"Mon savoir universitaire ne signifiait rien. Les leçons utiles, je les ai reçues ici. J'ai vu des chaumières à moitié vides, littéralement bues par la brute épaisse, des enfants battus et sous-alimentés, des petits vieux courbés, mais aussi des hommes fourbus, victimes de l'intempérance et de l'avidité des femmes. J'ai rencontré des mentalités arriérées, de l'égoïsme dépravé, une avarice insensée et, d'un autre côté, une humilité angélique, la patience, la vaillance et l'amour.
Le monde de l'âme humaine, avec ses deux pôles irréconciliables,tournait ici comme une roue de moulin".
C'est grâce au billet de Maryline que j'ai eu envie de découvrir ce roman tchèque qui se déroule pendant la deuxième guerre mondiale.
Eliska est une jeune femme médecin promise à un bel avenir. Elle travaille à l'hôpital de Brno et a une liaison avec le chef de service, par ailleurs marié et père de famille. Elle participe à un réseau de résistance, sans trop mesurer les risques de la situation. Elle se contente de déposer des enveloppes aux adresses qu'on lui indique.
Jusqu'au jour où tout dérape et où elle doit fuir d'une minute à l'autre. La seule solution qui s'offre à elle est de partir loin dans le pays avec un de ses patients qui accepte de l'épouser, Joza, paysan frustre et laid qu'elle a tendance à mépriser.
Elle menait une vie urbaine et plutôt raffinée, la voilà transplantée du jour au lendemain dans une zone de montagne aux moeurs archaïques, dans une maison sommairement aménagée dans la hâte. La guerre n'est pas encore arrivée jusque là.
Si la réalité est sombre, l'histoire qui nous est contée ici est d'une grande beauté. Eliska fait connaissance des lieux, des quelques villageois qui l'entourent, et de son mari, ce paysan analphabète, mais d'une bonté et d'un dévouement à toute épreuve. Au contact de la nature, elle réfléchit sur elle, sur sa vie, comme elle ne l'avait jamais fait auparavant. Elle s'aperçoit qu'elle aime cette existence simple, réduite à l'essentiel. Elle se dépouille de tout qui était artificiel chez elle et son attachement pour Joza grandit de jour en jour ; il devient son centre de gravité, le roc sur lequel elle peut s'appuyer, son socle affectif.
Pas de grandes envolées dans l'écriture, mais une certaine poésie, et une vision réaliste des habitants que cotoie Eliska, surtout la guérisseuse du village, personnalité haute en couleurs et grandement respectée.
Hélas, la guerre va finir par rattraper le village et y semer son cortège de malheurs.
Un roman court et marquant. A ne pas manquer.
L'autrice, Kveta Legátová, de son vrai nom Vera Hofmanova, est née en Moravie en 1919. Elle étudie le tchèque et l'allemand à Brno avant la guerre, puis les maths et la physique. Devenue enseignante, elle est affectée dans des zones de montagnes par les autorités communistes, qui voient en elle un « cas problématique ». Au lycée, elle écrit déjà de courtes pièces radiophoniques et poursuit cette activité jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, mais c'est avec la parution de La Belle de Joza (Noir sur Blanc, 2008) et de Ceux de Zelary (Prix national tchèque de littérature) que Kveta Legátová connaît un succès foudroyant.
Kveta Legátová - La belle de Joza - 260 pages
Traduit du tchèque par Eurydice Antolin
Libretto - 2014