Très bon Noël à toutes et à tous, dans la paix et la douceur
Cathédrale de Rouen
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Très bon Noël à toutes et à tous, dans la paix et la douceur
Cathédrale de Rouen
"Tu crois que c'est comme ça qu'on répare le monde, dit-il ? Tout le monde se met en colère et reste en colère ? Je sais qu'on a tous le fantasme de dire aux gens qui nous ont fait souffrir à quel point ils nous ont fait souffrir, mais la plupart du temps, ils ne le regrettent même pas, alors c'est quoi la solution ? Tu comptes juste rester en rogne pour le restant de tes jours ?"
Voilà un premier roman qui frappe fort. Nous sommes dans une petite bourgade du Colorado, refermée sur elle-même, dominée par une communauté religieuse intolérante et étouffante.
Après une soirée très arrosée, Abigail Blake, 17 ans, disparaît dans la forêt des Tall Bones. Les rumeurs vont bon train, d'autant plus qu'Abigail fait partie d'une famille dysfonctionnelle méprisée par le reste des habitants.
On retrouve une trame assez utilisée ces dernières années, une famille qui vit à l'écart en bord de forêt, un père violent revenu détruit de la guerre au Vietnam, une mère passive qui laisse faire, trois enfants qui vivent en permanence dans la peur et le rejet des autres.
Plusieurs personnages vont prendre la parole alternativement, nous faisant entrer peu à peu dans le détail de ce qui a pu se passer, au présent et au passé. Chaque narrateur a quelque chose à cacher, plus ou moins grave. La police patauge, aucun corps n'est retrouvé, laissant un doute lancinant sur la présence d'un meurtrier au sein du village.
Dès le début du roman, l'autrice sait installer une tension qui va aller crescendo. La jeune Emma, seule véritable amie d'Abigail, se met en tête de trouver ce qui s'est passé. Elle est écrasée de culpabilité à l'idée qu'elle a laissé Abigail s'en aller ce soir-là alors qu'elle aurait pu l'aider.
C'est une lecture très addictive, qui ne se lâche pas. Je me suis attachée rapidement à certains personnages, Emma, mal vue parce que latino, les frères d'Abigail, tellement éprouvés, Hunter, un jeune homme qui en sait plus qu'on ne le pense et ne sait pas quoi en faire. La violence du père d'Abigail est terrifiante, la passivité de sa femme, indifférente à la souffrance de ses enfants tout autant.
Tout le monde prie avec constance, pour un oui ou pour un non, ce qui n'empêche pas de se conduire avec une terrible inhumanité, pasteur en tête.
L'intrigue est fort bien construite, riche en rebondissements et en changements de direction et les personnages sont suffisamment étoffés pour que l'on s'y laisse prendre.
Un premier roman très prometteur, une autrice à suivre.
"Née en 1995, Anna Bailey a grandi en Angleterre avant de rejoindre une petite communauté religieuse suffocante du Colorado. Elle en est revenue très vite."
Anna Bailey - Une pluie de septembre - 408 pages
Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié
Sonatine - 2021
"J'aimerais tant savoir avec qui elle a joué, cette fillette vive, drôle, joueuse, intelligente, et ce qu'elle a raconté à ses compagnons de voyage. Leur a-t'elle parlé de sa mère, qui l'avait déposée à la gare de Milan ? Avait-elle vu ses larmes sur les quais ou les lui avait-elle cachées, ma grand-mère biologique qui préférait savoir sa petite dernière loin d'elle, en sécurité, quitte à en avoir le coeur brisé".
C'est avec ce roman à fort contenu autobiographique que je fais connaissance avec l'autrice. Il semblerait qu'elle reprend les thèmes de ses précédents romans, en utilisant cette fois-ci le "je".
Elle évoque ses souvenirs d'enfant et de jeune fille dans un désordre d'époques et de générations pas toujours facile à suivre. Elevée dans une famille aimante, elle est pourtant confrontée tôt à une certaine violence. Elle en garde l'image récurrente d'un homme sans visage qui la poursuit et auquel elle a si peur de ne pas échapper. Elle avait huit ans, c'est la préfiguration d'autres violences qui jalonneront sa jeunesse.
Violence familiale d'abord, en la personne de son père qui, d'attentif et bienveillant se transformera en brute qui cogne dur dès qu'elle devient une jeune fille. Il n'en démordra plus et n'aura pas de mots assez forts pour la rabaisser, sous le regard passif de la mère. Elle n'aura d'autre solution que la fuite vers la France dans les années 80 si elle veut vraiment s'approprier sa vie.
Elle relie cette violence intime à la violence qui a secoué l'Italie au fil des années. Retour sur la mise à mort de Mussolini, les années de plomb, les brigades rouges, l'assassinat d'Aldo Moro, la loge P2 .. tout ce qui a occupé nos journaux dans les années d'après-guerre.
La famille a ses propres blessures. Les traumatismes sont tus, on évite d'en parler. L'enfant a une grande affection pour ses grands-parents maternels. Ils ont adopté sa mère lorsqu'elle avait huit ans, lui permettant d'éviter les rafles des juifs. Mais savaient-ils qu'elle l'était juive, eux qui étaient notoirement fascistes ? Comme toujours, tout est plus complexe que ce que montrent les apparences.
C'est après avoir vu l'autrice à la Grande Librairie que j'ai eu envie de la lire et j'ai aimé cette façon de mêler l'histoire de l'Italie récente à la sienne, y voyant au fond les mêmes mécanismes de violence. J'ai été touchée par son désir d'aller coûte que coûte au fond de son histoire et de l'entendre dire dans une vidéo qu'écrire ce livre lui a sauvé la vie, mais a failli la détruire.
Simonetta Greggio - Bellissima - 288 pages
Editions Stock - 2021
"Le sherpa noua la corde par-dessus son sac, chargea le tout sur son dos, et se mit en marche en direction du col. La neige était glacée et Silvia constata aussitôt l'inutilité des crampons. Elle lui emboîta le pas en silence, se calquant sur sa trace et son allure. Elle avait compris que cette ascension était un test. Comment expliquer autrement qu'ils ne soient pas montés dans l'hélicoptère avec le reste des affaires ? Mais c'était dans l'ordre des choses : un refuge, ça se mérite. Plus de mille mètres de dénivelé, il allait falloir avancer doucement, éviter de trop lever les yeux, ne pas penser au chemin encore à parcourir".
Fausto, écrivain en panne d'inspiration est dans une période de flottement. En pleine rupture avec sa compagne milanaise, il a accepté un travail de cuisinier dans un restaurant d'altitude tenu par Babette.
Silvia arrive comme serveuse dans ce même restaurant. Peintre, elle ne sait plus trop quelle direction donner à sa vie et s'accorde un temps de réflexion. Fausto va rapidement tomber sous le charme de la jeune femme. Ils vont commencer une liaison, sans y mettre forcément les mêmes attentes.
J'ai retrouvé les thèmes chers à l'auteur, des individus à un carrefour de leur vie, les Alpes italiennes, le désir de solitude, de dépassement, les contrastes entre ville et nature. Si j'ai lu ce roman avec plaisir, j'ai trouvé qu'il n'apportait rien de nouveau par rapport aux précédents, il tourne un peu en rond.
Il y a néanmoins de magnifiques pages sur la montagne. Curieusement, ce sont les personnages secondaires qui m'ont le plus intriguée, Babette et Santorso par exemple. J'aurais aimé qu'ils soient davantage creusés.
En résumé, une lecture agréable, mais j'attendais plus de l'auteur.
Paolo Cognetti - La félicité du loup - 216 pages
Traduit de l'italien par Anita Rochedy
Editions Stock - 2021
"Tous deux vivent avec la ferme conviction que, s'ils se tiennent à distance des problèmes, les problèmes garderont leurs distances vis-à-vis d'eux".
L'histoire commence en 1989, à Misto, petit port sur la côte dalmate, non loin de Split. Jakov et Vesna mènent une vie sans histoire avec leurs deux enfants, deux jumeaux Mate et Silva.
Lorsque Silva, 17 ans, leur annonce qu'elle sort, ils ne relèvent pas la tête, sans savoir qu'ils ne la reverront pas. Elle disparaît sans laisser de trace. C'est une fille joyeuse, remuante, elle se rendait à la fête des pêcheurs, comme tout le village.
Les policiers débarquent et commencent à enquêter. Qu'a-t'il pu se passer durant la soirée ? Certains l'ont vue, d'autres taisent ce qu'ils savent. Vesna est folle d'inquiétude et pousse Jakov et Mate à mener l'enquête de leur côté. Elle n'a pas confiance dans la police.
Chaque chapitre est consacré à un personnage, ce qui nous permet de suivre les pensées des uns et des autres, leur désespoir, leur loyauté envers Silva, même si ce que le père et le frère découvrent est loin de correspondre à l'idée qu'ils se faisaient de la jeune fille.
Je dirais que c'est plus un roman noir qu'un polar. Certes l'histoire se déploie autour de la disparition de Silva, mais il y a aussi les états d'âme de l'enquêteur, la stupéfaction de tous lorsque la guerre éclate, faisant exploser le pays qu'ils connaissaient.
Les années de guerre passent, façonnant un pays tout différent, la Croatie. Jakov et Mate reprennent leurs recherches, même si Mate s'est marié entre temps. Le couple de Jakov et Vesna n'a pas résisté à cette quête sans fin. Il n'y a pas que la famille qui continue à s'interroger. L'enquêteur a été empêché de continuer ses investigations en 1989, il n'était pas dans la bonne ligne politique. Il reprend le dossier sous une autre casquette, n'étant plus policier.
J'ai été captivée par ce roman à l'intrigue solide, bien construit, avec comme toile de fond la guerre et ses destructions et lorsqu'elle est finie, les ravages dûs à l'argent facile. Le petit port de pêche fait l'objet comme bien d'autres de projets touristiques mirifiques qui détruisent tout un mode de vie et un paysage, mais auxquels bien peu résistent.
J'ai apprécié également l'habileté avec laquelle l'auteur nous mène dans de fausses directions, révélant petit à petit des facettes de Silva et un dénouement loin de ce que l'on pouvait envisager au départ.
Un auteur que je relirai sans hésiter.
L'avis d'Alex
Jurica Pavicic - L'eau rouge - 358 pages
Traduit du croate par Olivier Lannuzel
Agullo - 2021
Pour la première vidéo du dimanche, le choix était facile cette semaine. Hommage à l'artiste et à la femme.
"Dis-moi, toi qui n'a jamais failli te noyer, que Mariette était peut-être un peu nigaude, mais ensuite passe ton chemin. Mariette n'était pas plus stupide, ignorante ou empotée que la plupart d'entre nous. Simplement, elle avait senti que se jouait là quelque chose de l'ordre du miracle, et moins parce qu'un hasard avait fait d'elle la dernière représentante d'une tortueuse descendance qu'à cause de ce qu'elle devait appeler plus tard la bonté de la vie. Or le miracle requiert le silence de celui qui en est l'objet, ou plus exactement, il le lui impose".
Voici un court roman qui s'est révélé être une lecture délicate et touchante sur deux personnes dont la rencontre était improbable. L'une dans la dernière partie de sa vie, l'autre en pleine adolescence.
Par le plus grand des hasards, Mariette, femme de ménage à Paris, a hérité d'une maison quelque part dans l'Orne, sans rien savoir de plus. Sur un coup de tête, elle démissionne et part, munie de la clef de la maison et fantasmant sur ce qu'elle va trouver à l'arrivée.
On comprend que la vie ne l'a pas gâtée, qu'elle est habituée à ne pas en attendre grand chose, mais le choc est quand même rude à l'arrivée. C'est une toute petite maison en piteux état qui l'attend, avec un jardin abandonné, dans un hameau quasi déserté.
Mariette est une taiseuse qui n'a pas l'habitude d'avoir de l'aide, aussi se retrousse-t'elle les manches et c'est à l'élaboration de sa nouvelle vie que nous assistons, obstinée, laborieuse et de plus plus émerveillée devant les prodigalités de la nature qui l'entoure.
Son installation a été suivie avec curiosité par Louise, une ado qui s'ennuie à mourir dans ce hameau où son père possède une résidence secondaire. Elle en a plus qu'assez d'entendre les disputes incessantes avec sa nouvelle femme et voir s'activer Mariette l'intrigue au plus haut point.
Je n'en dirai pas plus sur l'histoire, l'essentiel n'est pas là, mais sur la relation qui se tisse entre ces deux-là. L'écriture est belle et poétique, Mariette est un peu imprévisible, elle ne sait pas mettre de mots sur ses émotions, elles naviguent l'une et l'autre au jour le jour avec maladresse, mais tendresse mutuelle.
Le summum est atteint avec une sortie en bicyclette où l'on voit Mariette s'arrêter tout au long de la route parce que son oeil a été capté par une fleur ou un insecte qu'elle n'a pas encore vu, sa capacité à se réjouir de tout est contagieuse.
A souligner la qualité de l'édition, rare de nos jours. En résumé, une jolie histoire, une belle écriture, un objet-livre soigné et un moment de lecture qui réchauffe le coeur.
"Pour la première fois peut-être de sa vie, en tout cas ce fut la première et l'unique fois que Louise l'entendit s'exprimer ainsi, Mariette dit "je" pour refuser ce qui lui avait été proposé, ce que d'autres auraient probablement considéré comme une aide inespérée et n'auraient pas compris qu'elle n'en voulût pas, préférât vivre comme elle vivait, donnant le temps et les forces qui lui restaient à un jardin, à une maison, dans lesquels elle prenait aussi le temps de contempler, d'admirer, de goûter ce qui lui était offert en retour, et qui était beaucoup plus que ce qu'elle avait jamais reçu ou espéré recevoir, si bien qu'elle n'avait besoin de rien d'autre que ce qu'elle avait déjà..."
Anne Guglielmetti - Deux femmes et un jardin - 95 pages
Editions Interférences - 2021
"Regarde-les, s'assombrit Janot en levant le menton vers les autres. Regarde-les, ça ne fait pas encore un an qu'on est ici et c'est comme si le monde d'avant n'était plus qu'un vieux souvenir. On dirait presque que ça fait leur affaire. Quand je pense qu'on aurait assez d'essence dans le cabanon pour remplir les réservoirs des véhicules qu'on a cachés sous des branches au débarcadère, je me dis qu'il vaudrait peut-être mieux retourner au village".
Nous retrouvons ici le narrateur de "le fil des kilomètres" et "le poids de la neige". Nous n'avons pas plus d'éléments sur ce qui se passe dans le pays (le Québec). Une panne d'électricité géante a entraîné une succession de dysfonctionnements, manque d'essence, manque de vivres, errance de la population, constitution de petits groupes plus ou moins dangereux. C'est chacun pour soi pour la survie en attendant une hypothétique issue.
Le narrateur a passé l'hiver dans une maison sous la neige, les jambes brisées après un accident. Il est remis plus ou moins sur pied et c'est dans la forêt que nous le retrouvons, décidé à rejoindre des membres de sa famille, oncles et tantes. Il sait qu'ils sont réfugiés au camp d'été où il passait ses vacances enfant, loin de tout, vivant de chasse et de pêche.
Ce troisième opus est aussi bon que le précédent. Après l'hostilité de l'hiver et de la neige, c'est à la forêt profonde que se confronte le voyageur, devant se méfier à la fois de la nature et des hommes. Il chemine seul, jusqu'à ce qu'un curieux gamin de 12 ans se trouve sur son chemin. Seul lui aussi, il aide le narrateur à sortir d'un mauvais pas. Il paraît se débrouiller dans toutes les situations, ne parle pas de lui ou raconte des histoires différentes, mais ne lâche plus l'homme qui finit par accepter sa présence.
Malgré le contexte post-apocalyptique, la nature a la part belle dans cette histoire. Le narrateur aime sentir la forêt autour de lui, sa végétation, le silence, les présences furtives, avec toujours en tête l'île ou il retrouvera les siens. Mais sera-t'il bien accueilli ? D'autant qu'il arrive avec un enfant, ils représentent deux bouches de plus à nourrir.
J'ai retrouvé avec plaisir l'ambiance qui m'avait conquise dans "le poids de la neige", un mélange de contemplation et même d'une fusion avec les éléments naturels et par ailleurs le poids des relations humaines. Chaque rencontre a son lot d'inquiétude, génératrice d'entraide ou de violence. Et pour tous ces gens, l'espoir de retrouver un jour une situation normale.
Dans ce dernier opus, le narrateur fait l'expérience d'une relation quasiment paternelle envers l'enfant, malgré leurs multiples accrochages et coups de colère, réservant une fin puissante et bouleversante.
Une trilogie à découvrir sans hésitation.
Christian Guay-Poliquin - Les ombres filantes - 344 pages
La Peuplade - 2021