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  • La guinguette à deux sous

    polar

    "Il se passait chez James un phénomène curieux, qui intéressa Maigret. A mesure qu'il buvait, son regard, au lieu de devenir plus trouble, comme c'est le cas de la plupart des gens, s'aiguisait, au contraire, arrivait à être tout pointu, d'une pénétration, d'une finesse inattendues."

    J'ai profité du mois belge d'Anne et Mina pour renouer avec le commissaire Maigret. Je les lisais en série dans ma jeunesse et j'avais envie de voir ce que j'en penserais aujourd'hui.

    Il fait chaud à Paris, Maigret doit rejoindre sa femme en vacances en Alsace. Il doit d'abord voir Lenoir, un condamné à mort qui va être exécuté. Celui-ci a accepté son sort, il a joué, il a perdu. Il confie au commissaire, que d'autres le mériteraient autant que lui et que pourtant ils s'en sortent bien. Il évoque un homme qu'il a vu jeter un cadavre à la Seine il y a 6 ans. Son ami Victor et lui ont fait chanter l'assassin pendant quelques années, puis il a disparu.

    Et voilà qu'il a revu l'homme il y a peu, à la guinguette à deux sous, sans préciser davantage où elle se trouve.

    Maigret cherche à la localiser, sans succès. C'est le hasard qui le mettra sur la route d'une joyeuse bande qui s'y retrouve régulièrement. Il se laisse embarquer dans une (fausse) noce le temps d'un week-end, au cours duquel un homme sera tué.

    Je n'ai pas trouvé l'intrigue très palpitante, plutôt embrouillée et lente ; le charme est ailleurs, dans la lourdeur, pour ne pas dire la torpeur où baigne Maigret. Le meurtre de l'homme l'oblige à révéler son identité de policier, qu'il avait volontairement laissée dans le flou.

    Il est question ici de couples adultères, de chantage, d'usurier, de règlements de compte et d'un curieux personnage de la bande, James, qui entraîne Maigret dans une taverne le soir. Il boit souvent plus que de raison, il sait qu'il a tort d'écouter cet individu soir après soir, mais il a du mal à réagir. James lui parle longuement de la guinguette à deux sous et des week-end où toute la bande se retrouvait.

    J'ai aimé la description d'un Paris disparu, à l'ambiance moins survoltée qu'aujourd'hui, sans téléphones portables, où tout prenait du temps (le livre a été écrit en 1931) Je ne me lancerai pas dans une relecture complète de Simenon, mais un Maigret de temps en temps ne serait pas pour me déplaire.

    Lecture commune avec Anne Ingannmic

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    Georges Simenon - La guinguette à deux sous - 192 pages
    Le Livre de Poche - 2005

  • Bon dimanche

    Je l'avais écouté le mois dernier dans l'émission Boomerang, je le savais très malade, mais c'est toujours le même choc quand la nouvelle tombe. Un grand artiste s'en est allé ..

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  • Les abeilles grises

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    "Bien que conscient du caractère factice et injustifié de ce trouble juvénile et grisant, il en tirait un certain apaisement et la conviction que tout irait bien. Il avait laissé derrière lui les "erpédistes" et les soldats ukrainiens. Derrière lui le grondement des canons proches et lointains. Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu seulement l'habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l'aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles, ne comprenaient pas ce qu'était la guerre !"

    Après "Donbass", nouvelle lecture sur la même région, même époque, la guerre est là depuis 2014, Sergueïtch a voulu rester dans son village, en pleine zone grise où résonnent régulièrement des tirs. De part et d'autre, les troupes ukrainiennes et les séparatistes pro-russes.

    Un autre habitant est resté à Mala Starogradivka, son "ennemi d'enfance" Pachka. Seuls, à une rue d'écart, ils sont bien obligés de s'épauler devant le manque de vivres, l'absence d'électricité, la solitude. Pachka n'hésite pas à aller se ravitailler chez les pro-russes, pendant que Sergueïtch est aidé par un soldat ukrainien. La bouteille de vodka aide à aplanir les différences.

    Mais le plus important pour Sergeïtch, c'est de veiller sur ses abeilles. Apiculteur aux petits soins pour elles, il a même aménagé ses ruches de manière à pouvoir y faire des siestes. Il est convaincu que le contact avec le bourdonnement des abeilles est curatif et régénère les êtres humains.

    Dans cet environnement gris, déserté et triste, Sergeïtch continue à admirer la nature, ses abeilles et leur travail. Au printemps, il décide de les éloigner de la zone grise pour qu'elles retrouvent le calme nécessaire, loin des tirs, d'abord plus à l'ouest de l'Ukraine et ensuite en Crimée.

    Sergeïtch est un homme simple, sincère, assez flegmatique devant le chaos ambiant, il part confiant dans un périple incertain, à la recherche de la nature qu'il aime tant, la meilleure possible pour ses abeilles. Il veut qu'elles soient dans un bel environnement.

    Si la première partie m'a paru un peu lente avec la description du quotidien au village, j'ai été embarquée rapidement dans les réflexions de Sergeïtch, sa manière de voir le monde. Il est parfois un peu bourru, mais attachant et soucieux des autres.

    Son périple sera long et semé d'embûches. Il trouve d'abord sur sa route une femme, Galia, qui lui sera d'un grand secours. Plus il avance, plus il se rend compte qu'il n'est vraiment à sa place nulle part, pas au bon moment au bon endroit, il n'a pas la bonne religion, la bonne nationalité. Il provoque la suspicion.

    Obligé de quitter Galia et le champ qu'il occupait avec ses abeilles, il prend la direction de la Crimée pour y retrouver un apiculteur rencontré il y a plus de vingt ans lors d'un congrès.

    Pour atteindre la Crimée, annexée par les Russes, il devra franchir plusieurs barrages, être retenu de longues heures, avec la crainte à chaque fois d'être arrêté. Il apprend en arrivant que son ami a disparu, il a été arrêté par les Russes. Accueilli dans sa famille, il trouve l'emplacement idéal pour ses abeilles. Il découvre à quel point les Tatars sont mal vus, poussés à quitter le territoire. 

    La poésie est très présente dans ce roman, alors qu'autour tout n'est qu'inquiétude et angoisse. S'il est en butte à de la méfiance, Sergeïtch découvre aussi des personnes généreuses et une entraide naturelle.

    Il finira par revenir au village où rien n'a bougé, riche de ces rencontres, avec des lendemains toujours aussi incertains. Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est ..

    Une lecture indispensable.

    "La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l'existence humaine. Et ce n'était pas à l'avantage de la seconde."

    L'avis de Choupynette Delphine-Olympe Krol Miriam Pativore Violette etc ...

    Andréï Kourkov - Les abeilles grises - 400 pages
    Traduit du russe par Paul Lequesne
    Editions Liana Levi - 2022

  • Rien ni personne

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    "A la fin de l'audience de conciliation, la juge avait débité son discours en soulignant que monsieur apparaissait comme un personnage imprévisible et violent au passé de délinquant multirécidiviste, sans emploi à ce jour, squattant une caravane et venant de se faire retirer son permis pour conduite en état d'ivresse et qu'au vu de ces éléments, l'enfant serait confié à sa mère. Dans sa grande magnanimité, elle accordait au père un droit de visite sans hébergement un dimanche sur deux de dix heures à dix-huit heures, en attendant que monsieur trouve un logement digne de ce nom pour accueillir l'enfant".

    Voilà un court roman qui cogne fort sur un sujet pas si souvent abordé, l'amour paternel. Le père, Dylan, qui est le narrateur, a multiplié les bavures et les mauvais choix. Il a beau savoir qu'il est enclin au pétage de plombs, il a l'art de se fourrer dans des situations sans issue.

    Nous faisons sa connaissance alors qu'il est interné en hôpital psychiatrique après un accès de violence. Bourré de médicaments, il a l'esprit encore moins clair que d'habitude lorsqu'il apprend que Clara, son ex-compagne a l'intention de déménager à l'autre bout du pays, emmenant Nino, leur fils de deux ans avec elle. C'est pour lui la certitude de ne plus le voir et c'est intolérable.

    Dès lors se met en route une chaîne de réactions qui ne s'arrêtera plus. Dylan réussi à se faire la belle de l'hôpital et récupère son fils, l'entraînant dans une cavale qui ne pourra que mal se terminer.

    Son amour pour son fils est incommensurable, la seule belle chose qui lui soit arrivée dans la vie. Il a cru un moment pouvoir vivre une vie de famille normale avec Clara, mais c'était sans compter sur les propres problèmes de celle-ci, droguée, instable, manipulatrice. La première année de Nino, c'est Dylan qui s'en est complètement occupé, Clara n'étant pas en étant de le faire.

    C'est une histoire très réaliste, le langage est direct, Dylan n'a pas les mots qui lui permettraient peut-être de réagir autrement. En s'enfuyant, il sait que son geste est désespéré, qu'il va être poursuivi, mais il va de l'avant, dominé par sa souffrance et le besoin de son enfant.

    Je ne vous cache pas qu'en pressentant la fin, j'ai ralenti ma lecture, freinant des quatre fers en espérant me tromper. Mais quel choix la société a-t'elle laissé à Dylan tout au long de sa vie ? Je me suis souvenue avoir eu les mêmes réflexions à la lecture de "Bord de mer" de Véronique Olmi.

    En refermant le livre, reste un certain nombre de questions, assez vertigineuses autant d'un point de vue personnel que collectif.

    Ludovic Joce - Rien ni personne - 146 pages
    Editions du Jasmin - 2022

  • Donbass

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    "Quant à savoir qui avait commencé, c'était une autre histoire, et même les observateurs étrangers de l'OSCE se gardaient de tirer de telles conclusions. Un obus tiré sur Avdiïvka pouvait être la réponse à un tir de mitrailleuse ukrainien ou à une roquette tirée une heure plus tôt depuis une autre position du front. A quoi bon, dès lors, accuser les uns ou les autres pour finalement se fâcher avec leurs employeurs occidentaux ou russes qui finançaient leur mission. Au lieu de cela, tout le monde continuait à parler de "cessez-le-feu fragile", passant par pertes et profits le million de personnes qui, selon les décomptes officiels, habitaient à moins de cinq kilomètres de part et d'autre de la ligne de front. La poursuite de ce conflit larvé convenait aussi bien à Kiev qu'aux rebelles et à leur parrain moscovite".

    Nous sommes en 2018, dans le Donbass, en guerre depuis déjà quatre ans. Le colonel Henrik Kavadze est chef de la police locale dans la petite ville d'Avdiïvka, côté Ukrainien, plus par hasard que par conviction. Il aurait pu aussi bien rester côté séparatiste où il habitait auparavant, dans la ville de Donetsk. Il est désabusé, revenu de tout, surtout depuis la mort accidentelle de sa fille unique, à 10 ans. Son couple n'a pas résisté à ce malheur et s'il vit encore sous le même toit que sa femme, ils n'ont plus rien à se dire. Par ailleurs ancien soldat en Afghanistan, il est régulièrement hanté parce qu'il a vu et fait là-bas, dans une autre guerre.

    La mort sauvage d'un enfant de six ans va le sortir de sa torpeur, il ne peut pas fermer les yeux et va enquêter, y compris contre sa propre hiérarchie.

    Si j'ai choisi ce roman policier à la bibiothèque, c'est bien sûr à cause du contexte actuel, pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se joue dans cette région du monde.

    L'intrigue policière se tient bien jusqu'où bout. Le colonel suit d'abord une piste liée à son passé en Afghanistan, puis une autre mettant en lumière la multitude de trafics qui se tiennent dans la région. L'enfant aurait-il vu ce qu'il ne devait pas voir ? Un deuxième meurtre va venir embrouiller un peu plus la situation.

    Mais ce n'est pas ce qui m'intéressait le plus. Nous sommes surtout plongés dans le quotidien de la guerre, dont plus personne ne sait pourquoi elle a vraiment commencé. Dans cette zone il ne reste plus guère que des grands-mères, tous les autres ont fui vers Kiev. La vie est rythmée par les explosions plus ou moins lointaines, les bombes ont fait des dégâts. La corruption est partout, du haut en bas de l'échelle sociale. Le chaos règne, les lendemains sont incertains, chacun se débrouille comme il peut.

    L'accent est mis sur le passé minier du Donbass, la fierté des mineurs de cette époque-là et leur déclassement après la chute de l'Union Soviétique. Ils regardent de travers leurs compatriotes de Kiev, trop tournés vers l'Occident et son style de vie. Chaque famille ou presque a des membres des deux côtés, d'où des déchirements constants.

    Lorsque le roman a été écrit, la situation pourrissait, nous connaissons aujourd'hui son évolution, ce qui a certainement modifié ma perception du livre. Je ne suis pas spécialiste en géopolitique, je ne me lance donc pas dans plus d'explications. Même si je le savais par les medias, j'ai été frappée par l'importance de la corruption et la présence des mafias.

    Le personnage du Colonel est attachant. Il est loin d'être un saint, mais il reste en lui une humanité qui lui permet de ne pas sombrer complètement et d'avoir encore le courage de lutter contre une injustice trop flagrante. Il décrit une situation bien plus nuancée que ce que nous entendons d'habitude.

    La forme du roman policier a correspondu à ce que je cherchais : comprendre un peu mieux la génèse du conflit, sans me perdre dans des analyses trop spécialisées.

    "Henrik, lui, avait seulement incliné le haut du corps et baissé la tête. Toujours le même refus de faire corps, la réticence à se joindre à la masse. Il connaissait trop bien les extrémités dont celle-ci était capable. Elles pouvaient être lumineuses, comme ce matin de mars où des centaines de têtes s'inclinaient devant un cercueil d'enfant, ou terribles. C'est la foule qui avait décidé de la guerre. La foule qui avait convoqué le vieux démon de la haine. Les frustrations et les rancœurs de chacun s'étaient mêlées, assemblées pour ne former plus qu'une colère sauvage, un amas de fureur."

    L'auteur, Benoît Vitkine est correspondant du Monde à Moscou, il a reçu le prix Albert Londres 2019 pour une série de reportages réalisés en Ukraine. "Donbass" est son premier roman.

    L'avis de Zazy

    Benoît Vitkine - Donbass - 282 pages
    Editions Les Arènes - 2020