"A mon tour d'écouter, de rester sans défense, sidéré par ce que j'entendais. Sélène et Olga voulaient vivre ensemble. Sélène et Olga voulaient s'aimer du matin jusqu'au soir. Sélène et Olga voulaient s'installer dans un appartement déglingué et plein de charme qu'une amie leur louerait pour pas grand-chose. Sélène et Olga voulaient se nourrir de ce qu'elles admiraient et adoraient. Sélène et Olga voulaient que chacune mène ses affaires selon ses désirs, mais Sélène et Olga voulaient que ces désirs s'amplifient au fil du temps".
J'ai choisi ce roman dans la rentrée de septembre dernier parce que j'avais envie de découvrir la plume de l'auteur, pas encore lu jusqu'à présent.
J'ai commencé ma lecture sans presque rien savoir de l'histoire. Le narrateur est dans un creux de la vie, récemment divorcé, sans projet professionnel immédiat (il est cameraman). L'esprit un peu flottant, déboussolé, tout change lorsque sa fille Olga, 22 ans, lui annonce son retour.
Elle est partie explorer le monde un an auparavant avec son copain Mats et elle revient avec Sélène. Les deux filles sont amoureuses et n'envisagent plus la vie l'une sans l'autre.
La joie revient dans l'appartement du père, rue de la Roquette à Paris. Sélène est pleine d'énergie, proche de la nature, on pourrait la qualifier de décroissante, elle est tournée vers la terre, la préservation d'une vie saine, la simplicité. Elle entraîne Olga dans son sillage.
Le père a un regard bienveillant sur les deux filles, retrouve le plaisir de l'échange et de l'animation, alors pourquoi ce malaise lorsqu'il regarde Sélène ? Malaise qui grandit au fil des jours.
J'ai craint d'abord une histoire trop classique et banale, ce n'est heureusement pas le chemin prit par l'auteur. L'intrigue est bien plus subtile et intéressante.
Je ne peux rien en dire sans trop dévoiler. Où l'on voit qu'une décision prise un peu légèrement dans la jeunesse du narrateur revient en boomerang une vingtaine d'années plus tard avec des questionnements bien plus profonds et dérangeants.
Le narrateur avance à tâtons, contraint à une introspection vertigineuse. Parallèlement un autre personnage surgit, un homme sans domicile fixe, auteur de dessins extraordinaires. Les filles le rencontrent au hasard de leurs balades et se mettent en tête de le faire connaître.
C'est une de mes meilleures lectures de la rentrée, à l'écriture, élégante, ciselée. L'histoire est racontée sans tapage, avec une grande pudeur de sentiments.
J'ai aimé suivre les pensées du narrateur, son amour de l'art, de la marche, des rencontres, son oeil de cinéaste toujours à l'affût d'un sujet à traiter, sa vision de la vie.
"Dès leur retour, je les ai invitées à manger, leurs paroles comme un tumulte vivifiant. Elles parlaient fort, se coupaient la parole, superposaient leurs mots, s'enhardissaient, se contredisaient parfois. Une débauche d'ardeur. Cela pétillait et partait dans tous les sens. Avec l'arrivée des plats, un peu de sérénité est revenue. Olga et Sélène louaient les trois maraîchers, beaux comme la foudre, étrangers aux bassesses et aux rancoeurs, qui leur faisaient les yeux doux et auraient voulu les associer à leur entreprise, puis, avec sollicitude elles ont décrit quelques unes des personnes venues donner un coup de main pour une journée ou deux, du professeur d'anglais qui vaquait de dépression en dépression au réfugié politique torturé, de la plasticienne au bord de la crise de nerfs à la cheffe comptable en quête de sens, et tout ce petit monde, le temps du labeur, reprenait souffle, jouissant d'un répit qui soulage".
Un roman qui m'a touchée. Un auteur à suivre.
Michel Layaz - Deux filles - 160 pages
Editions Zoé - 2024