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La propagandiste

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"Celle qui, quelques semaines plus tôt, était encore l'auteur de l'un des derniers slogans de la "Propaganda" (" Les " libérateurs"! La libération ! Quelle libération ?") est désormais protégée par un travail du "bon côté". Lucie n'est pas à une contradiction près quand il s'agit de sauver sa peau et d'éviter la honte et l'infamie. Ces femmes tondues au front marqué au fer rouge, enduites de mercurochrome, brisées, promenées à travers la ville à demi dénudées, elle préfère éviter d'y penser."

Cécile Desprairies est historienne ; elle a surtout écrit sur le thème de l'occupation et du collaborationnisme pendant la deuxième guerre mondiale.

Elle a choisi la forme du roman pour parler de sa famille, essentiellement sa mère, Lucie, qui a fait partie de ces Français séduits par le nazisme et ayant collaboré activement. Par idéologie et par amour en ce qui concerne Lucie, dont le premier mari, Friedrich, était étudiant en biologie, alsacien ayant choisi le côté allemand, passionné de génétique et favorable aux thèses d'un Mengele.

Le roman commence par une scène se déroulant sous les yeux de la narratrice, petite fille de six ans. A peine le deuxième mari de Lucie parti, les femmes de la famille arrivent, la tante, la grand-mère, la cousine et des conversations se déroulent, faisant allusion à un passé merveilleux, où on a su se débrouiller, où l'on vivait un "conte de fées". La narratrice n'aura pas trop d'une vie pour décrypter les non-dits et les ramifications derrière ces propos obscurs.

La personnalité de Lucie domine le récit. Profondément amoureuse de Friedrich, elle le suivra en tout, autant antisémite et pro-nazi que lui. Brillants tous les deux, ils ne tarderont pas à se faire une place auprès des occupants. Lucie entre au service de la propagande, où elle sera surnommée "la Leni Riefenstahl de l'affiche". Le jeune couple habite un superbe appartement bien placé à Paris, sans doute volé à des propriétaires juifs. Tout va bien, l'avenir est radieux.

Ce qui est incroyable, c'est lorsque les évènements tourneront mal, Lucie avec son culot et son intelligence, saura rebondir en peu de temps et se retrouver aux côtés de Américains. Partie quelques mois aux Etats-Unis, elle reviendra blanchie, prête pour une nouvelle vie. Toute la famille autour d'elle aura collaboré et c'est grâce à elle qu'ils s'en sortiront également.

Autre élément stupéfiant, c'est la vie que Lucie mènera après la guerre. Elle restera profondément nazie, mais après la mort de Friedrich se remariera avec Charles, haut-fonctionnaire compréhensif, avec qui elle aura quatre enfants, dont la narratrice. Elle les élèvera dans le culte de Friedrich, laissant planer une atmosphère malsaine entre réalité et imagination.

A ce stade, il est temps que je dise que j'ai été dérangée par la forme du roman. J'aurais préféré de loin, un récit. Je me suis constamment demandée où était la part réelle et la part romancée. La narratrice a choisi une distance assez ironique pour raconter, parfois gênante tellement les faits exposés et les propos tenus sont choquants. La famille dans son ensemble paraît dépourvue d'émotions et est prête à tout pour s'attribuer et garder ses privilèges.

"Par un des interstices de l'enceinte , "un juif" avait tendu à ma grand-mère "une montre en or, en échange d'un verre d'eau". Ma grand-mère avait pris la montre, mais n'avait " pas donné le verre d'eau " . C'était dit sans émotion."

L'intérêt historique du roman est incontestable. Décrypter de l'intérieur les rouages du collaborationnisme n'est pas si fréquent. L'absence de scrupules, l'antisémitisme viscéral, la haine des autres, l'anti-républicanisme, tout y est. Mais la narration manque de fluidité, l'articulation entre faits historiques et histoire familiale ne se fait pas bien.

Pour tout dire, j'avais hâte de terminer le livre et de quitter ces personnages que rien ne sauve.

Une déception et un point positif : l'envie de lire les ouvrages purement historiques de l'autrice.

L'avis de Alex Maryline

Cécile Desprairies -La propagandiste - 224 pages
Editions Seuil - 2023

Commentaires

  • Ha. J venais de le noter sur la liste de la bibli, là j'hésite, déjà que je n'aime pas qu'on romance sur des bases historiques... De plus le sujet est quand même délicat à aborder, dommage, car il est intéressant a priori.

  • Je suis assez réticente devant ce mélange-là moi aussi, mais là j'étais tentée par le sujet et ça a passé encore plus mal que d'habitude. Il faut dire qu'au delà de la collaboration, la famille est franchement dysfonctionnelle et pas sympathique du tout, Lucie en tête.

  • Je n'insisterai pas, je suis sortie de cette lecture bien écoeurée.

  • Quel fardeau d'être l'enfant de tels parents, je comprends sa volonté de connaître et de faire connaître cette histoire de la collaboration.

  • Je me suis demandée à plusieurs reprises comment elle s'en était sortie en vrai de cette famille. Pas évident quand tout le monde est sur le même registre. Le fait qu'elle soit devenue historienne a dû beaucoup l'aider.

  • en voilà un que je n'ajouterai pas à ma liste - pourtant j'aime l'histoire

  • Je pense qu'il vaut mieux aller vers ses travaux d'historienne. Je crois que j'aurais mieux accroché si elle avait adopté une démarche documentaire pour parler de sa famille, mais il y a peut-être eu une question de discrétion envers des personnes concernées encore en vie.

  • je laisse sur Luocine un récit de souvenirs de famille souvent j'aime bien les efforts que font les jeunes générations pour comprendre leurs aïeux , même quand ils trouvent des personnages peu glorieux.
    Mais le ton que tu soulignes me dérangera moi aussi alors je ne crois pas que j'aimerai lire ce récit : on sait trop bien que l'épuration est loin d'avoir fait le ménage, ceux ou celles qui ont eu la chance de passer au travers la vengeance brutale et souvent aveugle s'en sont très bien sortis.

  • Je comprends parfaitement sa démarche, mais c'est la forme qui n'a pas du tout fonctionné pour moi. J'ai souvent halluciné devant certaines scènes, sa famille était vraiment "grave" comme diraient les jeunes d'aujourd'hui.

  • je ne suis pas vraiment tentée, je sors avec un tel bonheur de ma lecture du Goncourt que pour le moment je reste sur ce plaisir

  • Tu as raison ; ne pas gâcher les moments de plaisir, ils sont trop rares.

  • Malgré tes réticences, je suis très attirée par ce livre. Je suis curieuse de savoir qu'elle roman/récit/fiction on peut tirer de ces faits et de cette histoire familiale. Et je pense que ce texte fera écho à celui de Julie Héraclès sur la tondue de Chartres.

  • Je pensais justement à toi en terminant ce livre et à ce que tu disais sur "la tondue de Chartres". Je suis persuadée que te l'apprécieras bien plus que moi. Je n'arrive pas à me faire à ce mélange fiction/réalité. En tout cas, je plains l'autrice d'avoir eu une famille pareille, ça ne doit pas être facile de s'en sortir.

  • Gêne, malaise, je crois que c'est le propos de ce roman. J'ai été à plusieurs reprises déstabilisée ( et confondue ! ), notamment par le jeu pervers avec le langage, et il m'a semblé que c'était le but recherché, avec cette distance du fictionnel qui entretient le trouble. Finalement, le fond et la forme m'ont paru cohérent. Lecture peu réjouissante mais marquante.

  • Je savais que quelqu'un l'avait chroniqué mais je ne me rappelais plus qui. J'ai ajouté un lien vers ton billet. La gêne et le malaise étaient certainement voulus, mais contrairement à toi, j'ai trouvé que ça ne s'articulait pas bien entre le fond et la forme. C'est difficile de préciser davantage, j'avais l'impression de frottements permanents. Mais quelle famille ...

  • Décidément, j'avais oublié ton billet aussi. Je rajoute le lien ? J'ai moins apprécié que toi, je n'ai eu aucune peine pour Lucie, cette femme est tellement dure avec tout le monde.

  • Rien que l'extrait du verre d'eau et de la montre, bien choisi, provoque le malaise et donne le ton de la lecture... Comment elle a pu passer au travers de l'épuration (et pourtant je n'aime ni ce mot, ni cette action d'épurer) semble invraisemblable. Et ces femmes qui évoquent une sorte d'âge d'or en parlant de l'Occupation... Bigre ! A la fin de la guerre et un peu après (l'autrice a mon âge) on pouvait naître dans des familles bien différentes les unes des autres...

  • Elle était jeune, elle était belle, très intelligente, un culot monstre ... ça fait cliché, mais ce n'est pas rien. L'extrait cité se passe au moment de la rafle du Vel-d'hiver et c'est loin d'être le seul de cette sorte. La famille a très bien su s'approprier des biens également, sachant d'où ils venaient sans jamais le reconnaître explicitement. J'ai grandi juste après la guerre et j'en ai entendu des histoires de collaboration, mais pas à ce niveau là ! Et c'était plus de l'opportunisme qu'un idéalisme fascisant comme ici.

  • Je ne le note pas...même si parfois j'aimerais "comprendre" le ressenti et les agissements de telles personnes!!
    Peut-être avec un roman purement historique comme tu l'écris...je ne sais pas ,

  • Ce n'était pas la bonne forme pour moi, même si l'intérêt historique est là. J'ai eu du mal à aller au bout de cette lecture.

  • J'ai découvert cette autrice en lisant la chronique chez Alex. le sujet est intéressant en effet car on a peu de livres qui décrivent ainsi le collaborationnisme de l'intérieur mais vu ce que tu en dis j'hésite vraiment à le lire...on verra si je le croise. Merci pour ta chronique et ton ressenti

  • Je ne regrette pas de l'avoir lu, mais je m'attendais à autre chose. J'aurais pourtant dû me méfier, je sais que le mélange réalité/fiction ne me convient pas.

  • Il me semble avoir déjà lu les chroniques d'Alex et Marilyne. Le sujet m'intéresse mais je viens de terminer un livre éprouvant sur le nazisme et je vais donc faire une petite pause.

  • Il vaut mieux en effet. Enchaîner deux livres autour de ce thème là pourrait être lourd .. Je suis curieuse de celui que tu viens de terminer.

  • Ah je ne sais pas si je survivrais psychologiquement à ce genre de récit, à ses personnages surtout. Ça doit être tellement malaisant tout le long...

  • C'est le mot, ça a été une lecture malaisante. Je n'en garderai pas un bon souvenir.

  • Le plus : le collaborationnisme vu de l’intérieur mais les récits sur la guerre je n’en peut plus.

  • Je te comprends, on ne peut pas enchaîner ce genre d'histoire. Heureusement la vie est faite aussi d'autre chose.

  • Je l'avais vu à la Grande Libraire. Dommage pour la construction. Il faut mieux effectivement lire plutôt ses documentaires.

  • Elle m'avait intéressée à la Grande Librairie, mais j'attendais autre chose de la lecture.

  • Le sujet est lourd, je plains sincèrement la narratrice de porter une telle histoire, l'écriture l'a peut-être aidée à s'en défaire ? Doux week end Aifelle, à bientôt. brigitte

  • L'écriture l'a probablement délivrée d'un lourd silence, mais je ne suis pas sûre que l'on puisse complètement se détacher de cette histoire là.

  • Je vais passer, ça m'agace aussi quand je ne sais pas vraiment démêler le réel du fictif, surtout quand il s'agit de tels événements...

  • C'est le genre de mélange qui me met mal à l'aise en général. Rares sont les réussites.

  • Effectivement, le sujet de la colaboration n'est pas si courant, surtout d'aussi "près". Néanmoins, et d'autant plus vu ce que tu dis en fin de billet, je ne suis pas tentée par le sujet et le roman.

  • Ce n'est que mon ressenti, j'aimerais bien en lire d'autres.

  • Je comprends tes réticences en ce qui concerne le mélange fiction-histoire. Cela m'arrive aussi quand je lis ce genre d'ouvrage.

  • C'est difficile de se situer entre deux genres, surtout lorsque l'on annonce d'emblée que c'est son histoire familiale. Pour moi ce n'est pas réussi, elle est allée trop ou pas assez loin.

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