"Il ferma son épaisse veste polaire - en avril, le froid pouvait vous cueillir, il lui faudrait deux bonnes heures pour s'extirper des bois denses et gagner les hauteurs. Il se sentait faible. Regarde-toi, disait Lucie, tu serais une brebis on dirait que t'es pas en état ! Et elle passait délicatement la main le long de sa colonne saillante. Il s'arrêta un instant pour refaire son lacet, puis regarda alentour, le monde obtus, les crêtes auxquelles il avait accroché ses rêves quelques années plus tôt, leur verticalité suscitait toujours en lui un désir viscéral, mais la possibilité de la chute était désormais ancrée dans son corps, cicatrice aux coutures épaisses".
Le roman commence fin 19e siècle par la capture d'un ourson, dans les Pyrénées ariégoises. La façon dont Jules l'attrape donne le ton d'une histoire âpre et pleine d'aspérités.
Les aventures de Jules devenu montreur d'ours reviennent de loin en loin dans le récit, mais ce sont surtout Gaspard et Alma que nous suivrons, de nos jours.
Gaspard est berger, il repart pour une saison d'estive, loin d'être serein. Un accident l'année précédente l'a durablement traumatisé. Il ne sait pas s'il pourra tenir le coup un nouvel été. Il sait par contre que s'il ne remonte pas maintenant, il n'en sera plus jamais capable et il tient à ce travail, qu'il a dans la peau.
Alma, elle, est une ethologue chargée d'étudier les comportements et trajectoires des ours arrivés dans la région depuis plusieurs années.La cohabitation avec la population et surtout les éleveurs est difficile. Autant dire qu'elle n'est pas forcément la bienvenue. Ses précédentes expériences dans l'Alaska et aux Asturies ne l'ont pas préparée au peu de moyens qu'elle trouve dans cette nouvelle mission. Sans compter le chagrin amoureux qui la tenaille à propos d'un certain Sam.
Mais le personnage principal est une ourse imposante, surnommée la Negra, flanquée de ses deux oursons. Cauchemar pour Gaspard, elle fascine Alma jusqu'à l'obsession.
Je ne pense pas avoir lu jusqu'à présent un roman qui m'ait fait aussi bien sentir ce qu'est la vie en altitude, la faune, la flore, le moindre bruit, les dangers, mais aussi les moments magiques, uniques, qui font que l'on ne peut plus s'en passer, malgré la solitude et la dureté de l'environnement.
L'autrice s'attache à laisser s'exprimer tous les points de vue à travers ses personnages. Le sujet est complexe d'autant plus que les parties adverses ne sont plus capables de se parler et n'hésitent pas à utiliser une certaine violence.
L'écriture est superbe, accordée au décor et au contexte. Les chapitres assez brefs alternent entre Gaspard et Alma. J'ai trouvé un peu superflu le périple de Jules au siècle précédent, j'ai trouvé qu'il n'apportait pas grand chose au sujet, sauf à le replacer dans une histoire plus ancienne. J'avais hâte de revenir à l'époque actuelle.
"A près de deux mille mètres d'altitude, l'humidité lui pénétrait les os. Ils s'étaient placés un peu au-dessus de la couchade, Alma avait indiqué un poste d'observation judicieux. En contrebas, les brebis semblaient composer un corps unique dans leur sommeil. Franck ne disait mot, elle ne l'avait jamais entendu s'exprimer autrement que par des phrases brèves, circonstanciées, comme si la communication devait être réduite à la transmission d'informations, expurgée d'émotion. Eric, lui, pestait toutes les dix minutes de ne pas voir l'ourse, fait chier, pas envie de rester là des jours à faire le siège ..."
Une histoire forte et nuancée, à découvrir.
L'avis de Cathulu Eeguab Kathel
Merci à Masse Critique et aux Editions Actes Sud
Clara Arnaud - Et vous passerez comme des vents fous -384 pages
Actes Sud - 2023
Commentaires
Même ressenti pour l'épisode du montreur d'ours. J'ai entendu ce matin un reportage sur France Inter: en Slovénie, la cohabitation avec les ours, les loups, les chasseurs et les troupeaux se passe bien...
Je ne trouve pas. C'est dans quelle émission ? Il semblerait que ce soit en France que ça se passe le plus mal, comme trop souvent.
Un sujet fort, apparemment bien traité et avec une plume superbe, c'est exactement ce que j'aime. Et je retiens aussi le nom de l'autrice (l'auteure ?).
La nature est vraiment très bien décrite et il faudrait plutôt dire "sentie". avec tous les sens. J'utilise autrice, mais je n'ai rien contre auteure, ni contre écrivaine d'ailleurs. Pourvu que ce soit un féminin.
Nous sommes d'accord sur ce roman. Son écriture est son point fort, et notamment tout de qui décrit et fait ressentir l'environnement des estives.
Je crois que c'est ce qui me restera de plus fort sur ce roman, parce que par ailleurs, j'ai trouvé les personnages un peu froids et torturés.
Je viens de le chroniquer il ya une quinzaine et je suis plutôt enthousiaste.
Je suis allée lire votre billet ; ce qui est bien c'est que nous avons chacune et chacun notre vision du livre, mais au final tous positifs. Je n'avais pas entendu parler de cette autrice jusqu'à présent, c'est une belle découverte.
Tout juste fini et beaucoup aimé, moi qui suis concernée par le sujet d'un peu plus près que toi...
J'ai souvent pensé à toi en le lisant, le problème est certainement bien plus évoqué dans tes contrées que dans les miennes.
Et j'adore.le titre !
Le poème est magnifique et l'idée excellente de mentionner un ver en tête de chaque chapitre, en nous donnant l'intégralité à la fin.
Il me fait bien envie ! J'aime bien les ours
Je les aime bien aussi, de loin ! En rencontrer un en vrai me tétaniserait de peur je crois.
Je suis contente de lire ton ressenti sur ce roman que j'ai beaucoup vu passer dans la blogosphère ces derniers temps. Je l'ai mis dans mes listes de la médiathèque et j'espère qu'il sera disponible bientôt, le sujet m'intéresse beaucoup.
C'est un roman qui continue à travailler dans ma tête alors que je l'ai terminé depuis une bonne huitaine de jours. C'est plutôt bon signe. C'est une histoire qui a du souffle et une écriture magnifique.
Et hop, enregistré dans ma Liste à lire !
Si ta liste est comme la mienne .... je ne dis rien !
rien que pour cette escapade virtuelle en altitude, je le note !
Nous sommes loin du tourisme dans cette montagne-là, elle se mérite !
J'ai réussi à me faire une liste pas trop longue des titres de la rentrée à lire et celui-ci figure dessus, je pense qu'il me plaira.
J'en suis sûre, c'est ton créneau et une belle réflexion sur la cohabitation possible ou pas entre le monde sauvage et les humains.
La vie en altitude ,domaine que je connais peu..et les ours je les aime aussi mais de loin comme toi..
Je note!!
Dans ces contrées là, la vie en altitude n'est pas facile et demande des qualités physiques et morales que je n'ai pas .. mais ça donne de magnifiques passages sur la nature et ses vies multiples.
Je suis plus attirée par les descriptions telles que tu les évoques que par l’histoire.
C'est ce que j'ai préféré aussi, c'est là que l'autrice est à son meilleur.
Je suis un peu à saturation en ce moment avec ce type de livres alors je passe mon tour
J'ai un peu éprouvé cette saturation en cours de lecture ; j'en ai beaucoup lu moi aussi, encore que celui-ci va plus loin et avec une superbe écriture.
J'aime retrouver la montagne en lisant, j'en prends note. Bonne journée, Aifelle.
Dans ce roman on est au coeur de la montagne encore assez sauvage, même si les randonneurs sont trop présents au goût des personnages.
Ca fait envie. Mais j'ai donné La verticale du fleuve de cette auteure (qui se passe au Honduras, contrée délaissée du mois latino, j'ai sauté dessus !!)..
Je ne comprends pas bien ton commentaire. Tu l'as lu ou pas "la verticale du fleuve" ?
C'est un lapsus : j'ai NOTE (et non donné !) La verticale du fleuve, je le lirai sans doute en février !
Ls ours, les loups, ça se passe mieux ailleurs qu'n France, bizarre...
Ce serait intéressant de creuser plus avant ce sujet.
Aïe, le nature writing ce n'est vraiment pas ma tasse de thé, mais s'il y a des ours, il y a quelques chances que ça passe quand même.^^ A voir...
Si tu n'aimes pas le nature wrinting, il est à craindre qu'il ne soit pas pour toi. Il y a d'assez longues descriptions à l'affût de l'ourse ou à propos du pâturage des brebis.
Ah ça c'est pour moi, je retiens.
Je pense que tu apprécieras l'écriture.
@ Ingannmic : ah voilà, c'est plus clair. J'attendrai ton avis, je suis curieuse de ce qu'elle a pu écrire avant celui-ci.
très tentant, autant par l'écriture dont tu parles que par les thèmes. Et quel beau titre!
Extrait d'un poème qui est très beau dans son intégralité.
Titre et couverture sont déjà très attirants !
Ils m'ont forcément attirées. Et c'est le genre de thème qui m'intéresse.
Des qu'on parle de nature et de montagne, je bascule dans l'enchantement... Pour les ours, je n'arrive pas à raisonner ma peur, malheureusement. Ce titre est bien sûr noté, merci Aifelle, belle fin d'après-midi. brigitte
Nous n'avons pas été habituées à voir des ours à tous les coins de montagne ! j'aurais très peur si j'en croisais un;
Encore un beau livre avec un thème qui m'intéresse !
D'habitude, la rentrée littéraire ne me passionne pas vraiment mais cette année j'ai pas mal de tentations. J'en termine un autre que j'ai aimé aussi.
Je viens de le finir ! Bcp aimé aussi...
Je n'avais pas vu ton commentaire .. j'aurais été étonnée que tu n'aimes pas.
Ça y est ; depuis vendredi dans ma PAL ;) à la première lecture du sujet j'étais cuite, je suis de plus en plus attirée dès lors que ça parle de nature, alors forcément. Et puis te lire (puisque évidemment j'avais lu ton billet) en rajoutait une sacrée couche. Je compte le lire pour le défi de Geneviève.
C'est une bonne lecture sur tout ce mouvement qui entraîne des jeunes vers une vie plus proche de la nature et qui ne sont pas toujours bien accueillis par les gens du cru. Et c'est bien écrit.