"Dis-moi, toi qui n'a jamais failli te noyer, que Mariette était peut-être un peu nigaude, mais ensuite passe ton chemin. Mariette n'était pas plus stupide, ignorante ou empotée que la plupart d'entre nous. Simplement, elle avait senti que se jouait là quelque chose de l'ordre du miracle, et moins parce qu'un hasard avait fait d'elle la dernière représentante d'une tortueuse descendance qu'à cause de ce qu'elle devait appeler plus tard la bonté de la vie. Or le miracle requiert le silence de celui qui en est l'objet, ou plus exactement, il le lui impose".
Voici un court roman qui s'est révélé être une lecture délicate et touchante sur deux personnes dont la rencontre était improbable. L'une dans la dernière partie de sa vie, l'autre en pleine adolescence.
Par le plus grand des hasards, Mariette, femme de ménage à Paris, a hérité d'une maison quelque part dans l'Orne, sans rien savoir de plus. Sur un coup de tête, elle démissionne et part, munie de la clef de la maison et fantasmant sur ce qu'elle va trouver à l'arrivée.
On comprend que la vie ne l'a pas gâtée, qu'elle est habituée à ne pas en attendre grand chose, mais le choc est quand même rude à l'arrivée. C'est une toute petite maison en piteux état qui l'attend, avec un jardin abandonné, dans un hameau quasi déserté.
Mariette est une taiseuse qui n'a pas l'habitude d'avoir de l'aide, aussi se retrousse-t'elle les manches et c'est à l'élaboration de sa nouvelle vie que nous assistons, obstinée, laborieuse et de plus plus émerveillée devant les prodigalités de la nature qui l'entoure.
Son installation a été suivie avec curiosité par Louise, une ado qui s'ennuie à mourir dans ce hameau où son père possède une résidence secondaire. Elle en a plus qu'assez d'entendre les disputes incessantes avec sa nouvelle femme et voir s'activer Mariette l'intrigue au plus haut point.
Je n'en dirai pas plus sur l'histoire, l'essentiel n'est pas là, mais sur la relation qui se tisse entre ces deux-là. L'écriture est belle et poétique, Mariette est un peu imprévisible, elle ne sait pas mettre de mots sur ses émotions, elles naviguent l'une et l'autre au jour le jour avec maladresse, mais tendresse mutuelle.
Le summum est atteint avec une sortie en bicyclette où l'on voit Mariette s'arrêter tout au long de la route parce que son oeil a été capté par une fleur ou un insecte qu'elle n'a pas encore vu, sa capacité à se réjouir de tout est contagieuse.
A souligner la qualité de l'édition, rare de nos jours. En résumé, une jolie histoire, une belle écriture, un objet-livre soigné et un moment de lecture qui réchauffe le coeur.
"Pour la première fois peut-être de sa vie, en tout cas ce fut la première et l'unique fois que Louise l'entendit s'exprimer ainsi, Mariette dit "je" pour refuser ce qui lui avait été proposé, ce que d'autres auraient probablement considéré comme une aide inespérée et n'auraient pas compris qu'elle n'en voulût pas, préférât vivre comme elle vivait, donnant le temps et les forces qui lui restaient à un jardin, à une maison, dans lesquels elle prenait aussi le temps de contempler, d'admirer, de goûter ce qui lui était offert en retour, et qui était beaucoup plus que ce qu'elle avait jamais reçu ou espéré recevoir, si bien qu'elle n'avait besoin de rien d'autre que ce qu'elle avait déjà..."
Anne Guglielmetti - Deux femmes et un jardin - 95 pages
Editions Interférences - 2021