Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : deux femmes et un jardin

  • Vue cavalière

    vue-cavalic3a8re.jpg

    "Peut-être même suis-je à l'origine de ce qui est arrivé à la vieille dame, encore que Ruth m'assure qu'on ne peut reprocher à qui que ce soit les attaques et crises cardiaques d'une personne approchant des cent ans. N'empêche, c'est plutôt troublant. La voilà qui arrive à pas comptés, soutenue par son orgueil et la volonté de tenir son rôle de matriarche devant sa petite-fille et les amis de celle-ci, et paf, un des amis en question prononce le nom fatal, de la fumée s'élève, une odeur de soufre remplit la pièce, les belles dames se muent en créatures à groin, les assiettes se mettent à grouiller d'anguilles vivantes".

    Commencer un roman de Wallace Stegner, c'est la promesse d'un excellent moment de lecture. D'autant plus que dans celui-ci, nous retrouvons le personnage de Joe Allston, déjà rencontré dans "La vie obstinée".

    Retiré dans la campagne californienne avec Ruth, son épouse, Joe grommelle en constatant tous les jours les ravages de la vieillesse. Son regard sur la vie est sombre et caustique et Ruth s'efforce de l'en distraire comme elle peut. Il rumine toujours la mort prématurée de leur fils unique, Curtis, et son impuissance à le comprendre et à l'aider.

    Joe était agent d'écrivains. La visite fortuite d'un de ses auteurs,  Italien volubile et en pleine forme, le renvoie encore plus à sa propre inertie. C'est alors qu'il tombe fortuitement sur un journal intime qu'il avait tenu en 1954 lors d'un voyage au Danemark, pays d'origine de sa mère.

    Ruth lui demande de le lire à voix haute tous les soirs pour confronter leurs souvenirs de ce voyage. C'est l'occasion d''approfondir quelques non-dits entre eux et pour Joe, comparer l'homme qu'il voulait être à l'époque à celui qu'il est devenu.

    J'aime toujours autant l'impitoyable auto-dérision dont fait preuve Joe et ses questionnements existentiels. Pendant ce séjour danois, il ne sera pas indifférent au charme de la comtesse Astrid Wredel-Krarup, aristocrate rejetée par tout son milieu. Nous finirons par savoir pourquoi. Cet intermède danois ancien tient une grande place dans l'histoire.

    J'ai savouré ce roman qui décrit les sentiments des personnages avec subtilité et délicatesse. Joe est plus tendre qu'il ne veut bien se l'avouer. L'attitude de Ruth est souvent empreinte de sollicitude, ce qui ne l'empêche pas d'envoyer promener Joe lorsqu'il exagère dans son numéro de raté irrécupérable. En résumé, un vieux couple solidement soudé, malgré les faux-pas et les drames de la vie.

    Un écrivain indispensable à votre bibliothèque.

    "J'ai parcouru quelques unes des questions, puis j'ai jeté le tout dans la cheminée. Encore une de ces études socio-psycho-physiologiques menées par informatique dont les conclusions sont déjà connues de toute personne au-dessus de cinquante ans. Qui a jamais douté que l'amour-propre des vieux en prend un coup dans une société qui montre de trente-six façons possibles qu'elle ne leur accorde aucune valeur et les tient pour une source de dépenses et de tracas, dans une société qui se rit de leur expérience, se défausse de leurs problèmes, les parque dans des hospices et d'une manière générale les ignore, sauf pour solliciter leurs suffrages, ou leur arracher leur sac à main et le montant de leur pension ? Une société qui possède l'effrayante capacité de les regarder droit dans les yeux sans jamais les voir."

    L'avis de Sandrion

    Wallace Stegner - Vue cavalière - 304 pages
    Traduit de l'américain par Eric Chedaille
    2011 - Libretto

  • Tenir sa langue

    panassenko-article.jpg

    "Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins."

    Pauline s'est aperçue tardivement que son prénom de naissance, Polina, n'apparaissait pas sur ses papiers officiels. C'est lors de son arrivée en France que son prénom a été francisé, de manière définitive. Or, son prénom est relié à l'histoire de sa grand-mère juive, donc précieux pour elle.

    "À la naissance de mon père, ma grand mère a changé son prénom. Elle l’a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l’était pas. Sur l’acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina".

    Elle va entamer des démarches pour récupérer son prénom, mais c'est compter sans l'absurdité de certaines règles et la rigidité de l'administration française.

    C'est ce parcours du combattant qu'elle nous raconte ici, entremêlé de souvenirs autant en Russie qu'en France, son arrivée à Saint-Etienne, ses premiers pas à la maternelchik, où sa mère l'emmène pour qu'elle apprenne le français rapidement. Mais attention, il n'est pas question de perdre le russe.

    "Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier œuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. Le flux migratoire: les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange".

    Il y a aussi les grands-parents en Russie, le grand-père qui ne peut pas s'empêcher de demander à chaque fois qu'est-ce qui est le meilleur pays, la Russie ou la France, les séjours à la datcha en été, la tiota qui est juive quand ça l'arrange.

    La petite fille essaie de jongler comme elle peut entre ces deux univers, ces deux langues ; elle le raconte avec drôlerie et légèreté. Malgré tout, on se dit que ça n'a pas dû être facile tous les jours ces allers-retours entre deux langues et deux cultures.

    Et puis, l'univers kafkaïen de la justice pour récupérer Polina, les visites codifiées au tribunal, j'ignorais que c'était aussi difficile.

    Une lecture agréable, qui fait réfléchir et donne un éclairage touchant sur une double culture et un milieu familial. J'aurais aimé que la réflexion aille un peu plus loin, le ton reste assez léger tout au long, mais j'ai pris plaisir à cette lecture.

    L'avis de Tête de lecture Alex Delphine-Olympe Doudoumatous

    Polina Panassenko - Tenir sa langue - 192 pages
    Editions de l'Olivier - 2022

  • Les ciels furieux

    Les ciels furieux.jpg

    "Elle progresse ainsi une heure, elle ne sait pas ce que c'est qu'une heure mais il lui semble avoir couvert une considérable distance, au hasard et peut-être pas. Elle ne marche pas droit. En zigzag avait dit Zelda. La piste est brouillée ou ce sont ses yeux sous ses paupières brûlées qui ne veulent plus rien voir. Il y avait un chemin, il n'y en a plus mais des trouées entre les arbres et de brusques rafales qui dévient tout le corps. Qui punissent. Le courage lui manque, ses chaussettes sont trempées, elle a mal partout".

    Un village, quelque part à l'Est de l'Europe, un shtetl sans doute, au début du XXe siècle, où les juifs sont relégués. Nous n'aurons pas davantage de précisions. Henni, 8 ans, vit là avec sa famille, les Sapojnik. La mère semble souffrir d'une profonde apathie. C'est Zelda, la grande soeur de 10 ans, qui sait tant de choses, qui joue le rôle de la mère. Les bébés continuent à arriver et les filles sont chargées de s'en occuper. Henni est remplie d'admiration et d'amour pour sa soeur. Elle est vive et imaginative.

    La vie se déroule tant bien que mal, malgré les rumeurs inquiétantes qui circulent. Jusqu'au soir où une bande d'hommes surgit dans la maison d'Henni.

    La mère trouve la force de crier à ses enfants de s'enfuir et en quelques minutes l'univers d'Henni est en miettes.

    Nous suivons son errance d'abord dans le sillage de Zelda, et ensuite seule, petite fille ayant perdu tous ses repères, ne comprenant rien à ce qui se passe autour d'elle.

    Tout le talent de l'autrice est d'avoir réussi à rendre crédible l'histoire à hauteur d'enfant, traversée d'émotions violentes, jetée dehors dans le froid et le dénuement, mettant un voile devant ce qu'elle a cru voir, mais ne veut pas croire. La maison a-t'elle vraiment brûlé ?

    Malgré l'horreur de la situation, la lectrice est emportée par l'écriture poétique, imagée, si proche des sentiments et des émotions d'Henni, de son désespoir et de ses sursauts d'espoir.

    J'ai aimé autant le début du livre, qui s'attache à dépeindre une famille traditionnelle dans son quotidien, que la suite à partir de la fuite, d'une tonalité nettement plus sombre, mais toujours vue avec les yeux et le coeur d'Henni.

    Un roman qui a provoqué un maelstrom d'émotions chez moi et une petite fille que je n'oublierai de sitôt. Lu quasiment d'une traite.

    L'avis de Sylire Antigone

    De la même autrice : Grand paradis - Les fleurs d'hiver - Nuit de septembre - Maria - La belle lumière -

    Angélique Villeneuve - Les ciels furieux - 216 pages
    Editions Le Passage - 2023

  • Le cimetière de la mer

    Le cimetière de la mer.jpeg

    "La Norvège est, certes, un pays où il fait bon vivre, cela ne signifie pas qu'il ne s'y passe pas des choses guère reluisantes. La Norvège officielle n'aime pas les histoires qui écornent son image irréprochable. Ce qui pourrait être le cas si nous racontions réellement ce qu'il se passe sur le terrain lors de nos opérations à l'étranger. Ou quoi que ce soit qui écorne l'image de nos grands héros de la Résistance pendant la guerre, comme ta grand'mère a essayé de le faire. Tu es une archiviste, Sasha. Tu fouilles le passé. Mais es-tu vraiment prête à affronter les conséquences que pourraient avoir les recherches que tu mènes sur ta propre famille."

    Ce foisonnant roman norvégien commence par le suicide de Vera, l'aïeule de la famille Falck, puissante et influente. 

    Que s'est-il passé pour qu'elle en arrive à ce geste extrême ? Sa petite-fille préférée, Sasha, n'aura de cesse de creuser l'histoire de la famille pour comprendre l'origine de ce suicide, au risque de déterrer des secrets dangereux.

    La famille Falck est composée de deux branches qui ne se fréquentent guère. Celle de Thor, remarié avec Véra, dont le fils, Olav a fait fructifier la fortune familiale et celle de Hans, issue du premier mariage de Thor et nettement plus désargentée.

    Olav a créé une Fondation, la SAGA, centre d'archives chargé de diffuser et maintenir la mémoire de la résistance norvégienne pendant la deuxième guerre mondiale, où Thor s'est illustré. Sasha en est la directrice.

    Hans est le gauchiste de la famille, c'est un médecin humanitaire qui a parcouru les points chauds de la planète et est un fin connaisseur des dessous de la politique. Inutile de préciser qu'il n'a pas grand-chose en commun avec Olav.

    Les ennuis sérieux vont commencer avec la disparition du testament de Véra et la révélation de son passé de romancière. Un manuscrit a également disparu, intitulé "le cimetière de la mer", texte explosif qui aurait pu attenter à la réputation de la Norvège s'il avait été édité, rien que cela !

    Ce qui caractérise cette saga familiale c'est l'abondance d'intrigues et de rebondissements au fil de l'enquête de Sasha. Nombre de ses certitudes s'effondreront et bouleverseront profondément sa vie.

    La recherche de la vérité opposera Sasha à son père Olav, qui l'exhorte à laisser le passé à sa place. Pour avancer, Sasha choisira de s'allier à la branche rivale, celle de Hans et à un curieux personnage, Johnny Berg ex-agent secret des services norvégiens avec qui il a des comptes à régler.

    L'auteur a un don indéniable pour lier des intrigues complexes et nouer des fils à première vue improbables. Je me suis quelquefois égarée dans les explications, sans que ce soit très gênant. J'ai beaucoup appris sur l'histoire de la Norvège pendant la seconde guerre mondiale et les compromissions de certains avec l'Allemagne nazie.

    Par contre, j'ai été dérangée par les extraits du manuscrit de Véra, qui nous est présenté comme un roman exceptionnel et que j'ai trouvé banal et plat, sans style. J'avais hâte de revenir à la partie contemporaine.

    En conclusion, un roman touffu qui tient en haleine, mais assez loin du coup de coeur. Je suis moins convaincue que Delphine-Olympe. Il semblerait qu'il y ait une suite de prévue.

    pays-scandinaves-drapeaux.png

    Aslak Nore - Le cimetière de la mer - 512 pages
    Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
    Le Bruit du Monde - 2023

  • Maritimes

    grasset

    "En fin d'après-midi, le bateau était reparti et Benjamin était resté. Il faut se remettre dans l'ambiance de cette époque difficile. Chacun savait ce qui se passait sur le continent, le pays était empêtré dans la dictature, aussi par prudence nous avons décidé de ne poser aucune question à cet inconnu que la mer nous avait envoyé. Benjamin à travers les fenêtres du café avait regardé le bateau s'éloigner. Je me trouvais là, je me souviens".

    Une île quelque part en Méditerranée, une population de pêcheurs soudés, se souvenant du temps lointain où ils parlaient la même langue que les créatures marines, une dictature sur le continent en face .. le décor est planté.

    Un narrateur raconte en leur nom à tous. Il raconte le jour où ils ont vu débarquer Benjamin, beau comme un Dieu grec. Il n'a pas pris le bateau du retour. Ils ont compris qu'il se cachait, ils n'ont rien dit, il s'est intégré petit à petit en rendant des services, en participant à leur vie, toujours avec respect.

    Hébergé d'abord chez la boulangère, il a demandé à emménager dans une maison abandonnée, tout au bout de l'île.

    Dès le départ, nous pressentons un drame qui couve. Il ne manquera pas d'advenir et je n'en dirai pas plus.

    L'histoire, racontée avec simplicité aborde l'horreur d'une dictature, le rejet des migrants, la chasse aux opposants, la violence des hommes et par-dessus tout une magnifique histoire d'amour.

    Il y est aussi question de solidarité, d'empathie, d'humanité en somme.

    Un roman que j'ai lu grâce à Hélène et qui m'a laissée complètement sous le charme. Les évènements sont durs, mais la poésie est là et une certaine beauté au coeur des pêcheurs.

    J'ai tout aimé dans ce roman à l'allure de conte.

    "Dans quelques jours les derniers vacanciers partiront et les créatures marines pourront de nouveau s'approcher. Elles vivent sous la surface de l'eau et tous ces gens les dérangent, elles en ont peur et passent l'été cachées dans des endroits connus d'elles seules. Nous regarderons la mer se rider à leur approche silencieuse, nous pourrons les imaginer rassurées. Aucun touriste ne se doute de leur existence, nous seuls connaissons cette population qui depuis la nuit des temps partage les grands fonds méditerranéens avec les poissons, les phoques-moines, les dauphins et quelques monstres préhistoriques qui ont traversé les siècles".

    Sylvie Tanette - Maritimes - 120 pages
    Grasset - 2021

  • Le retour

    Voilà, voilà, mon nouveau chez moi. Comme tous les emménagements ce n'est pas parfait, il manque un coup de peinture par-ci, par-là, quelques étagères, de la déco. Tout cela se fera au fur et à mesure. Je n'y serais pas arrivée sans l'aide bienveillante de trois blogueuses que je remercie chaleureusement : Dominique, Keisha et Tania.

    Soyez indulgentes avec le démarrage, je tâtonne, mais j'ai hâte maintenant de reprendre au moins les billets lecture. Vous pouvez vous abonner à la newsletter, colonne de droite, en haut. A bientôt.

    picasabackground-043.jpg

    J.M. Othoniel - Petit Palais

  • Aujourd'hui les coeurs se desserrent

    Aujourd'hui les coeurs se desserrent.jpg

    "Une jeune fille peut jouer du piano, chanter, faire de l'aquarelle sur le motif, mais faire des vers est déjà plus suspect, écrire un roman carrément condamnable, presque autant qu'être comédienne. Bref, Babette n'a pas beaucoup d'atouts pour convenir à Amélie. Le milieu ! Curieux mot qui a disparu. Depuis peu, on parle de réseau. La métaphore est scientifique, celle de milieu était biologique. Un réseau se construit, tandis qu'on naît dans un milieu. Il est très difficile de changer de milieu, changer de milieu exige au moins deux générations. Et encore traite-t'on ceux qui y parviennent précisément de parvenus".

    J'ai été tentée par ce roman parce qu'il se passe dans ma région, au sein d'une riche famille industrielle dans la filière du textile. C'est l'histoire classique de l'élaboration d'une fortune et du lent déclin qui suivra, sur trois générations.

    Le narrateur est Guillaume Deslorgeux, le petit-fils qui essaie de comprendre l'échec de sa famille en remontant au grand-père, homme sévère et mutique, bourgeois catholique ordinaire.

    Il a eu deux fils, Paul et Jean. Paul idéalise son aîné et le voit en héros lorsque la seconde guerre mondiale éclate. Paul est fait prisonnier et échoue à s'évader. Il s'imagine que de son côté, Jean a certainement réussi et mène une meilleure vie que la sienne. Cette jalousie irrépressible poussera Paul à prendre des risques importants, jusqu'à se retrouver dans un camp disciplinaire, Rawa Ruska.

    Pendant ce temps, Jean est revenu chez ses parents et se consacre au théâtre avec une petite troupe amateur. La jeune première, Babette, tombe amoureuse de lui, en vain. Jean dissimule un secret qui le ronge et l'empêche de s'engager.

    Après la guerre, Paul ne pardonnera jamais à Jean d'avoir traversé cette période sans éclat et presque sans danger, alors que lui passait par d'extrêmes souffrances. Un noeud supplémentaire complique la situation. Babette, rejetée par Jean, va se consoler dans les bras de Paul. Ils se marieront, Paul s'enfonçant dans le mutisme comme son père et Babette éteignant complètement toute vélléité de carrière théâtrale, se conformant à ce que le milieu attend d'elle.

    A vrai dire, je n'ai pas été très intéressée par les péripéties sentimentales du roman. J'ai apprécié davantage l'histoire de l'essor du textile et la richesse qu'il a apportée à certains, jusqu'au changement radical du monde industriel que n'ont pas su anticiper des familles trop bien installées dans le confort.

    La description de la vie quotidienne pendant la guerre et l'occupation allemande est bien documentée, j'y ai retrouvé des lieux familiers et l'évocation d'un bombardement très meurtrier (700 morts) à Rouen, à cinq cents mètres de mon domicile actuel. Evènement dont j'entendais parler dans mon enfance, le souvenir en était vivace.

    C'est une lecture agréable, mais je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, surtout Paul dont je n'ai pas saisi l'obstination dans la dureté. J'aurais aimé que la narrateur ait plus de place dans l'histoire, lui qui doit affronter les conséquences de ce que n'ont pas fait ses aînés. Il fait preuve de plus de courage et d'humanité.

    Objectif PAL 3.jpg

    Pascale Roze - Aujourd'hui les coeurs se desserrent - 176 pages
    Editions Stock - 2011

  • Stöld

    31apQBgDXqL._SX195_.jpg

    "Elle se figea : elle entendait des motoneiges au loin. Lasse l'avait prévenue, lui avait demandé de s'arrêter. Au moins deux motoneiges. Sans doute zigzaguaient-elles, car le vrombissement lui parvenait par vagues. Elle observa les traces laissées par ses skis, évidentes au milieu de la piste de motoneige. Elle était facile à repérer. Elle se trouvait sûrement à quatre kilomètres de chez elle, trop loin pour qu'on puisse lui venir en aide à temps. Les motoneiges hurlaient, de plus en plus proches. Ça lui sifflait dans les oreilles, comme des acouphènes, comme les roues d'un train qui grincent contre le rail. Mais les engins ne parvinrent pas jusqu'à elle. Ils firent demi-tour et les bruits s'éloignèrent".

    L'histoire se déroule au nord du cercle polaire, au sein d'une communauté sami. Elsa, petite fille de 9 ans, grandit dans une famille d'éleveurs de rennes. Un matin, elle se rend tout seule à l'enclos des rennes pour faire une surprise à ses parents. Elle tombe sur un contrebandier, Robert Isaksson.Il vient de tuer son renne préféré pour alimenter le trafic de viande.

    Il menace implicitement Elsa de la supprimer si elle parle. La petite fille, tétanisée, rentre en expliquant ce qu'elle a vu, sans avouer qu'elle a reconnu le coupable.

    Nous entrons par ce drame récurrent dans le monde des éleveurs de rennes. Cette attaque n'est pas isolée, les éleveurs n'en peuvent plus des bêtes perdues, des plaintes déposées et jamais suivies d'effets. Tout le monde sait qui est derrière ce trafic mais personne ne parlera. L'hostilité de la population suédoise est forte vis-à-vis des samis et leurs bêtes envahissantes.

    Contrairement à son frère, Mathias, Elsa aime cette vie rude, la même que ses grands-parents et les générations précédentes. Marquée par le massacre de son renne, elle portera longtemps son secret en silence, dans la crainte de représailles.

    La première partie de ce roman se déroule très lentement, il semble ne rien se passer, mis à part une description assez minutieuse de la vie des éleveurs, de leurs traditions. Nous faisons connaissance avec plusieurs membres de la famille, portant tous des fardeaux assez lourds liés à leur peuple, notamment le suicide de jeunes hommes, désespérés du manque de perspective pour eux.

    Puis l'histoire s'emballe. Dix années ont passé, Elsa se révèle une fille courageuse, téméraire, souhaitant perpétuer le mode de vie de sa communauté. Elle devra lutter à la fois contre les trafiquants, mais aussi contre son entourage, les filles n'ayant aucun rôle à jouer dans les instances sami. Elle n'entend pas se laisser faire.

    Jamais très loin d'elle, le sinistre Robert continue ses exactions dans la même impunité, jusqu'au jour où le hasard s'en mêlera dans un déchaînement de violence.

    J'ai aimé cette lecture, ce n'est pas la première que je lis sur l'oppression du peuple sami, les discriminations, le peu d'effet des lois votées pour leur protection. C'est toujours aussi désespérant et d'une profonde injustice.

    Les personnages sont bien vus, les articulations entre les uns et les autres complexes. Le changement climatique complique encore plus le travail des éleveurs.

    Un roman qui m'a globalement convaincue, malgré le peu d'action de la première partie. La suite mérite que l'on s'accroche.

    Ann-Helén Laestadius est une autrice et journaliste suédoise d’origine samie et tornédalienne. Après des débuts remarqués en tant qu’autrice jeunesse et Young Adult - qui lui ont valu de recevoir le prix August du meilleur roman jeunesse en 2016 -, elle publie son premier roman pour adultes, Stöld, qui a reçu, en 2021, le prix du Livre de l’année en Suède. 

    L'avis de Je lis je blogue

    LOGO MINORITES ETHNIQUES V4.png

    pays-scandinaves-drapeaux.png

    Ann-Helén Laestadius - Stöld - 450 pages
    Traduit du suédois par Anna Postel
    Editions Robert Lafont - 2022

  • Ilaria

    Ilaria.jpg

    "Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul."

    Ilaria vit en Suisse avec sa mère et sa soeur. Elle a huit ans et ses parents viennent de se séparer. Son père habite en Italie. Elle est étonnée mais contente quand il vient la chercher à la fin de l'école, il s'est entendu avec sa mère, il l'emmène en virée pour le week-end.

    Ce qu'Ilaria ne sait pas c'est qu'en réalité il l'enlève. Fulvio n'accepte pas la rupture et veut faire pression sur son ex en la privant de la petite. Elle ne se doute pas non plus que la cavale va durer deux ans.

    Au début c'est plutôt amusant, le père est un personnage assez flamboyant, sûr de lui, menteur, il ment tout le temps à tout le monde, avec un aplomb sidérant. Ils passent d'hôtel en hôtel, il fait beau, ça ressemble aux vacances.

    En écoutant la radio, nous comprenons que nous sommes en 1980. Si l'équipée est distrayante dans un premier temps, Ilaria se rend peu à peu compte de couacs inquiétants. Et puis sa mère et sa soeur lui manquent.

    La force de ce roman est de nous mettre dans la même situation qu'Ilaria ; rien n'est vraiment expliqué, nous sommes dans le même flou qu'elle, même si avec notre regard d'adulte, nous  comprenons parfaitement ce qu'Ilaria ne saisit pas.

    Le temps passe, il y a des coups de fil à la mère, qui ne veut pas revenir. De charmant et séducteur, le père passe à des accès de colère, il manipule Ilaria, lui fait croire que sa mère ne veut pas lui parler, qu'elle l'oublie. Ses colères s'aggravent avec la consommation de whisky. Il peut même être cruel.

    Malgré tout Ilaria l'aime ce père, elle comprend qu'il est très seul et malheureux, elle se croit obligée de rester avec lui pour le soutenir.

    Cette histoire est racontée avec une grande délicatesse ; la situation est révoltante, mais il y a aussi des moments de bonheur, la fuite du père est jalonnée de rencontres, dont certaines chaleureuses. Ilaria peut trouver des appuis et s'attacher à des personnes qui l'entoureront d'affection et de bienveillance.

    On sent qu'en Suisse et en Italie, Ilaria et son père continuent à être recherchés. La petite se sent de plus en plus mal dans la vie que son père lui fait mener. Arrivera-t'elle à en sortir ?

    Je n'en dirai pas plus, les petites filles ont parfois plus de ressources qu'elles n'en ont l'air.

    J'ai refermé ce roman avec une pointe de tristesse pour Ilaria, confrontée si jeune à une situation qui ne pouvait que la dépasser et lui laisser une blessure difficile à cicatriser.

    Le sujet est douloureux, mais c'est un coup de coeur, une belle lecture, tant la plume de l'autrice est légère, sans pathos et sans dramatisation.

    "Qu'est-ce qui m'empêche de haïr Papa ? La honte que j'ai vue dans son regard, le jour où, exaspérée par ses whiskys, j'ai vidé sa bouteille de Ballantine's dans le lavabo de la salle de bains. J'ai remplacé ce liquide jaunâtre par de l'eau.
    Après une longue gorgée bue au goulot, Papa m'a regardé du coin de l’œil. Il a baissé les yeux, sans dire un mot."

    L'autrice est plasticienne, d’origines anglaise, italienne et suisse, elle vit à Paris. Formée à la Haute école d’art et de design à Genève, elle puise entre autres son matériau dans sa propre histoire familiale, reprenant photographies, archives, souvenirs et les agençant dans un jeu troublant entre histoire et fiction (Editions Zoé).

    Gabriella Zalapì - Ilaria - 176 pages
    Editions Zoé - 2024

  • Nous nous aimions

    1079113.jpg

    "Tous les étés, Daredjane est menacée de ne pas pouvoir repartir avec ses filles. Kessané a surpris une conversation entre son grand-père et sa grand-mère un soir en Abkhasie. "Tu te rends malade, disait Bebia, tu vas finir par avoir un ulcère si tu continues. Depuis le temps, tu devrais être habitué. - Jamais, répondait Babou. On ne s'habitue pas à la peur. Ils ont Daredjane dans le collimateur depuis qu'elle s'est mariée et est partie en France. Un jour ça va mal finir -".

    Le roman s'ouvre sur une scène glaçante à l'aéroport de Moscou, étape obligée sur le trajet entre la France et l'Abkhasie (région de Géorgie à l'époque). Les douanières font clairement comprendre à Daredjane que sur ce territoire, elle est toujours soviétique et que l'on peut la bloquer là, en laissant repartir ses deux petites filles, seules. Aucune humiliation ne leur sera épargnée.

    Daredjane, danseuse géorgienne, a rencontré Tamaz lors d'une tournée en France et ils sont tombés tout de suite amoureux. Tamaz vit en France depuis les années 20. Les démarches vont être longues pour qu'elle puisse l'épouser et le rejoindre. Elle tient à ce que ses deux filles connaissent leurs grands-parents et malgré les risques, elle retourne au pays tous les étés. Tamaz reste en France.

    J'avais beaucoup aimé "la mer noire" et j'ai retrouvé le même charme dans ce court roman. C'est une histoire de famille, très unie, sur fond d'exil et de drames. Il y est question de la difficulté des relations mère-filles-soeurs et du délitement des liens au fil des années et des évènements.

    Enfants, Kessané et Tina ne se quittaient pas, se soutenaient constamment, sous le regard aimant de Daredjane et de Tamaz. Puis il y a eu la guerre d'indépendance de l'Abkhasie dans les années 90, la perte de la maison familiale, la fuite des grands-parents vers Tbilissi, blessure jamais refermée.

    Kessané et Tina vont peu à peu s'éloigner l'une de l'autre, leurs amis et leurs amours sont différents. La mort de Tamaz va aggraver la situation, rendant Daredjane de plus en plus acariatre et injuste envers son aînée.

    Le livre se clos sur une lettre poignante de Kessané à sa mère, évoquant l'impossibilité de dialogue, mais lui gardant tout son amour.

    Une belle lecture, faisant place aux émotions et aux aléas de la vie. Encore une famille qui a été bousculée et dépassée par des évènements plus grands qu'elle. Impossible de ne pas penser à ce qui se passe actuellement en Ukraine. J'avoue que j'avais oublié le conflit entre la Géorgie et l'Abkhasie, qui a pourtant fait un grand nombre de morts et de destructions.

    L'avis de Philisine

    Khétévane Davrichewy - Nous nous aimions - 152 pages
    Editions Wespieser - 2022