"La maison de Chasper, très vieille, est une des plus singulières, par ici. A moitié en pierre, avec des murs irréguliers, à moitié en bois, les poutres et les planches presque noires, un balcon couvert, des fenêtres de tailles différentes. Il n'y a pas l'ombre d'une symétrie : on ne sait pas pourquoi cette maison, à partir du milieu, penche un peu sur le côté. Le fond de la grange, sous le même toit, arrive jusqu'à la roche ; le toit est couvert de bardeaux. Au mur, l'année de construction, décolorée : le milieu du dix-septième siècle. La pierre et le bois ont résisté au temps, bien que le temps soit toujours là, fouillant tout autour, de ses mains silencieuses."
A la mort de son père, Chasper hérite de la demeure familiale à laquelle il est très attaché. Le hic, c'est que l'héritage n'est constitué par ailleurs que de dettes, contractées auprès de Lemm, le cafetier du village, qui a lui-même des vues sur la maison.
Chasper n'a pas un sou pour rembourser, condition indispensable s'il veut la conserver . Dans un premier temps, il pense trouver quelqu'un pour lui prêter l'argent parmi les villageois qu'il connaît. Hélas il se heurte à des refus plus ou moins justifiés.
Dans ce village alpin des Grisons, Lemm a un certain pouvoir et les habitants se plient à sa volonté. Les villageois évitent désormais de croiser Chasper. Il peut compter seulement sur l'amitié indéfectible de Christian, aussi pauvre que lui.
"Jolanda ne semble pas être ici, ni la tenancière. Lemm ne vient pas lui demander ce qu'il veut boire. Chasper attend. Il essaie de garder son calme, mais pendant que Melcher continue à parler de son chien, il se sent bouillonner. Pas à cause de la bière, mais à cause du tenancier. Il voit les têtes des hommes, leurs gueules indifférentes, leur fumée bleutée, leur manière de jeter les cartes sur les tables. L'un d'eux se lève et va vers les toilettes, passe à côté de Chasper, lui lance un regard, mais sans le saluer. Deux lampes au plafond, une horloge murale, le portrait du vieux Lemm, une vitrine avec quelques couronnes de la société de tir, à côté d'une réclame de tabac Rössli".
Chasper passe son temps seul, à imaginer des solutions. Il se remémore le passé, quand ses parents étaient encore en vie, leur existence simple à s'occuper des terres, des bêtes et la grande douleur liée à la disparition de Dominic, le frère aîné de Chasper, parti du jour au lendemain, nul ne sait où. Chasper n'a pas perdu l'espoir de voir un jour Dominic ressurgir au coin d'une rue, riche de multiples aventures.
L'autre souffrance dans le coeur de Chasper c'est Johanna, la femme de sa vie, qui s'est mariée à un autre. Elle lui aurait volontiers prêté la somme qu'il lui faut, mais elle en est empêchée.
Les jours passent, Chasper voit s'éloigner toutes les possibilités de conserver la maison, en même temps que grandit sa certitude de vouloir la garder coûte que coûte.
Je ne peux évidemment pas vous raconter la fin, à la hauteur de tout ce qui a précédé.
J'ai beaucoup apprécié cette histoire, parue en 1999 en romanche (4e langue suisse) traduite tardivement en français, pour les 85 ans de l'auteur.
Le personnage de Chasper est attachant ; la description du village et de ses habitants donne rapidement une impression de familiarité. La vie y est rude, le tempérament des villageois aussi. L'écriture et le style me donne envie de poursuivre avec l'auteur.
"Souvent on est bien tout seul, mais parfois on crève de solitude. Il arrive qu'il ne voie âme qui vive des journées durant. Ce n'est pas une vie. Ce serait bien différent s'il avait une femme et des enfants, un quotidien normal et surtout des repas convenables. Si l'on pouvait bavarder à table. S'il avait voulu, il aurait sans doute trouvé une femme, mais Johanna, bien qu'elle n'y puisse rien, l'a empêché d'en prendre une autre. C'est comme ça, c'est tout".
Encore une belle découverte dont il serait dommage de se priver.
L'auteur : Oscar Peer (1928-2013) a écrit une quinzaine d'ouvrages en romanche, la langue du canton alpin des Grisons, dont il est l'un des écrivains emblématiques.
Oscar Peer - La vieille maison - 195 pages
Traduit du romanche par Walter Rosselli
Zoé poche - 2022