"Assurément, aucun d'entre nous n'est inoffensif, quoi que cherche à nous faire accroire notre petite cuisine personnelle. Quelles qu'aient été nos raisons respectives de venir vivre par ici, aucun d'entre nous n'a pu faire abstraction des autres. L'éleveur obstiné soucieux de monnayer la terre qu'il lui reste ; l'arrière-petit-fils d'immigré italien, sa femme à la santé délicate, sa fille renfrognée, ses adobes aux vertus narcotiques ; la jeune femme en péril, habitée d'un désir éperdu de continuité ; le zigoto qui vivait dans l'arbre et ce zigoto-ci qui vit au sommet de la colline - tous, quelles que fussent nos aspirations, nous avons atterri au sein d'une communauté, avec les conséquences que cela a entraînées. Et au coeur de cette communauté il y avait la petite maison de Catlin".
Joe Allston et sa femme Ruth, ont choisi de s'installer dans la campagne proche de San Francisco au moment de la retraite, pour s'écarter du fracas du monde et trouver la tranquillité.
Le couple est soudé autour d'un même chagrin depuis la mort de leur fils. Joe n'a jamais compris son garçon et traîne une culpabilité difficile à supporter. C'est un vieux ronchon, très critique et peu enclin à changer de point de vue.
Leur vie s'organise autour de promenades quotidiennes, de jardinage et de chasse aux nuisibles. Ils ont quelques voisins qu'ils ne fréquentent pas vraiment.
Dans ce tableau arrive un jeune hippie qui leur demande l'autorisation de s'installer sur leur propriété. Joe la donne difficilement et le regrettera amèrement par la suite. Le jeune homme va largement déborder ce qui lui a été accordé. Il lui rappelle son fils, ce qui n'arrange rien.
Arrive également un jeune couple avec une petite-fille, et là, ce sera un vrai changement pour Joe et Ruth. La jeune femme, Catlin, est lumineuse, chaleureuse, ouverte sur le monde. Joe aime beaucoup discuter avec elle, elle l'adoucit, même si elle ne le convainc pas.
Mais Catlin, enceinte, apprend la reprise d'un cancer et décide de refuser tout traitement pour mener sa grossesse à terme, ce qui désespère Joe.
Tracer les grandes lignes de l'histoire est loin de rendre la beauté de ce roman, à l'écriture nuancée, aux personnages attachants, à la grande sensibilité. Le narrateur, Joe, n'est pas dupe de sa rigidité, il se moque de lui-même avec humour, il a un oeil acéré sur les autres et sur la société qui l'entoure et il connaît ses côtés excessifs.
Dans ses longues discussions avec Catlin, il se dévoile plus qu'il ne le voudrait, elle a le don de le désarmer et de lui faire voir les gens autrement.
Nous savons dès le début que Catlin va mourir. La tonalité du roman est assez mélancolique bien sûr, mais tellement riche qu'il ne faut pas passer à côté.
Il me reste à lire "Vue cavalière" où l'on retrouve Joe et Ruth dix ans plus tard.
"Je serai, toute ma vie durant, plus riche de ce chagrin"
Du même auteur : En lieu sûr La montagne en sucre
A noter, la réédition de ce roman cette année, dans la collection Totem
Wallace Stegner - La vie obstinée - 352 pages
Traduit par Eric Chedaille
Libretto - 2002