais personne ne parlera. L'hostilité de la population suédoise est forte vis-à-vis des samis et leurs bêtes envahissantes.

    Contrairement à son frère, Mathias, Elsa aime cette vie rude, la même que ses grands-parents et les générations précédentes. Marquée par le massacre de son renne, elle portera longtemps son secret en silence, dans la crainte de représailles.

    La première partie de ce roman se déroule très lentement, il semble ne rien se passer, mis à part une description assez minutieuse de la vie des éleveurs, de leurs traditions. Nous faisons connaissance avec plusieurs membres de la famille, portant tous des fardeaux assez lourds liés à leur peuple, notamment le suicide de jeunes hommes, désespérés du manque de perspective pour eux.

    Puis l'histoire s'emballe. Dix années ont passé, Elsa se révèle une fille courageuse, téméraire, souhaitant perpétuer le mode de vie de sa communauté. Elle devra lutter à la fois contre les trafiquants, mais aussi contre son entourage, les filles n'ayant aucun rôle à jouer dans les instances sami. Elle n'entend pas se laisser faire.

    Jamais très loin d'elle, le sinistre Robert continue ses exactions dans la même impunité, jusqu'au jour où le hasard s'en mêlera dans un déchaînement de violence.

    J'ai aimé cette lecture, ce n'est pas la première que je lis sur l'oppression du peuple sami, les discriminations, le peu d'effet des lois votées pour leur protection. C'est toujours aussi désespérant et d'une profonde injustice.

    Les personnages sont bien vus, les articulations entre les uns et les autres complexes. Le changement climatique complique encore plus le travail des éleveurs.

    Un roman qui m'a globalement convaincue, malgré le peu d'action de la première partie. La suite mérite que l'on s'accroche.

    Ann-Helén Laestadius est une autrice et journaliste suédoise d’origine samie et tornédalienne. Après des débuts remarqués en tant qu’autrice jeunesse et Young Adult - qui lui ont valu de recevoir le prix August du meilleur roman jeunesse en 2016 -, elle publie son premier roman pour adultes, Stöld, qui a reçu, en 2021, le prix du Livre de l’année en Suède. 

    L'avis de Je lis je blogue

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    Ann-Helén Laestadius - Stöld - 450 pages
    Traduit du suédois par Anna Postel
    Editions Robert Lafont - 2022

  • Femme forêt

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    "Derrière le comptoir, il jongle avec la vaisselle d'une famille de neuf. Il est le cirque à lui seul. Il boit des cafés et il a des éclats de verve, des pluies de phrases justes et jolies, des chemins vers cette si sensible tête, vers sa profondeur fine et fascinante.
    Mon homme est sauvé pour le moment.
    J'aime sa vastitude. J'aime ses béances sanglantes et sa douleur. J'aime ses fulgurances, les méandres de ses réflexions, ses éclats de rire et ses doigts sur le vieux piano."

    Un titre qui m'a attirée dans une librairie, une autrice dont j'ai vu d'excellents avis sur les blogs amis, il ne m'en a pas fallu plus pour repartir avec.

    J'ai plongé dans la lecture sans trop savoir à quoi m'attendre, hormis un retour à la nature. En fait, nous sommes au Québec, pendant la pandémie, évoquée juste en passant. Deux familles quittent la ville et ses interdits pour se retrouver en forêt, dans deux maisons. C'est le lieu ou la narratrice passait ses vacances dans son enfance.

    Je retiens surtout la plume très poétique, d'une beauté qui emporte. Il n'y a pas véritablement d'histoire, plutôt des fragments de vie au jour le jour. Quatre adultes et cinq enfants la cohabitation n'est pas toujours facile. Ce qui importe le plus pour la narratrice c'est d'entrer en osmose avec tout ce qui l'entoure, les arbres, le ciel, l'eau, tout ce qui la recharge et la fait vibrer.

    Elle initie ses petits aux joies simples, aux merveilles qui les entourent, sans cacher son ras-le-bol parfois, mais elle a l'amour chevillé au corps. Sa description des humains qui les entourent en est baigné.

    On devine que son mari ne va pas bien tous les jours, on sent que ça vient de loin, elle s'échappe quand il le faut et rejoint des amants de passage, sans y accorder trop d'importance.

    La narratrice fait souvent référence à des textes littéraires, notamment ceux de Francis Ponge.

    Malgré l'écriture magnifique, au bout d'un moment, il m'a manqué une histoire plus construite. Il semblerait que ce soit presque une suite à "la femme qui fuit" que je n'ai pas lu. J'aurais peut-être mieux compris si j'avais commencé par là.

    Je ne regrette cependant pas de l'avoir lu, c'est un roman original et l'écriture est superbe et lumineuse.

    "Des amis algonquins m'ont déjà expliqué quelle attitude adopter si je rencontrais un ours dans la forêt.
    J'ai retenu deux choses. Surtout, ne pas faire la morte. Je ne suis pas crédible en morte. Mais plutôt m'éloigner lentement, sans gestes brusques, en parlant à l'ours (je cherche encore quoi lui dire. Si je n'ai pas trouvé à ce moment-là, je chanterai.)
    En reculant à pas lents, repérer un arbre de confiance et y grimper. L'ours ne me suivra pas dans l'arbre".

    L'avis de Karine

    Anaïs Barbeau-Lavalette - Femme-Forêt - 288 pages
    Editions JC Lattès - 2023

  • Faire paysan

    non-fiction

    "Il y a plusieurs sortes de paysans. Il y a "le résigné", un besogneux qui s'acharne dans ses choix, dans le déni de la situation actuelle. Il y a "le nostalgique", un désillusionné qui espère en secret la chute du système et le retour de l'ordre ancien lors de la prochaine grande crise mondiale. Enfin, il y a "l'entrepreneur", celui qui a compris les règles du système en vigueur et travaille à y trouver sa place, à répondre aux attentes de la population, en inventant une nouvelle manière de faire."

    L'auteur, est fils et petit-fils de paysan et bien qu'il ne le soit pas devenu lui-même, il est toujours très attaché au monde de son enfance et à ses valeurs. Pourtant, lorsqu'il revient au village, il n'est plus considéré comme un des leurs puisqu'il est parti vivre à la ville.

    Première réflexion sur le clivage actuel entre un monde paysan parfois très fermé et les urbains souvent accusés d'imposer des règles à un milieu dont ils ne connaissent rien.

    Dans ce livre, l'auteur s'attache à creuser les nombreux griefs des paysans. Il rencontre un maximum d'interlocuteurs de tous bords et essaie de comprendre et de remonter à la source des malentendus. Il n'y réussit pas toujours.

    "A l'heure du dessert - horreur - je franchis sans m'en rendre compte le point de non-retour en prononçant le mot qu'il ne faut jamais prononcer devant un paysan conventionnel de plus de 50 ans : glyphosate".

    Si la politique suisse sur l'agriculture est différente de celle de la France, on retrouve les grands enjeux actuels entre agriculture intensive et culture respectueuse des enjeux climatiques et de l'avenir de la terre.

    Au sein du monde paysan, le clivage générationnel est assez marqué, au grand désarroi des anciens qui se murent souvent dans un mutisme buté. L'auteur expose avec lucidité les défauts de certains et les projets irréalisables de jeunes utopistes.

    Il rencontre également des militants, qui malgré les obstacles permanents ne baissent pas les bras avec l'espoir d'évoluer vers une agriculture qui permettrait aux paysans de vivre de leur travail, sans détruire le vivant.

    "Il est fatigué d'entendre les parlementaires de Berne rabâcher le même argument depuis trente ans. La Suisse compte 800 000 pauvres, il est impensable d'augmenter les prix dans les supermarchés. "Mais c'est absurde ! Ce n'est pas aux paysans d'assumer le scandale des travailleurs sous-payés, c'est aux grandes surfaces de réduire leurs marges !".

    J'ai aimé la variété des rencontres de l'auteur, ses discussions avec son père et sa famille, l'évocation des générations passées. C'est une lecture très agréable, qui a le mérite d'être claire et de mettre en avant des pistes pour l'avenir.

    Mélange d'anecdotes, d'études, de souvenirs, d'exemples, je suis ressortie de ce livre plus éclairée que je n'y étais entrée.

    L'auteur : Né à Morges en 1978, Blaise Hofmann est l’auteur d'une dizaine de romans et récits de voyage. Il reçoit en 2008 pour Estive le Prix Nicolas-Bouvier au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Ses derniers ouvrages sont Marquises (2014), Capucine (2015), Monde animal (2016), Deux petites maîtresses zen (2021) et Faire paysan (2023).. Chroniqueur dans divers journaux suisses romands, il écrit aussi régulièrement des pièces de théâtre et des livres jeunesse, dont Les Mystères de l’eau (2018) et Jour de Fête (2019). En 2019, il a été l'un des deux librettistes de la Fête des Vignerons.

    Blaise Hofmann - Faire paysan - 224 pages
    Editions Zoé - 224 pages

  • Les ciels furieux

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    "Elle progresse ainsi une heure, elle ne sait pas ce que c'est qu'une heure mais il lui semble avoir couvert une considérable distance, au hasard et peut-être pas. Elle ne marche pas droit. En zigzag avait dit Zelda. La piste est brouillée ou ce sont ses yeux sous ses paupières brûlées qui ne veulent plus rien voir. Il y avait un chemin, il n'y en a plus mais des trouées entre les arbres et de brusques rafales qui dévient tout le corps. Qui punissent. Le courage lui manque, ses chaussettes sont trempées, elle a mal partout".

    Un village, quelque part à l'Est de l'Europe, un shtetl sans doute, au début du XXe siècle, où les juifs sont relégués. Nous n'aurons pas davantage de précisions. Henni, 8 ans, vit là avec sa famille, les Sapojnik. La mère semble souffrir d'une profonde apathie. C'est Zelda, la grande soeur de 10 ans, qui sait tant de choses, qui joue le rôle de la mère. Les bébés continuent à arriver et les filles sont chargées de s'en occuper. Henni est remplie d'admiration et d'amour pour sa soeur. Elle est vive et imaginative.

    La vie se déroule tant bien que mal, malgré les rumeurs inquiétantes qui circulent. Jusqu'au soir où une bande d'hommes surgit dans la maison d'Henni.

    La mère trouve la force de crier à ses enfants de s'enfuir et en quelques minutes l'univers d'Henni est en miettes.

    Nous suivons son errance d'abord dans le sillage de Zelda, et ensuite seule, petite fille ayant perdu tous ses repères, ne comprenant rien à ce qui se passe autour d'elle.

    Tout le talent de l'autrice est d'avoir réussi à rendre crédible l'histoire à hauteur d'enfant, traversée d'émotions violentes, jetée dehors dans le froid et le dénuement, mettant un voile devant ce qu'elle a cru voir, mais ne veut pas croire. La maison a-t'elle vraiment brûlé ?

    Malgré l'horreur de la situation, la lectrice est emportée par l'écriture poétique, imagée, si proche des sentiments et des émotions d'Henni, de son désespoir et de ses sursauts d'espoir.

    J'ai aimé autant le début du livre, qui s'attache à dépeindre une famille traditionnelle dans son quotidien, que la suite à partir de la fuite, d'une tonalité nettement plus sombre, mais toujours vue avec les yeux et le coeur d'Henni.

    Un roman qui a provoqué un maelstrom d'émotions chez moi et une petite fille que je n'oublierai de sitôt. Lu quasiment d'une traite.

    L'avis de Sylire Antigone

    De la même autrice : Grand paradis - Les fleurs d'hiver - Nuit de septembre - Maria - La belle lumière -

    Angélique Villeneuve - Les ciels furieux - 216 pages
    Editions Le Passage - 2023

  • Maisons de verre

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    "Le directeur général Gamache passait ses journées dans la fange, la profanation, la tragédie, la terreur. Puis il rentrait chez lui, à Three Pines. Son sanctuaire. Où il s'asseyait au bistro avec ses amis, ou dans l'intimité de son salon avec Reine-Marie. Henri et la drôle de petite Gracie à leurs pieds. Sains et saufs. Jusqu'à ce que la chose sombre se manifeste. Et refuse de disparaître."

    Treizième enquête d'Armand Gamache, devenu Directeur de la Sûreté à Montréal. Il a fort à faire pour reprendre en main un service corrompu depuis de nombreuses années. Il doit remonter des équipes fiables et solides, d'autant plus que le trafic de drogue s'est intensifié au Québec et nécessite des mesures d'ampleur.

    C'est dans ce contexte difficile que surgit soudain une silhouette noire et masquée au centre du village de Three Pines. Immobile, silencieux, le sinistre personnage ne bouge pas, mettant progressivement les habitants mal à l'aise, Gamache y compris. Il essaie de le faire partir, sans succès, aucune loi n'est enfreinte. Il disparaît la nuit, pour revenir au petit matin.

    Quelques jours passent ainsi, puis un cadavre est découvert dans la cave de l'église du village.

    Je n'en dirai pas plus, sauf que la crise des opioïdes à laquelle Gamache doit faire face et le cadavre du village ont un lien qui finira par être dévoilé.

    Je n'ai pas été très convaincue par l'intrigue, souvent tirée par les cheveux. D'un côté, une légende ressortie d'une époque lointaine, de l'autre Gamache prenant des risques invraisemblables pour contrer les trafiquants de drogue, c'est peu crédible.

    Au bout d'un moment, je me suis laissée quand même embarquer. Ce qui me plaît dans cette série, c'est la vie au village, l'évolution de l'équipe de Gamache, à commencer par Beauvoir, devenu son beau-fils, les habitants de Three-Pines, l'auberge d'Olivier et Gabri etc ...

    Bref, lu sans déplaisir, mais sans doute vite oublié.

    L'avis de Doudoumatous et Eimelle

    Louise Penny - Maisons de verre - 448 pages
    Traduit de l'anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
    Actes Sud - 2023