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Le goût des livres - Page 30

  • Requiem

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    "Et si j'écrivais une cantate du café, comme Bach ?" me dis-je un instant, avant de repousser l'idée. Je suis adepte du petit format en musique, bien que j'aie essayé l'autre. Satie est mon phare. Quand je pense à lui, c'est comme si une ampoule s'allumait - et en un tournemain s'éveille l'idée d'un petit air pour violon et boîte de café. La boîte devra être vide, je le préciserai dans la description, et la cuillère qui frappera en mesure son couvercle sera en argent. J'écris sur la feuille au-dessus des notes : le café sera de préférence du Maxwell House".

    Troisième volet d'un triptyque sur la solitude et la création, j'ai retrouvé avec plaisir la plume de l'auteur dans cette histoire consacrée cette fois-ci à la musique.

    Le narrateur, Jónas l'entend partout la musique, dans tous les bruits du quotidien, qu'il écoute attentivement, du crépitement d'un feu au sifflement de la bouilloire. Il s'empresse de les transcrire dans son petit carnet en moleskine. Il a quitté Reykjavík où il n'arrivait plus à composer pour la maison d'un ami dans un fjord de l'est de l'Islande.

    Nous saurons peu de choses sur Jónas. Il a un travail alimentaire dans la publicité, qu'il néglige de plus en plus. Il est question d'une femme Anna, avec qui il est au bord de la rupture. Un enfant est évoqué également, on devine un drame, sans aller plus loin.

    Jónas ne cherche pas la compagnie, la solitude lui convient bien. Il va à l'épicerie du village, se promène, passe beaucoup de temps à ne rien faire, les yeux au plafond, attentif surtout aux bruits qu'il perçoit. Son quotidien est perturbé par la perte de son précieux carnet. C'est la certitude que toutes ses notes ne seront jamais jouées.

    Tout cela doit donner un roman assez banal me direz-vous. Et bien pas du tout, au contraire. Il y a l'écriture, la narration, un charme qui court tout au long du livre, une certaine originalité aussi dans la manière d'appréhender l'existence. Le ton est parfois d'une discrète ironie. Jónas est attachant, dans son impossibilité à parler de ce qui compte vraiment. Il sait qu'il devrait, surtout avec Anna, mais il n'y arrive pas.

    Je termine par plusieurs extraits, qui montrent mieux que je ne saurais le faire, l'univers de l'auteur.

    "Je ne pratique pas les bains de soleil, suis habillé de pied en cap et porte un chapeau de paille jaune que j'ai trouvé dans le vestibule. Hier, je me suis procuré des lunettes de soleil force 3, pour pouvoir lire et écrire dans la lumière. J'ai acheté les lunettes dans une sorte de magasin général en bas du village, juste au-dessus de la jetée. Le patron a l'air d'avoir raté les temps modernes, comme si ceux-ci étaient un long rapide qui serait passé en trombe devant lui alors qu'il était là, les mains dans les poches, à côté de sa vieille valise en carton peint".

    "Je suis la camionnette des yeux, vois la bâche bouger, et ce qui est dessous tressaute sur la route de terre bosselée. Il fait sûrement plus froid ici qu'à Salzbourg, mais tout bien considéré, ici est sans doute un meilleur endroit, si l'on en croit les lettres de Mozart sur cette ville. Je me souviens qu'après avoir lu ses lettres à son père, sur la ville qu'il détestait plus que tout autre lieu, j'avais décidé de ne jamais y mettre les pieds. Maintenant, je connais un homme qui est allé à Salzbourg et dont le voyage n'a pas eu de bon résultat, ce qui fait que je m'y rendrai encore moins à l'avenir".

    "Mais voilà que m'arrive tout-à-coup quelques notes portées par la brise et les vagues. Je me hâte de rentrer m'asseoir dans la voiture, attrape le calepin que je pose sur le volant avant de me mettre à écrire, tandis que l'eau dégouline de mon imper sur le siège. C'est la première entrée consistante à voir le jour dans ce carnet".

    "Je suis couché et j'écoute, sans rien faire d'autre. Au bout d'un certain temps, après avoir éventuellement écouté toute une oeuvre de Bach ou de Haendel, le courage et l'énergie de me remettre sur pied et de continuer me reviennent peu à peu. Comment ceci se produit est pour moi une énigme, mais cela semble être un fait."

    "Une fois rentré dans la maison, j'appelle Anna au téléphone avant de ranger les provisions dans le frigo. Elle dormait et elle est peu loquace tandis que j'essaie de lui faire part de ce qui m'est venu à l'esprit auparavant, et je lui demande à nouveau si elle aurait éventuellement l'intention de venir. Elle dit qu'elle va y réfléchir, mais qu'il y a plus de travail à faire que jamais. Je sais que son patron s'intéresse beaucoup à elle, et sans doute pas seulement sur le plan professionnel - mais je ne dis rien."

    Je conseille les trois romans (ils se lisent séparément) aussi bons les uns que les autres, ici et .

    L'avis de Cathulu

    Gyrdir Elíasson - Requiem - 184 pages
    Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
    La Peuplade - 2022

  • Bon dimanche

    C'est le premier mai, n'oubliez pas le muguet. Je vous offre 6 minutes 58 de zénitude pour commencer la journée.

    Anja Lechner et François Couturier

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  • La guinguette à deux sous

    polar

    "Il se passait chez James un phénomène curieux, qui intéressa Maigret. A mesure qu'il buvait, son regard, au lieu de devenir plus trouble, comme c'est le cas de la plupart des gens, s'aiguisait, au contraire, arrivait à être tout pointu, d'une pénétration, d'une finesse inattendues."

    J'ai profité du mois belge d'Anne et Mina pour renouer avec le commissaire Maigret. Je les lisais en série dans ma jeunesse et j'avais envie de voir ce que j'en penserais aujourd'hui.

    Il fait chaud à Paris, Maigret doit rejoindre sa femme en vacances en Alsace. Il doit d'abord voir Lenoir, un condamné à mort qui va être exécuté. Celui-ci a accepté son sort, il a joué, il a perdu. Il confie au commissaire, que d'autres le mériteraient autant que lui et que pourtant ils s'en sortent bien. Il évoque un homme qu'il a vu jeter un cadavre à la Seine il y a 6 ans. Son ami Victor et lui ont fait chanter l'assassin pendant quelques années, puis il a disparu.

    Et voilà qu'il a revu l'homme il y a peu, à la guinguette à deux sous, sans préciser davantage où elle se trouve.

    Maigret cherche à la localiser, sans succès. C'est le hasard qui le mettra sur la route d'une joyeuse bande qui s'y retrouve régulièrement. Il se laisse embarquer dans une (fausse) noce le temps d'un week-end, au cours duquel un homme sera tué.

    Je n'ai pas trouvé l'intrigue très palpitante, plutôt embrouillée et lente ; le charme est ailleurs, dans la lourdeur, pour ne pas dire la torpeur où baigne Maigret. Le meurtre de l'homme l'oblige à révéler son identité de policier, qu'il avait volontairement laissée dans le flou.

    Il est question ici de couples adultères, de chantage, d'usurier, de règlements de compte et d'un curieux personnage de la bande, James, qui entraîne Maigret dans une taverne le soir. Il boit souvent plus que de raison, il sait qu'il a tort d'écouter cet individu soir après soir, mais il a du mal à réagir. James lui parle longuement de la guinguette à deux sous et des week-end où toute la bande se retrouvait.

    J'ai aimé la description d'un Paris disparu, à l'ambiance moins survoltée qu'aujourd'hui, sans téléphones portables, où tout prenait du temps (le livre a été écrit en 1931) Je ne me lancerai pas dans une relecture complète de Simenon, mais un Maigret de temps en temps ne serait pas pour me déplaire.

    Lecture commune avec Anne Ingannmic

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    Georges Simenon - La guinguette à deux sous - 192 pages
    Le Livre de Poche - 2005

  • Bon dimanche

    Je l'avais écouté le mois dernier dans l'émission Boomerang, je le savais très malade, mais c'est toujours le même choc quand la nouvelle tombe. Un grand artiste s'en est allé ..

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  • Les abeilles grises

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    "Bien que conscient du caractère factice et injustifié de ce trouble juvénile et grisant, il en tirait un certain apaisement et la conviction que tout irait bien. Il avait laissé derrière lui les "erpédistes" et les soldats ukrainiens. Derrière lui le grondement des canons proches et lointains. Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu seulement l'habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l'aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles, ne comprenaient pas ce qu'était la guerre !"

    Après "Donbass", nouvelle lecture sur la même région, même époque, la guerre est là depuis 2014, Sergueïtch a voulu rester dans son village, en pleine zone grise où résonnent régulièrement des tirs. De part et d'autre, les troupes ukrainiennes et les séparatistes pro-russes.

    Un autre habitant est resté à Mala Starogradivka, son "ennemi d'enfance" Pachka. Seuls, à une rue d'écart, ils sont bien obligés de s'épauler devant le manque de vivres, l'absence d'électricité, la solitude. Pachka n'hésite pas à aller se ravitailler chez les pro-russes, pendant que Sergueïtch est aidé par un soldat ukrainien. La bouteille de vodka aide à aplanir les différences.

    Mais le plus important pour Sergeïtch, c'est de veiller sur ses abeilles. Apiculteur aux petits soins pour elles, il a même aménagé ses ruches de manière à pouvoir y faire des siestes. Il est convaincu que le contact avec le bourdonnement des abeilles est curatif et régénère les êtres humains.

    Dans cet environnement gris, déserté et triste, Sergeïtch continue à admirer la nature, ses abeilles et leur travail. Au printemps, il décide de les éloigner de la zone grise pour qu'elles retrouvent le calme nécessaire, loin des tirs, d'abord plus à l'ouest de l'Ukraine et ensuite en Crimée.

    Sergeïtch est un homme simple, sincère, assez flegmatique devant le chaos ambiant, il part confiant dans un périple incertain, à la recherche de la nature qu'il aime tant, la meilleure possible pour ses abeilles. Il veut qu'elles soient dans un bel environnement.

    Si la première partie m'a paru un peu lente avec la description du quotidien au village, j'ai été embarquée rapidement dans les réflexions de Sergeïtch, sa manière de voir le monde. Il est parfois un peu bourru, mais attachant et soucieux des autres.

    Son périple sera long et semé d'embûches. Il trouve d'abord sur sa route une femme, Galia, qui lui sera d'un grand secours. Plus il avance, plus il se rend compte qu'il n'est vraiment à sa place nulle part, pas au bon moment au bon endroit, il n'a pas la bonne religion, la bonne nationalité. Il provoque la suspicion.

    Obligé de quitter Galia et le champ qu'il occupait avec ses abeilles, il prend la direction de la Crimée pour y retrouver un apiculteur rencontré il y a plus de vingt ans lors d'un congrès.

    Pour atteindre la Crimée, annexée par les Russes, il devra franchir plusieurs barrages, être retenu de longues heures, avec la crainte à chaque fois d'être arrêté. Il apprend en arrivant que son ami a disparu, il a été arrêté par les Russes. Accueilli dans sa famille, il trouve l'emplacement idéal pour ses abeilles. Il découvre à quel point les Tatars sont mal vus, poussés à quitter le territoire. 

    La poésie est très présente dans ce roman, alors qu'autour tout n'est qu'inquiétude et angoisse. S'il est en butte à de la méfiance, Sergeïtch découvre aussi des personnes généreuses et une entraide naturelle.

    Il finira par revenir au village où rien n'a bougé, riche de ces rencontres, avec des lendemains toujours aussi incertains. Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est ..

    Une lecture indispensable.

    "La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l'existence humaine. Et ce n'était pas à l'avantage de la seconde."

    L'avis de Choupynette Delphine-Olympe Krol Miriam Pativore Violette etc ...

    Andréï Kourkov - Les abeilles grises - 400 pages
    Traduit du russe par Paul Lequesne
    Editions Liana Levi - 2022

  • Rien ni personne

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    "A la fin de l'audience de conciliation, la juge avait débité son discours en soulignant que monsieur apparaissait comme un personnage imprévisible et violent au passé de délinquant multirécidiviste, sans emploi à ce jour, squattant une caravane et venant de se faire retirer son permis pour conduite en état d'ivresse et qu'au vu de ces éléments, l'enfant serait confié à sa mère. Dans sa grande magnanimité, elle accordait au père un droit de visite sans hébergement un dimanche sur deux de dix heures à dix-huit heures, en attendant que monsieur trouve un logement digne de ce nom pour accueillir l'enfant".

    Voilà un court roman qui cogne fort sur un sujet pas si souvent abordé, l'amour paternel. Le père, Dylan, qui est le narrateur, a multiplié les bavures et les mauvais choix. Il a beau savoir qu'il est enclin au pétage de plombs, il a l'art de se fourrer dans des situations sans issue.

    Nous faisons sa connaissance alors qu'il est interné en hôpital psychiatrique après un accès de violence. Bourré de médicaments, il a l'esprit encore moins clair que d'habitude lorsqu'il apprend que Clara, son ex-compagne a l'intention de déménager à l'autre bout du pays, emmenant Nino, leur fils de deux ans avec elle. C'est pour lui la certitude de ne plus le voir et c'est intolérable.

    Dès lors se met en route une chaîne de réactions qui ne s'arrêtera plus. Dylan réussi à se faire la belle de l'hôpital et récupère son fils, l'entraînant dans une cavale qui ne pourra que mal se terminer.

    Son amour pour son fils est incommensurable, la seule belle chose qui lui soit arrivée dans la vie. Il a cru un moment pouvoir vivre une vie de famille normale avec Clara, mais c'était sans compter sur les propres problèmes de celle-ci, droguée, instable, manipulatrice. La première année de Nino, c'est Dylan qui s'en est complètement occupé, Clara n'étant pas en étant de le faire.

    C'est une histoire très réaliste, le langage est direct, Dylan n'a pas les mots qui lui permettraient peut-être de réagir autrement. En s'enfuyant, il sait que son geste est désespéré, qu'il va être poursuivi, mais il va de l'avant, dominé par sa souffrance et le besoin de son enfant.

    Je ne vous cache pas qu'en pressentant la fin, j'ai ralenti ma lecture, freinant des quatre fers en espérant me tromper. Mais quel choix la société a-t'elle laissé à Dylan tout au long de sa vie ? Je me suis souvenue avoir eu les mêmes réflexions à la lecture de "Bord de mer" de Véronique Olmi.

    En refermant le livre, reste un certain nombre de questions, assez vertigineuses autant d'un point de vue personnel que collectif.

    Ludovic Joce - Rien ni personne - 146 pages
    Editions du Jasmin - 2022