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Rechercher : deux femmes et un jardin

  • Solak

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    "Si on a la chance de ne pas crever de froid ou dans une crevasse, l'autre danger blanc, plus rare, mais qu'il faut pas oublier quand même, c'est le Pater. L'ours blanc. Mâle ou femelle, c'est pareil. Sur Solak, on sort jamais sans son fusil, jamais. Attention, ça veut pas dire qu'il faut forcément lui tirer dessus. Si tu le croises, t'attends de voir comment ça se passe. Parfois ils cherchent juste leur chemin, ils te regardent avec leur tête de faux nounours mais de vrais carnivores et puis ils font demi-tour, ils te snobent de leur gros cul dédaigneux."

    Voici un premier roman marquant, surtout à cause du style, rude, direct, en phase avec l'histoire. Un huis-clos de quatre hommes sur un bout de terre inhospitalière, Solak, presqu'île balayée par les vents, au nord du cercle polaire arctique, dans la nuit totale plusieurs mois par an.

    Qui sont ces hommes ? Trois sont soldats, chargés simplement de garder un drapeau marquant l'appartenance du territoire. Si l'armée les a envoyés là, c'est qu'il valait mieux qu'ils se fassent oublier un bon moment. Seul le quatrième sait qu'il repartira au bout d'un an. C'est un scientifique, Grizzli, en mission écologique.

    L'histoire commence au moment de la rotation annuelle de l'hélicoptère chargé du ravitaillement. Il repartira avec le corps d'Igor qui n'a pas résisté au climat et à la solitude de Solak. Pour le remplacer, débarque un jeune soldat à l'air fragile et fermé, de surcroît muet.

    Le narrateur, Piotr est le plus ancien sur place, vingt ans déjà et il ne souhaite pas retourner un jour vers "les terriens". Il sait qu'il est condamné à rester ici. Le deuxième soldat, Roq est une brute, un être sans état d'âme, qui aime tuer les animaux et cherche régulièrement querelle aux autres.

    Le nouveau venu les intrigue tous, c'est encore un gosse, qu'a-t'il pu faire pour atterrir ici ? Sur ce bout du monde, entre les tâches indispensables, les quatre hommes se retrouvent dans le bâtiment commun où il fait chaud, où chacun met la main à la cuisine et aux corvées. Ils disposent aussi d'une pauvre baraque individuelle où ils dorment et se réfugient quand ils ne se supportent plus.

    L'arrivée de la jeune recrue tend rapidement l'atmosphère. Roq le regarde de travers, ne supporte pas son mutisme, ni de le voir noircir les pages de son carnet. Seul Grizzli le scientifique garde son calme et croit encore en l'humanité.

    Dès le début, une tension s'installe, qui ira en s'intensifiant, ne lâchant plus le lecteur, captivé par la description des éléments, du contexte, de l'oppression de la nuit interminable. Chacun fait des efforts pour ne pas faire exploser la situation, sauf Roq, et l'histoire va irrémédiablement vers la violence et le drame.

    J'ai été très vite embarquée dans ce huis-clos étouffant, à l'écriture à l'os, où l'environnement a autant d'importance que les personnages. Pour un premier roman, c'est noir, sombre mais assez magistral.

    J'ai juste un bémol sur la fin. En quelques pages les révélations pleuvent, il y en a un peu trop à mon goût, surtout une que j'ai trouvée moins crédible. Que cela ne vous empêche pas de le lire, l'ensemble se tient fort bien.

    Caroline Hinault - Solak - 128 pages
    Editions du Rouergue - 2020

  • Fantômes d'Ogura

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    "Les gens croient que les esprits des morts ne reviennent visiter les vivants que le jour de leur fête mais ce n'est pas vrai. Quotidiennement, Hatsumi se plaît à laisser errer son esprit dans la vallée, à se mêler à des myriades d'autres comme le sien qui emplissent l'espace en tous sens. Elle ne craint pas les esprits de rencontre puisqu'elle en est un elle-même. La crainte des espaces errants n'affecte que les vivants".

    Récemment, je vous ai parlé d'un livre dont j'avais quasiment tout oublié après un mois. Il en est d'autres par contre qui vous restent bien en mémoire des années plus tard. "Lettres d'Ogura" en fait partie et j'étais ravie d'apprendre qu'un nouveau roman reprenait le personnage d'Hatsumi, délicieuse vieille dame, gardienne des traditions et veillant à ce que le village respecte les coutumes ancestrales.

    Ce n'est pas à proprement parler une suite, les deux peuvent se lire indépendamment. Seulement, dans celui-ci Hatsumi est devenue un fantôme. Elle est morte et se promène maintenant à sa guise, partout où elle veut, avec un retour en arrière sur tout ce qu'elle a vécu et un regard curieux sur les vivants qui poursuivent leur existence sans elle.

    Sous sa nouvelle forme, Hatsumi veille sur sa maison, inquiète de son avenir. Elle pense à ses trois filles qui ne viennent plus souvent. Pensent-elles encore à elle ? Elle se souvient aussi de son défunt mari, qui s'est donné la mort il y a bien longtemps. C'est le seul esprit qu'elle n'a jamais croisé, elle se demande pourquoi.

    Elle se déplace dans le village, à l'affût des petits et grands changements. Ogura est maintenant de plus en plus déserté, les jeunes sont partis et ne sont pas remplacés. On sent la nostalgie envahir Hatsumi au fur et à mesure que les traditions sont abandonnées.

    La plume de l'auteur est toujours aussi délicate, rendant tangible la présence de la vieille dame, que l'on imagine sans peine allant d'un point à un autre, invisible mais toujours aussi soucieuse du bien-être des autres et de la survie d'Ogura, perdu dans la nature et menacé de détérioration.

    Ce n'est pas un livre triste, il est même plutôt réconfortant. Hatsumi est un personnage très attachant et la vision des Japonais sur les vivants et les morts, très différente de la nôtre, est apaisante.

    Comme dans le premier roman, des caractères en japonais sont insérés dans certaines phrases, ajoutant un zeste de dépaysement à la lecture, si belle par ailleurs.

    "Ses errances dans la vallée la laissent parfois songeuse. Regrette-t'elle de ne plus faire partie de toutes ces petites existences ? Non. La mort aussi doit suivre son cours. Et puis, quelle frayeur pour les voisins s'ils la voyaient reparaître en vrai dans sa maison.

    Il lui vient tout de même un petit regret de temps à autre, une nostalgie qu'elle ne peut refréner : le goût du thé, de tous les thés ; hijocha, sencha, mugicha et même sobacha, qu'importe. Elle aimerait savourer ne serait-ce qu'une gorgée du breuvage brûlant qu'elle aimait tant."

    C'est un coup de coeur et je ne saurais trop vous inciter à lire les deux. Ce sont des textes courts qui se savourent pleinement.

    L'auteur a passé sa vie professionnelle au sein du Collège de France dans le domaine de la sinologie. Il a été attaché à la Chaire d'histoire sociale et intellectuelle de la Chine de Jacques Gernet, puis aux Instituts d'Extrême-Orient en tant que maître de conférences.

    L'avis de Manou

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    Hubert Delahaye - Fantômes d'Ogura - 136 pages
    L'Asiathèque - Collection Liminaires

  • Coupez !

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    "Elle avait connu tant de médiocres qui avaient réussi, sans être troublés par le syndrome de l'imposteur qui interdisait presque à un gamin comme Jérôme de s'imaginer capable d'atteindre les sommets. Des gens qui étaient allés tellement plus loin que leur talent n'aurait dû le leur permettre, artificiellement soutenus par leur confiance de privilégiés, par l'inflexible certitude que tout leur était dû et par un népotisme pur et simple. Bon sang, il n'y avait qu'à regarder la composition du gouvernement britannique actuel, où le Médiocre en chef régnait sur un genre de méritocratie, mais inversée".

    Ce polar est arrivé chez moi un beau jour, sans que je l'ai demandé et comme je n'avais pas été emballée par un premier titre (Sombre avec moi) je l'ai laissé de côté.

    Il faut que je vous dise que je fais (en tout cas j'essaie) un grand ménage dans mes livres et les piles montent, une pour le bouquiniste du coin, une pour Emmaüs, une pour la boîte à livres, le reste je garde. "Coupez" a failli aller chez le bouquiniste, mais j'ai décidé de lui donner une chance et je ne l'ai pas regretté.

    J'ai donc fait la connaissance de Millicent, récemment libérée après une détention de vingt-quatre ans pour le meurtre de son amant. Elle sort à 72 ans, dépassée par le monde qu'elle retrouve et qu'elle ne reconnaît pas.

    Elle trouve refuge auprès de deux autres vieilles dames, dont une, Clara, a entrepris de la réinsérer à sa manière, en lui donnant une tâche différente chaque jour pour lui faire reprendre contact avec le quotidien.

    Dans sa vie d'avant, Millicent était spécialisée dans le maquillage et les effets spéciaux dans des films d'horreur de série B, ce qui nous vaut quelques descriptions assez gores. Elle était excellente dans son métier et fréquentait un milieu aussi glauque qu'on peut l'imaginer, avec des personnalités plus ou moins troubles, mais peu lui importait tant qu'elle travaillait.

    Le hasard met sur sa route Jérôme (alias Jerry) étudiant en cinéma en délicatesse avec son entourage et cohabitant chez Clara pour s'éloigner des étudiants qu'il connaît un peu trop.

    A la surprise de Millicent, Jerry connaît Mancipium, fameux film maudit qui n'a jamais pu être terminé et dont les bobines ont disparu. Dans le même temps, Millicent découvre une photo qui remet complètement en cause la version du meurtre de son amant. Elle n'a pas réussi à convaincre de son innocence jadis et cette photo la fait gamberger ; suffisamment pour partir en Europe avec Jerry à la recherche de la vérité.

    Les voilà partis dans un road trip mené tambour battant, dangereux et parsemé de cadavres. Sans le vouloir Millicent est devenue une cible en remuant le passé, ce qui la fait redoubler d'ardeur. 

    Le duo improbable du départ se révèle de mieux en mieux rôdé. Millicent a un sacré caractère, mais son expérience de la prison l'a rendue souvent frileuse, ce qui ne l'empêche pas de bouillir intérieurement. Jerry lui, se sentira toujours illégitime dans le milieu où il est parvenu. Ils vont s'entraider et se booster mutuellement quand il le faut. Et il y a cet amour d'un certain cinéma qui les lie plus que tout.

    C'est ce tandem qui fait l'intérêt du livre, avec un humour assez dévastateur sur la société en général et le microscome du cinéma d'horreur en particulier. Le passage des fugitifs à Paris est assez savoureux. Après un démarrage un peu lent, le rythme accélère et le suspense est permanent.

    Je n'ai pas toujours bien suivi les multiples ramifications de l'histoire mais ce n'est pas grave. Je voulais surtout connaître la fin.

    L'avis de Cathulu

    Chris Brookmyre - Coupez - 512 pages
    Traduit de l'anglais (Ecosse) par David Fauquemberg
    Editions Métailié - 2022

  • Le sanctuaire

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    "Je rejoins la rivière, me débarbouille le visage. Le vacarme de l'eau recouvre mes pensées. C'est exactement ce dont j'ai besoin. Me perdre dans quelque chose de plus grand, un flux sans fin, capable de venir à bout des rocs et des montagnes, une eau qui sache conserver la trace des temps anciens, ère de fougères géantes et de reptiles volants, temps que les glaciers ont gardé intact, preuve que le monde restera monde malgré l'homme et ses cataclysmes, et qu'à l'image des dinosaures nous devrions nous en tenir à cette vérité première : nous ne sommes pas grand chose sur Terre".

    Le sanctuaire, c'est un coin de nature coupé du monde, où s'est réfugiée une famille fuyant une pandémie qui s'est répandue par les oiseaux. Il y a le père, le seul qui s'aventure à l'extérieur pour se ravitailler, la mère et les deux filles, June qui a connu l'autre monde et Gemma qui est née dans le sanctuaire.

    Gemma est une adolescente intrépide, adaptée à cette vie sauvage, adorant chasser avec son père et fournissant son lot de viande à la famille. Le père est dur, décide de tout, corrige rudement, mais sait aussi protéger et bricoler ce qui peut servir à leur subsistance. La mère est plus effacée, douce, nostalgique de leur ancienne vie. Elle en parle souvent et essaie de faire comprendre à Gemma de quoi elle était faite. Une ville, le bord de mer, les sorties, les cafés, les théâtres, les amis .. bien difficile à imaginer pour l'ado.

    A chaque sortie du père hors du sanctuaire, la mère espère qu'il va ramener de bonnes nouvelles, un retour possible .. hélas ce n'est jamais le cas et le père continue à tirer impitoyablement sur tout oiseau qui s'aventure dans leur espace.

    Le statu-quo pourrait durer indéfiniment s'il n'y avait pas la curiosité et la vivacité de Gemma. Mettre le pied à la limite du sanctuaire, aller juste un peu trop loin, suffit à instiller un doute sur ce qu'il y a de l'autre côté. Une rencontre avec un curieux bonhomme et un aigle magnifique va faire basculer la confiance inébranlable accordée au père.

    Je n'en révélerai pas plus sur l'histoire qui reprend un peu la trame du roman précédent "Une immense sensation de calme". 

    Ce qui m'a le plus emportée c'est l'écriture si particulière de l'autrice, splendide, et son talent pour inventer un monde où la frontière entre l'humain et l'animal n'est plus si nette.

    L'histoire n'est pas désincarnée pour autant, la famille se heurte à des fonctionnements bien terre-à-terre. Un père tyrannique, une mère trop passive en dépit des déclarations d'amour à ses filles, deux soeurs oscillant entre leur complicité et des différences qui les séparent.

    Le drame se profile, inéluctable, libérant une violence sous-jacente impossible à arrêter en même temps qu'un espoir peut-être ..

    C'est difficile de rendre justice à un roman aussi original, touchant à plusieurs genres, installant un suspense de plus en plus fort et faisant appel à l'imaginaire sans s'y égarer.

    Vous avez compris que je conseille sans réserve.

    L'avis de Ariane Cathulu Krol

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    Laurine Roux - Le sanctuaire - 147 pages
    Editions du Sonneur - 2020

  • Le lac de nulle part

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    "Ce givre qui pare de dentelle blanche notre campement, chaque jour plus isolé que le précédent, et fait crisser mes pas au réveil, ce givre où je vois des empreintes de cerfs, d'écureuil et d'animaux minuscules, des souris peut-être - autant de choses sympathiques, si nous avions une cabane où nous réfugier, un feu rugissant dans un âtre en pierre, des raquettes aux murs, une peau d'ours sur le plancher - ce givre, vient un jour où je ne peux plus l'ignorer."

    Jusqu'à présent, je n'ai lu que de la non-fiction de l'auteur "Indian Creek" et "La nuit des étoiles" C'est donc la première fois que je l'aborde en tant que romancier.

    Al et Trig, deux jumeaux fusionnels sont contactés par leur père après deux ans de silence. Il leur propose une dernière virée en canoë comme ils en ont fait tant toute leur enfance. Il est un peu tard dans la saison pour partir dans le nord du Canada, mais ils acceptent, pensant que leur père a tout organisé au cordeau, comme d'habitude.

    Le père refuse de leur révéler le but exact du voyage, si ce n'est qu'ils vont franchir une succession de lacs. Ils le suivent dans un flou de plus en plus dérangeant. Ils s'aperçoivent qu'en fait, le vieil homme n'a rien préparé, n'a pas de cartes, pas de bagages adaptés et que ses réactions sont déroutantes.

    Les jumeaux ne se sont pas vus depuis un bon moment. Trig vient de perdre son travail et son logement. Il ne l'a avoué qu'à sa mère. Tout va bien pour Al, hormis une vie sentimentale toujours aussi agitée. Les tensions sont palpables, il manque Dory, séparée du père qui est parti du jour au lendemain. Il plane une ambiance assez lourde, avec une répartition entre deux canoës parfois problématique.

    C'est Trig le plus inquiet, comme toujours, il sent le froid arriver, les premières neiges tomber et l'indécision du père est alarmante. Le camp du soir est de plus en plus difficile à installer, le malaise grandit entre les trois personnages.

    Je peux dire d'emblée que je n'ai pas été convaincue par cette histoire. Les liens entre les protagonistes ne sont pas clairs, on sent de la rancoeur, voire plus, mais aussi un attachement et une confiance pas forcément justifiée vis-à-vis du père.

    Au milieu du livre, un évènement va reconfigurer la situation et faire prendre un tournant à l'aventure. Les jumeaux vont faire demi-tour et tracer leur route avec de plus en plus de difficultés. En plus du froid et de la neige, c'est la glace qui s'installe.

    Ce n'est pas nécessaire d'en révéler plus. J'attendais surtout l'auteur sur la description de la nature où il excelle. Je n'ai pas été déçue sur cette partie là, sauf que les répétitions m'ont rapidement lassée. Un lac après l'autre, installer le camp, faire chauffer la casserole pour le café, monter la tente, trouver du bois, faire du feu ... puis rebelote le matin dans l'autre sens. Et trouver le passage d'un lac à l'autre, le portage des canoës, tout cela minutieusement décrit à chaque fois .. à la fin j'avais une indigestion de lacs et de bivouacs.

    Quand à l'intrigue, elle est un peu trop chargée à mon goût et la fin m'a laissé un certain malaise.

    A l'avenir, je m'en tiendrai à de la non-fiction avec cet auteur.

    L'avis de Violette Une Comète

    Pete Fromm - Le lac de nulle part - 448 pages
    Traduit de l'américain par Juliane Nivelt
    Editions Gallmeister - 2022

  • Quatre saisons à Mohawk

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    "Au Grill, je faisais quasiment partie des meubles, on ne faisait pas attention à moi et c'était à mon avantage. J'étais à la fois invisible et doué d'ubiquité pour les clients de la fin de l'après-midi, qui ne mâchaient pas toujours leurs mots devant moi. Il fallait vraiment qu'ils crient "merde", "chier", "con", pour se rappeler ma présence. Et ils étaient du genre à jurer d'abord, et à regarder ensuite. Alors ils plaisantaient : "T'as rien entendu, Ptit Sam, hein ?" Peu se souvenaient de mon nom et, dans ce cas, c'était la version Wussy. Parfois Harry marmonnait que : "Putain, c'est pas un endroit pour un môme, ici." A qui la faute répondait mon père."

    J'en suis à ma dixième lecture de Richard Russo et pas de déception jusqu'à présent, même si ce roman-ci m'a un peu pesé à cause de la tristesse qui le domine.

    Nous retrouvons un univers familier, celui des laissés-pour-compte d'une petite ville américaine imaginaire, Mohawk dont la prospérité est derrière elle. L'histoire est racontée par Ned, surnommé "Ptit Sam" un gamin balloté entre un père et une mère aussi défaillants l'un que l'autre, chacun à leur manière.

    Ils l'aiment leur fils, mais les circonstances de la vie les laissent sur le côté, incapables d'affronter leurs responsabilités comme ils le devraient.

    Au retour de la guerre, la mère n'a pas retrouvé l'homme qu'elle avait aimé. Il a changé et s'adonne à l'alcool et au jeu. De fil en aiguille elle demande le divorce, que Sam refuse de lui accorder, la harcelant et la menaçant, allant jusqu'à casser la figure à son avocat.

    Ned et sa mère vivent dans l'angoisse du surgissement du père à tout moment pendant des années. Rien n'est vraiment expliqué à Ned, qui se fait une idée de ce qui se passe dans un certain brouillard. Il voit sa mère dépérir de mois en mois. Jusqu'au moment où elle sombrera dans une profonde dépression et sera hospitalisée pour longtemps.

    Par la force des choses, Ned est récupéré par son père. Sa vie va changer du tout au tout. Plus de règles, un appartement précaire, la solitude des soirées, en sachant Sam dans un des bars de la ville, en compagnie de copains plus folkloriques et infréquentables les uns que les autres.

    Les saisons passent, Ned se débrouille comme il peut avec ce père atypique, qui peut disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles. Le gamin grandit, se forge une carapace, fait pas mal de bêtises.

    J'ai tracé seulement les grandes lignes du roman, qui est foisonnant, plein de personnages hauts en couleurs, truffés d'évènements tragi-comiques relatés par le menu et c'est là que l'auteur nous piège et nous fait tourner les pages avec gourmandise. J'ai évoqué la tristesse, mais il y aussi un humour vache permanent qui fait mouche et allège le reste.

    Le coeur du roman est la relation difficile père-fils. Ned ne mâche pas ses mots vis-à-vis de son père, mais on sent au fil du temps la tendresse mutuelle, même s'ils ne peuvent le reconnaître ni l'un ni l'autre.

    Ma découverte de l'auteur va se poursuivre, j'ai encore quelques titres devant moi.

    L'avis de Keisha

    Richard Russo - Quatre saisons à Mohawk - 602 pages
    Traduit par Jean-Luc Piningre
    10/18 - 2007

  • La fille qui voulait voir l'ours

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    "Le coeur battant, le souffle court, je choisis d'avancer. Ce doit être l'un des plus beaux moments du parcours. Le plus incertain, le plus chancelant. Une légère oscillation, un pas de l'autre côté, et c'est un saut dans l'inconnu, dans le grand dehors. Seule au sommet de cette montagne, seule sur terre devant une succession infinie de dômes verts. Je me sens si fragile. Si petite. Une goutte d'eau, un petit caillou, une fougère, un insecte. Une chose minuscule et invisible, impuissante dans le grand tout qui m'entoure."

    Katia Astafieff, marcheuse aguerrie, décide de se lancer dans le sentier des Appalaches, côté canadien, le SIA. Elle veut découvrir la fameuse wilderness, se retrouver seule au coeur de la forêt, et si possible rencontrer l'ours noir qui vit dans ces contrées.

    Ce qui caractérise ce récit de voyage, c'est l'humour de l'autrice. Dès les préparatifs on s'amuse devant ses essais de sac, de chaussures et même de culotte et de soutien-gorge. Elle essaie de ne rien laisser au hasard, dans la partie la plus profonde du sentier elle va être complètement isolée plusieurs jours, sans autres ressources que celles qu'elle portent sur son dos.

    Prévoir les vivres, les points de ravitaillement, les étapes, elle croit avoir une bonne idée de ce qui l'attend. La suite lui prouvera qu'elle n'est pas aussi bien préparée qu'elle le pense.

    Dès le premier jour elle galère, elle avance à deux à l'heure, sous une canicule imprévue. Elle fera 8 kilomètres au lieu des 25 programmés. La suite sera à l'avenant, avec toujours cette lenteur due au terrain qui monte, qui descend, sous une chaleur accablante dès le matin.

    Ce qui rend le périple sympathique c'est le naturel de la narratrice, elle ne cache pas le moins du monde ses failles et ses peurs. Les premières nuits sont affreuses, elle a peur de tout, elle imagine l'ours l'attaquer, un tueur en série lui faire la peau, elle entend des bruits suspects etc ... Ses journées sont un calvaire, elle doit s'arrêter toutes les deux minutes pour poser son sac, bref, elle est loin de son rêve initial.

    Et puis jour après jour, elle avance, sous l'oeil incrédule des quelques personnes qu'elle croise et qui ne peuvent pas croire qu'elle s'est lancée toute seule dans un telle aventure. 500 kilomètres tout de même, en un mois. Elle fera des rencontres plus ou moins agréables.

    On souffre pour elle dans certains passages en se demandant pourquoi elle s'inflige une telle épreuve et de telles frayeurs. Mais peu à peu son état d'esprit change, elle a de grands moments d'émerveillement devant la splendeur des paysages traversés et la beauté de la nature. Elle surmonte même une effrayante chute qui aurait pu lui coûter cher.

    Rencontrera-t'elle l'ours ? Ça je ne vous le dirai pas.

    Une aventure au féminin, dépaysante et sans esbroufe

    "On va au bout de soi-même et on se rend compte que c’est possible".

    Le site de l'autrice

    L'avis de Cathulu

    Katia Astafieff - La fille qui voulait voir l'ours - 256 pages
    Editions Arthaud - 2022

  • L'eau rouge

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    "Tous deux vivent avec la ferme conviction que, s'ils se tiennent à distance des problèmes, les problèmes garderont leurs distances vis-à-vis d'eux".

    L'histoire commence en 1989, à Misto, petit port sur la côte dalmate, non loin de Split. Jakov et Vesna mènent une vie sans histoire avec leurs deux enfants, deux jumeaux Mate et Silva.

    Lorsque Silva, 17 ans, leur annonce qu'elle sort, ils ne relèvent pas la tête, sans savoir qu'ils ne la reverront pas. Elle disparaît sans laisser de trace. C'est une fille joyeuse, remuante, elle se rendait à la fête des pêcheurs, comme tout le village.

    Les policiers débarquent et commencent à enquêter. Qu'a-t'il pu se passer durant la soirée ? Certains l'ont vue, d'autres taisent ce qu'ils savent. Vesna est folle d'inquiétude et pousse Jakov et Mate à mener l'enquête de leur côté. Elle n'a pas confiance dans la police.

    Chaque chapitre est consacré à un personnage, ce qui nous permet de suivre les pensées des uns et des autres, leur désespoir, leur loyauté envers Silva, même si ce que le père et le frère découvrent est loin de correspondre à l'idée qu'ils se faisaient de la jeune fille.

    Je dirais que c'est plus un roman noir qu'un polar. Certes l'histoire se déploie autour de la disparition de Silva, mais il y a aussi les états d'âme de l'enquêteur, la stupéfaction de tous lorsque la guerre éclate, faisant exploser le pays qu'ils connaissaient.

    Les années de guerre passent, façonnant un pays tout différent, la Croatie. Jakov et Mate reprennent leurs recherches, même si Mate s'est marié entre temps. Le couple de Jakov et Vesna n'a pas résisté à cette quête sans fin. Il n'y a pas que la famille qui continue à s'interroger. L'enquêteur a été empêché de continuer ses investigations en 1989, il n'était pas dans la bonne ligne politique. Il reprend le dossier sous une autre casquette, n'étant plus policier.

    J'ai été captivée par ce roman à l'intrigue solide, bien construit, avec comme toile de fond la guerre et ses destructions et lorsqu'elle est finie, les ravages dûs à l'argent facile. Le petit port de pêche fait l'objet comme bien d'autres de projets touristiques mirifiques qui détruisent tout un mode de vie et un paysage, mais auxquels bien peu résistent.

    J'ai apprécié également l'habileté avec laquelle l'auteur nous mène dans de fausses directions, révélant petit à petit des facettes de Silva et un dénouement loin de ce que l'on pouvait envisager au départ.

    Un auteur que je relirai sans hésiter.

    L'avis d'Alex

    Jurica Pavicic - L'eau rouge - 358 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2021

  • Highlands

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    "Sans aucun contrôle sur mon esprit, je ne peux que ressasser cette dernière séquence passée dans notre salon avec toi, mon impitoyable chérie, une matinée entière à nous déchirer à grands coups de griffes et de vérités douloureuses. Trois heures terribles où chaque mot qui sortait de nos bouches en appelait un autre pire encore, dans une sorte de courbe exponentielle, typique de ces embuscades de couple."

    Les blogueuses les plus anciennes se souviennent certainement du " Saut oblique de la truite". C'était il y a dix ans et c'est le temps qu'il a fallu pour que l'auteur nous offre un nouveau roman, cette fois-ci illustré de ses tableaux puisqu'il est également peintre, sous le nom de Rorcha.

    Changement de destination, c'est dans les Highlands que se passe le périple. Le narrateur est dans une passe difficile, après une énième dispute avec sa compagne.

    Il ne voit pas d'autre issue que de quitter l'appartement, en laissant un mot plutôt bref "Je reviens dans une semaine".

    Ce sera l'occasion de ressortir son vieux sac à dos, et de revivre enfin un voyage qu'il faisait l'été avec ses parents et dont il garde de merveilleux souvenirs. Ah les couleurs de ce loch découvert avec sa mère, resté gravé dans son esprit, son père qui l'initiait à la pêche, ce serait si bien s'il transmettait la même chose à son petit garçon.

    Le voilà parti, avec un bagage minimum, retrouvant les sensations du voyage en train, en bus, puis la marche, à l'affût de ses jeunes années.

    C'est un livre dominé par les couleurs, celles des tableaux de l'auteur, intercalées avec le texte et ses somptueuses descriptions des landes écossaises.

    Le ton peut se faire léger, ou nostalgique selon les moments, sans dissimuler l'inquiétude de fond liée à l'incertitude de l'avenir du narrateur. Inquiétude qui lui fera commettre une erreur de débutant et nous vaudra quelques chapitres angoissants, tout seul dans le brouillard, livré à des questions existentielles. 

    "Mon cerveau s'engourdit. La terreur et le froid me pénètrent simultanément, les choses vont vite et pas dans le bon sens. Je n'arrive plus qu'à fixer mon attention sur cette pluie sans fin, sur mon pull aussi saturé d'eau que les mousses dégorgeant sous mes pieds. A peine ai-je compris que j'allais devoir survivre que j'ai déjà l'impression de mourir. Et puis curieusement dans un moment pareil, j'ai sommeil, une fatigue irrésistible. Je redoute un premier symptôme d'hypotermie".

    A noter une courte préface de Grégoire Bouillier où cet extrait a éclairé mes propres impressions "A première vue les bleus sont choquants, les bruns trop fauves ; mais c'est qu'ils sont imaginaires : ils appartiennent à la peinture et à elle seule. Comme les mots, les couleurs glissent au couteau les unes sur les autres, créant de nouvelles textures émotives, des unions au sens érotique du terme. Au sens où la liberté des uns (couleurs, mots) traverse la liberté des autres sans jamais s'y fondre ou s'y diluer, fusionner ou abdiquer."

    L'objet livre est de belle qualité, très agréable à parcourir.

    Merci à l'auteur et aux Editions Gallimard

    Le site de Jérôme Magnier-Moreno

    Jérôme Magnier-Moreno - Highlands -128 pages
    Editions Gallimard (Le sentiment géographique) 2024

  • Territoires

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    "Vous ne savez pas comment gérer ces milliers de gamins sans diplômes ni emplois, mais moi je m’en occupe. Je leur donne un travail et ils font vivre leurs familles. Résultat, le trafic tempère vos quartiers défavorisés et hypocritement, vous nous avez laissés faire, comme si vous ne connaissiez pas les raisons de ce calme."

    Après Code 93, je n'ai pas tardé à retrouver Victor Coste et son équipe, toujours à Malceny. L'entrée en matière est rude avec trois exécutions particulièrement brutales, laissant supposer qu'il y a un changement de tête dans le contrôle du trafic de drogue.

    Au cours de l'enquête, nous croiserons un jeune ado de 13 ans qui n'a peur de rien et n'a pas de limites dans la violence ; deux vieillards mêlés malgré eux au trafic, une Maire qui navigue à vue pour préserver la paix sociale et surtout sa réélection.

    Le quotidien décrit dans ce deuxième roman est impressionnant par la dégradation, oserai-je dire de la qualité de vie dans certains lieux ; dire qu'ils sont abandonnés par les pouvoirs publics est peu dire. Comme l'auteur était policier dans le 93, j'imagine que ce qu'il décrit est très près de la réalité, même s'il a exagéré certains aspects.

    La compromission de la Maire, son peu de scrupules pour obtenir le calme, ses manoeuvres pour avoir le vote d'une communauté, font froid dans le dos. Des vies humaines en dépendent.

    L'auteur sait maintenir un suspense et ménager les rebondissements. L'équipe de Coste est rodée et le suit, même lorsqu'elle ne comprend pas forcément sa logique.

    Roman dévoré, malgré la dureté de ce qu'il raconte. L'humanité et les failles du Capitaine Coste tempèrent l'horreur ambiante.

    Un auteur à suivre. J'ai maintenant "Entre deux mondes" sous le coude.

    L'avis de Alex Dasola Luocine

    Olivier Norek - Territoires - 384 pages
    Pocket - 2015