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challenge auteurs scandinaves

  • Stöld

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    "Elle se figea : elle entendait des motoneiges au loin. Lasse l'avait prévenue, lui avait demandé de s'arrêter. Au moins deux motoneiges. Sans doute zigzaguaient-elles, car le vrombissement lui parvenait par vagues. Elle observa les traces laissées par ses skis, évidentes au milieu de la piste de motoneige. Elle était facile à repérer. Elle se trouvait sûrement à quatre kilomètres de chez elle, trop loin pour qu'on puisse lui venir en aide à temps. Les motoneiges hurlaient, de plus en plus proches. Ça lui sifflait dans les oreilles, comme des acouphènes, comme les roues d'un train qui grincent contre le rail. Mais les engins ne parvinrent pas jusqu'à elle. Ils firent demi-tour et les bruits s'éloignèrent".

    L'histoire se déroule au nord du cercle polaire, au sein d'une communauté sami. Elsa, petite fille de 9 ans, grandit dans une famille d'éleveurs de rennes. Un matin, elle se rend tout seule à l'enclos des rennes pour faire une surprise à ses parents. Elle tombe sur un contrebandier, Robert Isaksson.Il vient de tuer son renne préféré pour alimenter le trafic de viande.

    Il menace implicitement Elsa de la supprimer si elle parle. La petite fille, tétanisée, rentre en expliquant ce qu'elle a vu, sans avouer qu'elle a reconnu le coupable.

    Nous entrons par ce drame récurrent dans le monde des éleveurs de rennes. Cette attaque n'est pas isolée, les éleveurs n'en peuvent plus des bêtes perdues, des plaintes déposées et jamais suivies d'effets. Tout le monde sait qui est derrière ce trafic mais personne ne parlera. L'hostilité de la population suédoise est forte vis-à-vis des samis et leurs bêtes envahissantes.

    Contrairement à son frère, Mathias, Elsa aime cette vie rude, la même que ses grands-parents et les générations précédentes. Marquée par le massacre de son renne, elle portera longtemps son secret en silence, dans la crainte de représailles.

    La première partie de ce roman se déroule très lentement, il semble ne rien se passer, mis à part une description assez minutieuse de la vie des éleveurs, de leurs traditions. Nous faisons connaissance avec plusieurs membres de la famille, portant tous des fardeaux assez lourds liés à leur peuple, notamment le suicide de jeunes hommes, désespérés du manque de perspective pour eux.

    Puis l'histoire s'emballe. Dix années ont passé, Elsa se révèle une fille courageuse, téméraire, souhaitant perpétuer le mode de vie de sa communauté. Elle devra lutter à la fois contre les trafiquants, mais aussi contre son entourage, les filles n'ayant aucun rôle à jouer dans les instances sami. Elle n'entend pas se laisser faire.

    Jamais très loin d'elle, le sinistre Robert continue ses exactions dans la même impunité, jusqu'au jour où le hasard s'en mêlera dans un déchaînement de violence.

    J'ai aimé cette lecture, ce n'est pas la première que je lis sur l'oppression du peuple sami, les discriminations, le peu d'effet des lois votées pour leur protection. C'est toujours aussi désespérant et d'une profonde injustice.

    Les personnages sont bien vus, les articulations entre les uns et les autres complexes. Le changement climatique complique encore plus le travail des éleveurs.

    Un roman qui m'a globalement convaincue, malgré le peu d'action de la première partie. La suite mérite que l'on s'accroche.

    Ann-Helén Laestadius est une autrice et journaliste suédoise d’origine samie et tornédalienne. Après des débuts remarqués en tant qu’autrice jeunesse et Young Adult - qui lui ont valu de recevoir le prix August du meilleur roman jeunesse en 2016 -, elle publie son premier roman pour adultes, Stöld, qui a reçu, en 2021, le prix du Livre de l’année en Suède. 

    L'avis de Je lis je blogue

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    Ann-Helén Laestadius - Stöld - 450 pages
    Traduit du suédois par Anna Postel
    Editions Robert Lafont - 2022

  • Le cimetière de la mer

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    "La Norvège est, certes, un pays où il fait bon vivre, cela ne signifie pas qu'il ne s'y passe pas des choses guère reluisantes. La Norvège officielle n'aime pas les histoires qui écornent son image irréprochable. Ce qui pourrait être le cas si nous racontions réellement ce qu'il se passe sur le terrain lors de nos opérations à l'étranger. Ou quoi que ce soit qui écorne l'image de nos grands héros de la Résistance pendant la guerre, comme ta grand'mère a essayé de le faire. Tu es une archiviste, Sasha. Tu fouilles le passé. Mais es-tu vraiment prête à affronter les conséquences que pourraient avoir les recherches que tu mènes sur ta propre famille."

    Ce foisonnant roman norvégien commence par le suicide de Vera, l'aïeule de la famille Falck, puissante et influente. 

    Que s'est-il passé pour qu'elle en arrive à ce geste extrême ? Sa petite-fille préférée, Sasha, n'aura de cesse de creuser l'histoire de la famille pour comprendre l'origine de ce suicide, au risque de déterrer des secrets dangereux.

    La famille Falck est composée de deux branches qui ne se fréquentent guère. Celle de Thor, remarié avec Véra, dont le fils, Olav a fait fructifier la fortune familiale et celle de Hans, issue du premier mariage de Thor et nettement plus désargentée.

    Olav a créé une Fondation, la SAGA, centre d'archives chargé de diffuser et maintenir la mémoire de la résistance norvégienne pendant la deuxième guerre mondiale, où Thor s'est illustré. Sasha en est la directrice.

    Hans est le gauchiste de la famille, c'est un médecin humanitaire qui a parcouru les points chauds de la planète et est un fin connaisseur des dessous de la politique. Inutile de préciser qu'il n'a pas grand-chose en commun avec Olav.

    Les ennuis sérieux vont commencer avec la disparition du testament de Véra et la révélation de son passé de romancière. Un manuscrit a également disparu, intitulé "le cimetière de la mer", texte explosif qui aurait pu attenter à la réputation de la Norvège s'il avait été édité, rien que cela !

    Ce qui caractérise cette saga familiale c'est l'abondance d'intrigues et de rebondissements au fil de l'enquête de Sasha. Nombre de ses certitudes s'effondreront et bouleverseront profondément sa vie.

    La recherche de la vérité opposera Sasha à son père Olav, qui l'exhorte à laisser le passé à sa place. Pour avancer, Sasha choisira de s'allier à la branche rivale, celle de Hans et à un curieux personnage, Johnny Berg ex-agent secret des services norvégiens avec qui il a des comptes à régler.

    L'auteur a un don indéniable pour lier des intrigues complexes et nouer des fils à première vue improbables. Je me suis quelquefois égarée dans les explications, sans que ce soit très gênant. J'ai beaucoup appris sur l'histoire de la Norvège pendant la seconde guerre mondiale et les compromissions de certains avec l'Allemagne nazie.

    Par contre, j'ai été dérangée par les extraits du manuscrit de Véra, qui nous est présenté comme un roman exceptionnel et que j'ai trouvé banal et plat, sans style. J'avais hâte de revenir à la partie contemporaine.

    En conclusion, un roman touffu qui tient en haleine, mais assez loin du coup de coeur. Je suis moins convaincue que Delphine-Olympe. Il semblerait qu'il y ait une suite de prévue.

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    Aslak Nore - Le cimetière de la mer - 512 pages
    Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
    Le Bruit du Monde - 2023

  • Ör

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    "Je jette un coup d'oeil au miroir au-dessus de la cheminée. Pas question que je lui dise qu'il y a moins d'une semaine, j'étais debout sur une autre chaise en quête d'un crochet. Celle-ci est branlante et je chancelle comme un funambule. Je porte ma chemise rouge et  dessous il y a un nymphéa blanc , et sous le nymphea, un coeur qui bat encore. J'étends les bras, dresse mon torse rouge comme un oiseau qui va prendre son envol. Puis je saute de la chaise pour m'emparer du sac d'ampoules."

    Voilà un roman étonnamment réconfortant, alors qu'au départ nous savons que le personnage principal, Jónas, a pour objectif de se suicider, à l'aube de ses cinquante ans.

    Sa femme l'a quitté, il vient d'apprendre que sa fille adolescente n'est pas de lui, sa mère a l'esprit qui bat la campagne dans une maison de retraite. Il ne se voit aucun avenir et cherche la meilleure manière de quitter ce monde. Il ne veut pas que ce soit sa fille qui retrouve son corps, alors il cherche un pays où il pourra exécuter son projet, avec un cercueil proprement rapatrié, qui ne traumatisera pas la jeune fille.

    Il jette son dévolu sur un pays qui sort tout juste d'une guerre fratricide épouvantable, il pense que ce sera plus facile de mourir là-bas. Il part sans rien dire à personne, avec sa boîte à outils (c'est un bricoleur invétéré).

    Il atterrit dans l'hôtel Silence, tout juste réouvert, tenu par un jeune homme et sa soeur, mère d'un petit garçon de 4 ans. Toujours tenaillé par son désir de suicide, il ne peut malgré tout s'empêcher de voir tout ce qui ne fonctionne pas dans cet hôtel, une porte qui ne ferme pas, une lampe qui ne s'allume plus, de l'eau qui ne coule pas. Le voilà ouvrant sa boîte à outils et réparant de droite et de gauche.

    Il ne faut pas chercher de la vraisemblance dans les romans de l'autrice, elle se situe ailleurs, mais que ça fait du bien ! Il y a tant de tendresse dans ses personnages, gentiment décalés, drôles et tragiques à la fois. L'imagination ne manque pas, ainsi que la fantaisie, sans occulter les horreurs cotoyées. On en ressort rassérénée, on retrouve confiance dans le genre humain.

    Ce que Jónas va découvrir dans ce pays dévasté, c'est que sa vie n'est peut-être pas aussi vaine qu'il le croyait, à l'image du magnifique nymphéa qu'il s'est fait tatouer sur la poitrine avant de partir. Il ouvre les yeux sur ce que d'autres ont vécu de bien plus traumatisant que lui.

    Sortant d'une lecture éprouvante, ce roman est tombé à pic pour me remettre d'aplomb. Je me réjouis d'avoir encore quelques titres de l'autrice devant moi.

    L'avis de Cathulu ClaudiaLucia Hélène Kathel

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    Audur Ava Ólafsdóttir - Ör - 208 pages
    Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
    Editions Zulma - 2020

  • Un pays de neige et de cendres

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    "Après notre départ, Heiskanen m’a posé des questions sur Koskela. J’ai marmonné indistinctement, pressé de changer de sujet. La bonne femme same que nous venons de quitter est une Lapone typique. Petite, quasi naine, et très superstitieuse ; j’ai du mal à comprendre qu’elle s’entende bien avec les nazis.

    - Pas si bien que ça, a nuancé Keiskanen.

    - Il paraît que les nazis sont réservés vis-à-vis des Sames. On leur a appris que ces peuples primitifs de cueilleurs du Grand Nord sont des marginaux, extérieurs à la civilisation véritable. Ils sont considérés comme une anomalie pathologique résultant de facteurs environnementaux".

    Deux récits se croisent dans ce premier roman d'une jeune autrice finlandaise. Tout d'abord, un camp de prisonniers, en 1944, en Laponie finlandaise, tenu par les Allemands, où cohabitent avec difficulté, Finlandais, Allemands et Sames.

    Puis, en 1947, la venue à Enontekiö d'Inkeri, officiellement venue photographier la reconstruction de la Laponie, mais officieusement à la recherche de son mari, disparu dans ce camp de prisonniers.

    La situation est compliquée, en 1947, personne ne veut plus admettre l'existence de camps ; il y a ceux qui ont cru à la grande Finlande et oeuvré avec les Allemands à une certaine purification de la race. Ceux qui ont essayé de lutter contre la barbarie du camp, sentant la situation leur échapper.

    En 1944, les conditions de détention dans le camp sont inhumaines, un nouveau gardien observe et essaie de comprendre les règles. Un détenu attire son attention, il bénéficie d'un régime particulier, incompréhensible. Il y a aussi la femme Same, que l'on nomme "la saigneuse" dont le rôle est flou. On sent un certain climat de folie régner, il faut se méfier de tout et de tous.

    Lorsque trois ans après, Inkeri débarque sur les lieux, non seulement personne n'est prêt à l'aider, mais tout sera fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il y a des vérités qui ne doivent pas se faire jour. Elle intervient à l'école du village où une jeune Same, Bigga-Marja, attire son attention. Elle semble en savoir plus qu'elle ne le dit.

    C'est une lecture qui m'a rappelé le contexte de "Purge" de Sofi Oksanen. Ici, plus nous avançons plus les liens entre les uns et les autres deviennent compliqués. Au lieu de se clarifier, la situation s'envenime. Aux horreurs du camp, se mêlent des rivalités amoureuses.

    Tous les noeuds ne seront pas dénoués à la fin du roman, est-ce seulement possible. Je l'ai lu comme un thriller, de plus en plus soucieuse de comprendre ce qui avait pu se passer.

    C'est un livre que je recommande. Toutefois, il n'est pas superflu de réviser un peu l'histoire de la Finlande pendant la guerre pour avoir quelques repères. (voir billet de Miriam).

    Avec ce roman, je participe à deux challenges. Celui de Céline sur les auteurs scandinaves et celui d'Ingannmic sur les minorités ethniques.

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    L'avis de Choupynette Doudoumatous ClaudiaLucia Luocine Miriam

    Petra Rautiainen - Un pays de neige et de cendres - 320 pages
    Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli
    Editions du Seuil - 2022