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montagne

  • Briser le plafond de glace

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    "Parfois je trouve des compagnons de cordée Camptocamp, un site collaboratif de pratiquants de montagne. Maman n'aime pas me voir partir en montagne avec des gens rencontrés au hasard sur Internet. Elle a raison, mais je n'ai pas de voiture et peu de matériel, j'irais en montagne avec n'importe qui ! Je fais de chouettes rencontres et de belles sorties, mais il m'arrive de tomber sur des compagnons de cordée qui souhaitent plus qu'une course en montagne. Ce rapport de séduction est très désagréable aux relais ou dans les refuges : la promiscuité est propice aux malentendus. Il y a des moments pour draguer, après la bière de la fin de journée par exemple, mais pas pendant l'escalade où, fatiguée par l'effort et concentrée sur la sécurité, je me sens plus vulnérable et moins préparée à refuser des avances".

    Le hasard a fait que j'ai lu l'un après l'autre deux livres de femmes en colère. Celui-ci est le récit du parcours d'une jeune femme passionnée de montagne (et c'est peu dire) et son désenchantement progressif en voyant qu'elle est trop souvent bloquée par son statut de femme.

    Depuis l'enfance, l'autrice pense montagne, vit montagne et n'envisage pas d'autre voie professionnelle que celle-là. Ses parents sont tous deux sportifs et elle a été à bonne école avec son père qui ne la ménageait pas en sortie rando, dès son jeune âge.

    Marion se lance avec enthousiasme dans tous les projets allant dans son sens. Elle est opiniâtre, veut progresser et surtout être en tête. Elle a une âme de leader.

    Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'elle allait se heurter au sexisme ordinaire et à la croyance bien ancrée qu'une femme est forcément plus fragile, moins endurante qu'un homme et moins apte à réagir devant l'obstacle.

    L'alpinisme est une affaire d'homme, ils sont d'ailleurs largement majoritaires dans le sport de haut niveau et n'acceptent pas facilement qu'une femme les égale, voire les dépasse. Quant aux blagues lourdes lorsqu'ils sont en groupe, elles sont aussi navrantes et grossières que n'importe où ailleurs. 

    Le parcours de Marion Poitevin est atypique et m'a beaucoup intéressée malgré mon peu de goût pour le sport de haut niveau, les compétitions, le toujours plus et toujours plus haut. 

    Je me suis assez vite perdue dans les sigles des différentes institutions et corps d'armée où elle a travaillé, ce qui ne gêne en rien la lecture. Alpinisme, escalade, guide de haute montagne, secours en montagne, elle progressera au hasard des déceptions et des mains qui se tendront, car il y en aura. Tous les hommes ne sont pas aussi hermétiques à l'arrivée des femmes parmi eux.

    Bien des détails techniques m'ont échappé, ils ne sont pas longs et ne plombent pas le récit. J'ai souvent été en colère avec elle ; elle a mis du temps à comprendre que c'est son genre qui posait problème et s'est culpabilisée, pensant qu'elle n'était pas à la hauteur, qu'elle n'en faisait pas assez. Et quand bien même, ça n'aurait pas excusé les coups bas et la vulgarité crasse de certains, pas plus que le silence des autres.

    Les années passant, l'enthousiame et l'envie sont toujours là, mais ce qu'elle fait est dangereux par nature et les morts jeunes qui s'accumulent autour d'elle finissent par la questionner. L'enjeu vaut-il toutes ces vies brisées ?

    De déconvenues en questionnements, Marion finira par créer avec d'autres une association "Lead the climb" visant à permettre aux femmes d'être premières de cordée en toute sécurité.

    J'ai acheté ce livre pendant mon séjour en montagne (dans une excellente galerie d'art) c'était le bon moment. J'ai découvert un style de vie très éloigné de mes rêves, mais assez captivant à suivre.

    "Nous formons une bonne cordée complémentaire, Estelle et moi. J'apprends la gestion du froid : petits gants, gros gants, gants de vaisselle pour une cascade qui goutte. J'apprends les différentes qualités de glace : assiette, méduse, sorbet. J'apprends à gérer les cordes gelées qui se bloquent dans les systèmes d'assurage ou le mousqueton qui colle au lèvres si on le met dans la bouche pour avoir les mains libres. J'apprends à brocher souvent, car même quand l'escalade est facile, la chute est interdite. Nous sommes des extra-terrestres dans les cascades : nous ne croisons aucune autre cordée féminine cet hiver-là. Les noms des voies sont d'ailleurs souvent à connotation phallique, cela manque de finesse : Croupe de la Poufiasse, Erection, Diabolobite, Orgasme, Verge du Démon ...".

    Marion Poitevin - Briser le plafond de glace - 245 pages
    Editions Paulsen - 2025

  • Cairns

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    "En entendant le chant du coq, Reidar se décida à se lever. Il sortit du chalet comme s'il se passait soudain quelque chose. Il avait la gorge affreusement sèche. Le seuil en pierre était froid sous ses pieds, et il plissa les yeux face à cette matinée fraîche et lumineuse. Mais son rêve le hantait. Les images martelaient son esprit sans relâche. Il en perdait presque l'équilibre. Son rêve sur Kirsten lui serrait la poitrine. Il se retient au chambranle, dont la peinture était écaillée, en essayant de se ressaisir. Il percevait une voix au loin, mais la bouteille sur l'étagère occupait toute ses pensées. Et s'il buvait un peu avant de se remettre en chemin ?".

    C'est une étrange histoire qui nous est contée ici, rude, âpre, remplie d'incertitudes et de divagations où l'imaginaire est de plain-pied avec la réalité la plus tangible.

    Nous sommes dans un hameau norvégien où une jeune femme a disparu il y a plus d'un an, après le meurtre sauvage d'un fermier. Les recherches n'ont rien donné, jusqu'au jour où il se murmure qu'elle a demandé à voir le pasteur. Elle est donc en vie et souhaite sans doute se repentir de son geste.

    Le jeune pasteur du hameau, Sébastian Ribe, décide d'aller à sa rencontre et pour cela sollicite l'aide de Reidar Skåren, un homme taciturne et isolé qui a une connaissance profonde et instinctive de la montagne.

    C'est le périple de ces deux hommes que nous suivons. Aussi dissemblables que possible, ils devront pourtant faire équipe pendant plusieurs jours. Reidar, surnommé "le marginal" est un solitaire qui ne s'est pas remis de la mort de sa mère et encore moins de celle de son père, celui qui lui a appris tout ce qu'il sait de la nature.

    Il s'est réfugié dans l'eau-de-vie et boit jusqu'à plus soif. Le pasteur l'oblige à partir sans cette béquille, ce qui le rend nerveux. Si Reidar connaît la montagne par coeur, il est imprégné aussi des vieux contes peuplés de créatures plus ou moins bienveillantes. 

    La brume qui envahit régulièrement la montagne et fait perdre tout repère n'est pas moins épaisse dans le cerveau de Reidar, en proie à des rêves et des révélations. Il sent la présence de Kirsten.

    L'époque où se déroule cette histoire n'est pas précisée, ce qui n'est pas important. Les embûches de la montagne sont les mêmes, les problèmes liés à la cohabitation des deux hommes aussi ; ils s'appuieront cependant l'un sur l'autre à plusieurs reprises.

    C'est une lecture envoûtante, intense, où la personnalité des deux hommes se dévoile de jour en jour, jusqu'à une scène marquante. Peu de mots en disent beaucoup. La présence des cairns qui remettent dans le droit chemin ont leur importance dans le récit, immuables et mystérieux.

    Bien sûr je ne vous dirai pas comment l'aventure évolue, à vous de le découvrir. C'est un roman noir, d'une étrange beauté.

    "Reidar s'adossa au cairn. Son compagnon lui saisit le bras et plongea son regard dans le sien. Les deux hommes étaient retranchés au milieu du brouillard, qui semblait animé d'une vie propre. Là-haut, il n'y avait pas de Dieu, ils le savaient tous les deux".

    L'auteur : Martin Baldysz est né en 1977 dans le district de Sunnmøre, entre mer et montagne. Profondément attaché à sa région natale, il vit aujourd'hui avec sa famille dans une ferme en pleine nature. Ses romans, imprégnés de mythologie nordique, puisent leurs racines dans l'ouest norvégien.

    Martin Baldysz - Cairns - 128 pages
    Traduit du norvégien par Marina Heide
    Editions Paulsen - 2025

  • La félicité du loup

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    "Le sherpa noua la corde par-dessus son sac, chargea le tout sur son dos, et se mit en marche en direction du col. La neige était glacée et Silvia constata aussitôt l'inutilité des crampons. Elle lui emboîta le pas en silence, se calquant sur sa trace et son allure. Elle avait compris que cette ascension était un test. Comment expliquer autrement qu'ils ne soient pas montés dans l'hélicoptère avec le reste des affaires ? Mais c'était dans l'ordre des choses : un refuge, ça se mérite. Plus de mille mètres de dénivelé, il allait falloir avancer doucement, éviter de trop lever les yeux, ne pas penser au chemin encore à parcourir".

    Fausto, écrivain en panne d'inspiration est dans une période de flottement. En pleine rupture avec sa compagne milanaise, il a accepté un travail de cuisinier dans un restaurant d'altitude tenu par Babette.

    Silvia arrive comme serveuse dans ce même restaurant. Peintre, elle ne sait plus trop quelle direction donner à sa vie et s'accorde un temps de réflexion. Fausto va rapidement tomber sous le charme de la jeune femme. Ils vont commencer une liaison, sans y mettre forcément les mêmes attentes.

    J'ai retrouvé les thèmes chers à l'auteur, des individus à un carrefour de leur vie, les Alpes italiennes, le désir de solitude, de dépassement, les contrastes entre ville et nature. Si j'ai lu ce roman avec plaisir, j'ai trouvé qu'il n'apportait rien de nouveau par rapport aux précédents, il tourne un peu en rond.

    Il y a néanmoins de magnifiques pages sur la montagne. Curieusement, ce sont les personnages secondaires qui m'ont le plus intriguée, Babette et Santorso par exemple. J'aurais aimé qu'ils soient davantage creusés.

    En résumé, une lecture agréable, mais j'attendais plus de l'auteur.

    Paolo Cognetti - La félicité du loup - 216 pages
    Traduit de l'italien par Anita Rochedy
    Editions Stock - 2021