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  • Blackwater tome 1 La crue

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    "Oscar savait que Mary-Love et Elinor avaient la capacité de le manipuler. Elles obtenaient ce qu'elles voulaient. En réalité, chaque femme recensée à Perdido obtenait ce qu'elle voulait. Bien entendu, aucun homme n'aurait admis être aiguillé par sa mère, sa soeur, son épouse, sa fille, sa cuisinière, ou par aucune femme qu'il croisait au hasard des rues - la plupart, d'ailleurs, n'en avaient même pas conscience. Oscar, si. Mais bien qu'il ait conscience de sa soumission, de sa véritable impuissance, il était incapable de se libérer des chaînes qui l'entravaient".

    Je pense que tout le monde a maintenant entendu parler de cette série dont le succès ne se dément pas depuis le printemps. Un texte feuilletonesque paru en 1983 aux Etats-Unis et jamais traduit en français. Monsieur Toussaint Louverture a fait un vrai pari en se lançant dans l'aventure, sous forme de 6 tomes d'avril à juin.

    Après avoir résisté, la curiosité a été la plus forte, j'étais intriguée par le côté imaginaire et fantastique annoncé.

    Le premier tome, "la crue" nous emmène dans la ville présentement submergée de Perdido (Alabama) où vit la famille Caskey. La rivière Blackwater a débordé de son lit. Oscar, le fils Caskey, se rend en barque dans les rues de la ville, essayant d'évaluer les dégâts sur les maisons et surtout sur sa fabrique de bois. Il est accompagné par Bray, un domestique noir. Ils aperçoivent un signal à une fenêtre et découvrent une femme, Elina, qui serait enfermée dans une chambre depuis quatre jours.

    Ses cheveux sont d'une couleur peu commune, proche de celle de la rivière. Elle se prétend institutrice mais ses diplômes ont disparu. Si Oscar est déjà sous le charme, Bray a peur de cette femme et veut s'en aller au plus vite.

    Oscar emmène Elina sur les hauteurs de Perdido, là où est réfugiée une bonne partie de la population, sous la houlette de Mary-Love Caskey, la matriarche qui déteste aussitôt Elina, sentant en elle une potentielle concurrente à la forte personnalité.

    J'ai lu ce premier tome comme une saga familiale banale, hormis quelques scènes ou indices ou le lecteur comprend qu'Elina n'est pas forcément ce qu'elle dit et glace les os ; des jalons posés qui laissent supposer des drames gratinés pour la suite.

    C'est une lecture facile et agréable, c'est amusant de voir les ruses mises en place par Mary-Love pour garder le pouvoir sur son fils et damer le pion à Elina. Ladite Elina a pourtant mis tout le monde à ses pieds, Oscar, sa soeur Sister, le frère de Mary-Love James etc .. etc .. Nous avons droit aux démêlés habituels des riches familles où l'argent circule facilement. Les secrets et les coups bas aussi.

    J'ai été étonnée par le ton résolument féministe de l'histoire, ce n'était pas si fréquent en 1983. Les hommes ne font vraiment pas le poids face à des femmes qui décident de tout et ne s'en laissent pas conter.

    J'ai passé un bon moment, mais je ne me sens pas enthousiaste au point d'enchaîner avec le deuxième tout de suite. Je le lirai, sans urgence. J'attendais plus de fantastique. Un mot sur la couverture de grande qualité et collant parfaitement à l'histoire.

    L'avis de Alex Brize Une Comète

    Michael MCDOWELL - Blackwater 1 - La crue -256 pages
    Traduit de l'anglais par Yoko Lacour et Hélène Charrier
    Monsieur Toussaint Louverture - 2022

  • La vieille maison

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    "La maison de Chasper, très vieille, est une des plus singulières, par ici. A moitié en pierre, avec des murs irréguliers, à moitié en bois, les poutres et les planches presque noires, un balcon couvert, des fenêtres de tailles différentes. Il n'y a pas l'ombre d'une symétrie : on ne sait pas pourquoi cette maison, à partir du milieu, penche un peu sur le côté. Le fond de la grange, sous le même toit, arrive jusqu'à la roche ; le toit est couvert de bardeaux. Au mur, l'année de construction, décolorée : le milieu du dix-septième siècle. La pierre et le bois ont résisté au temps, bien que le temps soit toujours là, fouillant tout autour, de ses mains silencieuses."

    A la mort de son père, Chasper hérite de la demeure familiale à laquelle il est très attaché. Le hic, c'est que l'héritage n'est constitué par ailleurs que de dettes, contractées auprès de Lemm, le cafetier du village, qui a lui-même des vues sur la maison.

    Chasper n'a pas un sou pour rembourser, condition indispensable s'il veut la conserver . Dans un premier temps, il pense trouver quelqu'un pour lui prêter l'argent parmi les villageois qu'il connaît. Hélas il se heurte à des refus plus ou moins justifiés.

    Dans ce village alpin des Grisons, Lemm a un certain pouvoir et les habitants se plient à sa volonté. Les villageois évitent désormais de croiser Chasper. Il peut compter seulement sur l'amitié indéfectible de Christian, aussi pauvre que lui.

    "Jolanda ne semble pas être ici, ni la tenancière. Lemm ne vient pas lui demander ce qu'il veut boire. Chasper attend. Il essaie de garder son calme, mais pendant que Melcher continue à parler de son chien, il se sent bouillonner. Pas à cause de la bière, mais à cause du tenancier. Il voit les têtes des hommes, leurs gueules indifférentes, leur fumée bleutée, leur manière de jeter les cartes sur les tables. L'un d'eux se lève et va vers les toilettes, passe à côté de Chasper, lui lance un regard, mais sans le saluer. Deux lampes au plafond, une horloge murale, le portrait du vieux Lemm, une vitrine avec quelques couronnes de la société de tir, à côté d'une réclame de tabac Rössli".

    Chasper passe son temps seul, à imaginer des solutions. Il se remémore le passé, quand ses parents étaient encore en vie, leur existence simple à s'occuper des terres, des bêtes et la grande douleur liée à la disparition de Dominic, le frère aîné de Chasper, parti du jour au lendemain, nul ne sait où. Chasper n'a pas perdu l'espoir de voir un jour Dominic ressurgir au coin d'une rue, riche de multiples aventures.

    L'autre souffrance dans le coeur de Chasper c'est Johanna, la femme de sa vie, qui s'est mariée à un autre. Elle lui aurait volontiers prêté la somme qu'il lui faut, mais elle en est empêchée.

    Les jours passent, Chasper voit s'éloigner toutes les possibilités de conserver la maison, en même temps que grandit sa certitude de vouloir la garder coûte que coûte.

    Je ne peux évidemment pas vous raconter la fin, à la hauteur de tout ce qui a précédé.

    J'ai beaucoup apprécié cette histoire, parue en 1999 en romanche (4e langue suisse) traduite tardivement en français, pour les 85 ans de l'auteur.

    Le personnage de Chasper est attachant ; la description du village et de ses habitants donne rapidement une impression de familiarité. La vie y est rude, le tempérament des villageois aussi. L'écriture et le style me donne envie de poursuivre avec l'auteur.

    "Souvent on est bien tout seul, mais parfois on crève de solitude. Il arrive qu'il ne voie âme qui vive des journées durant. Ce n'est pas une vie. Ce serait bien différent s'il avait une femme et des enfants, un quotidien normal et surtout des repas convenables. Si l'on pouvait bavarder à table. S'il avait voulu, il aurait sans doute trouvé une femme, mais Johanna, bien qu'elle n'y puisse rien, l'a empêché d'en prendre une autre. C'est comme ça, c'est tout".

    Encore une belle découverte dont il serait dommage de se priver.

    L'auteur : Oscar Peer (1928-2013) a écrit une quinzaine d'ouvrages en romanche, la langue du canton alpin des Grisons, dont il est l'un des écrivains emblématiques.

    Oscar Peer - La vieille maison - 195 pages
    Traduit du romanche par Walter Rosselli
    Zoé poche - 2022

  • Neuf parfaits étrangers

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    "Elle ne pouvait même pas mettre en cause l'éducation qu'elle avait reçue pour justifier sa réaction des plus lamentables. Quand elle avait huit ans, un homme avait mis la main aux fesses de sa mère dans une rue de banlieue. "Joli cul", avait-il lancé sur un ton amical. Frances avait pensé : Oh, il est gentil le monsieur, de dire ça. Et la seconde suivante, elle avait regardé, stupéfaite, sa mère - un petit bout de femme d'un mètre cinquante-cinq à peine - s'élancer à sa poursuite, le pousser dans un coin et lui envoyer un sac plein de livres reliés empruntés à la bibliothèque sur la tête, telle une championne de lancer de disque".

    Je cherchais une lecture-détente et j'ai sorti de ma PAL ce roman dont j'étais à peu près sûre qu'il remplirait son rôle.

    Comme dans les précédents, nous retrouvons une belle brochette de personnages qui s'expriment à tour de rôle sur une situation donnée. Nous sommes en Australie et un petit groupe se retrouve dans un lieu paradisiaque "Tranquillum House" pour une cure de bien-être dont ils ressortiront complètement transformés (dixit la publicité).

    La cure est dirigée de main de maître par une femme, Masha, secondée par Yao et Dalila. Masha a pour but d'amener ses pensionnaires à un éveil spirituel élevé à l'aide de techniques .. innovantes. Qui lui rapporteront évidemment argent et notoriété.

    Il y a là, Frances, une autrice déprimée en fin de carrière ; un couple avec leur fille souhaitant passer loin de tout l'anniversaire du décès de leur fils ; un sportif de haut niveau pleurant sa forme perdue ; le beau mec du groupe, qui teste toutes les cures possibles ; Carmel, une femme abandonnée par son mari et débordée par ses quatre petites filles ; un jeune couple qui a eu le malheur de gagner une grosse somme au loto ...

    Pendant un bon moment j'ai retrouvé l'habileté de l'autrice à dresser le portrait des candidats au mieux-être, les interactions entre les uns et les autres, l'atmosphère particulière qui règne dans le centre. Un jeûne leur est imposé d'emblée, avec une prise de sang quotidienne. Le silence est de rigueur, ils ne doivent pas se parler, même au sein des couples. Masha les laisse dans l'ignorance de ce qu'elle prévoit pour eux. Entre yoga, méditation, taï-chï, plus d'un regrette d'être venu se fourrer dans cette galère.

    Ceci dit, ils ont payé cher pour venir ici et ils ont envie d'y croire à cette transformation radicale. Jusque là c'est assez drôle et gentiment moqueur, voire touchant. Seulement c'est long .. très long et les deux cent dernières pages se traînent sans beaucoup intérêt. Masha la grande prêtresse a quelque peu pété les plombs, la cure prend une tournure très anxiogène. J'ai eu l'impression que l'autrice ne savait plus comment terminer son roman et avouons que c'est un peu n'importe quoi.

    C'est une lecture distrayante certes, mais qui ne tient pas toutes ses promesses.

    L'avis d'Eimelle

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    Liane Moriarty - Neuf parfaits étrangers -672 pages
    Traduit de l'anglais (Australie) par Béatrice Taupeau
    Le Livre de Poche - 2021

  • Identités croisées

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    "C’est le principe même de ces émissions. Tu n’as jamais regardé ? On prend des jeunes gens malléables qui rêvent de gloire et on les manipule comme on veut. C’est open bar. On les fait boire. On crée des situations toxiques. Chaque participant, alors qu’il manque déjà de confiance en lui, passe par une essoreuse émotionnelle, et aucun n’est équipé pour ça."
     
    Retrouvailles avec Wilde, découvert dans "L'inconnu de la forêt". Le personnage est toujours sympathique, malgré son côté sauvage et sa manie de disparaître du jour au lendemain sans donner de nouvelles.
     
    Dans le premier épisode, il hésitait à poursuivre une recherche ADN sur un site spécialisé. Cette fois-ci il se lance pour essayer de savoir qui a bien pu l'abandonner dans la forêt lorsqu'il avait 5-6 ans. J'ignorais tout de ce genre de recherche et c'est assez intrigant à suivre.
     
    L'enquête se complexifie assez rapidement, avec une multitude de personnages et plusieurs intrigues menées de front. Une piste l'emmène dans le monde de la téléréalité, écoeurant au possible et au coeur de multiples combines sordides.
     
    Il tombe également sur un mystérieux groupe de justiciers du web, déterminés à punir tous ceux qui ont détruit la réputation, voire la vie de quelqu'un sur la toile. Ça fait beaucoup de pistes, mais avec un peu d'attention, on s'y retrouve.
     
    Bien entendu les morts s'accumulent, il est question d'un tueur en série. On se demande comment les liens vont se faire avec toutes ces intrigues. J'avoue qu'à la fin je n'avais pas vu le coupable venir.
     
    Côté sentimental, Wilde entretient toujours une liaison avec Laïla, la veuve de David, qui était son meilleur ami. La situation évolue enfin, un peu grâce à Matthew, le fils de Laïla, laissant supposer une stabilisation dans la vie de Wilde. 
     
    Le plus captivant est sa recherche de parenté ; une partie du voile se lève sur ses ascendants, mais pas tout. Ce qui promet un troisième opus, que je lirai parce que je suis suffisamment curieuse.
     
    J'oubliais Hester, avocate, (et grand-mère de Matthew) toujours là dès que Wilde s'est fourré dans le pétrin. Partagée entre son nouvel amoureux et sa déontologie, elle nous vaut quelques pages combatives et réjouissantes.
     
    J'ai préféré nettement ce deuxième opus au premier de la série. Le rythme est plus nerveux. L'intérêt principal c'est Wilde et là, tout est centré sur lui, son passé dont il a tout oublié, et l'intérêt ou pas, de rechercher une parentèle. Ce n'est pas un super héros, mais un homme qui cherche à vivre au mieux avec son histoire et son entourage.
     
    C'est un roman qui se lit facilement, avec un suspense constant et des personnages attachants. Vous pouvez le lire indépendamment du premier.
     
    L'avis de Brize
     
    Harlan Coben - Identités croisées - 400 pages
    Traduit de l'américain par Roxane Azimi
    Editions Belfond - 2022
  • La brillante destinée d'Elizabeth Zott

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    "Pourtant elle en était là : mère célibataire, scientifique à la tête de ce qui était probablement l'expérience la moins scientifique de tous les temps : l'éducation d'un autre être humain. Pour elle, être parent, c'était comme passer un examen sans avoir révisé. Les questions étaient décourageantes et il n'y avait pas assez de choix multiples dans les réponses. De temps en temps, elle se réveillait, trempée de sueur, après avoir imaginé qu'on frappait à la porte et qu'une sorte de figure d'autorité, avec un panier vide de la taille d'un bébé, lui disait : "Nous venons d'examiner votre dernier rapport de performance parentale et il est difficile de le formuler autrement : vous êtes virée."

    Elizabeth est une chimiste de grand talent. Elle travaille dans un institut où elle peine à se faire reconnaître, les femmes étant censées rester au foyer et s'occuper de leur famille. Nous sommes aux Etats-Unis, dans les années 60, le patriarcat règne en maître. Mais Elizabeth ne l'entend pas de cette oreille et elle s'obstine, allant jusqu'à voler du matériel à ses collègues masculins mieux nantis.

    Seul, un brillant chercheur la remarque, Calvin Evans, candidat éventuel à un futur Nobel. Il est subjugué par son travail et sa beauté. C'est le coup de foudre immédiat et réciproque. Faisant fi des conventions, ils vivent ensemble sans être mariés.

    Comme la vie n'est pas un conte de fées, cet amour va être brisé et Elizabeth va se retrouver mère célibataire, éjectée de son travail, obligée de trouver rapidement des ressources. C'est ainsi qu'elle anime une émission de cuisine à la télévision. Elle le fait à sa manière, en y introduisant un maximum de chimie et une bonne louche de rebellion contre la misogynie ambiante, incitant les femmes à secouer le cocotier.

    C'est un premier roman pétillant, drôle, frondeur, loufoque, avec un fond sérieux qui rappelle la force de la domination masculine et l'hypocrisie qui va avec. S'il y a eu des progrès, on peut en voir encore de beaux restes autour de nous.

    Les personnages sont bien croqués, Elizabeth a un entourage qui ne manque pas de piquant, à commencer par le chien Six-trente qui, s'il n'a pas la parole, n'en pense pas moins et n'hésite pas à apporter son grain de sel lorsqu'il le faut.

    Elle est parfois agaçante Elizabeth, avec son côté hyper-logique et intransigeant, peu en phase avec la vie courante, mais la minute d'après elle nous emporte dans une diatribe féministe jubilatoire. Et l'émotion prend souvent le dessus devant les coups du sort qu'elle doit affronter. Heureusement il y a Harriet sa voisine providentielle, son patron à la télévision à qui elle attire quelques déboires, et sa petite fille Mad, qui s'avère aussi brillante et raisonneuse qu'elle.

    C'est une lecture divertissante, idéale pour se changer les idées, mais pas que ..

    L'avis de Séverine

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    Bonnie Garmus -La brillante destinée d'Elizabeth Zott - 576 pages
    Traduit par Christel Gaillard-Paris
    Editions Robert Laffont - 2022

  • Idiss

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    "Parfois, je me suis interrogé sur la foi d'Idiss. Quel sentiment l'animait lorsqu'elle priait ainsi, en ces temps d'épreuves ? Enfant, à l'école de la petite synagogue bessarabienne, elle avait jadis appris les rudiments de la religion juive. Elle avait été élevée dans ses pratiques et avait vécu selon ses rites. Avait-elle cependant conservé une foi inaltérable dans la bonté et la justice divine ? En ces jours du printemps 1940, elle suppliait l'Eternel tout puissant de secourir son peuple et de protéger sa famille. Mais le soleil brillait de l'aube au coucher sur le triomphe de l'armée allemande. Et le silence de l'Eternel était accablant."

    On ne présente plus Robert Badinter, l'avocat brillant, ministre de la Justice ayant réussi à faire abolir la peine de mort en France, sous le mandat de François Mitterrand. Je n'avais par contre qu'une vague idée de son histoire personnelle, avant de commencer ce magnifique hommage à sa grand-mère maternelle, Idiss.
     
    La famille est originaire de Bessarabie, alors province de l'Empire russe (actuellement en Moldavie) au coeur du Yiddishland. Idiss vit dans un shtetl, dans une grande pauvreté. Elle est analphabète, l'école étant réservée aux garçons. Ce qui lui fera accorder une grande importance à l'éducation de ses petits-enfants par la suite. Elle rencontrera l'amour de sa vie, Schulim, aura deux fils avec lui et plus tard une fille, Chifra, renommée Charlotte en France, la mère de Robert et Claude Badinter.
     
    C'est l'antisémitisme et les pogroms qui feront fuir la famille en France. Ils se font une haute idée de la République et de ce qu'elle peut offrir à des exilés comme eux.
     
    Le livre est riche d'enseignements sur l'époque et sur l'état d'esprit d'Idiss, qui s'est accoutumée à la vie parisienne et entoure ses petits-enfants de tout l'amour dont elle est capable.
     
    Ils propéreront à Paris jusqu'aux jours plus sombres des années trente et de la guerre. C'est tout un monde qui s'écroule alors avec son lot de tragédies.
     
    J'ai été touchée par la grande tendresse qui se dégage de ce récit. L'écriture est sobre, l'auteur se fait parfois un peu moqueur devant les défauts ou faiblesses de certains membres de sa famille, sans jamais surcharger.
     
    Il évoque leur quotidien, ses souvenirs d'école, il n'était pas question que son frère et lui soient autre chose que premiers de la classe. L'antisémitisme n'était pas si répandu que cela parmi leurs camarades, même avec la montée des fascismes. Le quartier du Marais où se regroupaient la plupart des familles venues de l'Est, ravivait les odeurs, les saveurs qui enchantaient sa grand-mère.
     
    A la lecture, on comprend mieux d'où les combats de Robert Badinter prennent leur source. On voit aussi à quel point cette communauté d'exilés était reconnaissante au pays qui les avait accueillis, continuait à avoir le plus grand respect pour lui et à quel point elle est tombée de haut en 1940.
     
    Les jours de douleurs ont profondément marqué l'auteur qui n'avait que douze ans au moment de l'arrestation de son père.
     
    Au delà de la famille Badinter, ce livre fait revivre un monde qui a complètement disparu avec la guerre. On mesure les profonds bouleversements qui ont jalonné la vie d'Idiss et sa souffrance à la fin de sa vie, confrontée à nouveau à un antisémitisme virulent.
     
    Ce récit a été adapté en bande dessinée par Fred Bernard et Richard Malka (Editions Rue de Sèvres)
     
    Robert Badinter - Idiss - 264 pages
    Le Livre de Poche - 2019
     
  • Code 93

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    "Quatre voies grises et sans fin s’enfonçant comme une lance dans le cœur de la banlieue. Au fur et à mesure, voir les maisons devenir immeubles et les immeubles devenir tours. Détourner les yeux devant les camps de Roms. Caravanes à perte de vue, collées les unes aux autres à proximité des lignes du RER. Linge mis à sécher sur les grillages qui contiennent cette partie de la population qu’on ne sait aimer ni détester. Fermer sa vitre en passant devant la déchetterie inter-municipale et ses effluves, à seulement quelques encablures des premières habitations. C’est de cette manière que l’on respecte le 93 et ses citoyens : au point de leur foutre sous le nez des montagnes de poubelles. Une idée que l’on devrait proposer à la capitale, en intramuros. Juste pour voir la réaction des Parisiens. À moins que les pauvres et les immigrés n’aient un sens de l’odorat moins développé"

    Je voulais découvrir cet auteur de polars depuis longtemps, voilà qui est fait. Nous sommes dans le 93, département particulièrement pauvre en région parisienne. Appelée sur les lieux d'un crime, l'équipe de Victor Coste de la PJ découvre un homme émasculé. Déclaré mort, il se réveille au milieu de l'autopsie.

    Comme si cela ne suffisait pas, un deuxième cadavre couvert de brûlures est trouvé à son tour dans un appartement vide. C'est celui d'un jeune toxico. Coste est un flic aguerri, ces deux affaires sentent les ennuis à plein nez, juste au moment où il perd son meilleur adjoint, muté à Annecy.

    Je ne dirai pas grand chose de l'enquête, au risque de trop en dévoiler. Elle part du corps d'une jeune femme non identifiée, toxico très abîmée et de la mystérieuse disparition de dossiers.

    L'affaire se complique au fur et à mesure, sans que l'on perde le fil. L'auteur étant lui même un policier, on imagine que ce qu'il décrit est très près de la réalité. Le style est cru, les touches d'humour aussi.

    Malgré sa longue expérience, Victor se retrouve dans un certain brouillard, pris dans une embrouille qui touche sa hiérarchie, mais pas que .. Une partie de l'action touche au trafic de drogue, à la prostitution, mais aussi aux manoeuvres politiciennes autour du projet du Grand Paris.

    Coste est un flic assez attachant, il n'a pas perdu une certaine humanité. Il ne se remet pas du suicide de sa compagne, mais n'est pas indifférent au charme de la médecin légiste.

    Il frôle la catastrophe plusieurs fois dans cette enquête, qui se refermera d'une drôle de manière.

    J'ai suffisamment aimé pour me procurer dès maintenant le deuxième roman de la série. Je ne vais pas tarder à retrouver Coste et son équipe assez haute en couleurs.

    L'avis de Sandrion Alex Miriam

    Olivier Norek - Code 93 - 258 pages
    Pocket - 2014

  • Comédie d'automne

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    "Les puissants devraient savoir que les courtisans ne sont pas fiables. Mais les puissants sont ivres de flatteries, grisés par les privilèges, habitués aux abus de pouvoir, au point de développer un sentiment d'invulnérabilité. Au lieu que le courtisan, moins assuré, plus malin, passe son temps le nez en l'air à renifler le sens du vent. Et quand il tourne, il tourne avec. On en était là, Place Gaillon, dans le salon réservé aux délibérations, entre le gigot à la menthe et la salade aux truffes, quand les convives virent une langue de feu flotter au-dessus de la tête d'Hervé Bazin".

    L'auteur a obtenu le Prix Goncourt en 1990 pour "les champs d'honneur". Je l'ai lu en son temps, comme tout le monde à l'époque et aimé.

    Je n'avais pas eu l'occasion de le relire avant "Kiosque" (merci Keisha) qui m'avait plu également ; l'auteur y racontait les années passées comme vendeur de journaux dans le 15e arrondissement de Paris.

    "Comédie d'automne" est présenté comme une sorte de suite. Nous retrouvons en effet la narration fragmentée, les digressions, les époques mélangées, les états d'âme du kiosquier.

    Mais c'est surtout l'histoire de ce prix Goncourt inattendu, il n'était même pas dans les premières sélections. L'auteur raconte avec une certaine ironie sa rencontre avec le prestigieux patron des Editions de Minuit, sa décision de sortir "les champs d'honneur" dont il ne devrait pas vendre plus de 300 exemplaires.

    Sans connaissance du milieu médiatico-littéraire, le jeune auteur mettra des années à comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là et les raisons, peu glorieuses, qui l'on amené à avoir le Goncourt.

    La description de ses premiers pas dans ce monde littéraire est savoureuse, notamment la circonspection des medias devant cet inconnu qui va brusquement troubler le jeu. Un marchand de journaux ! autant dire un plouc.

    Nous passons des réactions de la famille de l'auteur à celle des habitués du kiosque qui commentent les évènements au fur et à mesure, des medias qui commencent à rôder dans le coin.

    L'auteur, tranquille, reste relativement serein. Si son livre ne marche pas, et bien il reviendra vendre des journaux. Si personne n'est nommé, c'est assez facile de reconnaître les protagonistes du prix de cette année là et de saisir les manoeuvres destinées à éliminer le favori.

    Certains passages m'ont touchée, comme par exemple les premiers contacts de l'auteur avec le regretté Bernard Rapp et son élégance naturelle.

    Si j'ai aimé retrouver la vie autour du kiosque, avec notamment Albert, et le chemin d'écriture de l'auteur, j'ai fini par me lasser de cette comédie dans le petit monde germanopratin des prix. Ce n'est pas reluisant et je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux aujourd'hui.

    C'est le 6e et dernier opus du cycle poétique de l'auteur.

    L'avis de Keisha Maryline

    Jean Rouaud - Comédie d'automne -288 pages
    Grasset - 2023

  • Faire paysan

    non-fiction

    "Il y a plusieurs sortes de paysans. Il y a "le résigné", un besogneux qui s'acharne dans ses choix, dans le déni de la situation actuelle. Il y a "le nostalgique", un désillusionné qui espère en secret la chute du système et le retour de l'ordre ancien lors de la prochaine grande crise mondiale. Enfin, il y a "l'entrepreneur", celui qui a compris les règles du système en vigueur et travaille à y trouver sa place, à répondre aux attentes de la population, en inventant une nouvelle manière de faire."

    L'auteur, est fils et petit-fils de paysan et bien qu'il ne le soit pas devenu lui-même, il est toujours très attaché au monde de son enfance et à ses valeurs. Pourtant, lorsqu'il revient au village, il n'est plus considéré comme un des leurs puisqu'il est parti vivre à la ville.

    Première réflexion sur le clivage actuel entre un monde paysan parfois très fermé et les urbains souvent accusés d'imposer des règles à un milieu dont ils ne connaissent rien.

    Dans ce livre, l'auteur s'attache à creuser les nombreux griefs des paysans. Il rencontre un maximum d'interlocuteurs de tous bords et essaie de comprendre et de remonter à la source des malentendus. Il n'y réussit pas toujours.

    "A l'heure du dessert - horreur - je franchis sans m'en rendre compte le point de non-retour en prononçant le mot qu'il ne faut jamais prononcer devant un paysan conventionnel de plus de 50 ans : glyphosate".

    Si la politique suisse sur l'agriculture est différente de celle de la France, on retrouve les grands enjeux actuels entre agriculture intensive et culture respectueuse des enjeux climatiques et de l'avenir de la terre.

    Au sein du monde paysan, le clivage générationnel est assez marqué, au grand désarroi des anciens qui se murent souvent dans un mutisme buté. L'auteur expose avec lucidité les défauts de certains et les projets irréalisables de jeunes utopistes.

    Il rencontre également des militants, qui malgré les obstacles permanents ne baissent pas les bras avec l'espoir d'évoluer vers une agriculture qui permettrait aux paysans de vivre de leur travail, sans détruire le vivant.

    "Il est fatigué d'entendre les parlementaires de Berne rabâcher le même argument depuis trente ans. La Suisse compte 800 000 pauvres, il est impensable d'augmenter les prix dans les supermarchés. "Mais c'est absurde ! Ce n'est pas aux paysans d'assumer le scandale des travailleurs sous-payés, c'est aux grandes surfaces de réduire leurs marges !".

    J'ai aimé la variété des rencontres de l'auteur, ses discussions avec son père et sa famille, l'évocation des générations passées. C'est une lecture très agréable, qui a le mérite d'être claire et de mettre en avant des pistes pour l'avenir.

    Mélange d'anecdotes, d'études, de souvenirs, d'exemples, je suis ressortie de ce livre plus éclairée que je n'y étais entrée.

    L'auteur : Né à Morges en 1978, Blaise Hofmann est l’auteur d'une dizaine de romans et récits de voyage. Il reçoit en 2008 pour Estive le Prix Nicolas-Bouvier au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Ses derniers ouvrages sont Marquises (2014), Capucine (2015), Monde animal (2016), Deux petites maîtresses zen (2021) et Faire paysan (2023).. Chroniqueur dans divers journaux suisses romands, il écrit aussi régulièrement des pièces de théâtre et des livres jeunesse, dont Les Mystères de l’eau (2018) et Jour de Fête (2019). En 2019, il a été l'un des deux librettistes de la Fête des Vignerons.

    Blaise Hofmann - Faire paysan - 224 pages
    Editions Zoé - 224 pages

  • Sauvagines

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    "Tu arrives chez moi à pied, par derrière. Il y a une entrée pas loin où tu caches ton véhicule pour braconner près de la pourvoirie, mais tu as aussi un stationnement à l'abri des regards près du chalet de Lionel, au bord de la rivière aux Perles. Si par au moins deux fois tu es venu rôder en mon absence, c'est que tu m'étudies depuis un certain temps".

    Raphaëlle Robicheau est agente de protection de la nature dans le Kamouraska, au nord-est du Québec, au coeur de la forêt boréale. Elle y vit dans une cabane, dans un environnement qui la comble. La quarantaine, solitaire, on devine entre les lignes qu'elle a eu affaire à la violence des hommes et qu'elle a choisi volontairement de s'éloigner pour se consacrer à la défense de la faune et de la forêt. Elle préfère la compagnie des animaux à celle de ses contemporains, exception faite pour certains, comme son vieil ami Lionel, qui veille sur elle mieux qu'un père.

    La première réflexion qui m'est venue est que la Canada n'est pas plus actif que nous dans la lutte contre la diminution de la biodiversité et la protection de la nature. Les coupes de bois sont ravageuses, remplacées par des essences qui rapporteront rapidement. Le braconnage est plus que toléré, les dates de chasse pas respectées, puisqu'il est même permis de tirer des espèces en voie de disparition.

    Lorsque son chien, Coyote, est pris au piège dans un collet, Raphaëlle ne décolère pas, et détruit un site de braconnage où elle trouve un vrai charnier qui atteste de l'ampleur du problème. Dès lors, elle se met en tête d'arrêter le responsable. Difficile dans ce coin perdu, où ce sont souvent une ou deux familles qui font régner leur loi au vu et au su de tous. Elle ne sera pas soutenue par l'office qui l'emploie, en réalité quasiment impuissant.

    Lorsqu'elle s'aperçoit que le braconnier est sur ses traces et qu'elle est devenue proie à son tour, commence un jeu dangereux qui va la mener loin.

    Dans son désarroi et sa peur, elle va trouver un appui en rencontrant Anouk, personnage principal d'"Encabanée", aussi solitaire qu'elle, déterminée à l'aider. Entre les deux femmes il y aura plus qu'une amitié, l'amour s'en mêle, trop heureuses qu'elles sont de se découvrir tant d'affinités.

    Tout comme dans "Encabanée", j'ai apprécié les tournures de langage québécois, les magnifiques descriptions de la vie en pleine nature, les moments de poésie et de beauté. Mais ce n'est pas une histoire douce et paisible, la colère est omniprésente, la violence aussi. Il y a des scènes difficiles à supporter, la souffrance animale y est décrite sans fard mais sans complaisance. Sans parler de la violence des individus.

    La stratégie trouvée par Raphaëlle pour se débarrasser du braconnier et retrouver sa forêt n'est pas des plus simples. Elle installe un suspense fort et des sentiments ambivalents.

    Une lecture qui tient les promesses d'Encabanée. Il va falloir attendre un an avant la parution en France du dernier roman de la trilogie "Bivouac" qui vient de sortir au Canada.

    "J'aimerais que les avions de l'armée canadienne servent, plutôt qu'aux desseins américains, à parcourir notre espace vital pour dénombrer les survivants. Bon sang, faites au moins un inventaire faunique avant de décider de lever les quotas de piégeage de nos beautés boréales ! Combien en reste-t'il, de renards arctiques ? Puis à quel parallèle s'arrêtent véritablement les coupes à blanc ? Autre question : pourquoi est-il plus important de traverser l'Atlantique en avions de guerre que d'installer l'électricité dans les réserves indiennes une fois pour toutes ?

    Lecture commune avec Sandrine

    Gabrielle Filteau-Chiba - Sauvagines - 368 pages
    Editions Stock - 2022