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  • Les mémoires d'un chat

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    "Comment dire .. Je la trouve franchement impolie cette Noriko. J'ai fait le premier pas pour instaurer une relation amicale, histoire de commencer notre cohabitation sous les meilleurs auspices, en lui montrant le plus haut degré d'affection pour un chat, à savoir le frottage contre les jambes. Et qu'est-ce que j'ai eu comme réponse ? "Ah, heu, que ... Non !" C'est une réponse, ça ? Elle a vu un spectre ou quoi ?"

    J'ai vu passer quantité de billets élogieux sur ce roman sans me décider à le lire. Une histoire de chat, je crains toujours la mièvrerie, surtout quand c'est le narrateur.

    Eh bien j'avais tort, parce que même si c'est le chat qui raconte, il est beaucoup question aussi de rencontres humaines, liées au passé de Satoru, l'heureux maître de Nana.

    Nana est un chat errant, habitué à se débrouiller dans la rue, jusqu'à un accident qui le fait atterrir chez Satoru, jeune homme qui avait déjà pris l'habitude de lui donner de la nourriture régulièrement.

    On peut dire qu'ils s'adoptent mutuellement et pendant cinq ans ils sont très heureux ensemble. Puis Satoru lui explique qu'il ne peut pas le garder, sans lui dire pourquoi et il se lance dans un périple pour demander à certains de ses vieux amis s'ils veulent bien le garder.

    Peut-être est-il utile de préciser que Nana comprend parfaitement le langage humain et communique également avec les autres animaux. Il va s'arranger pour que l'adoption ne soit pas possible, obligeant Satoru à continuer le voyage. Mais Satoru lui-même a-t'il envie d'abandonner vraiment Nana ?

    On comprend peu à peu la raison de cet abandon et l'histoire prend une tournure plus grave. Au fur et à mesure des rencontres, l'enfance et l'adolescence de Satoru sont évoquées dans les détails et permettent de mieux le comprendre.

    Une réflexion faite au détour d'une page éclaire d'un seul coup la vraie raison de l'attitude de Satoru et présage une fin moins souriante que souhaité.

    Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est l'humour et le côté coriace de Nana, qui déploie toutes les ruses possibles pour ne pas quitter son maître. Il y met du coeur et de l'imagination ! Satoru est attachant, toujours gentil et cherchant le bon côté des autres, malgré les épreuves passées et à venir.

    J'ai particulièrement aimé la dernière partie, ou Satoru retrouve Noriko, la tante qui l'a élevé à partir de l'adolescence et qui est persuadée d'avoir mal rempli sa tâche. Elle est touchante dans sa maladresse, bardée pourtant de bonnes intentions.

    Il y a bien quelques longueurs, mais dans l'ensemble j'ai passé un bon moment de lecture, dépaysée par le Japon.

    L'avis de Alex Géraldine Keisha Luocine Pativore

    Le lien de Doudoumatous sur les chats dans la littérature japonaise ici

    Hiro Arikawa - Les mémoires d'un chat - 336 pages
    Traduit du japonais par Jean-Louis De la Couronne
    Babel - 2021

  • L'inconnu de la forêt

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    "Pourquoi avait-il toujours fui ? Était-ce un instinct primitif de survie ? Était-il dans la nature profonde de l’homme de craindre ses semblables plutôt que de chercher à entrer en relation avec eux ? Il s’était souvent posé cette question. Pourquoi, jeune enfant, avait-il systématiquement choisi la fuite ? Était-ce la conséquence d’un traumatisme psychologique ?"

    Je n'ai pas lu Harlan Coben depuis "Ne le dis à personne". J'avais aimé, sans plus. Je me suis décidée pour ce titre après le billet de Brize sur "Identités croisées", le deuxième épisode avec le même personnage principal. Comme je suis méthodique, j'ai voulu commencer par le premier.

    J'ai donc fait la connaissance de Wilde, dont la particularité est d'avoir vécu enfant un certain temps tout seul dans une forêt du New-Jersey. D'où venait-il ? qui était-il ? il n'en sait rien, aucun indice, aucun signe n'est venu l'éclairer sur ses origines et le pourquoi de son abandon. Il avait cinq ou six ans lorsqu'il a été trouvé et recueilli.

    Ensuite, il a mené une vie d'adulte assez marginale, éprouvant le besoin de retourner régulièrement dans la forêt où il habite une écocapsule bardée de systèmes de surveillance, lui signalant une présence humaine dès qu'elle apparaît. Il est détective après être passé par les forces spéciales.

    Malgré tout, il aime la compagnie et est proche de Laïla, la veuve de son meilleur ami, David, mort une dizaine d'années auparavant. Il suit de près le fils du couple, Matthew, jeune adolescent.

    C'est d'ailleurs Matthew qui l'appelle à l'aide à propos de la disparition d'une camarade de classe, Naomi.

    J'ai refermé ce thriller avec une vague impression d'ennui. Il n'y a pas grand chose à dire sur l'intrigue, où les rebondissements se succèdent, souvent assez tirés par les cheveux.

    Wilde est un personnage attachant, avec des questionnements profonds. Il n'a pas tellement envie de savoir d'où il vient, pourtant il s'est inscrit sur un site de tests ADN et il a "matché" avec un homme qui pourrait être son cousin. Va-t'il se décider à le contacter ou laisser tomber ..

    Bref, je n'aurais sans doute pas fait de billet, mais j'ai lu le deuxième épisode (Identités croisées) qui est nettement meilleur. J'ai considéré que celui-ci était juste une mise en place des personnages, le véritable sujet étant la quête de Wilde pour trouver son identité.

    Outre Wilde, j'ai aimé le personnage d'Hester, avocate haute en couleurs, la soixantaine, toujours prête à se porter à son secours. C'est la mère de David et la grand-mère de Matthew. Tout ce petit monde est agréable à suivre, peu importe les invraisemblances.

    Je vous parlerai prochainement plus en détail d'Identités croisées.

    Je pense qu'il y a matière à un troisième opus et je suis suffisamment ferrée par le mystère Wilde pour le lire malgré les défauts. Le suspense est garanti.

    Harlan Coben - L'inconnu de la forêt - 480 pages
    Traduit de l'anglais par Roxane Azimi
    Pocket - 2021

  • Bivouac

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    "Le plus difficile, pour moi, ça aura été de faire la paix avec la violence. Désormais, je comprends mieux à quel point ces causes que l'on porte peuvent accaparer tout l'espace, voir chambouler nos valeurs fondamentales. Raph et Rio ont ça en commun : ils ont été des catalyseurs pour moi. Ils m'ont montré du doigt les vraies menaces mettant en péril l'Habitat. Et voir que Rio est parti à pied aux Etats-Unis, avec un mépris du danger qui semble disparu de nos tripes, depuis le temps des coureurs des bois ! Ça me jette à terre, cet esprit de fronde là. Valentin ne fait pas le poids, il mène les bêtes à l'abattoir, enterre les veaux morts, il ne se révolte pas. Deux à un."

    Dernier volet d'un triptyque, après "Encabanée" et "Sauvagines", nous retrouvons Anouk, entraînée dans une lutte collective pour sauver un bout de forêt, dans le Kamouraska.

    Elle a passé l'hiver dans une yourte, en compagnie de son amoureuse, Raphaëlle et elles rejoignent maintenant une communauté agricole qui expérimente une nouvelle façon de vivre et travailler en totale harmonie avec la nature.

    Parallèlement, nous suivons Riopelle, activiste écologiste convaincu, déjà croisé dans "Encabanée". Il est obligé de fuir après une opération pacifiste qui a mal tourné. Il pense à la "femme renard", Anouk, avec qui il a connu une brève mais intense passion. Bien sûr, nous nous doutons que la route de Riopelle et Anouk va à nouveau se croiser.

    Deuxième lecture québécoise consécutive et même plaisir de retrouver une écriture particulière et des personnages attachants. De quoi se rendre compte qu'au Canada aussi, la population ne pèse pas lourd devant les intérêts économiques. La construction d'un oléoduc va détruire une partie de forêt, dont un vieux pin de 500 ans. La résistance s'organise autour de la défense du site.

    Anouk et Raphaëlle passent d'abord un certain temps dans la communauté agricole, jusqu'à ce qu'Anouk comprenne qu'elle n'est pas faite pour cette vie-là et que, si Raphaëlle est la femme de sa vie, elle n'est pas pour autant prête à renoncer aux hommes. Elle non plus n'a pas oublié le bref passage de Riopelle dans sa cabane. Embrouilles en vue, à moins que ...

    Dans ce roman, j'ai surtout apprécié l'aspect lutte écologiste. Voir comment les plus radicaux s'organisent, luttent, préparent leurs actions, sont toujours sur le qui-vive m'a passionnée. Ils y sacrifient beaucoup, mais sont convaincus. Les descriptions de la forêt, des animaux, de la biodiversité montrent l'urgence à les sauver tant qu'il est encore temps.

    Le côté romanesque de l'histoire permet d'alléger un contexte assez désespérant, même si je l'ai trouvé parfois un peu trop envahissant. Une forte tension s'installe, la confrontation des écologistes et de la société pétrolière va virer au drame. Je n'en dirai pas plus.

    La trilogie est très réussie, c'est aussi la découverte d'une belle plume et d'une autrice talentueuse. Si chaque roman peut se lire séparément, c'est mieux de les suivre dans l'ordre.

    L'avis de Cathulu

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    Festival America - Septembre 2022

    Gabrielle Filteau-Chiba - Bivouac - 368 pages
    Editions Stock - 2023

  • Le roitelet

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    Coup de coeur

    "Après deux verres de vin je me suis demandé si ma vie allait durer longtemps. C'est une question qui me revient souvent lorsque j'ai peur de perdre mon bonheur. Pendant une minute ou deux j'ai eu peur aussi de cesser d'être aimé, voilà ce qui vous arrive quand vous avez eu une enfance insatiable. Et soudain, je n'ai plus pensé à ces choses-là parce que le chien, en se retournant dans son sommeil, a dégringolé de son monticule. C'était trop drôle de le voir rouler ainsi, comme une grosse pierre dans un éboulis. Ensuite il s'est remis sur ses pattes puis il est venu se blottir contre ma jambe, et pour la cinquième ou sixième fois de la journée j'ai été plus heureux que prévu."

    Après "Le jour des corneilles" et "La fabrication de l'aube" je retrouve la magnifique écriture de Jean-François Beauchemin. Ces soixante-trois courts chapitres m'ont tellement touchée que je me demande comment décrire au juste ce que j'ai ressenti.

    Je crois que je ne vais pas essayer et m'appuyer sur plus d'extraits que d'habitude. Le coeur du livre est la relation de l'auteur, la soixantaine, avec son frère, schizophrène, un peu plus jeune. Ils habitent le même village et se voient souvent.

    Schizophrénie
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    "Hier soir, tandis qu'il marchait à mes côtés dans la campagne, mon frère, comme devinant ma pensée, m'a dit ces choses troublantes "On dirait que Dieu, après avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière. C'est en vain que je l'appelle et le prie d'y rétablir l'éclairage". Puis, montrant du doigt les champs environnants : "Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne".

    L'auteur décrit ici sa vie de tous les jours, avec sa femme Livia, son chien et son chat. Il raconte sa manière d'être au monde, ses interrogations, ses observations et son souci constant de son frère. Ce sont les passages les plus poignants, beaux malgré la souffrance et l'impuissance.

    "Une heure s'était écoulée lorsqu'à la fin j'ai enroulé mon frère dans la serviette et saisi le peigne pour au moins tenter de donner une forme à cette chevelure insurgée. C'est ce moment qu'il a choisi pour prononcer ces mots déchirants de lucidité : "Je suis un puits sans fond. J'ai beau fouiller en moi, je n'aperçois rien qu'une nuit profonde. Je suis perdu". Et moi, l'écrivain, le spécialiste des mots, je n'ai pas su quoi lui répondre. Le soir tombait. De la forêt toute proche nous parvenaient les premiers hululements d'un hibou".

    Son frère travaille dans une jardinerie, il est proche de la nature, des plantes et des oiseaux, d'une sensibilité exacerbée. Ses réflexions sont souvent stupéfiantes d'intelligence. Mais quand surgissent les terribles crises d'angoisse, plus rien ne peut le calmer.

    Il y a une grande délicatesse dans ce récit, une tendresse infinie et de la compréhension. Mon exemplaire est hérissé de post-it. C'est un texte à lire et à relire.

    "Franchement, j'ignore si tu vivras encore longtemps dans ce corps et avec cet esprit. Chose certaine, une phrase de ta mère t'accompagnera jusqu'au bout. "Réfléchis, mais ne fait pas que réfléchir ; émerveille toi aussi. Emerveille toi, mais ne fais pas que t'émerveiller ; réfléchis aussi". Ça sera la grande affaire de ta vie".

    L'avis de Cathulu

    Jean-François Beauchemin - Le roitelet - 144 pages
    Editions Quebec Amérique - 2023

  • Les exportés

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    "Je ne sais pas ce que c'est que d'être juif, on ne m'en a jamais rien transmis et cela ne me manque pas.
    Ayant grandi en France et en démocratie, nul ne m'a jamais "désignée" malgré moi. En revanche, je comprends en lisant Perec que "je suis étrangère à quelque chose de moi-même" différente non pas des autres, mais "différente des miens". En effet, je ne parle pas la langue que ma mère parlait avec ses parents, je ne partage pas "leurs souvenirs, leur histoire, leur culture, leur espoir". Je n'ai pas le sentiment d'avoir oublié, mais celui de n'avoir jamais pu apprendre".

    Jusqu'à présent, comme tout le monde, je connaissais Sonia Devillers en tant que journaliste à France-Inter. J'ignorais qu'elle était d'origine roumaine et juive.

    J'ai donc découvert son histoire familiale avec ce récit sous forme d'enquête prenante. Je n'ai pas de connaissance particulière sur l'histoire roumaine, j'en connais les grandes lignes, sans plus, je n'avais jamais entendu parler de ce troc de l'Etat roumain, juifs contre bétail et ensuite simplement espèces sonnantes et trébuchantes avec Israël.

    Les grands-parents de l'autrice sont issus de milieu bourgeois. Harry et Gabriela n'ont jamais vraiment raconté comment ils avaient traversé la guerre en échappant à la mort. Ils en parlaient comme quelque chose de banal, donnant l'impression de ne pas avoir de ressenti.

    Harry et Gabriela ont adhéré rapidement au discours communiste qui promettait qu'il n'y aurait plus de différences entre les hommes, plus de discriminations. 

    Alors comment se sont-ils retrouvés sur un quai de gare français en 1961, hébétés après un voyage interminable, angoissant et dangereux ?

    L'ouverture des archives de la Sécuritate a permis à l'autrice de remettre en pespective ce qui les avaient amenés là. Au coeur de l'histoire, elle trouve un passeur, juif lui-même, Henry Jacober, dont l'action sera déterminante pour nombre de juifs qui veulent quitter la Roumanie. Le pays ayant un besoin énorme d'argent, va négocier leur départ contre du bétail, porcs, poulets, veaux, mais aussi contre des installations ultra-modernes, abattoirs, bâtiments, clefs en main.

    C'est un récit assez complexe, avec des détails ahurissants. Sonia Devillers se demande régulièrement jusqu'où ses grands-parents ont été au courant de ce qui se passait, surtout lorsqu'ils avaient une place enviable au parti, après la guerre. Ont-ils fermé les yeux pour garder leur position ou croyaient-ils vraiment à un monde nouveau ?

    Le mélange récit familial et grande histoire est bien articulé et se suit facilement. La question de la judéité est centrale, d'autant plus puissante que la famille ne voulait pas en tenir compte elle-même.

    L'autrice a dû se construire dans cette famille ou sa mère et sa tante ont été arrachées à leur pays à 16 et 14 ans et en gardent une blessure certaine.

    Elle fait un portrait assez sévère de sa grand-mère, consciente de sa valeur et n'ayant jamais digéré son déclassement en France, tout en se démenant pour nourrir et éduquer sa famille.

    C'est une lecture que j'ai appréciée, qui amène une pierre de plus malheureusement à ce que l'humain est capable de faire dans le pire. J'ai été un peu parasitée par la perception que j'ai de l'autrice. J'écoute ses émissions et je la trouve régulièrement excessive et de parti-pris, un ton que j'ai parfois retrouvé dans le livre, mais c'est peu de chose au regard de ce qu'elle raconte.

    Sur un thème pas très éloigné, un excellent roman "La musique engloutie" de Christian Haller.

    Sonia Devillers - Les exportés - 288 pages
    Editions Flammarion - 2022