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polar - Page 3

  • Donbass

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    "Quant à savoir qui avait commencé, c'était une autre histoire, et même les observateurs étrangers de l'OSCE se gardaient de tirer de telles conclusions. Un obus tiré sur Avdiïvka pouvait être la réponse à un tir de mitrailleuse ukrainien ou à une roquette tirée une heure plus tôt depuis une autre position du front. A quoi bon, dès lors, accuser les uns ou les autres pour finalement se fâcher avec leurs employeurs occidentaux ou russes qui finançaient leur mission. Au lieu de cela, tout le monde continuait à parler de "cessez-le-feu fragile", passant par pertes et profits le million de personnes qui, selon les décomptes officiels, habitaient à moins de cinq kilomètres de part et d'autre de la ligne de front. La poursuite de ce conflit larvé convenait aussi bien à Kiev qu'aux rebelles et à leur parrain moscovite".

    Nous sommes en 2018, dans le Donbass, en guerre depuis déjà quatre ans. Le colonel Henrik Kavadze est chef de la police locale dans la petite ville d'Avdiïvka, côté Ukrainien, plus par hasard que par conviction. Il aurait pu aussi bien rester côté séparatiste où il habitait auparavant, dans la ville de Donetsk. Il est désabusé, revenu de tout, surtout depuis la mort accidentelle de sa fille unique, à 10 ans. Son couple n'a pas résisté à ce malheur et s'il vit encore sous le même toit que sa femme, ils n'ont plus rien à se dire. Par ailleurs ancien soldat en Afghanistan, il est régulièrement hanté parce qu'il a vu et fait là-bas, dans une autre guerre.

    La mort sauvage d'un enfant de six ans va le sortir de sa torpeur, il ne peut pas fermer les yeux et va enquêter, y compris contre sa propre hiérarchie.

    Si j'ai choisi ce roman policier à la bibiothèque, c'est bien sûr à cause du contexte actuel, pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se joue dans cette région du monde.

    L'intrigue policière se tient bien jusqu'où bout. Le colonel suit d'abord une piste liée à son passé en Afghanistan, puis une autre mettant en lumière la multitude de trafics qui se tiennent dans la région. L'enfant aurait-il vu ce qu'il ne devait pas voir ? Un deuxième meurtre va venir embrouiller un peu plus la situation.

    Mais ce n'est pas ce qui m'intéressait le plus. Nous sommes surtout plongés dans le quotidien de la guerre, dont plus personne ne sait pourquoi elle a vraiment commencé. Dans cette zone il ne reste plus guère que des grands-mères, tous les autres ont fui vers Kiev. La vie est rythmée par les explosions plus ou moins lointaines, les bombes ont fait des dégâts. La corruption est partout, du haut en bas de l'échelle sociale. Le chaos règne, les lendemains sont incertains, chacun se débrouille comme il peut.

    L'accent est mis sur le passé minier du Donbass, la fierté des mineurs de cette époque-là et leur déclassement après la chute de l'Union Soviétique. Ils regardent de travers leurs compatriotes de Kiev, trop tournés vers l'Occident et son style de vie. Chaque famille ou presque a des membres des deux côtés, d'où des déchirements constants.

    Lorsque le roman a été écrit, la situation pourrissait, nous connaissons aujourd'hui son évolution, ce qui a certainement modifié ma perception du livre. Je ne suis pas spécialiste en géopolitique, je ne me lance donc pas dans plus d'explications. Même si je le savais par les medias, j'ai été frappée par l'importance de la corruption et la présence des mafias.

    Le personnage du Colonel est attachant. Il est loin d'être un saint, mais il reste en lui une humanité qui lui permet de ne pas sombrer complètement et d'avoir encore le courage de lutter contre une injustice trop flagrante. Il décrit une situation bien plus nuancée que ce que nous entendons d'habitude.

    La forme du roman policier a correspondu à ce que je cherchais : comprendre un peu mieux la génèse du conflit, sans me perdre dans des analyses trop spécialisées.

    "Henrik, lui, avait seulement incliné le haut du corps et baissé la tête. Toujours le même refus de faire corps, la réticence à se joindre à la masse. Il connaissait trop bien les extrémités dont celle-ci était capable. Elles pouvaient être lumineuses, comme ce matin de mars où des centaines de têtes s'inclinaient devant un cercueil d'enfant, ou terribles. C'est la foule qui avait décidé de la guerre. La foule qui avait convoqué le vieux démon de la haine. Les frustrations et les rancœurs de chacun s'étaient mêlées, assemblées pour ne former plus qu'une colère sauvage, un amas de fureur."

    L'auteur, Benoît Vitkine est correspondant du Monde à Moscou, il a reçu le prix Albert Londres 2019 pour une série de reportages réalisés en Ukraine. "Donbass" est son premier roman.

    L'avis de Zazy

    Benoît Vitkine - Donbass - 282 pages
    Editions Les Arènes - 2020

  • Le serment

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    "Ce n'était que le regard vide d'un homme dont l'alcool avait rongé le cerveau, comme il en avait vu des centaines. Des yeux qui n'avaient soif que d'une chose. Du prochain verre qui aiderait leur propriétaire à oublier tous les précédents qui l'avaient mis dans cet état"

    L'action de ce polar se situe dans la région de Pori, en Finlande. Jari Paloviita vient d'être nommé directeur d'enquête, une promotion qui tombe à pic pour lui, même si c'est en attente du retour du titulaire du poste. S'il se sent bien dans son travail, il ne peut pas en dire autant de son couple qui traverse une crise sévère. Pressé de retrouver sa femme, il laisse ses adjoints, Henrik Oksman et Linda Toivonen, s'occuper d'un crime qui vient d'être commis.

    Dans un chalet isolé où une centaine de personnes faisaient la fête depuis deux jours, un invité en a poignardé un autre avant de s'enfuir dans les bois environnants. La pluie qui tombe en continu rend le travail difficile et la boue efface rapidement les traces. Le suspect principal est retrouvé et arrêté. Les personnes présentes sont dans un tel été d'ébriété et d'abrutissement général que les enquêteurs peinent à reconstituer la scène.

    Jari Paloviita survole l'enquête, ayant pleine confiance en ses adjoints, jusqu'au moment où il voit les noms de l'homme assassiné et du suspect. Le passé lui revient en boomerang d'un seul coup. Tétanisé, il doit admettre que le suspect est son ami d'enfance et le mort celui qui les a tourmentés au-delà de l'imaginable. Il a fait table rase de ce passé, même sa femme n'est pas au courant de ce qu'il a vécu.

    Il cherche à cacher qu'il les a connus tous les deux et à partir de là, il se met à agir de manière irrationnelle, à mentir et à se conduire injustement avec son équipe. Son comportement devient de plus plus étrange aussi aux yeux de sa femme et de ses deux filles, ce qui n'arrange pas la situation.

    Les racines du drame sont dévoilées par flash-back, remontant aux années 1990. La victime et le suspect avait en commun des pères très violents et cette violence s'est répercutée de manière différente chez l'un et l'autre. Jari se sent coupable de ne pas avoir cherché à savoir ce que devenait son ami, Antti, clochardisé, alors que lui a un bon travail, une belle maison et deux adorables fillettes.

    Jari va se mettre en danger à tout point de vue pour continuer à dissimuler ce qu'il sait et mener l'enquête seul de son côté, à rebours de ses adjoints. Ceux-ci sentent que quelque chose n'est vraiment pas normal, sans pouvoir mettre le doigt sur quoi.

    L'intrigue est bien menée, malgré quelques longueurs et des invraisemblances. Un peu trop classique peut-être avec ses enquêteurs aux multiples problèmes. Outre Jari, Henrik Oksman, excellent enquêteur, n'est pas aimé de ses collègues, froid, bourré de tocs, il tait lui aussi un passé dur. Et là, c'est l'enquêtrice, Linda, qui a un gros problème avec l'alcool.

    Il semblerait que ce soit le premier d'une série. Reprendra-t'elle les mêmes enquêteurs ? Après les mensonges et infractions multiples commis par Jari Paloviita au nez et à la barbe de ses collègues, je me demande comment il envisage la suite de sa carrière.

    Un auteur à découvrir et peut-être à suivre.

    L'avis de Violette

    Artuu Tuominen - Le serment - 432 pages
    Traduit du finnois par Anne Colon du Terrail
    Editions de la Martinière - 2021

  • Une pluie de septembre

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    "Tu crois que c'est comme ça qu'on répare le monde, dit-il ? Tout le monde se met en colère et reste en colère ? Je sais qu'on a tous le fantasme de dire aux gens qui nous ont fait souffrir à quel point ils nous ont fait souffrir, mais la plupart du temps, ils ne le regrettent même pas, alors c'est quoi la solution ? Tu comptes juste rester en rogne pour le restant de tes jours ?"

    Voilà un premier roman qui frappe fort. Nous sommes dans une petite bourgade du Colorado, refermée sur elle-même, dominée par une communauté religieuse intolérante et étouffante.

    Après une soirée très arrosée, Abigail Blake, 17 ans, disparaît dans la forêt des Tall Bones. Les rumeurs vont bon train, d'autant plus qu'Abigail fait partie d'une famille dysfonctionnelle méprisée par le reste des habitants.

    On retrouve une trame assez utilisée ces dernières années, une famille qui vit à l'écart en bord de forêt, un père violent revenu détruit de la guerre au Vietnam, une mère passive qui laisse faire, trois enfants qui vivent en permanence dans la peur et le rejet des autres.

    Plusieurs personnages vont prendre la parole alternativement, nous faisant entrer peu à peu dans le détail de ce qui a pu se passer, au présent et au passé. Chaque narrateur a quelque chose à cacher, plus ou moins grave. La police patauge, aucun corps n'est retrouvé, laissant un doute lancinant sur la présence d'un meurtrier au sein du village.

    Dès le début du roman, l'autrice sait installer une tension qui va aller crescendo. La jeune Emma, seule véritable amie d'Abigail, se met en tête de trouver ce qui s'est passé. Elle est écrasée de culpabilité à l'idée qu'elle a laissé Abigail s'en aller ce soir-là alors qu'elle aurait pu l'aider.

    C'est une lecture très addictive, qui ne se lâche pas. Je me suis attachée rapidement à certains personnages, Emma, mal vue parce que latino, les frères d'Abigail, tellement éprouvés, Hunter, un jeune homme qui en sait plus qu'on ne le pense et ne sait pas quoi en faire. La violence du père d'Abigail est terrifiante, la passivité de sa femme, indifférente à la souffrance de ses enfants tout autant.

    Tout le monde prie avec constance, pour un oui ou pour un non, ce qui n'empêche pas de se conduire avec une terrible inhumanité, pasteur en tête.

    L'intrigue est fort bien construite, riche en rebondissements et en changements de direction et les personnages sont suffisamment étoffés pour que l'on s'y laisse prendre.

    Un premier roman très prometteur, une autrice à suivre.

    "Née en 1995, Anna Bailey a grandi en Angleterre avant de rejoindre une petite communauté religieuse suffocante du Colorado. Elle en est revenue très vite."

    Anna Bailey - Une pluie de septembre - 408 pages
    Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié
    Sonatine - 2021

  • L'eau rouge

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    "Tous deux vivent avec la ferme conviction que, s'ils se tiennent à distance des problèmes, les problèmes garderont leurs distances vis-à-vis d'eux".

    L'histoire commence en 1989, à Misto, petit port sur la côte dalmate, non loin de Split. Jakov et Vesna mènent une vie sans histoire avec leurs deux enfants, deux jumeaux Mate et Silva.

    Lorsque Silva, 17 ans, leur annonce qu'elle sort, ils ne relèvent pas la tête, sans savoir qu'ils ne la reverront pas. Elle disparaît sans laisser de trace. C'est une fille joyeuse, remuante, elle se rendait à la fête des pêcheurs, comme tout le village.

    Les policiers débarquent et commencent à enquêter. Qu'a-t'il pu se passer durant la soirée ? Certains l'ont vue, d'autres taisent ce qu'ils savent. Vesna est folle d'inquiétude et pousse Jakov et Mate à mener l'enquête de leur côté. Elle n'a pas confiance dans la police.

    Chaque chapitre est consacré à un personnage, ce qui nous permet de suivre les pensées des uns et des autres, leur désespoir, leur loyauté envers Silva, même si ce que le père et le frère découvrent est loin de correspondre à l'idée qu'ils se faisaient de la jeune fille.

    Je dirais que c'est plus un roman noir qu'un polar. Certes l'histoire se déploie autour de la disparition de Silva, mais il y a aussi les états d'âme de l'enquêteur, la stupéfaction de tous lorsque la guerre éclate, faisant exploser le pays qu'ils connaissaient.

    Les années de guerre passent, façonnant un pays tout différent, la Croatie. Jakov et Mate reprennent leurs recherches, même si Mate s'est marié entre temps. Le couple de Jakov et Vesna n'a pas résisté à cette quête sans fin. Il n'y a pas que la famille qui continue à s'interroger. L'enquêteur a été empêché de continuer ses investigations en 1989, il n'était pas dans la bonne ligne politique. Il reprend le dossier sous une autre casquette, n'étant plus policier.

    J'ai été captivée par ce roman à l'intrigue solide, bien construit, avec comme toile de fond la guerre et ses destructions et lorsqu'elle est finie, les ravages dûs à l'argent facile. Le petit port de pêche fait l'objet comme bien d'autres de projets touristiques mirifiques qui détruisent tout un mode de vie et un paysage, mais auxquels bien peu résistent.

    J'ai apprécié également l'habileté avec laquelle l'auteur nous mène dans de fausses directions, révélant petit à petit des facettes de Silva et un dénouement loin de ce que l'on pouvait envisager au départ.

    Un auteur que je relirai sans hésiter.

    L'avis d'Alex

    Jurica Pavicic - L'eau rouge - 358 pages
    Traduit du croate par Olivier Lannuzel
    Agullo - 2021