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Rechercher : deux femmes et un jardin

  • Bon dimanche

    Natalia Kudritskaya est une pianiste ukrainienne. Vous pouvez lire une interview d'elle sur le site de France-Musique.

    Vendredi soir, a été donné un concert de soutien au peuple ukrainien au studio 104 de la Maison de la Radio. Vous pouvez l'écouter ici.

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  • Bon dimanche

    Astrig Siranossian

    Pour en savoir plus sur cette violoncelliste qui mélange traditionnel arménien et musique classique, vous pouvez écouter une émission de France-Musique ici. Un album vient de sortir "Duo Solo".

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    Crédit photo : Antoine Agoudjian

  • Identités croisées

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    "C’est le principe même de ces émissions. Tu n’as jamais regardé ? On prend des jeunes gens malléables qui rêvent de gloire et on les manipule comme on veut. C’est open bar. On les fait boire. On crée des situations toxiques. Chaque participant, alors qu’il manque déjà de confiance en lui, passe par une essoreuse émotionnelle, et aucun n’est équipé pour ça."
     
    Retrouvailles avec Wilde, découvert dans "L'inconnu de la forêt". Le personnage est toujours sympathique, malgré son côté sauvage et sa manie de disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles.
     
    Dans le premier épisode, il hésitait à poursuivre une recherche ADN sur un site spécialisé. Cette fois-ci il se lance pour essayer de savoir qui a bien pu l'abandonner dans la forêt lorsqu'il avait 5-6 ans. J'ignorais tout de ce genre de recherche et c'est assez intrigant à suivre.
     
    L'enquête se complexifie assez rapidement, avec une multitude de personnages et plusieurs intrigues menées de front. Une piste l'emmène dans le monde de la téléréalité, écoeurant au possible et au coeur de multiples combines sordides.
     
    Il tombe également sur un mystérieux groupe de justiciers du web, déterminés à punir tous ceux qui ont détruit la réputation, voire la vie de quelqu'un sur la toile. Ça fait beaucoup de pistes, mais avec un peu d'attention, on s'y retrouve.
     
    Bien entendu les morts s'accumulent, il est question d'un tueur en série. On se demande comment les liens vont se faire avec toutes ces intrigues. J'avoue qu'à la fin je n'avais pas vu le coupable venir.
     
    Côté sentimental, Wilde entretient toujours une liaison avec Laïla, la veuve de David, qui était son meilleur ami. La situation évolue enfin, un peu grâce à Matthew, le fils de Laïla, laissant supposer une stabilisation dans la vie de Wilde. 
     
    Le plus captivant est sa recherche de parenté ; une partie du voile se lève sur ses ascendants, mais pas tout. Ce qui promet un troisième opus, que je lirai parce que je suis suffisamment curieuse.
     
    J'oubliais Hester, avocate, (et grand-mère de Matthew) toujours là dès que Wilde s'est fourré dans le pétrin. Partagée entre son nouvel amoureux et sa déontologie, elle nous vaut quelques pages combatives et réjouissantes.
     
    J'ai préféré nettement ce deuxième opus au premier de la série. Le rythme est plus nerveux. L'intérêt principal c'est Wilde et là, tout est centré sur lui, son passé dont il a tout oublié, et l'intérêt ou pas, de rechercher une parentèle. Ce n'est pas un super héros, mais un homme qui cherche à vivre au mieux avec son histoire et son entourage.
     
    C'est un roman qui se lit facilement, avec un suspense constant et des personnages attachants. Vous pouvez le lire indépendamment du premier.
     
    L'avis de Brize
     
    Harlan Coben - Identités croisées - 400 pages
    Traduit de l'américain par Roxane Azimi
    Editions Belfond - 2022
  • Eden

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    "Parfois, au milieu d'une conversation, un détail vient me déconcerter et mon esprit vagabonde, je perds le fil parce que je m'arrête sur un mot précis et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je fais défiler son origine, ses déclinaisons, les mots de la même racine et ses synonymes. C'est ce qui s'est produit ce matin quand Álfur m'a dit que ce serait plus malin de faire d'une pierre deux coups, construire une centrale électrique aux abords de la rivière et utiliser son eau pour fabriquer des glaçons, c'est là que mon voisin a prononcé deux fois le mot forsendur, prérequis, dans le discours qu'il nous tenait à son chien Snati et à moi".

    Linguiste, Alba rentre d'un colloque sur les langues minoritaires à l'étranger. Une idée soudaine lui fait calculer combien d'arbres elle devrait planter pour compenser son empreinte carbone (5600). Elle voyage beaucoup en avion.

    Elle est aussi correctrice et est sollicitée par une éditrice pour relire les poèmes d'un jeune auteur qui change de titre et d'idée presque tous les jours.

    En Islande, elle retrouve son père, son appartement à Reykjavík, les coups de fil de sa soeur Betty, la voix de la raison, qu'elle n'écoute guère.

    Alba donne l'impression d'aller un peu dans tous les sens mais en réalité elle poursuit son projet de planter des arbres et achète une maison délabrée dans un coin isolé, avec un terrain de sable noir et de lave où rien n'est censé pousser.

    Comme toujours avec cette autrice, les personnages sont légèrement décalés, loufoques, mais tellement humains. Les laissés-pour-compte de la société n'y sont jamais oubliés. Ici, ce sont les réfugiés accueillis par l'Islande, déroutés par le climat et la difficulté de la langue.

    Elle prend sous son aile un de ces jeunes réfugiés, Danyel, qui se plaît chez elle et va l'aider dans ses plantations. A la demande du village le plus proche Alba va donner des cours de langue.

    Je me suis demandée un bon moment où allait ce roman, mais ce n'est pas l'essentiel ; ce qui touche c'est la description d'une petite communauté villageoise qui va s'intéresser aux travaux linguistiques d'Alba, curieuse de connaître mieux cette nouvelle voisine.

    Peu à peu, la nouvelle vie d'Alba s'organise, avec l'aide plus ou moins discrète de son père et la présence de Danyel, le seul réfugié prêt à rester en Islande.

    Le style inimitable de l'autrice fait de cette lecture un petit délice, grâce aux personnages plus attachants les uns que les autres. Alba suit sa route, ne contrarie personne mais n'en pense pas moins. Elle s'obstine, malgré les remontrances de sa soeur et les prédictions d'échec de son voisin éleveur.

    Un roman à savourer et comme d'habitude les belles couvertures de Zulma.

    "Je précise que je ne vis pas dans la maison, mais à Reykjavík. Il me demande ce que je fais dans la vie, j'enseigne la linguistique à l'université. Je me tiens au côté d'un jeune homme qui a traversé un océan blanc d'écume et va une fois par semaine consulter un psychologue pour parler de ce qu'on ressent quand on a survécu à des évènements qui mettent votre âme en péril mortel. Il veut être loin des vagues, des cris des oiseaux marins en quête de pitance et ne s'intéresse pas à cette immensité bouillonnante et salée qui ne prend fin qu'à l'horizon".

    Merci à Masse Critique et aux Editions Zulma

    L'avis de Keisha Sandrion Cathulu

    Je signale qu'Auður Ava Ólafsdóttir sera présente à Caen le 19 Novembre 2024, dans le cadre du festival des Boréales.

    Auður Ava Ólafsdóttir - Eden - 256 pages
    Traduit de l'Islandais par Eric Boury
    Editions Zulma - 2023

  • Proust, roman familial

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    "A la manière d'un amputé qui, longtemps après l'opération, sent toujours son membre fantôme, le monde familial de mon enfance vivait figé dans la conscience intacte de sa supériorité sociale. Etymologiquement, aristocrate signifie "le pouvoir des meilleurs". Admettre que la noblesse avait perdu son prestige et ne constituait plus l'élite, c'eût été céder à l'inimaginable : l'aveu d'un déclassement. Il ne suffisait donc pas de se tenir, il fallait désormais maintenir coûte que coûte un univers, un décor, un mode d'existence devenus étrangers aux réalités contemporaines et sans rapport avec le siècle".

    Je connais Laure Murat de nom, j'ai souvent suivi ses interventions à la radio à propos de ses précédentes parutions, mais à vrai dire je ne m'étais jamais interrogée sur ses origines sociales.

    J'ai donc appris à la faveur de "Proust, roman familial" qu'elle était aristocrate et que le monde décrit par Proust était mêlé au sien de plus d'une manière.

    "Limité au surgissement de noms familiers dans le cadre d'un roman, le trouble de ma lecture serait resté anecdotique. Mais le plus sidérant, c'était que toutes les scènes lues où l'aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes vécues dont j'avais été le témoin, comme si Proust, à l'image du Dr Frankenstein, élaborait sous mes yeux le mode d'emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j'étais née".

    Dans cet essai, Laure Murat mélange histoire personnelle et épisodes de "la recherche" avec finesse et un humour souvent vachard très réjouissant.

    Après avoir décrit sa jeunesse, son éducation, campé les membres de sa famille, elle n'hésite pas à affirmer "A ce titre, il ne serait pas exagéré de dire que Proust m'a sauvée".

    Je n'ai pas lu "la recherche" (après deux essais ratés) et je l'ai ressenti clairement comme un handicap au fur et à mesure de mon avancée. Je pense être passée à côté du coeur du livre. Lorsqu'elle rapproche certains membres de sa famille des personnages de Proust, longs extraits à l'appui, je me suis sentie plutôt perdue.

    Je ne me risquerai donc pas à parler de cet aspect du livre. Il n'en reste pas moins que j'ai eu plaisir à découvrir le parcours de Laure Murat, dont la révélation de l'homosexualité à sa famille a acté une rupture irrémédiable. L'attitude de sa mère notamment fait froid dans le dos.

    La description de ce berceau familial me confirme que nous vivons dans le même pays mais sûrement pas dans le même monde. J'ai beaucoup apprécié le style de Laure Murat. Si elle passe dans votre région, n'hésitez pas à aller l'écouter, comme je l'ai fait moi-même à l'automne, au salon du livre de Trouville, c'est un régal.

    "Même les relations censément les plus simples sont marquées par l'idée - en partie inconsciente - d'appartenir à une caste modèle, qui exige d'être toujours à la hauteur et de montrer l'exemple. C'est un jeu de rôles permanent. Un aristocrate jouera à l'aristocrate dans la moindre de ses actions, en remerciant un serveur, en saluant une connaissance, en se montrant généreux ou distant. L'aristocrate est, par excellence, quelqu'un qui se prend pour un aristocrate".

    C'est une lecture commune avec Miriam et ClaudiaLucia, qui vont avoir bien plus à dire que moi sur "la recherche" puisqu'elles ont organisé un challenge sur une relecture complète.

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    L'avis de Dasola Luocine Dominique Keisha

    Laure Murat - Proust, roman familial - 256 pages
    Editions Robert Laffont - 2023

  • Rien ni personne

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    "A la fin de l'audience de conciliation, la juge avait débité son discours en soulignant que monsieur apparaissait comme un personnage imprévisible et violent au passé de délinquant multirécidiviste, sans emploi à ce jour, squattant une caravane et venant de se faire retirer son permis pour conduite en état d'ivresse et qu'au vu de ces éléments, l'enfant serait confié à sa mère. Dans sa grande magnanimité, elle accordait au père un droit de visite sans hébergement un dimanche sur deux de dix heures à dix-huit heures, en attendant que monsieur trouve un logement digne de ce nom pour accueillir l'enfant".

    Voilà un court roman qui cogne fort sur un sujet pas si souvent abordé, l'amour paternel. Le père, Dylan, qui est le narrateur, a multiplié les bavures et les mauvais choix. Il a beau savoir qu'il est enclin au pétage de plombs, il a l'art de se fourrer dans des situations sans issue.

    Nous faisons sa connaissance alors qu'il est interné en hôpital psychiatrique après un accès de violence. Bourré de médicaments, il a l'esprit encore moins clair que d'habitude lorsqu'il apprend que Clara, son ex-compagne a l'intention de déménager à l'autre bout du pays, emmenant Nino, leur fils de deux ans avec elle. C'est pour lui la certitude de ne plus le voir et c'est intolérable.

    Dès lors se met en route une chaîne de réactions qui ne s'arrêtera plus. Dylan réussi à se faire la belle de l'hôpital et récupère son fils, l'entraînant dans une cavale qui ne pourra que mal se terminer.

    Son amour pour son fils est incommensurable, la seule belle chose qui lui soit arrivée dans la vie. Il a cru un moment pouvoir vivre une vie de famille normale avec Clara, mais c'était sans compter sur les propres problèmes de celle-ci, droguée, instable, manipulatrice. La première année de Nino, c'est Dylan qui s'en est complètement occupé, Clara n'étant pas en étant de le faire.

    C'est une histoire très réaliste, le langage est direct, Dylan n'a pas les mots qui lui permettraient peut-être de réagir autrement. En s'enfuyant, il sait que son geste est désespéré, qu'il va être poursuivi, mais il va de l'avant, dominé par sa souffrance et le besoin de son enfant.

    Je ne vous cache pas qu'en pressentant la fin, j'ai ralenti ma lecture, freinant des quatre fers en espérant me tromper. Mais quel choix la société a-t'elle laissé à Dylan tout au long de sa vie ? Je me suis souvenue avoir eu les mêmes réflexions à la lecture de "Bord de mer" de Véronique Olmi.

    En refermant le livre, reste un certain nombre de questions, assez vertigineuses autant d'un point de vue personnel que collectif.

    Ludovic Joce - Rien ni personne - 146 pages
    Editions du Jasmin - 2022

  • Solak

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    "Si on a la chance de ne pas crever de froid ou dans une crevasse, l'autre danger blanc, plus rare, mais qu'il faut pas oublier quand même, c'est le Pater. L'ours blanc. Mâle ou femelle, c'est pareil. Sur Solak, on sort jamais sans son fusil, jamais. Attention, ça veut pas dire qu'il faut forcément lui tirer dessus. Si tu le croises, t'attends de voir comment ça se passe. Parfois ils cherchent juste leur chemin, ils te regardent avec leur tête de faux nounours mais de vrais carnivores et puis ils font demi-tour, ils te snobent de leur gros cul dédaigneux."

    Voici un premier roman marquant, surtout à cause du style, rude, direct, en phase avec l'histoire. Un huis-clos de quatre hommes sur un bout de terre inhospitalière, Solak, presqu'île balayée par les vents, au nord du cercle polaire arctique, dans la nuit totale plusieurs mois par an.

    Qui sont ces hommes ? Trois sont soldats, chargés simplement de garder un drapeau marquant l'appartenance du territoire. Si l'armée les a envoyés là, c'est qu'il valait mieux qu'ils se fassent oublier un bon moment. Seul le quatrième sait qu'il repartira au bout d'un an. C'est un scientifique, Grizzli, en mission écologique.

    L'histoire commence au moment de la rotation annuelle de l'hélicoptère chargé du ravitaillement. Il repartira avec le corps d'Igor qui n'a pas résisté au climat et à la solitude de Solak. Pour le remplacer, débarque un jeune soldat à l'air fragile et fermé, de surcroît muet.

    Le narrateur, Piotr est le plus ancien sur place, vingt ans déjà et il ne souhaite pas retourner un jour vers "les terriens". Il sait qu'il est condamné à rester ici. Le deuxième soldat, Roq est une brute, un être sans état d'âme, qui aime tuer les animaux et cherche régulièrement querelle aux autres.

    Le nouveau venu les intrigue tous, c'est encore un gosse, qu'a-t'il pu faire pour atterrir ici ? Sur ce bout du monde, entre les tâches indispensables, les quatre hommes se retrouvent dans le bâtiment commun où il fait chaud, où chacun met la main à la cuisine et aux corvées. Ils disposent aussi d'une pauvre baraque individuelle où ils dorment et se réfugient quand ils ne se supportent plus.

    L'arrivée de la jeune recrue tend rapidement l'atmosphère. Roq le regarde de travers, ne supporte pas son mutisme, ni de le voir noircir les pages de son carnet. Seul Grizzli le scientifique garde son calme et croit encore en l'humanité.

    Dès le début, une tension s'installe, qui ira en s'intensifiant, ne lâchant plus le lecteur, captivé par la description des éléments, du contexte, de l'oppression de la nuit interminable. Chacun fait des efforts pour ne pas faire exploser la situation, sauf Roq, et l'histoire va irrémédiablement vers la violence et le drame.

    J'ai été très vite embarquée dans ce huis-clos étouffant, à l'écriture à l'os, où l'environnement a autant d'importance que les personnages. Pour un premier roman, c'est noir, sombre mais assez magistral.

    J'ai juste un bémol sur la fin. En quelques pages les révélations pleuvent, il y en a un peu trop à mon goût, surtout une que j'ai trouvée moins crédible. Que cela ne vous empêche pas de le lire, l'ensemble se tient fort bien.

    Caroline Hinault - Solak - 128 pages
    Editions du Rouergue - 2020

  • Le sanctuaire

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    "Je rejoins la rivière, me débarbouille le visage. Le vacarme de l'eau recouvre mes pensées. C'est exactement ce dont j'ai besoin. Me perdre dans quelque chose de plus grand, un flux sans fin, capable de venir à bout des rocs et des montagnes, une eau qui sache conserver la trace des temps anciens, ère de fougères géantes et de reptiles volants, temps que les glaciers ont gardé intact, preuve que le monde restera monde malgré l'homme et ses cataclysmes, et qu'à l'image des dinosaures nous devrions nous en tenir à cette vérité première : nous ne sommes pas grand chose sur Terre".

    Le sanctuaire, c'est un coin de nature coupé du monde, où s'est réfugiée une famille fuyant une pandémie qui s'est répandue par les oiseaux. Il y a le père, le seul qui s'aventure à l'extérieur pour se ravitailler, la mère et les deux filles, June qui a connu l'autre monde et Gemma qui est née dans le sanctuaire.

    Gemma est une adolescente intrépide, adaptée à cette vie sauvage, adorant chasser avec son père et fournissant son lot de viande à la famille. Le père est dur, décide de tout, corrige rudement, mais sait aussi protéger et bricoler ce qui peut servir à leur subsistance. La mère est plus effacée, douce, nostalgique de leur ancienne vie. Elle en parle souvent et essaie de faire comprendre à Gemma de quoi elle était faite. Une ville, le bord de mer, les sorties, les cafés, les théâtres, les amis .. bien difficile à imaginer pour l'ado.

    A chaque sortie du père hors du sanctuaire, la mère espère qu'il va ramener de bonnes nouvelles, un retour possible .. hélas ce n'est jamais le cas et le père continue à tirer impitoyablement sur tout oiseau qui s'aventure dans leur espace.

    Le statu-quo pourrait durer indéfiniment s'il n'y avait pas la curiosité et la vivacité de Gemma. Mettre le pied à la limite du sanctuaire, aller juste un peu trop loin, suffit à instiller un doute sur ce qu'il y a de l'autre côté. Une rencontre avec un curieux bonhomme et un aigle magnifique va faire basculer la confiance inébranlable accordée au père.

    Je n'en révélerai pas plus sur l'histoire qui reprend un peu la trame du roman précédent "Une immense sensation de calme". 

    Ce qui m'a le plus emportée c'est l'écriture si particulière de l'autrice, splendide, et son talent pour inventer un monde où la frontière entre l'humain et l'animal n'est plus si nette.

    L'histoire n'est pas désincarnée pour autant, la famille se heurte à des fonctionnements bien terre-à-terre. Un père tyrannique, une mère trop passive en dépit des déclarations d'amour à ses filles, deux soeurs oscillant entre leur complicité et des différences qui les séparent.

    Le drame se profile, inéluctable, libérant une violence sous-jacente impossible à arrêter en même temps qu'un espoir peut-être ..

    C'est difficile de rendre justice à un roman aussi original, touchant à plusieurs genres, installant un suspense de plus en plus fort et faisant appel à l'imaginaire sans s'y égarer.

    Vous avez compris que je conseille sans réserve.

    L'avis de Ariane Cathulu Krol

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    Laurine Roux - Le sanctuaire - 147 pages
    Editions du Sonneur - 2020

  • Le lac de nulle part

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    "Ce givre qui pare de dentelle blanche notre campement, chaque jour plus isolé que le précédent, et fait crisser mes pas au réveil, ce givre où je vois des empreintes de cerfs, d'écureuil et d'animaux minuscules, des souris peut-être - autant de choses sympathiques, si nous avions une cabane où nous réfugier, un feu rugissant dans un âtre en pierre, des raquettes aux murs, une peau d'ours sur le plancher - ce givre, vient un jour où je ne peux plus l'ignorer."

    Jusqu'à présent, je n'ai lu que de la non-fiction de l'auteur "Indian Creek" et "La nuit des étoiles" C'est donc la première fois que je l'aborde en tant que romancier.

    Al et Trig, deux jumeaux fusionnels sont contactés par leur père après deux ans de silence. Il leur propose une dernière virée en canoë comme ils en ont fait tant toute leur enfance. Il est un peu tard dans la saison pour partir dans le nord du Canada, mais ils acceptent, pensant que leur père a tout organisé au cordeau, comme d'habitude.

    Le père refuse de leur révéler le but exact du voyage, si ce n'est qu'ils vont franchir une succession de lacs. Ils le suivent dans un flou de plus en plus dérangeant. Ils s'aperçoivent qu'en fait, le vieil homme n'a rien préparé, n'a pas de cartes, pas de bagages adaptés et que ses réactions sont déroutantes.

    Les jumeaux ne se sont pas vus depuis un bon moment. Trig vient de perdre son travail et son logement. Il ne l'a avoué qu'à sa mère. Tout va bien pour Al, hormis une vie sentimentale toujours aussi agitée. Les tensions sont palpables, il manque Dory, séparée du père qui est parti du jour au lendemain. Il plane une ambiance assez lourde, avec une répartition entre deux canoës parfois problématique.

    C'est Trig le plus inquiet, comme toujours, il sent le froid arriver, les premières neiges tomber et l'indécision du père est alarmante. Le camp du soir est de plus en plus difficile à installer, le malaise grandit entre les trois personnages.

    Je peux dire d'emblée que je n'ai pas été convaincue par cette histoire. Les liens entre les protagonistes ne sont pas clairs, on sent de la rancoeur, voire plus, mais aussi un attachement et une confiance pas forcément justifiée vis-à-vis du père.

    Au milieu du livre, un évènement va reconfigurer la situation et faire prendre un tournant à l'aventure. Les jumeaux vont faire demi-tour et tracer leur route avec de plus en plus de difficultés. En plus du froid et de la neige, c'est la glace qui s'installe.

    Ce n'est pas nécessaire d'en révéler plus. J'attendais surtout l'auteur sur la description de la nature où il excelle. Je n'ai pas été déçue sur cette partie là, sauf que les répétitions m'ont rapidement lassée. Un lac après l'autre, installer le camp, faire chauffer la casserole pour le café, monter la tente, trouver du bois, faire du feu ... puis rebelote le matin dans l'autre sens. Et trouver le passage d'un lac à l'autre, le portage des canoës, tout cela minutieusement décrit à chaque fois .. à la fin j'avais une indigestion de lacs et de bivouacs.

    Quand à l'intrigue, elle est un peu trop chargée à mon goût et la fin m'a laissé un certain malaise.

    A l'avenir, je m'en tiendrai à de la non-fiction avec cet auteur.

    L'avis de Violette Une Comète

    Pete Fromm - Le lac de nulle part - 448 pages
    Traduit de l'américain par Juliane Nivelt
    Editions Gallmeister - 2022

  • Quatre saisons à Mohawk

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    "Au Grill, je faisais quasiment partie des meubles, on ne faisait pas attention à moi et c'était à mon avantage. J'étais à la fois invisible et doué d'ubiquité pour les clients de la fin de l'après-midi, qui ne mâchaient pas toujours leurs mots devant moi. Il fallait vraiment qu'ils crient "merde", "chier", "con", pour se rappeler ma présence. Et ils étaient du genre à jurer d'abord, et à regarder ensuite. Alors ils plaisantaient : "T'as rien entendu, Ptit Sam, hein ?" Peu se souvenaient de mon nom et, dans ce cas, c'était la version Wussy. Parfois Harry marmonnait que : "Putain, c'est pas un endroit pour un môme, ici." A qui la faute répondait mon père."

    J'en suis à ma dixième lecture de Richard Russo et pas de déception jusqu'à présent, même si ce roman-ci m'a un peu pesé à cause de la tristesse qui le domine.

    Nous retrouvons un univers familier, celui des laissés-pour-compte d'une petite ville américaine imaginaire, Mohawk dont la prospérité est derrière elle. L'histoire est racontée par Ned, surnommé "Ptit Sam" un gamin balloté entre un père et une mère aussi défaillants l'un que l'autre, chacun à leur manière.

    Ils l'aiment leur fils, mais les circonstances de la vie les laissent sur le côté, incapables d'affronter leurs responsabilités comme ils le devraient.

    Au retour de la guerre, la mère n'a pas retrouvé l'homme qu'elle avait aimé. Il a changé et s'adonne à l'alcool et au jeu. De fil en aiguille elle demande le divorce, que Sam refuse de lui accorder, la harcelant et la menaçant, allant jusqu'à casser la figure à son avocat.

    Ned et sa mère vivent dans l'angoisse du surgissement du père à tout moment pendant des années. Rien n'est vraiment expliqué à Ned, qui se fait une idée de ce qui se passe dans un certain brouillard. Il voit sa mère dépérir de mois en mois. Jusqu'au moment où elle sombrera dans une profonde dépression et sera hospitalisée pour longtemps.

    Par la force des choses, Ned est récupéré par son père. Sa vie va changer du tout au tout. Plus de règles, un appartement précaire, la solitude des soirées, en sachant Sam dans un des bars de la ville, en compagnie de copains plus folkloriques et infréquentables les uns que les autres.

    Les saisons passent, Ned se débrouille comme il peut avec ce père atypique, qui peut disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles. Le gamin grandit, se forge une carapace, fait pas mal de bêtises.

    J'ai tracé seulement les grandes lignes du roman, qui est foisonnant, plein de personnages hauts en couleurs, truffés d'évènements tragi-comiques relatés par le menu et c'est là que l'auteur nous piège et nous fait tourner les pages avec gourmandise. J'ai évoqué la tristesse, mais il y aussi un humour vache permanent qui fait mouche et allège le reste.

    Le coeur du roman est la relation difficile père-fils. Ned ne mâche pas ses mots vis-à-vis de son père, mais on sent au fil du temps la tendresse mutuelle, même s'ils ne peuvent le reconnaître ni l'un ni l'autre.

    Ma découverte de l'auteur va se poursuivre, j'ai encore quelques titres devant moi.

    L'avis de Keisha

    Richard Russo - Quatre saisons à Mohawk - 602 pages
    Traduit par Jean-Luc Piningre
    10/18 - 2007